CHAPITRE IX
La petite étoile
Février 2017 – 2 ans et 1 mois
Après beaucoup de douleurs, de peur, mais surtout de joie, ma fille a pointé le bout de son nez en février 2017. Elle n’a pas fait les choses comme tout le monde, elle est née le visage tourné vers le plafond. Comme si elle avait attendu la nuit pour observer les astres. Cette nuit-là, j’ai rencontré mon étoile.
Tellement d’émotions m’ont assaillie pendant cette rencontre. Je l’ai aimée tout de suite. Dès que la sage-femme m’a posé Ambre dans les bras, j’ai fondu. Elle était si petite et si jolie. J’ai vite oublié la douleur insupportable des contractions dues à sa position, j’ai oublié les doutes que j’avais pu avoir en début de grossesse. J’ai tout oublié pour laisser place à l’amour que je portais à cette petite étoile.
Contrairement à ce qu'il s'était passé à la naissance de mon fils, je n’ai pas mal vécu cette nouvelle maternité. Adam était mon premier enfant, on ne savait pas trop s’y prendre, on avait dû changer de rythme de vie. Alors que pour Ambre nous n’avons pas stressé, nous savions nous occuper d’un bébé, notre vie n’allait pas changer du tout au tout du jour au lendemain. Il est plus facile d’accueillir un deuxième enfant.
La maternité était en sous-effectif, mais les puéricultrices passaient régulièrement me voir dans la chambre. C’était mon second enfant alors je n’avais pas vraiment besoin d’aide, mais elles m’apportaient un soutien moral. Lors de mon premier accouchement, Pierre était présent du matin jusqu’au soir avec nous. Mais là, il y avait Adam. Et il n’était pas possible de l’amener à la maternité sans s’exposer à une crise. Je passais la plupart des matinées toute seule avec Ambre et j’avais de la visite l’après-midi. Lorsqu’il le pouvait, Pierre venait le matin. Il a donné le premier bain d’Adam, il voulait partager ce moment avec sa fille aussi.
Malgré les visites, mon fils me manquait terriblement. J’imaginais qu’il devait se demander où j’étais. Alors j’ai demandé à Pierre, deux jours avant ma sortie, d’amener Adam avec lui en fin d’après-midi pour qu’il rencontre sa sœur. Il passerait un peu de temps avec nous et puis ma mère le ramènerait ensuite pour que Pierre puisse rester.
Je n’avais pas vu mon fils depuis trois jours. Alors quand je l’ai vu au bout du parking, j’ai tendu les bras. Il s’est mis à courir vers moi avec le sourire aux lèvres. J’étais heureuse. Je lui avais manqué. Mais il a continué sa route sans même me regarder. Il était juste content de courir, et pas de me voir. Mais ce n’était pas grave, je le voyais, c’était le principal. Nous sommes allés dans la chambre pour la rencontre frère/sœur qu’on redoutait tant. Nous avions tellement peur qu’Adam soit violent envers elle. Qu’il ne l’accepte pas dans la maison.
En arrivant dans la chambre, Adam a brièvement regardé Ambre puis il l’a ignorée totalement. Je ne m’attendais pas à ça, mais au moins il n’était pas hostile envers elle. Il ne voulait pas me faire de câlin, il bougeait sans arrêt, il était trop à l’étroit. Nous avons donc écourté la visite. On attendrait d’être à la maison pour qu’il comprenne que c’était sa petite sœur. J’étais un peu déçue et j’avoue avoir pleuré du peu d’attention qu’il m’avait donné, mais les hormones y étaient pour beaucoup. J’avais les émotions en vrac. Ce soir-là, alors que les larmes coulaient sur mes joues, la puéricultrice de garde est venue me voir. Elle a perçu ma détresse et s’est assise avec moi. Elle était débordée suite à plusieurs naissances dans la journée, mais elle a pris dix minutes de son temps pour moi. Elle n’a pas tenté de me réconforter. Elle n’a pas cherché à savoir pourquoi je pleurais. Elle m’a parlé de musique. Elle m’a raconté des choses anodines et qui auraient pu paraitre déplacées au vu de mes larmes, mais ça m’a fait un bien fou. Je ne pensais plus au rejet d’Adam ni au fait que je me retrouvais seule à la maternité. Mes larmes ont arrêté de couler pour laisser place au sourire.
Tout de même, ça m’a rappelé une situation presque identique l’année d’avant.
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Pierre et moi étions partis en vacances à la montagne, et, comme Adam n’avait qu’un an, nous ne l’avions pas emmené avec nous. Ma mère était venue vivre à la maison toute la semaine pour ne pas le perturber, qu’il puisse conserver ses repères. En journée, il était chez la nounou et le soir avec ma mère. La semaine s’est plutôt bien passée pour lui, on ne lui manquait pas plus que ça. Il ne nous cherchait pas. C’est d’ailleurs étrange de se dire qu’il ne s’était rendu compte de rien. Je prenais bien sûr des nouvelles tous les soirs parce qu’il me manquait terriblement. En général, ma mère me rassurait en me disant que tout allait bien, qu’il était sage.
