Bonsoir !
C'est peut-être la première fois que je poste sur le forum, même si je le consulte de temps à autres, alors enchantée !
J'avais écrit deux textes pour l'occasion, mais ne sachant pas trop lequel valait le coup, je vous présente celui-ci (ce n'est qu'un essai, bien loin d'être parfait et passionnant, je pense, mais j'espère qu'il vous plaira, auquel cas je suis ouverte à toutes les critiques se voulant constructives et bienveillantes). Si néanmoins, quelqu'un voudrait lire le deuxième, n'hésitez pas à venir me voir !
Bonne lecture !
***
J’étais un fantôme. On ne pouvait plus me tuer. On ne pouvait plus me voir. Pourtant, j’étais bien là. Personne ne pouvait me voir.
Si vous voulez réellement savoir comment j’en suis arrivée là, alors lisez cette histoire. Ne pleurez pas, ne vous émouvez pas, ne tremblez pas. Et surtout, restez près des vivants, tant qu’ils le sont encore. Les fantômes du passé ne vous veulent que du mal.
Il fût un temps où j’étais une radieuse jeune femme. Non pas que je manque de modestie, évidemment, mais il fallait l’avouer, j’étais très jolie. J’avais été joyeuse, enfant, adolescente, puis jeune femme. Je m’étais mariée à un homme bon, et nous ne manquions de rien. Nous avions eu une petite fille, une merveilleuse petite fille. Tout allait très bien jusqu’à ce que nous emménagions dans cette maison.
Tout le voisinage la disait hantée. Qui aurait cru de telles sornettes ? Pas nous, en tout cas. Bravement, et avec entrain, nous avions signé le contrat de vente. L’agent nous avait prévenus : il ne serait en aucun cas responsable de quelconques dommages que nous aurions pu subir. Il avait dit : un peu plus de 154 décès depuis sa construction. Suicides, meurtres non-résolus, et autres horreurs. Mais nous n'avions pas peur, nous ne croyions pas à ces choses. Nous ne croyions pas aux esprits.
Et une nuit, il est venu. La première fois, il était sous mon lit. Je l’avais entendu gratter les lattes et caresser délicatement le matelas. Mon mari n’était pas là, il était en déplacement, comme souvent. Et la chose ne venait que lorsque j’étais seule. Je n’avais pas osé regarder sous le lit, cette nuit-là. J’avais juste sorti doucement le bras et la main du lit pour allumer le chevet. Mais sa main si froide avait enserré mon poignet, m’empêchant de faire de cette obscurité effrayante, un écrin de luminosité bienfaisante. Au début, j’avais peur. Mais il m’avait chuchoté des choses. Il m’avait dit qu’il me trouvait tellement belle, que je ressemblais à son épouse, partie très loin. Il voulait me voir, passer du temps avec moi, alors même que mon mari me délaissait pour traîner dans les bars avec des amis, ou courir la gueuse, peut-être ?
La deuxième fois, je le vis plus distinctement. Dans ma salle de lecture, je m’étais assoupie sur le grand fauteuil, le livre encore à moitié ouvert sur les genoux, et la tête reposant sur une main fragile. Il m’avait effleuré la joue délicatement, la fraicheur de ce contact provoquant mon réveil. J’avais ouvert les yeux, mais je n’avais pas crié. Il était tellement envoutant. Il m’avait souri. Comme vous êtes radieuse, avait-il chuchoté. Puis il s’était levé, toujours en me regardant, et m’avait proposé une partie d’échecs en se dirigeant vers la table de jeu. Grande stratège, et très joueuse, je l’avais suivi. Tous les jours, nous jouions, nous parlions, nous rions, rendant mes interminables journées solitaires bien plus gaies. Mais un jour, ce fut différent. Si je gagne, avait-il dit, promettez-moi une nuit à vos côtés. Juste une seule … Sa voix avait quelque chose de terrifiant et d’attirant à la fois. J’avais accepté, certaine de la remporter.
Pourtant, ce fut lui. Je l’avais attendu le soir même. Il était apparu sous mon lit, comme la première fois. Cela m’avait fait sourire. Il aimait me taquiner, en apparaissant un peu n’importe où, puis en signalant sa présence de manière incongrue. Il avait à nouveau gratté doucement les lattes du grand lit, puis était sorti de sa cachette. Il me regardait, depuis le bout du lit, puis s’avança doucement. J’avais peur, très peur. Pourquoi faisais-je cela ? C’était un fantôme. Les plaisirs de la chair avec un fantôme étaient-ils seulement possibles ? Je savais que j’étais folle, mais ce fantôme était devenu mon unique raison de vivre. Et ce fut la meilleure nuit de ma vie, longue, et pourtant si courte. Je m’étais sentie comme une reine, comme une agile danseuse, comme une plume, si légère qu’elle pouvait virevolter n’importe où. Libre.
