Les jours passaient ainsi, selon le même rythme calculé à l’avance.
Vel disposait de sa propre chambre dans la tour du Haut-Sage, mais Saham le réveillait à la même heure que ses propres recrues, et il commençait l’entrainement matinal avec l’arrière-garde pendant une heure avant d’avoir droit à un petit déjeuné de fortune. Les Elfes ne mangeaient presque rien le matin, si ce n’est une maigre petite galette de céréales pâteuse et fade. Certains elfes consommaient un peu d’alcool à cette heure, mais le vin elfique était si fort qu’il était bu coupé avec de l’eau, et Vel trouvait ce mélange si étrange qu’il ne tenait pas à y goûter. Saham était généralement avec lui lors de la prise du petit déjeuné, et passait le repas à détailler les petites erreurs qu’il avait commise, puis le conseillait sur la manière de ne plus les commettre. Faire preuve d’humilité lorsqu’on a le ventre vide, après une nuit courte et une heure d’entrainement militaire intensif était très difficile, mais Saham n’était jamais cruelle ou cassante, et il avait conscience d’apprendre beaucoup sous la tutelle de cette professeure attentive.
Une fois l’estomac à moitié rempli –il préférait le voir à moitié plein qu’à moitié vide- il disposait encore de trois bonnes heures avant midi. Il avait une heure à lui avant ses cours d’elfique ; heure qu’il utilisait soit à dormir, soit à essayer de lire les quelques parchemins que lui avait donné Gilhio – un ensemble d’écritures si petites qu’il arrivait à peine à les déchiffrer. Ensuite venait ses deux heures avec Hyllma, une Elfe d’âge mure qui maitrisait la langue humaine aussi bien que son elfique ou que la langue naine et les dialectes de la région du Cadran, et qui servait de traductrice à la troupe de Lassam ainsi que, dans le cas présent, de professeure lorsque le besoin apparaissait. L’Elfique était une langue difficile, avec des syllabes régulières et des syllabes irrégulières qui changeaient la prononciation d’un même mot suivant le temps employé. La conjugaison, chose si simple en langue humaine, s’appliquait en elfique non plus seulement au verbe, mais à toutes les syllabes irrégulières de la phrase ; tant et si bien que Vel n’avait plus l’impression d’apprendre une langue mais quatre – les quatre temps majeurs de l’elfique : le passé, le présent descriptif, le futur, et le génératif. Il mémorisait bien les syllabes régulières, comme les suffixes et les préfixes, mais avait du mal avec un vocabulaire de base qu’il fallait mémoriser dans quatre temps différents –la langue elfique contenait en réalité huit temps usités, mais mêmes les Elfes se contentaient souvent des quatre majeurs à l’oral, alors que narrer un récit demandait d’utiliser des temps bien plus complexes. Hyllma avait un jour essayé de le mettre à l’écriture elfique, mais Vel l’avait vite persuadée que c’était inutile : rien qu’acquérir les notions de base lui permettant de déchiffrer ce qui était lettre et ce qui était indication de tonalité lui prendrait plus d’un mois, et ils n’avaient pas autant de temps. Il préférait se concentrer sur la langue parlé, et Hyllma avait fini par lui donner raison.
Après cela, il partait déjeuner avec la troupe de Saham –laquelle avait passé le reste de la matinée à entretenir le fort. Les mages se mêlaient parfois à eux mais parlaient peu. Le repas était bien souvent fade au gout de Vel. Il avait bien une fois demandé s’il pouvait avoir du sel, mais avait reçu des regards si étonnés qu’il s’était rétracté. De manière générale, le repas était un temps de repos et de calme.
Son après-midi était entièrement consacrée à ses études avec le Haut-Sage, dans la tour et au dehors. Les exercices de base se multipliaient, et il apprenait peu à peu à mieux maitriser son aura et les forces de son corps. Gilhio appelait ça l’harmonie des énergies, et Vel se rendait compte qu’il la pratiquait parfois de manière inconsciente lors d’un combat. En jouant sur cet équilibre d’énergie magique –l’énergie de son âme- il pouvait modifier de façon infime les réactions de son corps. Ce n’était qu’à peine détectable, mais l’optimisation de ses énergies d’âme rendait peu à peu son corps plus rapide et plus précis lors des entrainements du matin et du soir. Vel pratiquait ainsi des exercices d’un drôle de style qui consistait à bouger très lentement, en affinant le plus possible ses énergies lors du mouvement, jusqu’à accélérer le mouvement par la seule force de l’âme. Ce qu’il faisait s’apparentait bien souvent à une drôle de gymnastique où il exécutait des mouvements complexes d’équilibre, ce qui impliquait de maitriser à la fois son équilibre extérieur et intérieur. Si Vel avait d’abord râlé face à cet enseignement étrange, force lui était de constater que son esprit, comme son corps, renforçaient leur puissance et leur précision par ces pratiques.
Le Haut-Mage le laissait bien souvent en autonomie pour ce genre d’exercice et Vel, lors de ses entrainements magiques dans la cour, apercevait quelques fois le Pirahis ou la Toca qui le regardait. Ces deux-là semblaient trainer dans le camp sans véritable but : ils n’effectuaient aucune tâche, ne faisaient aucun tour de garde… A vrai dire, les seuls fois où Vel les surprenaient, ils étaient en train de l’observer. Il avait bien essayé de poser des questions sur eux aux soldats de Saham, avec son petit niveau d’Elfique, mais il se heurtait à une sorte de tabou à leur égard. Qui étaient-ils ? La Toca s’appelait Narï –on le lui avait dit lors du Raj’talä – et le Pirahis avait combattu à ses côtés lors de la prise de la Cytadelle, certes, mais il ne savait rien de plus sur eux.