Un soir cependant, ma mère m’a dit qu’en récupérant Adam chez la nounou, elle l’avait retrouvé complètement amorphe dans sa chaise haute. Carine l’a informé qu’il n’avait pas voulu quitter sa chaise haute de la journée. Lui qui était d’un naturel très actif à cette époque-là, ce n’était pas normal qu’il soit dans cet état. La veille, ma mère avait remarqué qu’il semblait avoir mal à l’une de ses jambes, il ne la posait pas à terre quand il était dans son trotteur. Elle pensait simplement qu’il avait dû tomber dans la journée et qu’il avait encore un peu mal. Mais lorsqu’elle l’a retrouvé ce jour-là dans cet état, elle a paniqué. Ma mère est allée aux urgences directement.
Adam avait contracté un rhume de hanche. Apparemment, c’était très étonnant pour un enfant de cet âge, mais il n’y avait rien de grave pour lui. Il sentait une douleur dans sa jambe, mais par intelligence les enfants de cet âge ne posent pas le pied par terre. Il a fini sa semaine en faisant le flamand rose. C’était horrible de savoir que mon enfant était en souffrance et que je n’étais pas là pour l’aider. J’avais peur qu’il nous en veuille de ne pas avoir été là. Mais nous sommes finalement revenus deux jours plus tard. J’imaginais déjà les retrouvailles avec des effusions de bisous, de rire et de câlins. J’ai eu le droit à un autre scénario. Pas de câlins, pas de bisous, pas de sourires, juste un regard avant de tourner la tête dans la direction opposée. Ça ne lui faisait ni chaud ni froid de nous voir après une semaine d’absence. J’ai ravalé ma douleur et me suis occupée de la sienne.
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Alors quand il m’a « rejetée » après plusieurs jours d’absences à la maternité, j’ai repensé à ce moment, en me disant que ce n’était tout de même pas normal. Nous aurions dû lui manquer durant la semaine au ski, j’aurais dû lui manquer lors de mon passage à la maternité. Il aurait dû s’en rendre compte, ne serait-ce qu’un peu.
Cette nuit-là j’ai dormi avec Ambre dans mes bras. Blottie l’une contre l’autre, je profitais de ce moment en me demandant : combien de temps me reste-t-il avant qu’elle ne me rejette elle aussi ?
Je suis finalement rentrée à la maison le lendemain. Nous avions vraiment peur de la réaction d’Adam, mais il s’est passé quelque chose de merveilleux. Ambre était installée dans son cosy et Adam lui a tendu les bras avec un grand sourire aux lèvres comme pour lui dire : « Bienvenue dans ma vie ». Pierre a versé une larme. Je pense qu’il redoutait la réaction d’Adam plus que moi. Une de ses vannes s’est ouverte ce jour-là, pour son plus grand bien. Il était soulagé.
Et puis la vie à quatre a commencé. Nous avions beaucoup de chance, Ambre était un bébé très calme. Elle ne pleurait que très peu et souvent à cause de coliques que nous avons rapidement soulagées. Elle était adorable et a fait ses nuits très tôt. Un bébé de rêve. En revanche, Adam l’ignorait toujours. Quand il la regardait, il faisait des petites grimaces qui auraient pu vouloir dire : « Mais, qu’est-ce que c’est que ce truc ? ». La plupart du temps, il ne voulait pas l’approcher, il l’ignorait, la repoussait lorsqu’on essayait de la mettre à côté de lui. Il hurlait si nous insistions. Et puis en annonçant la naissance, j’ai reçu des messages du genre :
« Félicitations ! Adam doit être très fier ! »
Non, il n’était pas fier. Tant qu’elle ne débordait pas sur son espace, il s’en fichait. Est-ce qu’à deux ans, un enfant est censé être fier d’avoir eu un petit frère ou une petite sœur ? Avait-t-il seulement compris ce qu’elle représentait ? Il n’avait pas eu l’air de remarquer que mon ventre grossissait pendant la grossesse, alors il n’a pas pu comprendre qu’elle venait de moi. Comme lui, avant elle. Non, il ne pouvait pas être fier de quelque chose qu’il ne comprenait pas. Mais ça viendrait. Du moins, je l’espérais.
La belle-mère de Pierre, Catherine, est venue nous rendre visite pour la naissance. Comme elle venait de loin, elle a passé quelques jours avec nous. Et c’est là que tout a changé.
Elle m’a avoué penser qu’Adam avait un retard sur ses apprentissages. Elle l’avait remarqué depuis qu’il avait un an, mais que c’était encore trop léger pour m’en parler. Comme elle ne le voyait pas souvent, elle avait préféré ne rien dire. Mais là, au bout de quelques jours passés avec nous, elle avait remarqué que son comportement n’était toujours pas adapté à son âge. Il n’avait pas rattrapé son retard et ça se voyait de plus en plus.
J’y étais enfin. D’autres personnes constataient les mêmes choses que moi. Adam avait un comportement, une gestuelle, un éveil, des colères étranges. Ce n’était probablement pas grave, mais il fallait en parler. Comme Catherine nous l’a dit ce soir-là : « Pour qu’un enfant se développe correctement, il lui faut de l’amour. Adam n’en manque pas. Ce n’est pas de votre faute, mais il faut que vous consultiez pour savoir quoi faire. »
Le lendemain, j’ai pris le téléphone pour prendre rendez-vous avec une pédiatre. J’avais rendez-vous quelques semaines plus tard.