A l’aube, étendu à côté de moi, il m’avait fait une proposition. Mourrez, me dit-il. Ainsi, nous pourrons être éternellement ensemble, mon amour. Mon cœur s’était mis à battre si fort, dans ma poitrine. A la fois excitée et apeurée. Comment puis-je ? demandai-je. Ma fille est encore là, et elle a besoin de moi, continuai-je. Bientôt elle n’aura plus besoin de vous. Il va vous la reprendre et vous abandonner ici, avait-il dit, lugubre. Les fantômes connaissaient l’avenir et la fin de toute chose. C’est ce que j’avais cru. Alors il m’avait accompagnée dans la salle de bain, et m’avait aidée à trouver de quoi en finir. Mais cette fin n’en serait pas une, ce serait une renaissance, m’étais-je dit. J’avais choisi quelques cachets, pour terminer en douceur.
Je m’étais vue ensuite. Si belle, mais si pâle et cireuse. C’était bien moi, étalée dans cette baignoire, sans vie, gisant comme une poupée immobile. Je m’étais alors retournée, j’avais cherché partout, erré dans tous les couloirs, tous les sous-sols et tous les greniers, mais il n’était pas là. Un fantôme peut pleurer. Un fantôme peut souffrir. J’étais seule, abandonnée. Il était parti, il m’avait menti, il m’avait tuée. J’avais regardé mon mari et ma fille, les observer était tout ce qu'il me restait, j’étais là, mais ils ne me pouvaient pas me voir. Personne ne pouvait me voir. Pourquoi avais-je vu, moi ? Parce que tu étais sa cible, avait répondu une petite voix, à ma gauche. Une petite fille avec de longs cheveux bruns était assise à mes côtés, sur les marches du grand hall, où j'aimais à errer. C’était la première fois que je la voyais.
Je ne me montre que rarement, disait-elle. Tu n’es pas la première, et certainement pas la dernière. Mais je resterai avec toi, le temps que tu trouves quelqu’un pour t’enfuir. Je suis une des dix, tu sais, me dit-elle, mais je n'ai jamais eu la force de partir. Je n’avais pas tout compris, au départ.
Cette maison, on l’appelle la maison aux dix fantômes. Il paraît que c’est une malédiction. Un sort, vieux de plusieurs décennies, lancé sur une famille de dix membres. Si on veut s’échapper, il faut remplacer notre âme par une autre. Lui, il avait réussi à s’échapper, il m’avait prise. J’avais remplacé son fantôme. Il en fallait toujours dix. Pourquoi dix ? Pour remplacer l'âme des dix premiers maudits, contraints à errer là sans jamais trouver la paix, à moins de céder leur malheur, s'ils en avaient le courage.
La petite fille m’accompagnait partout, rendant la mort et l'errance un peu plus douces. Nous observions silencieusement ma famille, et les protégions des autres fantômes. S’ils avaient choisi la mort, s'ils avaient été les remplaçants, nous aurions pu être ensemble, me direz-vous, mais qui voudrait infliger ce fardeau éternel à un être cher ? Un jour, ils déménagèrent. Ils disparurent, aussi furtivement que j'étais passé de la vie au trépas. Alors, Il n’y eut plus personne à observer. Et plus personne pour nous enfuir. Aurais-je seulement voulu entraîner quelqu’un dans cet enfer éternel ? Je n’avais jamais été méchante et égoïste de mon vivant, et mon fantôme était à mon image.
Le plus dur, c’est quand on se dit qu’on aurait pu vivre autrement. Qu’on aurait pu vivre autre chose, et qu’on commence à faire des projets irréalisables. J’aurais pu faire ceci, ou bien cela. Mais était-ce bien un fantôme qui m’avait enlevée ? Parfois, je me disais que c’était simplement la solitude qui avait eu raison de moi, que la solitude en elle-même était un fantôme qui nous tenait compagnie, et qui nous séduisait parfois. La solitude était une fausse amie, une fausse amante. Avait-il seulement existé, ou l’avais-je inventé, cet homme ? Et les autres fantômes, étaient-ils vraiment là, ou étaient-ils d'autres chimères, créées par mon esprit dérangé ? Parfois je me disais que c’était peut-être la maison en elle-même. Elle était un malheur et une malédiction toute entière.
Alors, si quelqu’un vient vous rendre visite sous votre lit, ne l’y invitez pas. Vous pourriez le regretter. C’est là que je me cache, quand j’ai peur. Sous le lit, où tout a commencé et où tout s'est terminé. Peut-être que l’éternité me ferait changer d’avis, si un jour, quelqu’un venait à se coucher ici. Viendrez-vous me voir ?