❁❀ Le Chant des Arbres ❀❁ Chapitre 5 [New Adult - Drame - Contemporain]

Postez ici tous vos écrits qui se découpent en plusieurs parties !
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Springbloom

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❁❀ Le Chant des Arbres ❀❁ Chapitre 5 [New Adult - Drame - Contemporain]

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Couverture réalisée par @deltarune sur Wattpad (tant qu'elle change pas de pseudo)



Bonjour/Bonsoir à tous et bienvenue sur ce nouveau topic,

Après plusieurs hésitations et questionnements, j'ai décidé de finalement poster cette histoire ici en plus de mon compte Wattpad, car, après tout, pourquoi se refuser les avis d'un autre public ? Plus on est de fous, plus on rit !


Contrairement à l'autre histoire que j'ai posté il y a longtemps sur le site (Dark Night, pour les quelques personnes qui suivaient) celle-ci se veut plus mature, et représente quelque chose de très important pour moi, ce qui explique peut-être aussi les réticences que j'avais à la partager. C'est une part de moi et une part de tout, et j'espère réellement qu'elle vous plaira et que vous pourrez m'aider à l'améliorer ^^




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Résumé

Penthourne est une petite ville du Michigan,
typiquement américaine : le capitalisme règne
en maître, et chacun ne pense qu'à remplir sa
bedaine et à embellir son héritage.
C'est là que vit Alexander Bronx, artiste déchu
qui recherche l'Inspiration. Depuis bientôt cinq
ans, celle-ci lui échappe, mais il est certain
qu'Elle se cache ici, dissimulée entre les rues
délabrées de cette ville lacustre.

Et si, depuis tout ce temps, Elle s'était réfugiée
dans la forêt, entre ces arbres, qui, à ce qu'on dit,
chantent pour taire le silence ? Et si ces mystérieux
chants avaient un nom, celui de Jonathan Adams ?




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Sommaire
(16 sur 23 chapitres de prévu)

♪♫ Playlist ♪♫


  • ❁ Prologue
    Ci-dessous

    Chapitre 1 : A la Lumière d'un Lampadaire Intro - The XX
    ici

    ❁ Chapitre 2 : Un Renard Végétal C'mon - Panic ! at the Disco ft. Fun.
    ici

    Chapitre 3 : Ryan Cars Full Of People - Good Charlotte
    ici

    ❁ Chapitre 4 : Patrick ou le Barbecue de Mars Alive - Møme VS Midnight To Monaco
    ici

    Chapitre 5 : Les Noms de Forêt The Kids Aren't Alright - Fall Out Boy
    ici

    ❁ Chapitre 6 : Place des Arts Is There Somebody Who Can Watch You ? - The 1975
    A venir

    Chapitre 7 : Les Anges Solitaires Something To Believe In - Young The Giant
    A venir

    ❁ Chapitre 8 : «Envole-toi» Ton Heure Viendra - Mrs. Yéyé
    A venir

    Chapitre 9 : Le Baptême des Enfants Perdus Welcome Home - Radical Face
    A venir

    ❁ Chapitre 10 : Marqués par l'Encre In Our Bones - Against The Current
    A venir

    Chapitre 11 : Justice Sans Mensonges When It Rains - Paramore
    A venir

    ❁ Chapitre 12 : Neverland Somewhere In Neverland - All Time Low
    A venir

    Chapitre 13 : Le Saut de l'Ange The End Of All Things - Panic ! at the Disco
    A venir

    ❁ Chapitre 14 : Kaléidoscope Liquide The Life Of The Party - All Time Low
    A venir

    Chapitre 15 : Jonathan Sorry About Your Parents - Icon For Hire
    à venir

    ❁ Chapitre 16 : Seuls face au Mur Monsters In The Dark - Mykey
    En cours d'écriture
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Liste des lecteurs

Demandez pour y être ajouté et être prévenu lorsqu'un chapitre est posté, ou une quelconque autre nouvelle concernant l'histoire ^^


Chloe38200
Florance
Shadow Knight
Yonyon


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Prologue




Des flashs de lumières. Des pas précipités. Une voix, lointaine, semblant inquiète. Des cris, d’autres pas. Le crissement des roues. D’autres flashs de lumières au-dessus de moi. Une porte qui claque. Un « bip » incessant. Puis l’arrêt. Des ombres qui jouent au-dessus de moi.

-Il faut se dépêcher. Sa respiration est faible.
-Il n’y avait personne d’autres, c’est certain ?
-Oui, notre équipe et moi-même avons vérifié plusieurs fois.

Les « bips » s’affolent, de plus en plus fort, vibrant dans mes tympans. La porte claque à nouveau, des gens sont partis. Je suis incapable de bouger. Seule cette lumière aveuglante vient heurter ma rétine. Trop faible pour bouger, pour simplement lever le doigt. Mon esprit est brouillé, plein de fumée. Je ne vois que du gris, du gris, et rien d’autre. C’est comme si les autres couleurs s’étaient évaporées à jamais.

Les pas se font plus pressants autour de moi. On dépose un masque sur mon visage, diffusant une odeur apaisante, bien trop apaisante. Mon corps repose sur un nuage. Les ombres disparaissent, vont, viennent. La lumière éblouissante s’éteint alors, lentement, mes yeux se fermant, et je sombre dans les ténèbres.


❁❀❁❀❁


-De quoi vous souvenez-vous ?
-De rien. Pourquoi, il s’est passé quelque chose ?
-Non, non, rien du tout. Vous aviez fait une violente chute suite à un incendie forestier, mais vous êtes parfaitement remis, c’est surprenant. Vous êtes libres de quitter l’hôpital. Vous pouvez aller retrouver vos parents, ils vous attendent de l’autre côté de la porte.