Vel avait parfois l’impression d’être au cœur d’un grand isoloir : si rien ne lui était refusé, on veillait très attentivement à le laisser dans l’ignorance. Il n’était pourtant pas aveugle : il avait remarqué que les tours de gardes avaient doublés, tout comme les effectifs affectés aux remparts. Par ailleurs, il ne voyait plus certaines escouades pendant des jours, avant qu’elles ne réapparaissent, portant des traces de blessures à peine guéries ou ayant remplacés leurs armures…
Il n’était pas idiot, quelque chose se passait dehors : les Elfes ne restaient pas paisiblement installés dans la Cytadelle.
Mais le quotidien l’occupait toujours. Après ses entrainements magiques, il allait rendre compte de sa journée à Gilhio. Après cela, il allait rendre visite à Haw –qui se portait de mieux en mieux- et à Hans, toujours plongé dans le coma. Le Sylve l’examinait souvent, et lui certifiait qu’il s’éloignait chaque jour plus de la mort, mais que seul le temps le verrait peut-être se réveiller un jour… Plus triste que ça, Hawathanalt lui annonça qu’il comptait rejoindre les Nains. Une promesse le liait à Hadriem, et il comptait bien la remplir. Selon ses estimations, les Nains devaient à présent être en vue de la Barrière, grande chaine de montagnes à l’est des Grandes Plaines, passage obligé pour qui souhaitait traverser le désert de Glass afin de rejoindre le continent Est par la terre –la procession mortuaire de leur ancien Roi ne pouvant pas embarquer par voie maritime jusqu’aux montagnes du Couchant. Les montagnes devraient ralentir considérablement une telle armée, et Haw estimait qu’il les aurait rejoints en moins d’une semaine s’il chevauchait jour et nuit : cela faisait d’ailleurs plusieurs jours qu’il emmagasinait de l’énergie dans ses pierres précieuses dans l’optique de ce voyage.
Cela attristait Vel de le voir partir, mais le Sylve comptait s’éclipser sous peu, dès qu’il aurait l’accord des Elfes.
Lorsque la Nuit tombait ensuite, Vel allait généralement manger avec la troupe du Capitaine Saham, avant d’entamer les combats du soir. C’était alors un tête à tête entre lui et elle, et l’Elfe guerrière n’acceptait aucun spectateur. Alors que sa troupe prenait sa part de tâches d’entretien du fort et de tours de gardes, Vel et Saham se défiaient à l’épée. Il n’était ici nulle question de bouclier ou de stratégie : c’était une confrontation de force, de vigueur et de technique. Un duel. Ils se battaient avec des épées émoussées, certes, mais ni l’un ni l’autre ne retenait ses coups. Si les premiers soirs, Vel avait rapidement fini à terre à chaque manche, couvert de bleus et peinant à se relever parfois, il progressait chaque jour, et arrivait bientôt à tenir une confrontation prolongée. Il n’avait jamais gagné, et sentait que parfois Saham laissait passer des occasions pour le laisser produire son escrime, juste pour lui permettre de tenter des choses. D’autres fois, par contre, elle coupait immédiatement court à une de ses attaques, ou mouvement, lorsqu’elle estimait que l’ouverture était trop grande. Cela ne satisfaisait pas Vel, et il s’efforçait de créer des attaques ne laissant pas d’ouvertures, se servant parfois de postures et techniques qu’il avait apprises pendant ses exercices d’équilibre. Ce genre de création semblait plaire à Saham, aussi Vel s’y appliquait particulièrement, affinant toujours plus ses mouvements et exploitant son corps à fond. L’aspect le plus surprenant lorsqu’on se battait contre la Capitaine, c’était sa force. Elle était puissante, bien plus que son gabarit ne le laissait penser. Si sa rapidité de mouvement était moindre que la sienne –« l’âge ralenti le corps » disait-elle- ses réflexes étaient encore impressionnants, et son sens du combat n’avait pas d’égal, que ce soit dans le timing ou la technique. Vel estimait que c’était lorsqu’il se battait avec elle qu’il progressait le plus.
Ce soir-là, il était venu avec pour objectif de remporter sa première victoire –chose qu’il n’avait jamais réussi jusqu’à présent- mais il trouva le petit terrain sablonneux, où ils se retrouvaient d’habitude, étonnamment vide. Intrigué, il s’avança encore, mais ne vit toujours personne. Dans son dos, un soldat lui dit, dans un langage humain approximatif, que Saham s’entretenait avec Lassam ce soir, et qu’elle lui conseillait de simplement prendre du repos.
Vel trouvait cela étrange, mais ne le fit pas savoir.
Il se retrouvait cependant enfin sans surveillance, et devait disposer de deux heures avant le coucher… Le temps des réponses allait peut-être enfin venir.
« L’escouade quarante-trois a été décimée. »
La terrible sentence avait été prononcée d’une voix neutre, aux relents de fer. Lassam, comme toujours, ne montrait aucun signe de sentimentalisme : c’était un constat, froid et réaliste. Saham, elle, affichait sans crainte son inquiétude.
