Et voila pour ce mercredi, la suite de notre histoire avec le chapitre 6 consacré à Élisabeth
EDIT: Correction
6. Élisabeth
Le jour commençait à décliner, et Alix s’était assoupie sur son fauteuil. Doucement, je la réveillai pour pouvoir la ramener à la maison. Avant de fermer la porte, je lançais un
au revoir à Marc, mais il ne répondit pas, comme s’il ne m’avait pas entendue.
Je jetais un coup d’œil à Alix qui serrait ma main dans la sienne en trottinant. Son visage me semblait plus paisible qu’en début d’après-midi et je ne pus m’empêcher de sourire.
— Lizzie, tu penses à quoi?
Son attention envers moi me fit sourire.
— Je pense simplement à la semaine prochaine.
— Tu commences ton temps plein à la bibli. ? demanda-t-elle presque trop sérieusement pour une fille de 10 ans.
— Oui c’est ça, je suis un peu nerveuse, mentis-je, je devrais pas, mais j'ai peur d'avoir trop de responsabilité, de ne pas être à la hauteur.
— Faut pas, t’es trop forte, ça ira.
— Merci sœurette.
— Normal, dit-elle en me fixant de ces yeux saphir.
Elle se serra contre moi, puis m’entraîna vers le chemin de la maison. Quand nous ouvrîmes la porte, un monstrueux ronflement nous accueillit. Il s’était endormi en regardant la télé. Un discret soupir de soulagement m’échappa . J'intimais à Alix d’être la plus silencieuse possible, et l’entraînai dans le couloir qui menait aux chambres.
— Je vais te faire un bon sandwich, murmurai-je, maman a dû partir à la clinique travailler. Si tu veux, on l’appelle après avoir mangé, d’accord ?
Elle acquiesça.
— Avec plein de mayo ? demanda-t-elle pleine d’espoir.
— Un peu, tu sais que maman n’aime pas quand tu en manges trop, je n'ai pas envie que tu aies mal au ventre.
Doucement, je passais dans le salon pour aller à la cuisine. Son repas fait, je le lui apportais avec de l’eau et une compote. Elle l’engouffra et appela rapidement maman pour la rassurer.
— Oui, papa nous a fait à manger, mentit-elle.
Peu après, elle s’endormit dans son lit, pelotonnée dans mes bras. Je levai les yeux vers le plafond, me noyant dans mes pensées.
Il était vrai que je n’avais pas eu beaucoup de chance à la loterie de la vie. J’étais née dans une famille détruite avant même ma naissance. J'avais récemment appris que le mari de ma mère n'était pas mon père biologique. Malgré les nombreux signes qui aurait dû me mettre la puce à l'oreille, j’avais préféré me voiler la face. Je n'étais pas sûre qu’Alix le sache, mais par moment, je songeai que si je n’étais pas née, elle aurait sans doute mieux vécu. D'un jour à l’autre, il le lui dirait. Durant une de nos disputes, il m'en avait menacé. Il allait falloir que je parte, et vite. Pour Alix, mon petit ange. J'avais l'impression de lui gâcher son enfance... Même si, inconsciemment, je savais qu'il n'en était rien.
Le sommeil commençait à peser sur mes paupières. La tête lourde, je suivis rapidement ma sœur dans les bras de Morphée.
***
Un mois plus tard
Mai
Samedi 19 mai 2012
Il était vraiment temps que je sorte prendre l’air avant que le soleil ne se couche. Rester enfermée par un tel temps était déprimant. En me massant les tempes, j’observai le désordre chaotique de mon bureau. Des feuilles partout, mes stylos éparpillés sur toute la surface, des fiches griffonnées et des livres posés ça et là.
Les derniers partiels finissaient vendredi et je n’avais pas la sensation d’être prête, comme d’habitude.
— Allez, me murmurai-je à moi même. On sort.