Leurs sourires sont chaleureux, francs. Ils me prennent dans leurs bras, me serrent si forts que je crois étouffer. Leur présence me rassure, me réchauffe le cœur. Ils m’ont manqué, depuis le temps que j’ai passé enfermé dans cette chambre aux murs blanc respirant la mort.

Et pourtant, leur retour ne remplit pas le vide dans mon cœur. Je suis vide, et j’ignore pourquoi. Il manque quelque chose autour de moi, et je suis incapable d’expliquer ce que c’est.





❁❀ Chapitre 1 ❀❁
Dernière modification par Springbloom le sam. 15 oct., 2022 5:10 pm, modifié 7 fois.
Springbloom

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Re: ❁❀ Le Chant des Arbres ❀❁ [Contemporain]

Message par Springbloom »

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Chapitre 1
A la Lumière d'un Lampadaire

♪♫




La plupart des gens détestent le silence. Il le trouve morbide, mystérieux, angoissant. Dans les films, un long moment de silence est toujours annonciateur d’une mauvaise nouvelle. C’est toujours comme ça, comme si le silence ne pouvait être qu’un malfaiteur. Il a fini par prendre cette fausse réputation, cette atmosphère violente qu’on lui associe si bien, et qui est pourtant à des lieues de ce qu’il est réellement.

Le silence n’a jamais rien eu de violent. Le silence est calme, apaisant. C’est l’absence de bruit, l’absence de sons stridents qui vous vrillent les oreilles. Trouvez-vous violent de ne plus entendre votre enfant pleurer au milieu de la nuit ? Non. Vous le trouvez reposant, accueillant.

A l’heure où j’écris, il n’y a pas un bruit autre que ceux de la nuit, les plus appréciables qu’il soit. Mes doigts s’agrippent au crayon et griffonnent le papier sur ma jambe. Assis en tailleur à même le sol, j’observe, j’écoute, depuis bientôt une heure. Les températures sont en chute libre, mais j’apprécie sentir ce froid mordant contre ma peau. Mes poils se sont hérissés, comme lorsque j’ai vu mon premier film d’horreur – qui fut par la même occasion mon dernier. Il n’y a pas vraiment de raisons pour commencer à écrire ce journal. J’ai toujours voulu écrire. Donner à ces pages vierges de tout trait gris une âme, par des mots, des dessins, des symboles. Les en recouvrir, jusqu’à qu’elle ne puisse plus en accueillir, et qu’elles doivent rejoindre cette étagère déjà remplie de carnets dans mon salon, qui leur est réservée.

C’est donc ici que tout commencera. Par des mots couchés sur une feuille blanche, un peu jaunie et pliée dans un coin. Où est-ce que cela se terminera ? Aucune idée. Quand la deux-centièmes pages de ce cahier sera à son tour couverte, comme ses consœurs. D’ici là, il peut se passer tant de choses. L’inspiration me vient comme elle s’en va : subitement, brusquement, aussi vite qu’une étoile filante.

Je sais que l’inspiration, la vraie, m’a quitté depuis longtemps, mais je ne peux m’empêcher de croire que je peux la retrouver en partant à sa recherche. Elle peut se cacher n’importe où, mais j’arrive à l’apercevoir ici, sous une autre forme : le silence.

Car telle est la raison pour laquelle je suis assis ici, dans cette allée où je n’étais jamais venu auparavant. J’étais en quête de cette amie qui aime tant me fuir, l’Inspiration. Elle aime se cacher dans des endroits où elle pense que je ne la trouverais pas, mais je suis certain qu’elle est ici, à Penthourne.

Je n’ai aucune idée d’où je peux bien être. L’allée est plongée dans le noir, minuit approche. Placé sous la lumière du lampadaire, la rue est comme une ombre, invisible à mes yeux. Quiconque passerait dans la rue pourrait me voir, je suis exposé à tous les regards. Ce n’est pas dans mes habitudes de pouvoir être ainsi épié, observé, à découvert. Je devrais me sentir dénudé, faible, mais les mouvements de mon poignet me font penser à autre chose. Mon imagination met mes neurones à feu, effaçant tout le reste. De toutes manières, je ne pense pas que beaucoup de gens soit dehors à cette heure-ci, en hiver. Personne ne viendra me déranger, et je me sens bien mieux ici.



❁❀❁❀❁



J’ai fini par retrouver mon chemin pour regagner notre appartement de centre-ville. A cette heure-ci, il est vide. Nous avons beau vivre à quatre dans ce petit 60 mètres carré, c’est à peine si je croise les autres en semaine. Je rentre toujours tard le soir, Charlie vit la nuit, jonglant entre musicien dans une boîte de nuit proche d’ici et scénariste amateur, Astrid s’enferme dans sa chambre pour finir ses travaux universitaires, restant parfois avec ses amis internes, et ma sœur…elle préfère rester dormir chez sa petite amie, mais elle paye quand même sa part du loyer. Je ne comprends toujours pas pourquoi elle ne s’est pas décidée à quitter notre taudis minable, mais c’est son choix.

« -Il est quatre heures du matin. »

La voix vient du canapé, installé au milieu du salon. On appuie sur l’interrupteur, et la lumière du néon vient éclairer le sommet des cheveux verts et noirs d’Astrid. Assise face à la télé éteinte, elle lit un roman, une paire de lunettes noires surmontant son nez, son chat se frottant contre sa jambe. Apparemment, pour une fois, elle a fini de travailler dans les temps.

