Kyrill
Vanessa est énervée après moi, très énervée, un euphémisme, dans une colère noire, qui me fait seulement lever les yeux au plafond, et, lorsque son petit numéro prend fin et que je peux en placer une, la première chose que je fais est de lui passer mon bonjour. Comme escompté, Vanessa se calme instantanément et ses bras sur sa poitrine se décroisent, ce qui me fait discrètement soupirer, à la fois d’épuisement et de soulagement : je n’aurais pas à batailler plus longtemps, Vanessa a été réceptive à la politesse dont je viens de faire preuve à son égard, et j’enregistre cette information, comme quoi la politesse, ce que j’avais déjà remarqué, mais qui est flagrant actuellement, est extrêmement importante pour Vanessa, sa principale faiblesse, et c’est pourquoi j’ai joué sur les mots et lui ai fait savoir que j’avais perdu un homme. En revanche, je ne savais pas si elle irait dans mon sens, mais ma ruse a très bien fonctionné, trop, car Vanessa s’empresse immédiatement de me dire que c’est terrible, quand elle se rapproche de moi, me faisant instinctivement reculer d’un pas, mais sa main gagne mon épaule et elle ajoute que ça va aller –cela irait définitivement mieux si elle ne me touchait pas, ce qu’elle s’entête à faire malheureusement pour moi-, qu’elle est avec moi et qu’on va traverser cette épreuve ensemble.
Je manque de soupirer de nouveau et demeure stoïque, arborant un visage neutre. En soi, je n’ai pas menti à Vanessa : il se trouve que parmi ces cadavres, j’y dénicherais peut-être Nikolaï… Ce que je n’espère pas de tout cœur, mais il se peut qu’il soit l’un d’eux, d’autant plus que je devrai vérifier si ces macchabées sont des zombies ou non, d’où le fait que je me sois rendu sur les lieux, parce que je ne suis pas à l’abri d’une mauvaise surprise. Il faut dire que durant tout ce temps, j’ai gardé à l’esprit l’avertissement du Mexicain, qui m’a tiré dessus avec un Magnum, le même que l’arme de poing fétiche de Nikolaï, et ferai-je face à un autre deuil prochainement ? En attendant, Nikolaï est porté disparu et je ne suis sûr de rien, hormis d’Elle et Vanessa, en quelque sorte, ce qui m’oblige à reconsidérer l’anéantissement de la branche de Semyon et de son empire, si Nikolaï est ici, et bel et bien mort.
En repensant à lui, j’en ai presqu’oublié Vanessa, qui compatit à ma « perte » non certifiée, et, alors que je m’apprêtais à me détourner d’elle, la voilà qui me prend dans ses bras, ou du moins, elle tente de le faire, mais je suis massif, tant et si bien qu’elle ne parvient pas à faire se rejoindre ses mains dans mon dos, et je me crispe, réaction épidermique, me raidissant à son contact plus poussé, sans bouger pour autant, contact qui est moins désagréable que ce que j’aurais cru, mais tout de même : Vanessa est décidément imprévisible. Elle enchaîne, me précisant que je peux être triste, que ce n’est pas fini, que la vie vaut encore la peine d’être vécue, qu’il y a d’autres gens pour qui je compte et que je ne dois pas me laisser abattre, ce qui fait se redresser mes commissures, se redresser très légèrement ; Vanessa a réussi à accomplir cet exploit suite à son laïus, et, inconfortable, je lève mes mains et les pose sur ses épaules, la détachant doucement de moi et m’éloignant de manière à ce qu’elle soit absente de mon espace vital :
-Je vous remercie, Docteur Vanessa, mais je vais bien. Cet homme m’a peut-être trahi.
Je l’interroge directement au sujet de l’avancée de l’enquête, et elle s’écarte davantage, semblant réfléchir intensément en se tenant le menton, et je ne la lâche pas des yeux, veillant à ce qu’elle ne me fausse pas compagnie, et, après délibération, Vanessa est d’accord et se prépare à me dire ce qu’elle sait, ce qui capte mon attention, et je me focalise sur elle, prêt à glaner les moindres détails de l’affaire. Vanessa débute sa tirade interminable en dissertant sur la catégorisation des personnes, et, même si je l’en approuve silencieusement, ce n’est pas ce qui m’intéresse de prime abord et je serre les dents, m’impatientant au fil des secondes, jusqu’à ce que Vanessa revienne d’elle-même au sujet initial. Selon elle, c’est une enfant qui a appelé la police, donc il est possible que tout cela ne soit qu’un gigantesque canular. Vanessa ajoute qu’il y a effectivement trente cadavres à retrouver ici, et elle n’a pas tort, ce sera très compliqué d’y rechercher Nikolaï, alors une fois que les corps auront été rapatriés au commissariat, je le déléguerai à Elle, qui suivra mes indications.
Vanessa a raison de s’alarmer concernant l’état des cadavres : on ne pourra en identifier aucun s’ils ont été écrasés ou brûlés, lorsqu’elle dérive sur un pauvre homme qui s’est suicidé en se jetant sous un train, anecdote qui m’interpelle, et sa comparaison est à la fois horrible et comique, mes commissures s’étirant davantage. Apparemment, le type s’est fait… Ecrabouiller, je ne saurais user d’un terme plus élégant afin de qualifier la chose, et cette fois, Vanessa n’y coupe pas et ce monologue sur le cannibalisme me fait lever les yeux au plafond et je lui murmure, excessivement sérieux, mais mes paroles étant cyniques :
-On le perçoit dès qu’on le mange, car la chair humaine est différente de la chair animale : elle a meilleur goût. Etant moi-même un cannibale, je peux vous l’assurer.