Je m’étirai alors le dos avant de mettre une paire de sandales et mes lunettes de soleil sur le haut de ma tête. Devant le miroir de la porte de ma chambre, mon reflet me tira la langue. Un petit visage constellé de tâches de rousseur, de grains de beauté. Mes yeux en amande possédaient une jolie couleur ambrée. De vilaines cernes me dévoraient les joues, conséquences malheureuses à de nombreuses nuits passées sur mon bureau, plutôt que dans mon lit. Quant à mes cheveux, ils commençaient à être bien trop longs et épais, depuis mon dernier passage chez le coiffeur. Ils me tenaient vraiment trop chaud. Tant bien que mal, je les attachai au sommet de mon crâne en chignon serré. Cela ferait l’affaire pour le moment. Je passai par la chambre d’Alix, qui s'était endormie en boule, un livre en guise oreiller. Je le pris, le refermai, et le posai sur son bureau. Puis, doucement, je plaçais sous sa tête un coussin.
Ce jour-là, il n’y avait pas de vent, et l’on sentait l’été commencer à poindre. Le soleil chauffait plus qu’auparavant, le ciel était d’un bleu pur, sans nuage pour briser son unité.
Je choisis d’aller chiner dans le quartier des antiquaires. J’adorais flâner dans cette rue, découvrir des petits bouts d’histoire à travers les objets dénichés par les propriétaires de ces magasins atypiques. J’entrai dans le premier que je trouvais, et fus accueillie par un vieux monsieur au sourire édenté. Je regardai, sans pour autant les toucher, les objets exposés, quand une pièce en particulier attira mon attention. C’était une sorte de broche dorée, avec une paire de petits ciseaux finement ciselés, un dé à coudre orné de motifs de lierre gravés, un monocle en or et une clef, grosse comme ma main. L’antiquaire remarqua certainement mon regard insistant, car il se plaça derrière moi en souriant.
— C’est une châtelaine de couturière, expliqua-t-il d’une voix douce. Une broche que les dames portaient à leur ceinture au XIXe siècle.
— Magnifique, lui murmurai-je sans quitter la châtelaine des yeux.
L'objet captivait mon attention.
— Quand je l'ai acheté, son ancien propriétaire m’a aussi confié son historique, continua-t-il, rêveur. Elle appartenait à une riche comtesse parisienne, Madame de G. Il était dit qu’elle avait fort mauvais caractère, si bien que la plupart de ses dames et demoiselles de compagnie ne restaient guère longtemps à son service. Celles qui restaient le plus longtemps étaient souvent ses petites liseuses, comme elle l’écrivait dans ses correspondances. Voyez-vous, elle était atteinte de cataracte qui la rendait quasiment aveugle d’un œil, et elle était une grande amatrice de littérature. Cependant, une tragédie subvint: l'une de ses lectrices mourut suite à un terrible accident. La pauvre comtesse ne s'en remis jamais,et dès lors, elle se coupa de tout contact avec la société. Nous perdons la trace de cette dame vers les années 1834.
— C’est impressionnant d’en savoir autant sur une personne, juste avec l’un de ses objets personnels.
Il me semblait avoir déjà entendu cette histoire, mais je n’en montrais rien, c’était ridicule.
— N’est-ce pas ? Si vous avez besoin de conseils ou d’aide, je serai derrière le comptoir.
Je hochai la tête avant de faire un rapide tour. Je me sentais épuisée. Tout à coup, parler à des gens devenait fatiguant. L’homme ne me vit pas sortir, passionné par la lecture d’un livre dont je ne vis pas la couverture.
J’avisais un petit café au bout de la rue, dont la terrasse était abritée par de grands parasols écrus. Après m’être assise sur une des banquettes moelleuses proche de la porte, je commandais un café bien mérité. Ces derniers temps, mon besoin de caféine était hallucinant. Une conséquences des révisions. Je fermai les yeux quelques secondes pour les reposer un peu.
Quand je les rouvris, je n’étais plus assise sur la banquette, mais sur un petit fauteuil de velours bleu nuit. En baissant la tête, je vis que je portais une longue robe, dans laquelle j’étouffais. Une douleur à la main me fit sursauter. Un mouvement à ma droite accrocha mon regard : une vieille femme me regardait à travers un monocle qui ressemblait fortement à celui de la châtelaine de l’antiquaire. Elle m'observait d’un air emprunt d’exaspération, doublé, malgré tout, d’une certaine douceur.