« -Tu ne devrais pas être couchée ? »

Elle referme subitement son livre et le pose sur la table, retirant par la même occasion ses lunettes qui rejoint la couverture sur la table basse.

Ses cheveux puis le reste de son corps finissent par m’apparaître depuis l’autre côté du sofa, et elle en fait le tour pour venir se placer face à moi. C’est déstabilisant, mais elle est presque aussi grande que moi. La plupart des gens sont surpris par la couleur non-naturelle de ses mèches, mais j’ai fini par m’habituer à leur vert printemps comme si c’était tout ce qu’il y avait de plus normal. Ses yeux bleus gris me fixent durement, et m’apparaissent bien plus froids que d’habitude. Deux cernes noirs commencent à paraître sous ses cils encore maquillés. Elle m’a attendu.

« -Tu es censé aller bosser dans moins de quatre heures, commence-t-elle, sèche.
-Toi aussi. »

Je ne sais pas où elle veut en venir. Quoi qu’il en soit, je ne suis pas d’humeur à me disputer avec quelqu’un, encore moins à cette heure-ci. L’inspiration n’est toujours pas venue, il est temps pour moi d’aller dormir. Et que mon travail aille se faire voir si j’arrive en retard. Tôt ou tard, je me barrerais de cette agence maudite pour faire ce que j’ai toujours eu envie de faire. Je ne vais tout de même pas rester coincé derrière un bureau, entouré de photos de l’Australie et de Paris, sans être capable d’y aller ?

« -Ta sœur s’inquiète pour toi, Alexander. »

Quand Astrid prononce mon prénom en entier, ce n’est jamais bon signe.

« -Et bien si elle s’inquiète, elle n’a qu’à me le dire en face. J’ai plus cinq ans, je n’ai pas besoin d’une mère pour surveiller que je ne mets pas mes doigts dans une prise. Je vis très bien ma vie sans elle, et elle aussi. Que chacun continue de son côté. »

Je fais un pas en direction du couloir menant à ma chambre, mais le bras d’Astrid vient se placer en travers de ma route, butant contre ma poitrine. Elle se place de nouveau face à moi, ne me quittant toujours pas du regard.

« -Elle n’est pas la seule à s’inquiéter, tu sais. Moi aussi…et Charlie. On se demande ce qui t’arrive. Tu passes tes journées à t’ennuyer à ton boulot, tu rentres en même temps que moi et tu ressors deux minutes après, pour ne revenir qu’à minuit et plus, en plein milieu de la nuit. Tu t’es regardé dans un miroir dernièrement ? Tes cernes ne font que grossir, de plus en plus. Tu ne dors jamais, tu ne parles presque plus, on ne te voit presque plus. On se demande ce que tu deviens. »

Je passe une main sur mon visage, frottant mes yeux exténués pour réussir à voir distinctement la silhouette d’Astrid face à moi. La fatigue commence à m’emporter, et elle devrait savoir que si elle continue dans cette voie, je vais finir par me mettre en colère. Elle m’agace déjà.

« - Ecoute, ce n’est pas l’heure pour parler de ça.
- Oui, ce n’est pas l’heure Alex, tu as tout à fait raison. Mais, je ne sais pas si tu as remarqué, c’est la seule à laquelle on peut se voir. Je serais incapable de t’attendre ici chaque soir jusqu’à ce que tu me dises ce qu’il ne va pas. »

Je connais Astrid depuis qu’elle a emménagé aux Etats-Unis, à Penthourne, soit depuis quatre ans, et je sais à quel point elle peut être déterminée lorsqu’elle veut quelque chose. Elle ne lâchera pas l’affaire et, à ma différence, elle peut s’autoriser une autre nuit blanche. Je ne me sens pas capable de tenir encore une nuit les yeux ouverts, mais la perspective d’avoir une dispute avec une amie ne m’enchante pas beaucoup plus.

« -Tu veux savoir ce qu’il ne va pas ? Actuellement, je suis sur les nerfs. J’en ai marre de passer ma journée dans un bureau, j’en ai marre de ne pas trouver d’inspiration, tu vois ça ? Lui déclaré-je en tendant le carnet que je venais tout juste de commencer à remplir vingt minutes avant de rentrer. C’est tout ce que j’ai trouvé de mieux à faire depuis un an. Remplir un fichu carnet, encore un. Avec rien dedans, le vide. Les mêmes mots, les mêmes dessins, en boucle. Ma vie est une routine, je n’en fais rien. J’ai vingt-deux ans, et je ne fous rien ! Je vous vois vous épanouir, toi dans le dessin, Charlie dans la musique, ma sœur dans le sport, et moi, je suis où ? Nulle part. Je ne fais rien, je suis coincé. Et ça me fous les boules. Alors maintenant, tu vas te pousser de mon chemin et tu vas me laisser aller dormir, faut que je continue ma vie mortellement chiante tandis que vous vous éclatez dans les vôtres. »

J’avais tout dit d’une traite, sans respirer, et la surprise s’était affichée petit à petit sur le visage de ma colocataire. Son regard s’était adouci, et il n’y avait plus eu que de l’étonnement, et un autre sentiment que je déteste : la pitié. Au moins, elle s’écarte de mon chemin et ne dit plus un mot. Tant mieux. Cette conversation m’a épuisé et m’a mis de mauvaise humeur. Qui plus est, me connaissant, je le serais encore demain matin, et la journée risque d’être longue…

