Bonjour bonjour, chers lecteurs!
J'espère que la rentrée s'est bien passée pour vous Je crois qu'on approche d'un de mes moments favoris de l'année, où la douceur de la fin d'été se mêle avec les feuilles jaunies et l'odeur de la terre mouillée...
Malheureusement, sur le Continent, on est encore en plein hiver. Brrr.
Je vous souhaite une bonne lecture!
Partie 13
Marie
N’essayez pas de me mentir.
Non seulement vous n’y arriverez pas, mais en plus tout ce que vous y gagnerez, c’est mon mépris.
Parce que depuis que je suis toute petite, j’ai toujours su ce à quoi les gens pensaient.
Appelez-ça un don ou une escroquerie, peu importe. Le fait est que, quelques soient les masques que vous pouvez porter, je connaitrais votre opinion. C'est cette hypocrisie typiquement humaine qui m'a toujours rendue tranchante et facilement irritable.
Si vous voulez faire réagir Aaron, titillez-le sur ses valeurs. Si vous voulez faire réagir Cynthia, dénigrez ses capacités.
Si vous voulez me faire réagir, ne faites rien ; votre bêtise innée et vos mensonges s'en chargeront à votre place.
J’ai très vite compris que c’était une aptitude dont je ne devais pas parler. Personne autour de moi n’a jamais semblé sous l’emprise d’une chose similaire. Avec le temps, j’ai appris à scruter les gens, à reconnaitre des signes de changement, dans leurs yeux, dans leurs expressions. Et, jusque-là, il semble que je sois un cas unique.
J’ai toujours cohabité avec cette drôle de manie de mon esprit, comme une excroissance qui trouverait sa place en se tapissant sur les parois de mon crâne. Lorsque je me retrouve proche de quelqu’un, elle se réveille. Elle bouge. Elle remue dans ma tête, à l’image d’un serpent qui voudrait s’extirper et changer de corps. Et, au milieu d’une conversation ou au simple passage de quelqu’un à côté de moi, elle capte les pensées des gens.
Depuis petite, je sais que personne ne peut entendre ce que j’entends.
Ce qui ne m’a pas empêchée de piquer des colères noires en face de pauvres incrédules, ne se doutant pas une seule seconde que je lisais en eux comme dans un livre ouvert. Même dans mon sommeil, je ressens parfois les rêves des gens qui dorment à mes côtés.
Aaron, à force de passer ses journées avec moi, a très vite compris que quelque chose ne tournait pas rond. Nous ne sommes frère et sœur que d’un point de vue moral ; je ne suis pas de sa famille.
Je sais seulement que je suis arrivée très jeune chez lui. Et encore, je n’en ai pas énormément de souvenirs.
Le fait est que peu de temps après mon arrivée, il a commencé à me poser des questions. Quand il a vu que je ne répondais pas, il a insisté. Il faut croire qu’à son âge, il n’était pas encore doté d’instinct de survie. Je lui ai fait la vie pour qu’il arrête de me questionner. Et au final, c’est moi qui ai craqué.
Il ne m’a même pas prise pour une folle. Il s’est contenté de m’écouter, et il a voulu que j’essaie sur lui. En voyant que je ne racontais pas de salades, il a dit :
« Wouah, mais c’est ultra cool ! »
Outrée par sa réponse, je lui ai mis une baffe.
Avec le temps, j’ai appris à brider cette capacité constamment présente aux abords de ma conscience. Je me suis beaucoup entrainée avec Aaron : fermer son esprit aux autres, se concentrer sur une seule personne… Nous n’étions que des gamins assis au milieu de la place publique, mais grâce à cela, mon quotidien est désormais supportable.
J’attrape toujours les pensées des gens de façon involontaire ; mais elles sont moins fréquentes, et je ne fais pas de « surcharge » au milieu de la foule, comme on appelait ça lorsque nous étions plus jeunes.
Du coup, il s’avère que je n’ai pas du tout les mêmes critères que les autres pour choisir les personnes que j’apprécie. Je ne sais pas comment l’on vit sans savoir constamment ce que peuvent penser ceux autour de nous : il y en a qui choisissent sur l’apparence, d’autres qui ne jugent que par les goûts en commun. Personnellement, je n’ai besoin ni de faire-valoir esthétique, ni de gens pour se brosser mutuellement dans le sens du poil. J’ai besoin de personnes dont les pensées m’apaisent, me surprennent et sont en accord avec leurs paroles.
Par exemple, Aaron dit toujours ce qui lui passe par la tête. Mot pour mot.
Dimitri, lui, est beaucoup plus diplomate, mais jamais menteur.