— Lou-Anna ma chère, ne vous arrêtez pas maintenant. Nous sommes en plein chapitre ! me sermona-t-elle en me redonnant une petite tape sur la main. Si vous êtes fatiguée, finissez au moins cette partie, je veux connaître la réaction de la Marquise.
— Heu… Bien Madame, bégayai-je, reprenons alors…
— Mademoiselle, entendis-je au loin, votre café.
Le décor changea brusquement, et je découvris le serveur, plateau à la main, penché vers moi.
— Vous vous êtes endormie, sûrement à cause de la chaleur. Je vous apporte un verre d’eau, ajouta-t-il en posant une tasse de café devant moi.
— M… Merci beaucoup, un verre d’eau serait une bonne idée, acquiesçai-je d’une voix endormie.
L’histoire de ce marchand m’avait vraiment retournée. Dans cet étrange rêve, j’avais même inclus l’un des ouvrages que j'avais dû relire pour les partiels. Les révisions me montaient à la tête.
Une sensation déplaisante s’insinuait quelque part au fond de moi.
**
Vendredi 25 mai 2012
Il n’était même pas sept heures, et la ville était déjà pleine de bruits, noyée sous les klaxons des voitures, les voix des passants et des conducteurs. Je la voyais filer derrière les vitres embuée de la voiture de ma copine de fac, Jessy. C’était son tour de nous emmener à Aix pour les partiels du second semestre.
Stella, mon autre copine de la fac, et elle étaient en train de chanter pour faire passer la nervosité précédant le dernier examen. Je les regardais presque avec envie. Ces derniers temps, j’avais du mal à les suivre. Elles étaient adorables, mais pour une raison que j’ignorais, je me détachais un peu d’elles.
Après cela, si tout se passait bien, finie la seconde année !
— Oh ! Miss double vie ! m’interpella Stella, arrête de stresser et chante avec nous ! C’est notre chanson !
Elle rit et remit la chanson au début pour que je me joigne à elles. Je lui souris et baragouinais les paroles avec autant d’entrain que possible. Arrivée au refrain, j’avais presque oublié le partiel :
Oh, oh, oh, go totally crazy-forget I'm’a lady
Men’s shirts-short skirts
Oh, oh, oh, really go wild-yeah, doin' it in style
Oh, oh, oh, get in the action-feel the attraction
Color my hair-do what I dare
Oh, oh, oh, I wanna be free-yeah, to feel the way I feel
Man ! I feel like a woman !*
**
Trois heures plus tard, je sortais enfin de la salle. J’avais chaud, mais je décidais de m’installer au soleil sur un petit muret. Les rayons étaient encore doux et réchauffait délicieusement ma peau. Je fermai les yeux pour profiter du moment.
— Alors Double-vie, tu l’as bien senti le partiel de Valloche ?
J’ouvris un œil et vit Jessy, la clope au bec, fouillant désespérément dans son fourre-tout à la recherche d’un briquet. Je mis une main dans ma poche, saisis le mien et le lui tendis.
— Ouais, on peut dire ça. Il ne s’est pas foulé, j’ai eu le même exercice en classe de Science du langage. Je peux t’en piquer une ? J’ai fini ma dernière tout à l’heure.
— Pas de soucis bichette, accepta-t-elle avec un sourire en me tendant la cigarette. Stella n’est toujours pas là, encore en train d’écrire un pavé illisible !
— Ne sois pas jalouse ! Elle écrit juste plus lentement. Je suis sûre qu'on l’aura toutes, notre année.
— Mouais... Sinon, tu commences quand ton temps-plein ?
— La semaine prochaine, et demain matin je dois y aller pour signer le contrat. Vu qu'ils doivent me faire un avenant pour augmenter mes heures.
— Tu pourras enfin te barrer de chez ce fou furieux !
J'acquiesçai avant de refermer les yeux.
Cinq minutes plus tard, nous étions sur l’autoroute, filant loin d’Aix et de sa fac de lettres, le cœur plus léger. Du moins, jusqu'au lendemain matin...
* Shania Twain - Man! I Feel Like A Woman