Je poste ici (Lettres Communes), pour la première fois, sur un auteur que j' apprécie : Sylvie Salvayre , en commentant un de ses ouvrage: Portrait de l' écrivain en animal domestique , (Le Seuil) où la narratrice se joue avec bonheur de la
littérature qui vend son âme au hamburger .
ELLE , (la narratrice) se consacrait à la littérature, menait, avec de minuscules droits d'auteur, une existence monacale, et puis un jour, cette proposition alléchante:
écrire, moyennant un gros pactole, la vie de l'homme le plus riche du monde. Oui, devenir "le nègre de Tobold , le roi du hamburger".
Vendre son âme au Capital ?
Le temps d'une insomnie, elle accepte. Et se résout, pour rédiger l' "évangile" du boss: à partager son intimité, c'est à dire à se mettre à son service.
A sa botte .
Elle s'installe donc dans son appartement new-new-yorkais de 146 pièces, auprès de sa femme Cindy et de son chien Dow Jones, le suit de réunions en rendez-vous, comme son ombre ( " son paillasson"),et note , note servilement les paroles du Maître:
- " un nouveau fast-food King Size s'ouvre toutes les deux minutes sur la Terre ! Notez-le" .
Quand ce ne sont que des paraboles :
-" la puissance de la Libre Economie est-elle, écris-le, qu'elle convainc même ceux qu'elle menace le plus ".
Car Tobold a un modèle, Jésus- Christ et "son staff de martyrs" , et une mission , écrire le
" Troisième Testament " . Ainsi les banques sont-elles des "églises"pour lui, le "Financial Times" son "catéchisme" , un pédégé est "infaillible", et il songe à "évangéliser" (s'implanter) en Chine .
Surtout, la frite est "eucharistique": en l'intégrant, on ingère le monde. Le monde selon Tobold .
Quand au peuple ( les pauvres du Christ), il est indémodable, et il suffit de lui vendre l'idée qu' "on peut trouver le bonheur à p'tit prix, un burger dans une main,la télécommande dans l' autre".
Bref, Tobold est un "porc", mais surtout un "killer" . Un ennemi se dresse-t-il devant lui ?
On lui mène une guerre médiatique (salir sa réputation avec la complicité des journalistes), ou judiciaire
(lui intenter un procès pour des crapuleries qui sont la règle), ou on le fait disparaître.
- " Montrer une affaire c'est descendre les gens ."
Amen !
Lydie Salvayre a dû jubiler en écrivant cette comédie (que n'avait-elle conseillé à Yamina Reza pour son livre sur Sarkozy), qui pousse jusqu'à l' absurde le personnage du big boss mégalo et cynique
( un mélange de Messier, alias J6M et de Le Lay revu par les "Guignols" , mi-parrain, mi-gourou, et salaud absolu).
Mais en le confrontant à une sainte nitouche éprise de beauté, qu'il amène tout doucement à se renier et à pactiser avec le diable , l'auteur pose quelques jolies banderilles dans nos belles âmes, s'amusant des compromissions de chacun avec le système , comme on disait. Elle le fait avec beaucoup d' habilité, variant
les registres( du grinçant au comique gras en passant par la parodie), et son roman, malgré une fin plus convenue , frappe juste.
Comme toute mauvaise plaisanterie.
Igor Capel.