J’ai parfois du mal à rester seule avec Cynthia, car ses pensées sont un véritable maelström. Elle réfléchit tout le temps à ce qu’elle vient de voir. C’est à se demander si elle a conscience de ce qu’elle fait. Je n’arrive que rarement à accrocher un raisonnement au milieu de cette tempête intérieure.
Quant à Jasmine… Les gens seraient étonnés de connaître le fond de sa pensée. Elle a plus de caractère qu’elle n’en montre.
C’est pour cela que je l’apprécie.
Cet après-midi, je l’ai trouvée dans l’entrée en sortant d’une leçon de service -sans accident de la part de Cynthia cette fois-ci, Dieu merci-. Assise sur une méridienne aux tons crème, elle lisait une lettre qu’elle venait de décacheter. Ses sourcils froncés témoignaient de la concentration qu’elle mettait dans sa lecture.
Je n’ai même pas eu besoin de m’approcher d’elle pour capter les pensées qui émanaient de son esprit. Au milieu de la cacophonie de sa conscience que je perçois comme un éternel bruit de fond s’élève une idée qui domine toutes les autres.
Je suis prise quelque part. Un caracal à épines. Demande spéciale.
Je coupe le lien établi il y a quelques instants. Non seulement je refuse de m’immiscer dans la tête de ceux que j’aime, mais le flot ininterrompu de ses réflexions menace de m’emporter si je m’y accroche trop longtemps.
Jasmine relève la tête, me remarque, m’adresse un sourire un peu crispé. Je prends place à ses côtés. Elle inspire profondément, me tendant le fameux papier.
« J’ai reçu une lettre ce matin. Je vais avoir du travail à la Maison Blustrode.
- Mais c’est une bonne nouvelle, ça ! Je m’exclame avec entrain, me penchant sur le contenu du courrier.
- Tu penses ?
Je comprends sa question autant qu’elle me prend au dépourvu.
- Bien sûr ! Après tout, on se retrouverait bien bêtes si on ne trouvait rien après tout ce que l’on a étudié. Je vivrais mal d’avoir suivi des cours de généalogie pour ne pas les utiliser. C’est tellement passionnant.
Elle capte mon ironie, et son expression inquiète disparait dans un éclat de rire.
Marie, fidèle à elle-même !
J’en profite pour jeter un coup d’œil à sa lettre. Il y a deux semaines, Aaron m’a fait lire la sienne. Et elle était totalement différente de celle que vient de recevoir Jasmine. Ici, le ton est beaucoup moins officiel, beaucoup plus confidentiel.
Mon amie a sans doute remarqué que quelque chose m’intriguait, car elle se penche vers moi et scrute son courrier comme si elle n’avait pas su y voir un message caché.
- Qu’est-ce qu’il y a ?
- Aaron a reçu une lettre de demande, lui aussi, mais elle n’était pas du tout pareille. Elle ressemblait plus aux courriers que l’on envoie aux jeunes pour leur proposer de rejoindre les armées. Là, on dirait qu’une vieille connaissance te propose une place au Conservatoire de Stridel.
- Ça, c’est grâce à mon grand-père.
Je me tourne vers elle, intriguée.
- Quoi ?
Je ne le dis pas, en temps normal. Confiance. Amie.
- C’est lui qui m’a élevée parce que mes parents sont morts, tu te souviens ? En fait, il fabriquait des instruments de musique, et il était très demandé. J’ai appris à jouer toute seule avec lui, et souvent, les musiciens et les grands noms de la noblesse venaient lui commander des instruments. Il faisait partie d’une liste d’artisans d’honneur, je crois. Ils ont dû me reconnaitre à mon nom, à l’intendance.
Son explication fait percuter quelque chose dans ma tête.
- Attends… Ça veut dire que tu sais faire de la musique depuis toute petite, et tu ne nous en as jamais parlé depuis tout ce temps ?
- Je n’aime pas trop le dire, elle me confie avec un regard gêné. Et puis il n’y a pas de cours musicaux, donc je ne peux pas jouer n’importe quand. Par contre, j’ai un violon dans mes affaires. J’ai pu l’emporter avec moi, mais il n'est jamais sorti de mon sac.
Peu importe ce qu’elle est en train de me raconter, je n’ai maintenant qu’une seule idée en tête.
- Dis, tu pourras nous jouer un morceau, à Cynthia et moi ? Je veux absolument t’entendre ! Qu’est-ce que tu sais jouer ?
- Eh bah, euh, un peu tout, en fait. Je rejoue les mélodies à l’oreille. Je ne les apprends pas.
La tête que je fais en entendant sa réponse doit être drôle, car elle détourne le regard, son visage se fendant d’un grand sourire à la fois embarrassé et amusé.
- Mais c’est d’accord, hein, je vous jouerais quelque chose ! Je veux me faire des souvenirs avec vous avant qu’on se quitte.»
Adieu. Jamais. Vie d’après.