"Pas Pleurer " de Lydie Salvayre

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caribou33

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"Pas Pleurer " de Lydie Salvayre

Message par caribou33 »

De Bernanos à Salvayre, l' air d'une Espagne calcinée !

Il y a des livres où l'histoire et la littérature sont inséparables, la réalité d'un passé dramatique s'alliant à une écriture qui le revivifie en s'inventant elle-même.

On peut le dire du très beau roman de Lydie Salvayre : "Pas Pleurer", qui a obtenu le prix Goncourt 2014. C'est dans l' histoire de la guerre d'Espagne que s'inscrit la mémoire familiale de l'auteur, qui recueille les souvenirs de sa mère réfugiée en France, après la défaite des républicains.

Or, dès ses premières pages, Lydie Salvayre introduit dans le récit maternel le témoignage de Georges Bernanos:

" - je l' écoute me dire ses souvenirs de la lecture parallèle que je fais des "Grands Cimetières sous la lune " de Bernanos assombrit et complète. Et j'essaie de déchiffrer les raisons du trouble dont je crains qu'il ne m'entraîne là où je n'avais nullement l'intention d'aller."

On a quelque peu oublié aujourd'hui : Georges Bernanos.
On vît bien en 1987 "Sous le Soleil de Satan" le film de Maurice Pialat, tiré d'un de ses romans, mais c'est déjà loin.

Étudiant , il avait été camelot du roi, militant de l' Action française et admirateur de Charles Maurrat.
Et, même si attaché à celui-ci que, lorsqu'en 1926, ses idées furent condamnées par le pape Pie XI, Bernanos, resta fidèle à son maître, jusqu'au moment où, au début des années trente, il s' aperçut qu'il n'avait plus de langue commune avec lui.

Resté monarchiste, resté fidèle à l' antisémite : Edouart Drumont, il demeurait un homme de droite, mais un homme de droite sans parti, inclassable, vitupérant les "bien-pensants", réfractaire à la démocratie chrétienne et à la démocratie parlementaire, chantre d'une ancienne France d'avant l'industrialisation et la prolétarisation du peuple.
Un déphasé, un démodé,mais à l' accent inimitable de tendresse comme dans "son journal d'un curé de campagne" publié en 1936, et qu'il a écrit à Palma de Majorque, où toujours sans un sou il s' était installé avec les siens deux ans plus tôt.

C'est là, aux Baléares, qu'il devient témoin de la guerre civile espagnole qui éclate le 18 juillet 1936.
Au début du conflit ses sympathies se portent naturellement vers les insurgés et le général Franco. Il est fier que son fils Yves , qui a moins de dix-sept ans , se soit engagé dans la Phalange , et " se conduit admirablement sur le champ de bataille".

Cependant, écrira-t-il, ses illusions "sur les intentions de Franco n'ont pas duré longtemps".

À Majorque, qu'il considère comme un lieu pacifique,où on n'aurait pas trouvé "cent communistes réellement dangereux", il assiste à une impitoyable " épuration préventive", une systématique extermination des suspects".

Des gens sont tirés de leur lit, en pleine nuit, conduits au cimetière," abattus d'un balle dans la tête et brûlés en tas un peu plus loin".

Devant ces massacres qui vont se perpétuer, que dit le clergé ?

Que dit l' Eglise, son Eglise à lui, Bernanos ?

Rien !

" J'écris donc en langage clair, que la Terreur aurait depuis longtemps épuisé sa force si la complicité plus ou moins avouée, ou même conscient, des prêtres et des fidèles n'avaient finalement réussi à lui donner un caractère religieux".

Bernanos sait bien que la guerre civile est la plus cruelle des guerres et que, dans le camp d'en face, chez les républicains, la violence se manifeste aussi au nom de principes sacrés, quand elle n'est pas de la violence pour la violence , une frénésie.
Mais il se sent tenu lui, le chrétien, le monarchiste, de dénoncer les massacreurs de son camp, les silences des évêques, quand ce n'est pas leurs encouragements aux épurateurs.

Dans son ouvrage " Les Cimetières sous la lune", il décrit les scènes de la Terreur organisée par les nationaux et il dit son dégoût des complicités ecclésiastiques, pour lesquelles Franco conduit la Croisade:

" Les Forces de Dieu contre les forces du Mal ".

