C'est clair qu'il reste de nombreuses zones d'ombre au sortir de la lecture ce qui laisse un sentiment de frustration et de trop peu. Mais c'est probablement du au fait que le récit est raconté du point de vue de Defred qui peut nous dire uniquement ce dont elle a été témoin ou qu'on lui a raconté. C'est à dire bien peu...
Pour moi, c'est révélateur du peu d'implication des gens dans la vie politique et sociale avant le changement.
Le "on a rien vu venir" est la conséquence d'une population qui vit en confiance depuis longtemps, qui ne se méfie plus, n'est plus vigilante. Se contentant de jouir de ses droits et de ses libertés au lieu de continuer à les défendre, ne pouvant envisager des êtres suffisamment malintentionnés pour les en priver ou tout simplement les éliminer si ils s'opposent.
Ce que j'aurais aimé savoir:
Le contexte des Etats-Unis avant et pendant le changement:
Qui sont les fils de Jacob ? Comment ont ils pris de l'ampleur ? Comment se sont ils exactement emparés du pouvoir (infiltrés dans toutes les strates du pouvoir et des armées ?), avec quels moyens (les armes ça coûte cher or ils semblent en avoir suffisamment pour encadrer toute la population), quels effectifs (il faut bien des gens pour tenir les armes et oser tirer de sang froid sur des innocents) ?
La situation du reste du monde (personne ne réagit à la situation des Etats-Unis, sont-ils dans le même cas ?) ?
La structure de la République de Gillead (comment ont été recrutés les Tantes ? et les Yeux, à qui rendent-ils des comptes ? Y a-t-il un personnage plus important ? Car il est question dans les notes historiques de purges parmi les commandants qui nous semblaient pourtant être le haut de la hiérarchie, y aurait-il des luttes intestines en leur sein pour déterminer qui est le plus puissant ?
Qui est la résistance, comment fonctionne son réseau ? Tout ça mériterait de plus amples développements.
Sur la fin:
Concernant la fin ouverte où il est difficile de connaître le devenir de Defred, pour ma part je ne préfère pas savoir clairement. La probabilité qu'elle ait connu une fin heureuse étant très faible, je préfère rester dans l'ignorance et imaginer que c'est le cas (cette pauvre femme a assez souffert comme ça). Que cet enregistrement contient uniquement son témoignage en tant que Defred la Servante, et que maintenant qu'elle est libre et qu'elle est redevenue une personne à part entière avec une identité propre, elle n'a plus besoin de laisser de trace derrière elle pour prouver qu'elle a existé et que tout ça s'est bien produit.
Sur les femmes et leurs différents statuts:
Je pense que les Epouses sont vraiment les femmes des Commandants et qu'elles ne leur ont pas été attribuées. Il ne faut pas oublier que ça fait à peine quelques années que la République de Gillead est en place et que tous ses dirigeants avaient eux aussi une vie avant. On peut donc imaginer que comme elles étaient déjà les femmes de "l'élite" et qu'elles ont probablement supporté leurs maris dans leurs activités, elles le sont restées dans la nouvelle société avec le statut privilégié d'Epouse. Dans cette société qui se veut ultra religieuse et ultra moraliste, on imagine mal les époux se débarrasser subitement de leurs épouses, d'autant plus que les Commandants doivent être irréprochables en tant qu'exemples. Par contre, on peut tout à fait imaginer que pour les générations suivantes de Commandants il en sera fait différemment, puisqu'il n'y a plus de mariage d'amour, et qu'ils pourront disposer de deux femmes tout à fait fertiles pour assurer leur descendance: une en qualité d'Epouse et l'autre en qualité de Servante.
Ce qui m'amène maintenant aux Econofemmes. Pour celles-ci, on peut imaginer que pour une partie elles étaient déjà les épouses d'hommes ayant embrassé le nouveau régime sans broncher mais que du fait que ces époux n'ont pas de statut social suffisant elles doivent tout endosser seules, là où une Epouse dispose de bras "spécialisés". Je pense que l'autre partie des Econofemmes a été attribuée aux hommes méritants qui se sont distingués par leurs actes d'espionnage, de délation et autres bassesses. Par exemple, il est dit à un moment que Nick pourrait un jour avoir droit à une femme. Si son statut social est suffisant alors il aura une Epouse et probablement une Servante et une Martha, sinon il aura une Econofemme et rien de plus. Les Econofemmes ne sont pas particulièrement infertiles (si j'ai bien compris ma VO, il y a un passage où l'une d'entre elle est allée incinérer son bébé mort à quelques mois) mais on imagine que comme elles se tuent à la tâche, leurs chances d'enfanter sont faibles.
Quant aux Marthas, on en parle peu au final mais elles jouent le rôle de domestiques chez l'élite et les classes sociales aisées. Elles semblent être bien disposées envers la République de Gillead et ses idées ce qui me donne la sensation que ce sont toutes des femmes non fertiles mais qui, si elles l'avaient été, auraient volontiers joué les Servantes. Par contre, je ne saisis pas pourquoi elles deviennent particulièrement des Marthas alors que je pense qu'elles pourraient aussi être des Econofemmes... Un choix de leur part ? Une distinction de leurs hautes capacités domestiques ?
