@Chap' : Tant de tolérance à mon égard... x') Encore merci, et excuse-moi d'avoir tardé, j'étais en train de faire quelques recherches pour une nouvelle fiche.
Kyrill
Un franc sourire illumine le visage à présent rayonnant de Jay White lorsqu’il me répond, m’évoquant sa mère, qui est toujours là pour lui, et je l’observe, le détaillant tendrement du regard sans pourtant rien afficher d’ostensible en termes de sentiment. Je suis sincèrement heureux d’apprendre que Jay White a une mère, qui l’aime et le soutient réellement, et qu’il peut se reposer sur elle à tout instant. C’est le rôle d’une mère que de s’occuper de son enfant et de prendre soin de lui avant tout, l’affectif entrant généralement en ligne de compte, et j’en suis à la fois soulagé, car Jay White ne se tiendrait peut-être pas là aujourd’hui à mes côtés si sa mère ne l’avait pas porté jusque-là où il est. Je présume que c’est en partie grâce à elle si Jay White paraît assez stable, et, inévitablement, je ne peux m’empêcher de songer à ma propre mère, que je n’ai pas vraiment connue.
Elle est morte quand j’avais cinq ans, mon père, Neon, m’apprenant la nouvelle de son assassinat sans attendre, avant que nous ne déprimions des mois durant, tous deux sans elle. Roksana Semyon était la fille du parrain Semyon, et il était comme prévu qu’elle finisse par en trépasser, c’était sa destinée, la raison de sa mort étant son nom de famille et rien d’autre. Selon Semyon, Roksana n’est jamais entrée dans le milieu et s’y est encore moins investie, parce qu’elle jugeait qu’il ne s’agissait pas de ses affaires et qu’elle n’avait rien à y faire, son rêve étant de pouvoir vivre sa vie comme elle l’entendait en faisant des études, décrochant le métier qu’elle souhaitait exercer et se mariant avec mon père. Mais Semyon a toujours gardé un œil vigilant sur elle, ce qui n’a pas suffi à protéger Roksana. Un soir, elle n’est pas rentrée. Cela a fortement inquiété mon père, avant qu’il n’en soit terriblement angoissé, et il a quitté la maison à son tour, y revenant au petit matin pour me révéler que ma mère n’était plus.
Je ne garde que des souvenirs flous d’elle. Elle aimait les fleurs, particulièrement les glycines, passion qu’elle m’a transmise, et était magnifique lorsqu’elle était vêtue de rouge. Du rouge… Ma mère ne méritait pas cette balle qu’on lui a injustement logée dans la tête, cruelle. Ma mère méritait mieux, elle méritait plus, elle méritait tout l’or et le bonheur du monde, mais il a fallu qu’elle s’appelât Roksana Semyon. Ni plus, ni moins.
Dom ne nous laisse aucun répit, il s’est imposé dans la ruelle, devenue son territoire, et le voilà orgueilleux et faisant le fier d’avoir réussi à reprendre la main en attrapant Jay White, que je compte bien récupérer, quitte à me battre s’il le faut, au point que je n’aie pas su déjouer la feinte de Dom jusqu’au dernier moment, mais je ne m’avoue pas vaincu pour autant. Il m’a eu, il nous a eus, mais plus pour longtemps. Je fixe Dom droit dans les yeux, furieux, débordant de colère froide à son encontre, et capte dans le champ de ma vision périphérique le regard de Jay White, qui m’appelle silencieusement à l’aide. Ses yeux me crient, me hurlent de lui porter secours, et je ne cille pas, concentré sur Dom, focalisé sur mon objectif. J’aimerais plus que tout adresser un signe réconfortant, le moindre, à Jay White afin de le rassurer sur mes intentions, qui sont très claires et que j’ai à l’esprit, déterminé à ne pas m’en détourner, mais je me trahirais et il faut que Dom croit que Jay White n’est rien pour moi si ce n’est un civil qui, si nous le tuons, causera des problèmes au réseau de la Mafia sur place, car la police ne tarderait pas à découvrir son corps et en déduire qu’il aurait été abattu par un mafieux enhardi traînant dans le coin.