Lydie Salvayre note: " Simone Weil , jeune agrégée de philosophie, envoya à Bernanos une lettre d'admiration qu'il conserva dans son portefeuille jusqu'à ses derniers jours. Au début d'août 1936, la jeune philosophe, si peu douée pour les armes, avait pris le train pour Barcelone afin de s'engager aux côtés des républicains.

Elle aussi devait avoir son idéal sérieusement ébranlé par la barbarie de la guerre civile, l' absence de toute réprobation à l' égard du sang inutilement versé.

Lydie Salvayre a su admirablement dépeindre ces déchirures de la chair et de l'esprit dans cette "odeur de guerre civile, de sang et de terreur", qu'avait respiré Georges Bernados dans une Espagne calcinée.

Raphaêl Winock

( Historien)
caribou33

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Re: "Pas Pleurer " de Lydie Salvayre

Message par caribou33 »

Pour mieux assimiler ce que la narratrice appelle : "les mauvais pauvres ", il faut bien connaître l'état de cette Espagne de la moitié de ce XIX° siècle .
En ayant lu auparavant: la Guerre d'Espagne, écrite par des envoyés spéciaux, historiens, journalistes, étrangers au conflit qui nous rapportent leurs conclusions de façon neutre de cette partie de l'histoire de l'Espagne de cette époque.

Ci-dessous , un extrait que je viens de poster sur cet ouvrage (La Guerre d'Espagne), concernant ces "mauvais pauvres", (pages 21 et 22 du tome I de la guerre d' Espagne).
Post-scriptum : le titre exact est Guerre d'Espagne et non Guerre civile d'Espagne, que j'ai déjà signalée maintes fois et qui n'a pas encore été modifiée.


Extrait
(page 21/22) tome 1 ( Guerre d' Espagne )

C'est dans le sud de l' Andalousie, terre d' élection des "latifundia"*, que la misère est la plus grande.
Les fermiers n'y sont guère mieux traités que les "braceros" travaillant à la "temporada" (saisonnier), soit environ deux cent jours par an pour un salaire journalier qui, entre 1900 et 1930, ne dépassait pas, en moyenne :trois pesetas par jour !

Tandis qu'ils sont exploités, les journaliers ne disposent même pas, à leur usage, d'un lopin de terre, alors que restent en friche des espaces réservés pour la chasse ou l' élevage des taureaux.

Résignés ou contraints de l' être, les paysans auront parfois des sursauts: des jacqueries éclateront, bientôt régressives. primées, dont les séquelles pourtant laisseront des traces, avivant les antagonismes et préparant la lutte des classes.

La nature des rapports entre proprétaires fonciers et paysans n'est pas la seule particularité de cette époque, le pouvoir de l' Église dans l' État en est un autre, non mineur.

L' Église d' Espagne a connu son apogée au siècle d'or: son influence dans la nation fut assurément plus profonde et plus durable que celle de la monarchie traditionnelle.

Son opposition farouche à la tentative de conquête napoléonienne lui valu un regain d'autorité et de prestige.

Elle ne put pourtant éviter, en 1837, la confiscation des terres qu'elle possédait, décrétée par les progressistes. Toutefois, forte de ses 80.000 prêtres et religieuses, riche de plusieurs milliers de domaines, possédant et contrôlant des entreprises, elle reste presque un État dans l' État.

Elle joue un rôle majeur en matière d' enseignement. Mais, outre qu'à l' aube du XX° siècle, presque la moitié de la population est analphabète et n'a donc ni fréquenté l' école, ni subi l' endoctrinement religieux , on remarque que la catholicisme des Espagnols est fort tempéré.

Cela tient pour beaucoup au fait que,dans les régions pauvres, la population accuse le clergé de faire le jeu des propriétaires et des chefs d'industrie tandis que, d'une manière générale les représentants de la hiérarchie sont assimilés aux oligarques laïques qui dominent la vie politique du pays et donc la mentalité égoïste compromet la promotion des masses les plus défavorisées.

Quoi qu'il en soit, riche et fortement implantée dans tout le pays, l' Église joue un rôle prépondérant dans la vie politique et constitue l'un des plus sûr garants de la permanence de l'ordre social.

*(latifundia) : est de nos jours une vaste propriété agricole cultivée de façon extensive.
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