Lior
Tout le monde nous scrute comme si nous nous trouvions au centre du cimetière, on nous dévisage sans vergogne et chuchote à notre sujet, mais seule la réaction de Campbell a de l’importance au beau milieu de toutes les autres, et je remarque du coin de l’œil qu’il me regarde aussi, étonné, pendant que je suis explosé de rire à ses côtés. Je lui parle, il demeure composé, ne se départant jamais de son calme inné, un exploit, lorsqu’il me pose une question des plus intéressantes en me demandant de but en blanc à quoi je joue, avant de me préciser qu’il fait du basket depuis qu’il a six ans, ce qui commence à dater. Ca fait un bail qu’il pratique ce sport, en conséquence, il doit y exceller, ou être très bon là-dedans au minimum.
Il n’est pas bien difficile d’y voir clair dans mon petit jeu, Campbell est intelligent et perspicace, et a tout de suite compris que je ne suis pas quelqu’un de sérieux, continuant notre discussion comme si de rien n’était en me répondant normalement, sans dévier ou quoi. Il n’a pas tort, je joue effectivement à un jeu, mon jeu préféré, sauf que je n’ai jamais été aussi franc qu’en cet instant, en y jouant. J’en jubile intérieurement et m’arrête soudainement de rire, brutal, confirmant qu’il s’agissait d’un rire forcé, puis relève la tête de manière à ce que mes yeux s’entrechoquent avec ceux de Campbell, de la même couleur que les miens. Je lui rétorque d’une voix posée, mais dont le timbre est légèrement grave et sombre, une pointe de cynisme y perçant, bien que je lui dise la vérité :
-A quoi je joue ? Oh, mais à rien, si ce n’est que je suis pas hypocrite, moi, au moins. Contrairement à eux, j’ajoute en rehaussant subitement le ton, de façon à ce qu’on puisse m’entendre émettre cette réflexion volontairement désobligeante, qui n’est pas fausse, en attendant.
Ce sont tous des hypocrites, ou presque. Les gens sont venus à l’enterrement de ce con*ard de Tyler parce qu’il était le fils de personnes influant sur Lakewood, mais en réalité, c’est simplement afin de maintenir les apparences que la plupart des habitants s’y sont ramenés, faire genre qu’ils compatissent, et tout, uniquement en ayant des arrière-pensées, car ils y ont peut-être un intérêt. Personnellement, Tyler était le plus gros enf*iré que Lakewood ait jamais porté, alors je suis heureux, oui, juste trop heureux qu’il soit mort et ne vais pas m’en cacher, le crachant sans pression à la gu*ule de tous ceux qui se sont rendus à ses funérailles, ceux qui sont pourtant comme moi et détestent Tyler, non, le haïssent pour ce qu’il leur a fait, j’en suis sûr, mais visiblement, ce n’est plus leurs préoccupations premières, ce qu’elles auraient été s’il avait été encore en vie. Je ne suis pas un hypocrite et de ça, j’en suis fier.
Loin de me mêler à cette bande de sans-coui*les, je me contente de les observer et de les mépriser tous autant qu’ils sont, excepté Diana, ou Didi pour les intimes. D’ailleurs, je me creuse la tête pour savoir ce qu’elle f*ut ici, mais pas grave, je l’interrogerai à propos de ses motivations plus tard, parce que je suis curieux de connaître les raisons qui l’ont poussée à s’attarder ici. Sérieusement, ça m’intrigue et en même temps, ça ne me plaît pas vraiment. J’espère qu’elle a donc une sacrée bonne raison d’être là, dans tous les cas, je ne la raterai pas et en obtiendrai une réponse, qu’elle le veuille ou non. Tyler est mort, ok, très bien, c’est parfait, génial, mais on n’est toujours pas dans le meilleur des mondes, c’est pourquoi je garde Diana à l’œil, au cas où, et me méfie de ceux qui lui tournent autour. Je n’en suis pas serein, mais le dissimule habilement, derrière mon agitation feinte.
-Six ans ? Wow, mec, t’es un athlète de haut niveau.