Ma chambre m’apparaît toujours aussi morne, d’autant plus à cette heure-ci. Si celle d’Astrid est recouverte de ses multiples et merveilleux dessins et peintures, celle de Charlie de posters de musiciens inconnus et de paquets de chips, et celle de ma sœur des photos des athlètes qu’elle admire et des voyages qu’elle fait grâce aux championnats, la mienne est vide et respire la mort. Les murs sont gris, ternes, vides. Le sol est propre, impersonnel. Tout est rangé à sa place, en ordre, et rien ne dépasse. C’est comme un dortoir militaire à un lit, sans aucune trace d’une quelconque personnalité.
Seule fantaisie de ma part, mon étagère, sur laquelle j’entasse des carnets vides. Même après que toutes leurs pages se soient remplies, je les trouve aussi vide d’âme. Je me souviens d’une époque où mon imagination florissait à chaque coin de rue, parfois même sans que je n’aie besoin de sortir. Je voyais toutes les images, les sons, les odeurs, les objets devant moi, d’un simple battement de cils. Mes dessins respiraient la vie, le mouvement. Maintenant, c’est à peine s’ils apparaissent finis, trop brouillons pour être montrer à qui que ce soit. Quant à l’écriture, j’avais bien tenté d’écrire un prologue, sans aucun succès. Mon style était désastreux, bien trop enfantin, l’histoire complètement inintéressante. Ce n’était pas l’Alexander passionné qui avait toujours une idée de roman chaque semaine, et qui ne savait jamais par laquelle commencer, que tous disaient être doué dès qu’il s’amusait à aligner des mots.

Mais je crois bien que ce qu’il y a de plus triste dans ma chambre, c’est ma guitare et mon ukulélé, qui, lentement mais sûrement, prennent la poussière, désespérés de ne plus jouer aucun accord depuis des siècles. J’ai essayé de me remettre à la composition. Mais rien n’y fait, rien ne vient. Les mélodies ne sonnent pas comme elles sonnaient autrefois. Alexandria m’a bien encouragé, m’a dit de continuer dans cette voie, que l’inspiration viendrait avec le temps, mais j’ai abandonné, comme le reste. Ma sœur s’est elle-même essayée au ukulélé, alors qu’elle n’en n’avait jamais joué, simplement pour me démontrer que j’avais du talent et que je ne devais pas le gâcher ainsi. Sauf que c’est ainsi, je n’avais plus foi en ma voix, ni en mes doigts, et ses essais de piètre débutante ne changeraient pas ma vision des choses.

Epuisé, j’étais tombé sur mon lit, encore habillé, et m’étais tout de suite endormi. Le sommeil prenant le dessus, je ne me suis même pas mis sous les draps, malgré les températures encore un peu fraîches de cette fin d’hiver.



❁❀❁❀❁



Il est 8 heures 30.

Je n’ai pas entendu mon réveil.

L’agence ouvre dans moins de quarante-cinq minutes.

C’est bien ma veine. A vingt-deux ans, je suis toujours incapable de me réveiller à l’heure pour aller bosser.
Je suis certain que si elle avait été là ce matin, ma sœur aurait énormément rit en me voyant courir dans tout l’appartement à la recherche de mes vêtements et d’un bol propre pour pouvoir manger un minimum de céréales. Etrangement, Charlie semblait moins amusé par mes allers-retours incessants dans le couloir, à en entendre ses grognements. Je crois bien qu’il s’est même levé à un moment, emmitouflé dans ses draps, pour me lancer une de ses merveilleuses insultes qui n’ont aucun sens. Ce matin, il me semble que c’est « espère de thermomètre à bigorneau, va plutôt faire chier les escargots » mais je ne suis pas certain, je fouille dans mon armoire à la recherche d’un caleçon. Ce dont je suis sûr, c’est que ça rime.

Bien entendu, comme si cela ne suffisait pas d’avoir dû me presser et me préparer en deux fois moins de temps que d’habitude, le bus est coincé dans les embouteillages. Contrairement à 90% des habitants de Penthourne, je prends encore le bus pour aller travailler, ce qui revient presque à faire du covoiturage tant nous sommes nombreux à bord du véhicule : deux pauvres grand-mères qui discutent entre elles, une adolescente qui joue à Piano Tiles au volume maximal, accompagnée de son petit frère qui tient absolument à tester tous les sièges de l’autobus. Autour de nous, les dizaines de milliers d’habitants de la ville font vrombir le moteur de leur 4x4, jouant à qui a la plus grosse automobile, n’ayant rien de mieux à faire en attendant que le bouchon se décante.

Je regarde ma montre en permanence, m’attendant à voir l’heure fatidique s’afficher. Par la fenêtre, j’observe les immeubles dans le lointain, qui semble s’éloigner à mesure que le temps défile. Si l’on continue à ce rythme-là, je n’y serais jamais dans dix minutes, et, connaissant mon patron, l’excuse des embouteillages ne plairait pas trop, sachant que ce n’est pas la première fois que j’arrive en retard. Il ne me reste plus qu’une solution pour réussir à être à l’heure, et ce n’est pas forcément la meilleure des choses à faire.

A l’instant même où les portes se sont ouvertes à l’arrêt suivant, je saute de la plateforme, prends une grande inspiration et cours. Je file sur le trottoir, faisant de mon mieux pour réussir à avoir les feux lorsque j’arrive au croisement entre deux blocs d’immeubles. J’ai pris l’habitude de courir avec ma sœur, qui s’amusait à me traîner au stade le samedi matin, ne me laissant rentrer que lorsque j’avais effectué au moins une vingtaine de tour de stade au pas de course, et je peux enfin apprécier ses grasses matinées bousillées pour la terre battue du stade de Penthourne : je cours vite, évitant les passants, me faisant parfois klaxonner au carrefour, sentant le vent dans mes cheveux. J’arriverais en sueur, mais à l’heure, c’est déjà ça.