« C’était de jeunes soldats, se remémora-t-elle, pourtant bien formés… Y a-t-il des informations supplémentaires ?
- Non, les Reliquaires ont simplement constatés leurs décès il y a trois heures. Ils effectuaient une sortie le long du fleuve Kabrit lorsqu’ils se sont fait prendre. Cela faisait plusieurs jours que les Mages signalaient d’importants mouvements dans cette zone, et nos éclaireurs ont récemment identifiés plusieurs chefs de tribus Enra en déplacement avec leurs Arch’ams au complet. Les rapports semblent se regrouper sur ce point : l’ennemi a déployé les Enras dans les Grandes Plaines pour immobiliser nos troupes ici. Pendant ce temps, le nord du continent est en proie aux ravages de la guerre. Malhem craint une attaque sur la Forêt-mère : il ne nous enverra pas de renfort, et sa visite à la Cytadelle semble de moins en moins probable…
- Mais que veut-il qu’on fasse ? Il est le Général, il doit bien avoir un plan ?
- La guerre au nord doit être notre priorité : nous ne devons pas lâcher de terrain face à l’ennemi, reprit-il sans répondre à sa question. Nos avant-postes sur la Chaine des trois Géants sont tout ce qui reste de nos forces dans cette région, et cela faisait presque trois semaines qu’ils étaient totalement coupés du monde. Impossible pour nous de savoir précisément ce qui se passe dans le Nord sans nos avant-postes, aussi, j’ai dépêché l’escouade Staria là-bas, accompagnée de quatre de nos Portiers.
- Oui, j’ai été prévenue par mes soldats. C’est une manœuvre très risquée : les mages Portiers nécessitent un long apprentissage avant d’être opérationnels, et nous en manquons toujours…
- C’est un risque que je prends : nous ne pouvons pas perdre les Avant-postes des Montagnes. La Région de Vert-feuille a été entièrement ravagée par les légions de l’Ombre alors que nous étions occupés ici, à la Cytadelle : si nous perdons nos phares dans le Nord, ce genre de drame se reproduira sans que nous ne puissions rien faire.
- Certes, mais…
- Il n’y a plus à discuter. J’ai reçu un message il y a une heure : l’escouade Staria a accomplie sa mission. L’avant-poste de Germ a été repris, et les Portiers auront établis une connexion sous-peu.
- Ils vont donc revenir, alors. Tu comptes renouveler la garnison de Germ et y placer un Reliquaire, afin de disposer d’un phare, n’est-ce pas ?
- Non, ce n’est plus le temps de plier sous les assauts. Je compte reprendre tous les avant-postes de la Chaine des trois Géants sous 48h.
- Si vite ?
- Oui, il n’y a pas à attendre : c’est là notre chance de raffermir notre poigne sur le Nord. Nous ne pouvons passer à côté et nous contenter de défendre : il nous faut attaquer.
- Et comment comptes-tu mener ton attaque ? s’étonna Saham. Il y a des centaines de kilomètres entre nous et la Chaine des trois Géants, les Arch’ams des Enras dans les grandes plaines et l’arrière-garde de l’armée de l’Ombre dans la région de Vert-Feuille ! Les Portiers ne peuvent transporter au maximum qu’une dizaine de personnes par jour, comment comptes-tu faire pour reprendre tous les Avant-postes ?
- Justement, il me faut pour ce faire une dizaine de personne. Un grand mouvement de troupe ne servirait à rien : la configuration des montages et des avant-postes ne permet certainement qu’à une centaine d’ennemis d’y demeurer. »
Saham en demeura bouche-bée.
« Tu comptes monter un commando ? Dix soldats pour en affronter cent ? C’est une folie…
- Au contraire : c’est notre seule carte à jouer. C’est aussi la raison de ta présence ici : je souhaite que tu mènes cet assaut.
- Lassam, je suis Capitaine de l’arrière-garde, pas…
- Tu es une combattante d’exception, une magicienne puissante, et une Capitaine parfaite. C’est toi que je veux, c’est un ordre. Tu ne seras pas seule, tu auras également dix guerriers d’élites à tes côtés : l’escouade de Staria, ainsi que nos deux invités, Raven et Narï. As-tu confiance en eux ?
- Je leur confierais ma vie, contrairement à toi sans doute.
- Tu vois : tu es la personne idéale pour mener cette équipe. T’en sens-tu capable ?
- De prendre trois forts tenus par une centaine d’ennemis, avec seulement dix hommes ? »
Elle y réfléchit sérieusement. Son âge était avancé, certes, mais elle entretenait fort bien ses capacités physique –elle n’avait que très peu perdue de sa puissance d’antan. Les années l’avait peu à peu fait murir, et depuis qu’elle avait quitté le combat de front, on lui donnait du ‘tan, le suffixe de sagesse. Elle avait vécu plus d’une bataille, tenu plus d’une épée, tué plus d’un ennemis… Elle pensait avoir eu son heure de gloire, dans sa jeunesse, et se complaisait à présent à… à quoi ? N’avait-elle pas envie d’agir ? Saham n’aimait pas se plier aux codes et cérémonies elfiques, et se faisait une fierté de contrarier les cérémonieux, ceux qui s’appliquaient à suivre la route que la tradition a tracé… Alors pourquoi avait-elle posée l’épée ? Pourquoi avait-elle accepté de devenir Capitaine de l’arrière-garde, alors qu’elle savait très bien que c’était pour la maintenir loin des combats ? C’était un hommage, certes, mais était-ce vraiment fait pour elle ?