Je l’avoue, je suis sarcastique, mais quand même, ça n’empêche pas que je sois sincèrement admiratif face à une telle déclaration, ce qui peut se percevoir si on tend suffisamment l’oreille, car j’ai beau exagérer mon propos, ça m’impressionne malgré tout. A sa place, je n’aurais jamais pu exercer un sport aussi longtemps, et en plus, je suis une sous-m*rde en sport : je ne me crève pas là-dedans pour rien, à l’inverse de Campbell. Il doit être d’un niveau de compète et, les sourcils haussés sur mon front, j’en hoche de la tête, approbateur.
Finalement, je me mets à la recherche d’un briquet sur moi, qui n’est pas concluante, et me retourne vers Campbell pour me rappeler par la suite que c’est inutile, puisqu’il n’a pas de briquet sur lui, ce qu’il renchérit, et en l’écoutant me détailler sa bonne excuse, je roule des yeux en direction du ciel, avant de lui répliquer dans un demi-sourire, à la fois amusé et agacé, perdant vite patience :
-Je me doute que tu fumes pas, gros malin, y a pas marqué « ducon » sur mon front. Mais même quand on fume pas, mieux vaut avoir un briquet sur soi, ça peut toujours servir. Fin bref, magne-toi.
Après un petit temps où il paraît réfléchir ô combien intensément, délibérant avec lui-même, Campbell se décide à me suivre et on marche jusque chez mes parents, puis tombons à l’improviste sur ma mère, qui a ramassé un colis déposé au pied de la porte et que je lui arrache des mains, Campbell ne se tenant pas tranquille et nous rejoignant, saluant poliment ma mère.
-Mais qu’est-ce que tu f*us, b*rdel ? Je lui lance, sur les nerfs, ma mère nous fixant, l’air apeuré, puis s’inclinant face à Campbell, lui murmurant, hésitante, d’une voix chevrotante :
-Bon… Bonjour… Tu… Es-tu… Un ami… De… De mon… Mon… Fils ?
-Oh, ta gu*ule, et nan, c’est pas mon ami, m*rde ! Je m’exclame rudement, et sans demander mon reste, je saisis Campbell par le bras dans un réflexe et nous dégage de là, ma mère énonçant brièvement quelque chose à l’adieu de Campbell tandis que je peste un bon coup, nous faisant rebrousser chemin, tourner à l’angle et nous stopper.
Mes yeux sont rivés sur le colis, ou plutôt la boîte à chaussures, et je ne sais pas pourquoi, mais je n’ai absolument aucune envie de l’ouvrir : on ne reçoit jamais de colis, on n’a pas assez d’argent pour se permettre d’envoyer des colis ou en recevoir, et qui plus est un colis qui m’est adressé, ça n’a strictement aucun sens, je ne comprends pas ce que c’est et mes yeux s’agrandissent à mesure que je fixe le colis sans rien faire, Campbell me tirant de mes pensées en me faisant remarquer, ironique, que j’ai une drôle de façon de respecter ma mère, et sa seconde critique me fait faire violemment volte-face, virulent :
-C’est pas ton p* tain de problème, Campbell, mêle-toi de ce qui te regarde. La chose qui est pas normale, c’est ça (je lui désigne le colis, que je lui plante sous le nez).
Je reçois jamais, mais genre jamais, de colis, tu piges ? Nous, on est pas aussi riche que toi, on a pas assez de thune qu’on pourrait jeter par les fenêtres pour ça, et je reçois un colis, ce qui est tout, sauf normal. C’est bon, je te lâche, j’en ai rien à f*utre.
A fleur de peau, je grimace ostensiblement et souffle, anxieux, avant de défaire grossièrement la ficelle qui est nouée autour de la boîte et de l’ouvrir sans plus attendre après m’être détourné de Campbell. Aussitôt, je sursaute brusquement et lâche la boîte comme si le carton m’avait brûlé, la boîte heurtant le sol et le flingue qui s’y trouve en sortant, impactant le béton, et retentit un bruit métallique assourdissant. Ma bouche est entrouverte et mes yeux ronds comme des soucoupes. J’en suis tellement choqué, que je ne peux que laisser s’écouler quelques minutes, le temps que mes idées se remettent en place, avant de me pencher et de ramasser fiévreusement le flingue, sans un mot. C’est une blague. Pincez-moi, je rêve : tout ça n’est qu’une vaste blague. N’est-ce pas ? Une blague, c’est une blague.
-… M*rde.