Dix minutes plus tard, en nage et essoufflé, je pousse la porte de notre agence de voyage, sous le regard d’encouragement de mon collègue Peter, et légèrement courroucé de Mr. Lexington. L’air de rien, alors que je sais mon dos et mes aisselles trempés, je pose mes affaires et me dirige vers les toilettes pour me rafraîchir le visage.

Cela risque d’être encore une très longue journée.






❁❀ Chapitre 2 ❀❁
Dernière modification par Springbloom le mer. 30 janv., 2019 7:12 pm, modifié 1 fois.
Chlawee

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Re: ❁❀ Le Chant des Arbres ❀❁ Chapitre 1 [Contemporain]

Message par Chlawee »

Salut ! Désolée de ne pas être venue lire ton histoire plus tôt...
Eh bah ! Je ne peux que dire Wahou face à ton écriture ! Elle est super ! Tu arrive parfaitement à retranscrire les choses, j'ai été prise dans l'histoire dès le prologue.
J'ai hâte d'en savoir plus sur ce qui est arrivé à Alexander au début, et de lire la suite !
De plus, les colocataires ont l'air tops ! :)

Tu peux me prévenir pour la suite ? :D
Florance

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Re: ❁❀ Le Chant des Arbres ❀❁ Chapitre 1 [Contemporain]

Message par Florance »

Ta présentation est incroyablement belle.
Je suis en adulation totale face à cette couverture. Si magnifique... Elle donne envie de s'y perdre. Ce beau titre de lumière qui se cache dans une forêt enchanteresse...
Comment ton ami(e) a réalisé un tel chef d'œuvre... Je le veux en poster !

Je dois aussi avoue que les battements de cœurs qui reviennent de temps en temps m'ont plus d'une fois fais sursauter.

Et enfin la protagoniste ton histoire. Je préfère les histoire avec un peu plus d'action donc j'ai un peu du me forcer compte tenu du titre, mais malgré cela, je trouve que c'est bien écrit. On rentre assez bien dans l'histoire et on comprend bien les personnages. Les amis qui s'inquiète et le je qui ne le supporte presque jamais. Pauvre sollicitude et fraternité qui est ignore par l'individualisme. C'est d'autant plus triste que je viens de répondre avec une certaine dose d'agacement à ma mère qui m'appelle inlassablement le soir pour manger.
ShadowKnight

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Re: ❁❀ Le Chant des Arbres ❀❁ Chapitre 1 [Contemporain]

Message par ShadowKnight »

Salut. Je suis peut être un trop d'histoires mais malgré cela je ne m'empêche pas de jeter un coup d’œil à la tienne. Franchement, la couverture est sublime et le résumé en tout point, m'a donner envie de découvrir ton récit même si c'est pas mon genre habituel. Tout ça pour dire que je laisserais un avis quand j'aurai un peu plus le temps.
yonyon

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Re: ❁❀ Le Chant des Arbres ❀❁ Chapitre 1 [Contemporain]

Message par yonyon »

Salut,
Je viens lire ton histoire et j'avoue qu'ayant bien aimé Dark Knight, ça fait plaisir de te voir revenir avec une nouvelle histoire ;)
Le 1er chapitre est prenant et j’attends avec impatience la suite pour pouvoir me plonger dans cet univers.
Merci de m'avoir contacté :D
Tu peux m'ajouter dans la liste des lecteurs ?
Salut :*
Springbloom

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Re: ❁❀ Le Chant des Arbres ❀❁ Chapitre 1 [Contemporain]

Message par Springbloom »

Chloe38200 a écrit :Salut ! Désolée de ne pas être venue lire ton histoire plus tôt...
Eh bah ! Je ne peux que dire Wahou face à ton écriture ! Elle est super ! Tu arrive parfaitement à retranscrire les choses, j'ai été prise dans l'histoire dès le prologue.
J'ai hâte d'en savoir plus sur ce qui est arrivé à Alexander au début, et de lire la suite !
De plus, les colocataires ont l'air tops ! :)

Tu peux me prévenir pour la suite ? :D
Merci pour ton avis, je te tiens au courant pour la suite (et j'ai déjà commencé à jeter un oeil à ton historie, je poursuivrai un autre jour quand j'aurai plus de temps
Florance a écrit :Ta présentation est incroyablement belle.
Je suis en adulation totale face à cette couverture. Si magnifique... Elle donne envie de s'y perdre. Ce beau titre de lumière qui se cache dans une forêt enchanteresse...
Comment ton ami(e) a réalisé un tel chef d'œuvre... Je le veux en poster !

Je dois aussi avoue que les battements de cœurs qui reviennent de temps en temps m'ont plus d'une fois fais sursauter.