Ce genre de question revenait constamment en elle depuis quelques temps. Elle aimait beaucoup ses soldats d’arrière-garde, mais quelque chose en elle lui chuchotait « je suis capable de bien plus que ça. »
Elle était une guerrière, une magicienne, et une Capitaine. C’était ce qu’elle avait toujours été.
Prendre trois forts tenus par une centaine d’ennemis, avec dix des meilleurs hommes de l’armée Elfique ? A trente ans, je l’aurais fait, se dit-elle. Suis-je encore ce genre de personne ? Non, bien entendu, c’est le sens même du mot maturité. Et pourtant… C’est un défi. Est-ce que je peux le faire ?
Elle releva la tête et lança un sourire féroce.
« Allons, Lassam… bien sûr que je peux le faire ! Donne-moi ces dix hommes et ces avant-postes seront à toi dans la journée ! »
Il sourit à son tour, d’un air qui semblait dire « je le savais ». Saham s’en moquait bien, car elle se sentait plus jeune tout d’un coup, et il se pouvait bien qu’elle soit alors capable de tout…
« Et donc, tu veux reprendre la Chaine des trois Géants, résuma-t-elle. Que faire après ? Maintenant que je vois une partie de ton plan, je me dis que tu ne peux pas vouloir t’arrêter là…
- En effet, si on veut que nos avant-postes résistent, il nous faut les garnir au plus vite de soldats, et nos troupes ne sont pas les plus adaptés à la Montagne et à ce genre de positions… Il nous faudrait une garnison permanente là-bas, si on veut avoir une chance de les tenir plus longtemps.
- Mais ça ne suffira pas sans possibilité de ravitaillement dans la plaine en bas. Les terres de Vert-Feuille ont brulées, certes, mais tant qu’elles seront occupées par l’arrière-garde de l’Ombre, nous risquons d’être attaqués par deux flancs…
- Tout à fait, c’est aussi mon raisonnement. L’Ombre a laissé dans la région bien peu de serviteurs… Assez pour nous immobiliser dans les Montagnes, certes, mais pas assez pour résister à une offensive en nombre.
- Si on utilise les Portiers, ça nous prendrait beaucoup trop de temps pour rassembler ne serait-ce qu’une division de l’armée dans les Montagnes…
- Ce n’est pas ce que je prévois. »
Il claqua des doigts, et la porte en bois du bureau s’ouvrit sur le Sylve Hawathanalt. Ce dernier avait revêtu une robe de mage Elfe, comme il y en avait des centaines dans la Cytadelle : s’il relevait ne serait-ce que son capuchon, il pourrait passer pour un Elfe. Il paraissait bien portant, un miracle si l’on réalisait que deux semaines plus tôt il agonisait encore.
« Vous avez écouté notre conversation ? demanda Saham, méfiante.
- Sur la demande du Lieutenant Lassam, clarifia Haw. Si ça peut vous rassurer, j’ai confiance en vous pour l’assaut des avant-postes.
- Ce n’est pas pour rassurer mon Capitaine que je vous ais convoqué, le repris Lassam. Veillez résumer à Saham la mission que je vous ai donnée.
- Je me dois, s’exécuta Haw, de retourner auprès du Haut-Général Hadriem, qui dirige actuellement la procession de l’ancien Roi Nain Hekz qui doit le porter au tombeau. Lorsque je les aie quittés pour venir secourir mes amis, à la Cytadelle, j’ai également fait la promesse de revenir l’assister. Je vais donc partir sur les traces des Nains dès demain, et le Lieutenant Lassam souhaite en profiter pour que je délivre un message.
- Quel genre de message ? demande Saham, qui commençait à comprendre.
- Le Lieutenant Lassam, avec l’aval du Général Malhem, invite les Nains à rejoindre le combat contre l’Ombre. Depuis le sac d’Oroban, ses forces armées ont émergées dans la forêt Gum et ont plongé cette région dans le chaos : nul ne sait vraiment ce qui s’y passe –tant que nous n’aurons pas repris les avant-postes, bien entendu- mais il ne fait aucun doute que la colonie Naine du Nord, qui se situe dans la baie de la mer de la Borée, est, ou sera, menacée par la guerre. Les Nains doivent donc prendre conscience du danger de la menace, et le Lieutenant Lassam leur propose l’alliance suivante : si les Nains envoient une armée raisonnable débarrasser la Région de Vert-Feuille –ou du moins ce qui en reste- de l’arrière-garde de guerriers qui la contrôle, les Elfes s’engagent à leur céder les quatre avant-postes de la Chaine du Géant, leur offrant ainsi une position facilement défendable face aux assauts venus du Nord, ce qui leur fournirait un point stratégique s’ils se trouvent contraints d’envoyer des troupes aider leur colonie nordique.
- Malin, avoua Saham, les Nains ont tout à y gagner…
- Ce qui mettrait fin à deux de nos problèmes principaux : tenir les avant-postes –que les Nains tiendront bien mieux que nous, étant habitués à évoluer en terrain montagneux-, et se débarrasser de l’arrière-garde qui stationne dans la Région de Vert-Feuille, annonça Lassam.
