Extraits

On essayait de la tuer.

Au moment où Eve Edens serra la poignée de frein de son scooter Vespa classique de 1966 sans obtenir la moindre réaction de la machine, elle comprit que la série de coups du sort dont elle avait été victime ces derniers temps ne relevait pas de la simple coïncidence. L’agression à main armée, l’incendie, et maintenant ça ? Même elle n’était pas malchanceuse à ce point.

C’était donc officiel : quelqu’un voulait sa mort…

Quant à savoir qui, la question devrait attendre. L’urgence consistait surtout à trouver le moyen de ne pas aller s’encastrer dans les voitures qui roulaient au ralenti à quinze mètres devant elle.

Ses poumons se vidèrent d’un coup et la terreur envahit son cerveau tandis qu’elle écrasait de son pouce le bouton de l’avertisseur. Mais les mip, mip, mip pathétiques échouèrent à attirer l’attention des conducteurs à l’arrêt sur la chaussée droit devant. Et quand bien même, ils n’auraient pas pu s’écarter de son chemin. La circulation s’était immobilisée sur toutes les voies. Nulle part où aller à l’exception…

Oh non.

Le lac.

- Mac a raison. Je vais t’escorter jusqu’à chez ton cousin pour que tu puisses préparer ton sac. Ensuite, une fois de retour ici et après avoir regardé ton dossier, on pourra décider de la manière de procéder.

Eve déglutit, les yeux brillants de gratitude, et il se souvint de la première fois qu’il l’avait vue.

Il était de retour à l’occasion d’une longue permission, dans l’attente de sa convocation pour démarrer l’entraînement des SEAL. Pour passer le temps, il s’était rendu à l’une des rencontres d’athlétisme d’été de sa sœur.

Elle était là, Evelyn Rose Edens, franchissant la ligne d’arrivée après avoir couru le trois mille mètres femmes. Elle ressemblait à une gazelle, agile et mince, avec des jambes interminables. Quand il avait demandé à Becky de la lui présenter, Eve s’était montrée si timide qu’elle avait à peine croisé son regard. Mais lorsqu’elle l’avait fait ? Un coup au ventre !

Son visage délicat et empourpré n’était que perfection. Et ses yeux ? Ils étaient du bleu le plus profond et le plus incroyable qu’il avait jamais vu. Il avait craqué, instantanément. Game over pour lui, car l’expression d’Eve, si douce et innocente, si éloignée des vicissitudes du monde, réveillait ses instincts les plus protecteurs. Il n’avait eu qu’une envie : lui passer un bras par-dessus les épaules et la protéger. Pour toujours…

Bon, ce « toujours » s’était révélé des plus courts. L’espace d’un été voluptueux aussi plein de soleil que privé de sexe.

- M… Merci Billy, bredouilla-t-elle.

Ses paroles le ramenèrent au présent. Elle avait désormais douze ans de plus. Elle était divorcée et était devenue une biologiste marine reconnue et respectée. Ainsi qu’un petit prodige de l’autodéfense, apparemment. Et pourtant… elle semblait toujours aussi douce et innocente. Et, d’un seul regard, elle éveillait toujours en lui l’envie irrésistible de se redresser, torse bombé, les armes à la main, pour la protéger de tous les grands méchants loups de ce monde.

Comment est-ce qu’elle fait ça ?

Il secoua la tête, à la fois devant son attitude d’ado énamouré et devant cette situation complètement merdique, avant de murmurer :

- Pas de souci.

Puis, histoire d’être sûr qu’elle n’imaginait pas qu’il agissait ainsi de gaieté de cœur – car en ce qui concernait Eve et son cœur, la gaieté n’avait plus vraiment sa place – il ajouta :

- Becky ne me pardonnerait jamais si je te claquais la porte au nez alors que tu es dans la dèche.

La lueur de gratitude qui s’était allumée dans les yeux d’Eve s’éteignit. Elle hocha sèchement la tête.

- Je vais passer aux toilettes, dit-elle. Puis je serai prête à rentrer chez Jeremy pour faire ma valise.

Tout en la regardant s’éloigner vers le fond du long couloir, il se demanda comment il allait gérer les prochains jours. Puis il vit que Mac l’observait, l’air interrogateur.

- C’est quoi, ce regard ? demanda-t-il.

- Tu voudrais pas nous dire pourquoi tu te transformes en homme des cavernes chaque fois qu’elle est dans le coin ? demanda Mac, le pouce levé en direction du couloir.

- Pourquoi je ferais ça ? On est des copines qui se font des confidences, maintenant ?

Ace se pencha par-dessus la table pour tapoter gentiment les doigts de Bill en battant exagérément des cils.

- Seulement si tu en as envie, mon beau.

Bill retira vivement sa main sans toutefois parvenir à réprimer tout à fait un sourire.

- Arrête ça ! grommela-t-il en tentant vainement d’afficher un air féroce. Pourquoi t’irais pas plutôt te mater un épisode de Glee en te gavant de bonbons ?

- Puisque t’en parles…

Ace saisit la boîte de chocolats et leur décocha un clin d’œil avant de se diriger nonchalamment vers l’escalier menant à la pièce à vivre du deuxième étage. Il s’arrêta néanmoins sur la première marche et se tourna vers eux avec une expression soudain beaucoup plus austère.

- Sérieusement les gars, si vous avez besoin de moi pour quoi que ce soit, vous savez où me trouver. Et Bill ?

Celui-ci soupira. Il savait déjà ce qu’Ace allait dire ; ça se lisait sur son visage.

- Ouais ?

— Sois sympa avec Eve. Elle est en gros manque d’affection, la pauvre. Alors si tu pouvais faire preuve d’un peu de tendresse, hein ?

- C’est quoi, ce conseil ? grogna Bill. Tu reviens d’un trip chez les Bisounours ?

- Non, je me dis juste qu’un peu plus de douceur ne ferait pas de mal dans ton comportement de brute en rut.

- Ah ouais ? s’exclama Bill. Attends, moi aussi, j’ai un conseil pour toi. Je l’ai mis par écrit et je l’ai rangé dans ma poche.

Il glissa la main dans la poche de son jean et ressortit son poing fermé, le majeur dressé vers Ace.

Donc, craquer de nouveau pour elle serait… stupide, la chose la plus idiote et la plus ridicule qu’il puisse faire, non ?

Malheureusement, il se sentait au bord du précipice, à deux doigts de la rechute. Surtout lorsqu’elle le regardait ainsi, avec ses grands yeux de biche pleins d’admiration et…

Merde.

Alors qu’il la regardait tendre une main fine et pâle pour prendre le sandwich du dessus, ce geste innocent et on ne peut plus ordinaire lui apparut comme éminemment intime. Soudain, il se sentit dans la peau du mâle massif et puissant prenant soin de sa petite femme.

Bon sang, c’était pathétique !