Et enfin la protagoniste ton histoire. Je préfère les histoire avec un peu plus d'action donc j'ai un peu du me forcer compte tenu du titre, mais malgré cela, je trouve que c'est bien écrit. On rentre assez bien dans l'histoire et on comprend bien les personnages. Les amis qui s'inquiète et le je qui ne le supporte presque jamais. Pauvre sollicitude et fraternité qui est ignore par l'individualisme. C'est d'autant plus triste que je viens de répondre avec une certaine dose d'agacement à ma mère qui m'appelle inlassablement le soir pour manger.
Ne dis pas ce genre de chose, elle prendrait la grosse tête :lol: (J'avoue qu'elle est magnifique, ce n'est pas la plus belle qu'elle est fait sur cover shop mais elle est magnifique, bien que mieux que celle que j'avais fait moi-même sur mon petit téléphone)

Les battements de coeur qui reviennent ? Je dois dire que je ne sais pas de quoi tu parles ^^'

Effectivement, si tu aimes les histoires avec de l'action, celle-ci n'en contient pas énormément, c'est vraiment extrêmement posé et elle se concentre presque essentiellement sur la psychologie des personnages, parce que, dans la vraie vie, on passe pas notre temps à sauter d'aventures en aventures, il y a juste des moments où...bah, pas grand chose. Bon ça veut pas dire qu'Alex va se morfondre pendant tout le récit non plus, il se passe quand même quelque chose, mais je comprendrais que tu décroches ^^

ShadowKnight a écrit :Salut. Je suis peut être un trop d'histoires mais malgré cela je ne m'empêche pas de jeter un coup d’œil à la tienne. Franchement, la couverture est sublime et le résumé en tout point, m'a donner envie de découvrir ton récit même si c'est pas mon genre habituel. Tout ça pour dire que je laisserais un avis quand j'aurai un peu plus le temps.
A la revoyure, alors, en espérant qu'elle te plaise ^^ en attendant pour ne pas polluer ton mur, je ne vais pas t'ajouter à la liste de lecture (ça ferait un peu forceuse, quand même)
yonyon a écrit :Salut,
Je viens lire ton histoire et j'avoue qu'ayant bien aimé Dark Knight, ça fait plaisir de te voir revenir avec une nouvelle histoire ;)
Le 1er chapitre est prenant et j’attends avec impatience la suite pour pouvoir me plonger dans cet univers.
Merci de m'avoir contacté :D
Tu peux m'ajouter dans la liste des lecteurs ?
Salut :*
Haha, je n'ai jamais réellement arrêté d'écrire, je ne sais pas pourquoi tout le monde à cette impression là. J'espère néanmoins que tu auras l'occasion de voir que je me suis améliorée depuis Dark Night et, bien sûr, je t'ajoute à la liste de lecteurs ^^
ShadowKnight

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Re: ❁❀ Le Chant des Arbres ❀❁ Chapitre 1 [Contemporain]

Message par ShadowKnight »

Salut. Alors, je trouvais que ton prologue allait un peu trop vite et il manquait de descriptions malgré si on savait ce que tu voulais décrire. Par contre, ton premier chapitre n'est pas lassant et j'ai adoré le choix de la première personne. Et puis ces ces mots sont poétique dans ta première partie. Je trouve que c'est fluide et c'est joliment écrit. De plus, il a un sacré caractère notre héros aussi. Seulement, c'est peut être mon ressenti mais même si tu as précisé que le personnage regardait les paysages aux alentours , ça va vite. On devrait s'imprégner plus lentement de ce qui passe dans l'action. Prendre le temps de découvrir la ville et se poser dans l'histoire. Parce que ici j'ai trouvé que les actions s’enchaînaient l'une derrière l'autre et qu'on se précipite. Comme je disais c'était pas mon genre d'histoire, pourtant ce n'a m'a déplu et les idées sont cohérentes. Je note enfin une certaine maturité dans ta plume.
Disons que j'attends de voir la suite.
Springbloom

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Re: ❁❀ Le Chant des Arbres ❀❁ Chapitre 2 [Contemporain]

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Chapitre 2
Un Renard Végétal

♪♫





Les clients s’enchainent dans l’agence au fil de la journée. Un homme veut préparer une surprise à sa femme en l’emmenant aux Seychelles, un jeune couple souhaite organiser son voyage de noces en Europe, une famille désire partir une semaine aux Bahamas. Mes doigts tapent sur le clavier, recherchent les hôtels, les vols, les activités et les transports pour chacun, respectant les contraintes de chaque client. Je soupire souvent. Les photos des différents sites me donnent envie de voyager. D’aller moi aussi en Europe, de voir Big Ben, la tour de Pise et Prague. Ces lieux me font rêver depuis que je suis enfant. Je me souviens que dès mon plus jeune âge, j’aimais regarder les émissions documentaires sur le monde, celles qui n’intéressaient personne. Je pouvais rester des heures à en regarder, à retenir chacun de ces paysages que je ne pourrais jamais voir en vrai, parce qu’en avions pas les moyens.

Peut-être qu’au fond, c’était cette envie perpétuelle de voyage qui m’avait fait venir ici, dans l’agence de voyage de Mr. Lexington, plutôt que d’accepter le travail que mes parents m’avaient proposé dans l’industrie de textiles de mon oncle (et aussi accessoirement le fait que l’industrie se trouve dans un trou perdu du Montana, ce qui ne m’avait pas réellement donné envie d’aller séjourner avec les vaches. Je préfère de loin Penthourne.)

Régulièrement, le téléphone de Peter sonne, suivi la plupart du temps par un bruit de clavier ou d’un crayon qui griffonne un papier. Le reste du temps, il ne prend aucune note et discute juste au téléphone. Deux à trois fois par jour, durant trente à soixante minutes. Je ne dirais rien, mais je me doute bien qu’il n’y a pas que des clients qui l’appellent. Depuis quelques temps déjà, ces petits manèges ont commencé. Je ne fais comme si je n’entendais pas la conversation, mais je surprends parfois quelques messes basses. Étrangement, dès que le dirigeant passe dans le bureau, le ton de sa voix augmente, parlant de budgets ou de vol avec escale. Une fois, désirant me rendre utile, j’avais même décroché son téléphone pour prendre ses appels, et j’étais tombé sur une certaine Theresa qui ne semblait pas vraiment s’intéresser aux monuments parisiens.