- Reste notre troisième problème : les Enras.
- J’ose à espérer que lorsqu’ils verront les Nains bien en place derrière eux, les privant du soutien de l’Ombre, ils remonteront bien vite plus au Nord. Lorsqu’ils seront plus loin, nous pourrons faire la jonction avec les Nains, investir les villes d’Ebène et Nwa, par exemple, et former une ceinture défensive qui préserve le sud du continent de la guerre.
- Si tout se passe bien, mais c’est peu probable, nuança la Capitaine.
- Ça vaut tout de même le coup d’essayer, répondit Lassam. Tout ce que tu as à faire, c’est t’emparer de ces trois forts dans les Montagnes, afin de nous permettre d’honorer la promesse que je vais faire aux Nains.
- Je le ferais, compte sur moi là-dessus, assura-t-elle, déterminée.
- Maitre Sylve, vous pouvez disposer à présent, le congédia Lassam. Exécutez l’autre tâche que je vous aie confiée, et allez vous reposer. Nous nous voyons demain matin pour votre départ.
- Entendu, Lieutenant. Bonne soirée à vous deux. »
Et il sortit de la pièce. La Capitaine ne se risqua même pas à demander quelle était cette autre tâche.
« Il a repris du poids depuis la dernière fois que je l’ai vu, marmonna-t-elle.
- Les Moine-guerriers sont solides. Mais parlons d’autre chose… Comment se passent tes journées avec le prisonnier ? »
Cela l’intrigua.
« De quoi parles-tu ?
- Je veux des nouvelles de l’entrainement de l’Humain.
- Ah, ça se passe bien : Gilhio l’a pris sous son aile, et Vel apprend très vite.
- A quel point sait-il se battre ? » voulu savoir Lassam.
Elle lui sourit férocement.
« Tu serais surpris si tu savais. Cela fait une semaine qu’il s’entraine à la manière d’un militaire, et il est déjà capable de tenir tête à six hommes de l’arrière-garde.
- L’un après l’autre ? demanda le Lieutenant, soupçonneux.
- Non, tous à la fois, en mêlée. Je ne te mens pas, Lassam : ce gosse a vraiment un don.
- Tu exagères : ce n’est qu’un humain, et il savait à peine tenir une épée lorsque nous avons pris la Cytadelle.
- Vel a grandi dans le combat, Lassam. Il vit dans les rues depuis qu’il a une dizaine d’année, il a connu plus de combats que bien de nos soldats vétérans ! Tu sais que l’espérance de vie des gosses de rues est courte, non ? Pour survivre, ils doivent continuellement se battre, et progresser toujours plus. Il a passé deux ans de sa jeune vie à l’Arène d’Oroban, un an lui a suffi pour en devenir le Champion. Gilhio lui enseigne la maitrise de son énergie d’âme depuis six jours, et il arrive déjà à affiner ses mouvements en duel. Je le forme à l’épée depuis une semaine, et il parvient à me faire face pendant plus d’une heure. Lassam : ce gosse progresse vite, c’est un don qu’il a, une faim dévorante de pouvoir. Ce n’est pas le fruit du hasard s’il est doué : le monde a exigé de lui qu’il apprenne vite s’il voulait survivre, et il s’est révélé que c’était ce qu’il faisait le mieux. Il sera bientôt au niveau de ton escouade si il continu ainsi. »
Lassam leva un sourcil.
« Ne va pas trop vite en besogne, Saham. Et puis-je te rappeler qu’il reste officiellement notre prisonnier jusqu’à nouvel ordre ? En aucun cas ce n’est un allié.
- Tu es toujours si formel dans les formes ! Si Malhem était là, il…
- Malhem n’est pas là ! rugit Lassam. C’est moi qui gère l’armée ici, moi ! J’en ai assez que tu fasses fi de mon autorité ! Je suis ton supérieur, alors c’est à moi que tu rends des comptes ! Compris ?
- Mes excuses, plia Saham avec surprise, je ne voulais pas insinuer le contraire.
- Malhem est à la Forêt-mère, reprit-il plus calmement. Il ne semble pas s’occuper des affaires du Nord, mais je compte bien remplir ce rôle : je protègerais la civilisation de cette menace si Malhem ne veut pas s’en occuper. »
Il est sous pression, comprit Saham. Il est jeune, le plus jeune Lieutenant de notre centenaire, et pourtant c’est lui qui se retrouve en première ligne, ici, dans cette guerre qui nous dépasse tous… Pardonnons-lui s’il craque de temps en temps. Mais en même temps, il n’avait pas tort : que faisait donc Malhem à la cité Royale d’Esméralda ? S’ils avaient un jour besoin d’un grand Général, c’était bien aujourd’hui…
« En tout cas, continus à tenir Raven et Narï éloigné de Vel et du Haut-Sage. Je te fais confiance pour passer la situation extérieure sous silence, mais fais attention à ces deux-là : je ne leur fait pas confiance à l’intérieur du camp.
- Tu veux dire que tu ne fais pas confiance à deux des personnes qui vont mener l’assaut sur les avant-postes ? Eh bien, ça me rassure, dit-elle avec cynisme.
- Tu sais très bien ce que je veux dire, Saham : ces deux-là combattrons à nos côtés sans aucun doute, mais je suis persuadé que leur but n’est pas fondamentalement de nous aider. Ils sont là pour une raison, et tant que je n’aurais pas trouvé laquelle, je me méfierais. Donc pas de contact avec Vel ou le Haut-Sage, compris ?