Les Servantes quant à elles ce sont toutes les femmes fertiles qui n'ont de rôle que la reproduction. Si j'ai bien compris leur recrutement, elles sont issues des divorces, des adultères, des concubinages, des unions homosexuelles (tout ce qui est immoral d'après la religion)... et elles ont eu pour choix d'être Servantes ou d'aller dans les colonies où une fin certaine les attend. A ce contingent viennent s'ajouter les femmes fertiles qui commettent des crimes qui ne sont pas passibles d'une peine de mort, à qui on donne la même possibilité. Evidemment on aide toutes ces femmes à choisir d'être Servantes en faisant pression sur elle. D'une part par un stage violent d'endoctrinement qui vise à affaiblir la volonté de l'individu en le brisant, d'autre part en tenant ses proches en otage et en menaçant de leur faire du mal.
D'une façon ou d'une autre, on remarque que les femmes destinées à être Servantes ont pour choix de "mourir de la peste ou du choléra" car la mort à court ou moyen terme est quasi certaine pour elles. Les Servantes sont assignées pendant deux ans à un même homme dont elles prennent le nom (DeFred, DeGlen, DeWarren...) et ont droit à trois assignations durant lesquelles elles doivent obligatoirement tomber enceintes sinon au terme de ce délai elles sont envoyées dans les colonies.
Les Tantes sont des femmes qui se sont portées volontaires pour en endoctriner d'autres. Globalement, on constate que ce sont surtout de grosses sadiques qui prennent grand plaisir à avoir d'autres personnes à leur merci et à les briser pour les rendre dociles. Elles sont cruelles et ne manquent pas d'idées pour torturer les recrues. De tous les personnages féminins croisés, ce sont ceux que je trouve les plus détestables car il est impossible d'avoir une once de compassion à leur égard. Contrairement aux Epouses, par exemple, qui n'ont pour elles le statut social le plus élevé chez les femmes mais qui, tous les mois, doivent endurer l'affront de regarder leur mari coucher avec une autre sous leurs yeux et dans le lit conjugal.
Les autres femmes... celles qui sont probablement classées dans les Anti-Femmes sont envoyées dans les colonies qui semblent être l'équivalent de camps de travail forcé ou, si leur crime est important, sont directement exécutées et pendues sur le mur offertes en exemple (sachant qu'est considéré comme un crime le fait d'avoir choisi d'être infertile, le fait de manifester pour les droits de la femme et comme crime grave le fait d'avoir refusé de se convertir à la religion de Gillead, d'avoir avorté ou de faire partie de la rébellion (entres autres).).
Et puis on découvre une troisième option effarante pour ces femmes : devenir des putes clandestines prêtes à satisfaire tous les fantasmes dépravés de ces messieurs de l'élite. C'est ainsi qu'on retrouve des femmes très instruites et qui exerçaient des professions respectées, signe de leur réussite (une sociologue est citée), rabaissées à exercer pour survivre un métier avilissant.
Sur le récit à la chronologie puzzle:
J'ai apprécié cette façon désordonnée de raconter car, entre chaque élément révélé, mon cerveau tournait à plein régime pour faire le lien entre tout. J'imaginais les pires horreurs pour combler les blancs et, d'une certaine façon, c'était plus efficace que de les lire écrites noir sur blanc. Mais ce n'est pas la seule raison. Je ne sais pas si vous y avez été attentifs, mais la façon dont Defred "se présente" est inhabituelle. Elle met longtemps à nous parler de son mari et encore plus longtemps à nous parler de sa fille alors que ce sont les deux êtres les plus importants dans sa vie et, a fortiori, ceux auxquels elle se raccroche pour continuer à vivre. Je l'ai interprété comme une distance supplémentaire face à ses souvenirs vitaux mais terriblement douloureux.
Sur l'aspect réaliste:
J'ai apprécié le traitement réaliste qui nous change de toutes les dystopies qui foisonnent depuis un certain temps où les héroïnes deviennent des super-héroïnes et changent le monde à la force de leur unique volonté.
Ici on est vraiment proche d'une part, des témoignages de 39-45 sur la résistance et ses réseaux qui naissaient et mouraient aussi vite qu'ils étaient apparus, d'autre part, des témoignages de victimes de viols. Le message passé par Margaret Atwood en est que plus fort avec cet encrage dans la réalité: à la fois avertissement contre les dérives de notre société contemporaine et mise en garde sur la précarité de nos droits et libertés qui peuvent nous être ôtés sans qu'on puisse les récupérer de sitôt. C'est quelque chose qui lui semblait d'actualité en 1985 et qui l'est toujours autant en 2017.
Sur la série TV:
J'en suis à l'épisode 8 de la première saison et j'estime que c'est un très bon complément du livre.
Les producteurs ont du tenir compte des avis des lecteurs sur les zones d'ombres du récit car ils ont pris le parti de nous proposer les souvenirs de divers personnages qui apportent beaucoup d'éclaircissements. Par exemple nous avons ceux du Commandant et de son Epouse, ceux de Nick, ceux de Luke, ceux d'autres Servantes...
Bien que le seul narrateur soit toujours Defred (elle n'intervient que quand la partie à l'écran est le fruit de son souvenir, pour les autres il n'y a pas de narrateur).
En plus de ceci, d'autres aspects de la société et l'état du reste du monde sont enfin dévoilés, ce en totale cohérence avec le livre (Margaret Atwood participe activement en tant que productrice consultante), même si on sent que la série est en train de progressivement dévier dans ses événements.
Autant vous dire tout de suite que je trouve la série encore plus glaçante que le livre (oui c'est possible
) et que je la recommande fortement à ceux qui peuvent la visionner !