Je connais Peter depuis bientôt trois ans. Nous n’entretenons que des relations de travail, mais je n’irais rien dire. Après tout, peut-être que cela pourrait me servir un jour, où je ferais une énorme bourde. Je ne suis pas du genre à faire du chantage. L’idée même me répugne. Mais, si ça peut servir à le remplacer pour les repérages sur place, je n’irais réellement pas dire non…Mes rêves d’espaces prendront le dessus sur mes relations avec autrui.

Et puis, vu le genre de relation que j’entretiens avec les autres…

Astrid est partie tôt ce matin, en claquant la porte. Elle a dû croiser Charlie qui rentrait, car je fus le seul à grogner. J’ai toujours du mal à comprendre pourquoi elle s’est mise en colère contre moi hier. Je ne lui ai rien fait. Mes problèmes sont les miens et je ne souhaite pas les partager avec les autres. Elle est déjà bien trop occupée avec ses multiples travaux à réaliser contre la montre pour se préoccuper d’un adulte encore adolescent qui n’arrive pas à trouver l’inspiration pour réaliser des œuvres médiocres. Cette inquiétude ne lui ressemble pas. Elle prétendait faire passer un message de la part de ma sœur, mais ce n’est pas son style de ne rien dire en face. Et si ma sœur s’inquiétait vraiment, elle serait là. Elle ne le dit pas, mais je sais très bien qu’elle avait emménagé dans notre appartement pour garder sur un œil sur moi. Depuis mon accident, elle s’était mise en tête de faire médecine pour pouvoir me soigner à tout moment. Malheureusement, le sort en a décidé autrement et sa carrière d’athlète avait pris une ampleur inespérée. De toute manière, je n’aurais pas supporté d’avoir une mère poule pour vérifier que je n’avais rien de cassé chaque matin.

Décidément, le comportement d’Astrid m’intrigue. Et au vu de la fin de la discussion d’hier soir, je me doute bien qu’elle n’en a pas fini. Je suis certaine qu’elle se prépare à abattre ses cartes, et je n’ai pas envie qu’elle vienne me donner des conseils et qu’elle me rassure comme le faisait Alexandria en me promettant que « L’inspiration vient toute seule, avec le temps, quand elle le souhaite. Elle viendra, ne t’en fais pas. » J’attends qu’elle vienne depuis bientôt cinq ans. Elle ne viendra pas. Mais je besoin de le faire comprendre à Astrid, et je n’ai pas forcément envie que Charlie soit au courant de notre différend.

  • Alexander à Astrid : 11h07
    Je suis désolé pour hier soir. Ou pour tôt ce matin, peu importe. J’aimerais m’excuser. Tu accepterais de déjeuner avec moi ce midi ?


Astrid n’en croirait pas un mot. Elle sait bien que je suis rancunier, et je sais bien qu’elle n’est pas stupide pour croire que je vais venir m’excuser. Peu de gens arrivent à le croire, mais derrière ses cheveux verts, mon amie possède une cervelle bien fournie pour ce qui est des rapports sociaux (pas comme moi). Dans tous les cas, bien que mon message sonne faux, sa réponse fut rapide. J’en déduis qu’elle était en cours de géographie, celui qui l’intéressait le moins, car elle dit qu’avec moi pour ami, elle a déjà une carte du monde.

  • Astrid à Alexander : 11h11
    J’accepterais tes excuses uniquement si tu m’emmènes à « Chez Laurent ». Si c’est pour m’emmener dans un de tes vieux Taco Bell, c’est non.

    Astrid à Alexander : 11h12
    Et passe me chercher aussi, je fini dans cinquante minutes (tire moi vite du cours de M. Bakeman, j’en peux plus, je sens que je vais crever)


Cinquante minutes plus tard, je me retrouve devant l’université, parmi les dizaines de voitures qui attendent sur le parking. Les milliers de jeunes qui ne sont pas de l’internat débarquent alors, récupérant leur voiture ou montant dans celles de leurs proches, traversant le parking comme une masse informe. Je n’essaie même pas de retrouver le visage d’Astrid parmi eux tous. J’aurais pu être parmi eux. J’aurais pu moi aussi avoir à rendre des devoirs chaque semaine, j’aurais pu faire carrière à leurs côtés, traverser ce campus tous les matins. J’aurais pu, si je n’avais pas eu ce fichu accident une semaine avant les épreuves. Je sais que j’avais révisé, que j’avais les capacités à être accepté avec une bourse pour mes résultats. Mais après mon hospitalisation, il n’y avait plus rien eu. Mes notes avaient été désastreuses, et mes parents avaient laissés passer presque toutes leurs économies dans ma guérison, l’assurance ne couvrant pas tous les frais.

Alors j’observe ces visages, qui auraient pu être ceux de mes amis, ces visages qui auraient pu être ceux des ennemis, de mes futurs collègues. Cette fille qui aurait pu être ma petite amie, ce garçon qui aurait pu être mon meilleur ami. Et qui finalement ne seront rien, que des étrangers. Que d’autres êtres humains. Comme tous ceux que je vois défiler devant moi chaque matin. D’autres visages dont on se force à retenir les traits alors qu’on ne les reverra jamais et qu’ils s’entassent dans l’esprit. Ils ont tous l’air tellement heureux, tellement souriant et insouciant. Comme si tout ce qu’il se passait autour d’eux leur était invisible. L’une d’entre elle, une blonde avec un casque vissé sur ses oreilles, percute même ma voiture, trop obnubilée par son carnet de dessin pour se rendre compte qu’une Chevrolet se trouve devant elle.