- A vos ordres, Lieutenant, répondit-elle à contrecœur, sachant très bien que, si elle avait un contrôle sur Vel, Gilhio était trop têtu pour qu’elle puisse espérer l’empêcher de réaliser quelque projet.
- Bien, maintenant que tout cela est réglé, tu peux disposer. Je te ferais appeler lors du retour de l’escouade. Ça ne devrait plus tarder maintenant… »
Hawathanalt descendit le long escalier de pierre. C’était dans la plus profonde salle de la Cytadelle que les mages avaient installé les Portiers. Si pendant les deux premières semaines ce lieu était resté bien secret –Lassam craignant sans doute la présence d’espions- l’effervescence du jour voyait débarquer bien plus de monde qu’il ne s’en était succédé ici en un mois. L’escalier avait beau être étroit, le Sylve croisait des Elfes dans les deux sens… Tous se ressemblaient ici, dans cette basse lumière, et la quasi-totalité des mages avaient abaissés leur capuchon.
Haw s’était vêtu comme eux, car son armure de mage-guerrier avait été le seul vêtement qu’il avait emporté lors de sa chevauché vers la Cytadelle. Elle avait d’ailleurs était bien abimée, son armure, et il avait passé près d’une semaine à en extraire tous les fragments de roches et de bois qui s’y étaient plantés lors de la bataille et de ses multiples explosions. Mais même réparée, recousue et réassemblée, elle n’était pas appropriée hors des batailles, aussi avait-il adopté la tenue traditionnelle des mages Elfiques.
Il avait bien récupérés. Ses forces n’étaient pas totalement revenues, certes, mais ce n’était pas de puissance dont avait besoin Lassam… Le Lieutenant était venu le visiter plusieurs fois, d’abords pour s’assurer qu’il n’avait aucune mauvaise intention, puis pour l’interroger à divers sujets. L’Elfe avait finis par deviner son identité, et avait ordonné par lettre que l’on fouillé dans les archives de la Cité Royale, jusqu’à ce que ses hommes retrouvent des comptes-rendus de la guerre de l’Est.
Haw les connaissait par cœur, ces foutus comptes-rendus…
Helym Vilf’aigure – humain – Guerrier (entretient des armes) – mort en 926
Fall Dolvan – humain – Guerrier (entretient du camp) – mort en 926
Golgoth Malär – Orc – Guerrier (porteur) – mort en 925
Javier Lly’m – Elfe – Archer (gestion des ressources) – mort en 934
San Tori – Halfelin – Archer (guide de terrain) – toujours en vie
Hawathanalt Sandoterre – Mage-guerrier (Portier) – toujours en vie
Ultheo – Pirahis – Messager (coordination) – mort en 940
Apprendre qu’Hawathanalt avait un jour servit en tant que mercenaire et Portier lui avait donné des idées. Même dans l’armée Elfique, cette particularité magique était rare et, bien qu’Hawathanalt n’ait pas pratiqué cette science depuis des dizaines d’années, son expérience était précieuse. Lui n’aimait pas se rappeler cette époque : il était partie à la guerre comme on part mécaniquement au travail, et il faisait un mercenaire plus de correct, se forgeant peu à peu une réputation solide sur le champ de bataille. Il avait participé à cette guerre, à ces batailles, à ces massacres… jusqu’à ce qu’il décide qu’il en était assez. Le pillage de la ville de Llyo, les atrocités y étant commises, l’avait changé, et les évènements ayant suivis n’étaient pas meilleurs pour lui. Il avait recueilli Sön peu après et avait fait un trait sur sa vie passée, afin d’élever l’enfant de la meilleure façon possible. Il n’aimait pas ce passé, mais cette expérience faisait de lui quelqu’un d’utile aux yeux de Lassam.
Le Lieutenant lui avait confié l’organisation des Portails, et il s’y attelait donc, avec toute l’expérience qui le caractérisait. En bas, la salle était basse de plafond, et les murs de pierres froids comme la mort. Les mages Portiers s’étaient installés depuis longtemps, assis en tailleurs sur quatre tapis de sol, mais l’agitation autour d’eux leur faisait froncer les sourcils et suer le front. C’était une tache qui nécessitait une concentration extrême, aussi Haw fit-il mettre en place de longs bâtons d’encens aux vertus apaisantes, ce qui embauma la pièce de suaves fumeroles parfumées.
Il y avait beaucoup d’agitation. Une équipe de soigneurs prenaient déjà position dans un coin, prêts à gérer la moindre blessure ; des intendants montaient et descendait au fil des demandes des mages : bandages, encens, amulettes… Plus les minutes passait, et plus la pièce était remplie de mages et de fournitures. De nombreux mages présents joignirent leur énergie à ceux des Portiers, afin de les assister dans leur tâche, et la pièce s’emplit peu à peu de silence. Il y avait là plusieurs membres des escouades commandos, vêtus d’armures filiformes et d’étranges masques qui se distinguaient des masques de théâtre par leur absence totale d’émotion faciale. Les membres des commandos étaient considérés comme les soldats d’élites de l’armée Elfique et, sitôt qu’on y entrait, l’anonymat était de mise. Certains mages portaient également des masques : il s’agissait généralement de soigneurs ou magiciens déshonorés dont l’armée avait été le seul refuge, et ils ne souhaitaient généralement pas être reconnus.