Je m’adresse à Dom sans prendre de gants ni la peine de masquer mes menaces, non voilées, lui montrant qu’il m’irrite en me volant ma proie, et un sourcil se hisse sur le front de Dom, dont le mauvais sourire s’élargit. Si je ne me trompe pas, Dom est Dimitri Varlaam, un gars du milieu opérant seul et pour de l’argent, lui-même fixant ses prix, dans le sens où il agit pour le plus offrant et sans aucune hésitation : en somme, c’est lui qui choisit ses employeurs. J’ai entendu parler de lui parce qu’il a massacré plusieurs personnes dans le périmètre de Moscou, et qu’il est un des criminels russes les plus recherchés, que ce soit en Russie ou hors de ses frontières. L’armée russe est parvenue à l’identifier : il est le fils d’un aristocrate, Monsieur Varlaam, conçu avec sa femme, mais qui était apparemment considéré comme « déséquilibré ». Dans tous les cas, quoiqu’ils lui aient fait, Dom s’est échappé et rôde dans la nature la plus hostile sans concession ni peur. Il ne craint rien et c’est pourquoi il est certainement un des hommes les plus dangereux dont il m’ait été donné de croiser la route. Je refuse d’avoir affaire à lui, il est une ordure, une pourriture, et si j’en suis une, je peux me vanter d’obstinément conserver des principes et des valeurs, que Dom ne respecte pas. Il ne respecte rien, en témoignent les contrats qu’il remplit et sa manière d’atteindre ses cibles : il les immole. Ce n’est pas pour rien si on le surnomme parfois « le Pyromane ».
-Comment ? En nature ? Me renvoie Dom à la figure et je manque de m’en étouffer, m’étranglant presque avec ma salive.
Il me cherche. Il cherche à me pousser à bout et c’est ce qui est en train de se passer, parce qu’il sait qu’il peut me tenir tête et il en joue. Je décide donc de le devancer :
-Tu n’as pas fait tout ce chemin uniquement pour me sauter et te taper un jeune de Manhattan, alors viens en au fait, Dom. C’est quoi, que tu veux ? On doit « collaborer » et ça s’arrête là. Dis-moi le plan et on s’arrangera pour nous en tirer chacun de notre côté.
-Eeeh, tout doux, rien ne preeesse ! S’exclame Dom d’une voix moqueuse et nasillarde en allongeant volontairement la prononciation d’une syllabe, m’agaçant sensiblement.
On a tout notre temps, Kyrill… Pourquoi vouloir abréger notre idylle ?
-Lâche-le, je lui ordonne sèchement, cinglant, mais Dom ne semble pas de cet avis.
Néanmoins, il fait semblant d’y réfléchir sérieusement en se frottant le menton d’une main, sa lame touchant la nuque de Jay White, et j’en frémis, redoutant que Dom ne prenne l’initiative de l’égorger tout d’un coup, simplement par envie. Mais, à ma grande surprise, son visage se rembrunit et ses traits se referment, avant qu’il ne fasse se tourner Jay White vers lui, le forçant à demeurer sur place et à lui faire face, et mes doigts entourent la crosse de mon pistolet, tandis que je commence à le retirer de son emplacement à ma ceinture, aux aguets, les yeux rivés sur Dom et Jay White. Mais Dom, sombre, se contente d’analyser Jay White, le vrillant de ses deux puits noirs sans fond, avant de lui murmurer, son visage proche du sien, venimeux :
-T’es qui ? Et pourquoi est-ce que Kyrill s’intéresse à toi ? C’est vrai que t’es plutôt mignon, mais il y a plus viril.
-Lâche-le, je renchéris.
Le mot de trop. Je n’aurais pas dû attendre. Dom repousse Jay White et le fait brutalement tomber par terre, allongé dos au sol, avant d’écraser sa poitrine de son pied et de balancer son poignard dans ma direction. Je repère son mouvement vif, mais ne peux pas le suivre de l’œil. Je l’esquive en me décalant, mais sacrifie ma main, qui se retrouve transpercée et fichée dans le mur derrière moi. Je n’ai évidemment pas perdu ma main, elle est toujours reliée à mon poignet, donc mon bras et mon corps, mais l’impact m’a brusquement fait me reculer contre le mur et je serre les dents, du sang giclant de la plaie et m’éclaboussant le visage. L’armée russe a fait de moi un soldat, par conséquent, je ne ressens plus autant qu’avant la douleur, mais cela n’atténue pas ma souffrance et un râle franchit le rempart de mes lèvres serrées, Dom s’accroupissant au-dessus de Jay White sans bouger son pied, le compressant.
-Qu’est-ce que tu fais dans la vie, hum ?