Les choses s’accélérèrent : sous le regard des commandos, les Portiers se crispèrent. Le silence dans la salle se fit plus pesant, et Haw fit barrer la porte, afin que nul ne viennent plus déranger. Il devait y avoir encore des mages ou des intendants qui devaient ramener de l’équipement, mais tant pis : on en avait bien assez déjà, et la concentration primait sur tout le reste si on voulait obtenir un Portail à peu près stable.
L’encens flottait dans la salle, les respirations se firent de plus en plus fortes.
Et soudain, il s’ouvrit. Le Portail.
Un éclair bleu surgit entre les quatre Portiers, et une sorte de porte, faite d’énergie pure, d’un bleu éclatant, semblable à un fluide indéfinissable, se matérialisa. Ce n’était pas un portail semblable aux portes de château ou de maisons, ni à une quelconque grille forgée, non… C’était comme une surface d’eau, ondulante sous des courants invisibles, et qui flottait, tel un miroir mural, à quelques centimètres du sol, sur un disque parfait qui semblait avoir deux mètres de diamètre. C’était une chose si étrange, une manifestation magique si particulière, que ceux qui l’observaient pour la première fois ne pouvait que comprendre avec obligeance pourquoi on nommait cela un Portail.
Alors que la surface onduleuse était à peine stabilisée, un profond courant sembla remonter à la surface du Portail, déformant même le disque, comme lorsqu’un moucheron tente de s’extraire d’une mélasse. Et lorsque la surface se perça, comme un poisson bondissant hors de l’eau, surgit une Elfe. Toute sa personne transpirait la puissance lorsqu’elle s’arrêta au centre de la salle. Son regard rouge semblait rugit, tout comme son sourire féroce et ses cheveux d’un violet sombre, tachés de sang. Son long corps, fin et musculeux, était couvert de coupures, d’échardes et de petites blessures diverses, si bien que sa peau ne paraissait plus blanche mais pourpre, à la couleur du sang. Des plaques de métal pendaient mollement à son bras droit, restes de protections inutiles qui s’étaient abimées lors des combats. D’ailleurs, il ne restait de son armure que les bas : son torse n’était plus couvert que par un fin corset parsemé de taches de suies et de coupures ou déchirures diverses. Du reste, son corps ne semblait pas avoir subi de dégâts, et toutes ses blessures étaient bien superficielles. Dans sa main droite, un glaive aiguisé suintait de sang encore frais.
« Bien le bonjour ! rugit-elle. Je vois qu’il y a du monde pour nous accueillir ! »
Et le reste de son escouade sortie tour à tour du Portail. Il y avait là un Elfe imposant aux cheveux ras porteur d’une lourde hache d’ivoire, un svelte jeune au regard féroce qui tenait fermement son arc court fait en corne, un autre au torse nue zébré de cicatrices qui agitait négligemment ses deux sabres orientaux pour en faire tomber le sang poisseux, suivis d’une Elfe au regard d’ange et aux cheveux d’un rose pâle qui arborait de singuliers disques de lancer à sa ceinture, puis une dernière qui rengaina simplement sa longue épée d’un air négligé. Tous étaient plus ou moins blessés, mais leur air féroce transmettait une impression de dangerosité toute proche. Hawathanalt, qui avait longuement étudié le dossier que lui avait fourni Lassam, se mit à les identifier. La première sortie était Staria, bien entendu, puis s’avançait le massif Herne, le jeune archer Farym, le sabreur Anton, la lanceuse de disque Rosaria, et l’épéiste Sambra. L’escouade était composée de six membres, et seuls cinq revenaient…
Les soldats commandos se portèrent en avant, et l’un d’eux déclara :
« Nous sommes l’équipe de soutient commando. Nous prenons le relais. Dites-nous quelle est précisément la situation là-bas et nous prendrons le relais jusqu’à la contre-attaque.
- Un des Portiers est mort dans les montagnes, déclara Staria. Nous avons débarrassé le poste avancé de la trentaine de gardes qui s’y étaient postés, et nous sommes installés dans la cave pour l’ouverture du Portail. De l’autre côté il y a trois Portiers. Ouvrir le Portail sans leur compagnon a été difficile, et pendant que nous les protégions, un petit groupe s’est introduit dans la salle. Nous les avons éliminés, mais Don’van est blessé à la jambe : prenez un soigneur avec vous afin qu’il puisse traverser le portail et le rejoindre. Du reste, il n’y a plus de résistance là-bas, contentez-vous de tenir la place jusqu’à notre retour. »
Le commando ne fit aucun commentaire, il inclina juste la tête et, d’un signe de la main, désigna trois de ses hommes et un mage de l’équipe de soin. En moins de trois seconde, toutes ces personnes avaient traversés le portail.
Hawathanalt prit alors les choses en main : il dirigea les membres de l’escouade vers les soigneurs, fit rouvrir la porte, s’assura de la tranquillité de la transe des Portiers en renouvelant les encens, puis envoya un intendant chercher le Lieutenant et la Capitaine, conformément aux ordres qu’il avait reçu. Don’van, un elfe aux longs cheveux d’argent qui se battait avec un long bâton couvert de runes, émergea lui aussi du Portail peu après, et rejoint ses compagnons auprès des soigneurs, boitant légèrement. Hawathanalt finit par revenir vers l’escouade de Staria, lesquels hottaient leurs équipements et se livraient à quelques soins. Staria elle-même se tenait dans un coin, assise sur une caisse, et enlevait elle-même son équipement.
Lorsqu’il se posta face à elle, elle ne lui accorda pas un regard et continua à se déshabiller.
« Vous devez êtes le Sylve dont Lassam me rabat les oreilles depuis une semaine, n’est-ce pas ? demanda-t-elle en se délaissant des restes de plaques qui lui recouvraient l’avant-bras droit.
- Il vous a parlé de moi ?
- Dans chacun des oiseaux qui nous arrivait. Lorsqu’on part en mission avec des Portiers, il y a une crainte qui ne quitte pas le soldat : si on a une prise sur ceux qui nous accompagnent, rien ne nous dit que les Portiers de l’autre côté sont compétents, et si le Portail n’est pas bien tissé… nous mourons en le traversant, tout simplement. Etre rassurés sur la personne qui supervise tout ça nous aide à nous concentrer sur le combat.
- Je vois. »
L’Elfe aux cheveux violet sombres finit de délasser son bras, mais s’aperçut qu’une plaque de métal s’était enfoncée dans sa peau sous la force d’un coup d’épée.
« Tss… Ces créatures sont décidément imprévisibles. J’ai beau avoir un corps résistant, je me suis tout de même fait avoir une ou deux fois… »
Elle agrippa la plaque de métal et tira sèchement dessus. Le métal sortie, mais le sang se mit à couler abondamment.
« Soignez-moi ça », demanda-t-elle négligemment en lui tendant son bras ouvert.
Haw attrapa son bras, posa ses deux mains dessus, et la plaie de referma en deux mots. Elle reprit alors son bras et entreprit de délasser son corset.
« Je devine que Lassam veut nous renvoyer là-bas dans peu de temps, continua-t-elle. Tout est-il prêt de votre côté ?
- Pratiquement. Saham a accepté de mener l’assaut.
- Tant mieux, je préfère être dirigée par quelqu’un de compétent. »
Elle fit tomber son corset, dévoilant sa peau et les blessures qui la parcouraient.
« Contentez-vous de refermer les plaies importantes : un soigneur novice suffira très bien pour les plaies superficielles et les hématomes.
- Il y a des soigneurs plus compétents que moi ici, et…
- Je me suis mise à l’écart, et vous êtes venus. Tant pis pour vous, maintenant faites votre job. Refermez la plaie sous mon sein droit, et celle sur mon flanc gauche. »
C’est ce qu’il fit.
« Comment se présente la situation sur les autres forts, là-haut ?
- Vous vous inquiétez pour Saham ?
- Et pour vous. Prendre trois forts, à un contre dix, ce sera…
- C’est dans nos cordes. Nous étions six pour un fort gardé par une trentaine de créatures ennemies. Ça faisait du un contre cinq, et nous n’avons eu aucune perte lors de la bataille. Avec dix personnes, c’est faisable. »
Elle commença à délasser ses chausses, qui étaient en meilleur état que le corset qu’elle avait retiré…
« Vous êtes une unité d’élite…
- On nous qualifie d’élite, nuance. Nous avons simplement développé nos capacités guerrières au maximum, contrairement aux autres soldats qui cherchent simplement l’honneur ou le devoir dans l’armée. Nous vivons pour nous battre, alors en quoi devrions-nous avoir peur du combat ? »
Elle hotta finalement les protections de ses jambes, et entreprit de retirer le pantalon, maculé de sang, qui lui collait à la peau.
« La mort guette.
- La mort est dans la nature. Le jour où nos capacités de guerrier ne suffiront pas pour faire face à une situation, nous mourrons. Que ce soit sur un champ de bataille ou dans notre lit, le résultat est le même. L’escouade Staria est née pour combattre, et c’est ce que nous faisons de mieux. »
Elle se redressa, ayant quitté tous ses habits. Sa peau était parsemée de sang séché et paraissait poisseuse sous la crasse de ces derniers jours.
« Merci pour la discussion et les soins, dit-elle au Sylve. Je vais maintenant aller me laver avant de passer renouveler mon équipement. Brulez ces frusques et commandez-en de nouvelles à Fillyna, le modèle habituel. Dites également à Tory de me préparer une nouvelle armure : celle-ci est inutilisable en l’état. Enfin bref, laissez faire les intendants : ils ont l’habitude… Sur-ce, nous nous reverrons lors du prochain départ. »
Il acquiesça.
Alors que Staria allait faire signe à son escouade de prendre le départ, elle se figea. Un drôle de sourire lui traversa la face.
« Tiens, tiens, ça c’est nouveau… »
Avant que le Sylve ait pu faire quoi que ce soit, la guerrière s’était lancée, glaive en main, à travers les rangs des mages Elfes. Sa main se referma sur le cou d’un mage masqué et, d’un brusque mouvement, elle lui arracha son masque et releva son capuchon.
C’était Vel, qui la regardait d’un air de défi. Quand s’est-il caché parmi l’assistance ? se demanda le Sylve.
« Oh oh, toi tu as choisis le mauvais jour pour venir fouiner, ricana Staria d’un air farouche. Je me demande ce que Lassam dira de tout ça… »