Fort heureusement, l’arrivée un peu brusque d’Astrid – elle est entrée dans ma voiture sans même que je m’en rende compte – me change les idées.

Elle ne dit pas un mot de tout le trajet, se contentant d’observer le paysage par la fenêtre, tout en tapant du pied sur le rythme de la musique électro que diffuse la radio. J’ai beau savoir que le cours de M. Bakeman n’est pas spécialement intéressant, elle ne semble pas beaucoup plus enchantée d’être assise à moins de deux mètres de moi. Son visage est fermé, dur.

Elle est aussi rancunière que moi.

Et elle s’inquiète pour moi.

Je ne sais pas quoi en penser.

Je stoppe la voiture après avoir réussi à trouver une place. Dès que mes manœuvres sont terminées, Astrid baisse sa vitre et sort son briquet pour allumer une clope.

« -Tu devrais arrêter. Je n’ai pas envie que tu finisses dans un lit d’hôpital à quarante ans à cause d’un cancer des poumons.
-Je n’ai pas envie que tu passes ta vie à te languir sur ton sort. Tu ferais mieux de te trouver une passion.
-T’es pas ma sœur.
-T’es pas mon père, petit con. »

Elle sort de la voiture, claque la portière et s’assoit sur un muret, tirant une taffe de sa roulée. Je pousse un soupir avant de couper le contact. Ça risque d’être long. Très long. Je ne sais même pas pourquoi j’ai eu cette idée. Je me passe les mains sur le visage, comme si elles pouvaient faire partir ma colère contre elle, avant de sortir de la voiture. Astrid ne me lance pas un regard, et fixe le bout de la rue, déserte.

« -Je n’ai pas eu de places pour Chez Laurent.
-Je le savais. Ce n’est pas du tout le quartier. On ne peut pas te faire confiance, hein ?
-Tu sais aussi bien que moi que je n’aurais pu y avoir ne serait-ce qu’une place en réservant une heure à l’avance.
-Dommage, excuse non acceptée. »

Elle écrase son mégot par terre. Pourquoi est-elle aussi chiante, nom de Dieu ?

« -Trouve-toi une passion. »

Toujours cette même phrase. Comme si c’était la solution. Sauf que ça ne marche pas comme ça, aussi facilement. Alexandria a essayé de m’en trouver. Matthew, mon grand-frère, a essayé, bien avant elle. Mes parents aussi, m’ont fait tester différents loisirs. Je n’accroche rien, c’est aussi simple que ça. J’aimerais me raccrocher à quelque chose, mais quand je vois une feuille blanche, c’est le blackout total dans ma tête.

« -Non. La vie ne marche pas comme ça.
-Mais qu’est ce qui ne va pas avec toi ? Tu as des amis, un boulot, une maison, un salaire potable. Tu peux vivre ta vie, peut-être même t’en faire une autre, te barrer d’ici ! Pourquoi est-ce que tu ne quittes pas Penthourne ? Qu’est-ce que tu trouves à cette ville ? Elle pue le désespoir. Même tes parents se sont barrés. Tout le monde est parti, sauf toi.
-Ma sœur est là. Toi aussi. Charlie aussi.
-Ta sœur reste ici parce que tu es là. Pour Charlie et moi, on reste pour les études, mais on sait tous les deux qu’on partira dès qu’on les aura finies. Cette ville sent la mort. Il y a au moins un suicide par mois, voire plus. Pourquoi est-ce que tu restes, Alex ? Dis-moi franchement, qu’est-ce qui te retiens ici ? »

Elle me met sur les nerfs. Est-ce que je viens me mêler de sa vie ?

« -Qu’est-ce que ça peut te faire ? Lui craché-je au visage. »

La vérité, c’est que je n’en sais rien. Je suis né et j’ai toujours vécu ici, mais je suis d’accord avec elle sur le fait que j’ai toujours voulu voyager et quitter Penthourne. Et pourtant je reste ici. Je sais bien que ce n’est pas une histoire de nostalgie enfantine, mais je n’arrive pas à mettre le doigt sur la vérité. L’inspiration se cache ici, et il est hors de question que je quitte la petite ville lacustre du Michigan avant de l’avoir retrouvée.

« -Ce que ça peut me faire ? Alexander Stephen Bronx, qu’est-ce que ça peut me faire ? Tu oses sérieusement me poser cette question ? Tu le sais pertinemment.
-Réexplique le moi, je suis un petit con, après tout, la cité-je, énervé, d’autant plus par le fait qu’elle avait prononcé mon nom en entier, ce que je détestais au plus haut point.
-Tu es mon ami Alex. Je ne te connais depuis peu de temps, mais je ne t’en connais pas qui date d’avant notre rencontre. Alors oui, je m’inquiète je me demande ce qu’il ne va pas, pourquoi tu es devenu comme ça, pourquoi tu sembles si seul et personne n’est capable de me donner des explications autres que ton accident. Mais on sait tous aussi bien les uns que les autres que ton accident ne t’a causé aucun traumatisme, aussi bien physique que psychologique, alors ce n’est pas ça. Et tu n’as pas plu d’explications à donner. Tu ne fais que rester seul, à te morfondre dans ton coin, tournant en rond dans l’appartement, ou disparaissant je ne sais où au beau milieu de la soirée pour ne rentrer qu’au milieu de la nuit. Et je m’inquiète pour toi, autant que les autres, parce que je te voir devenir un zombie sous mes yeux, le genre de personne que tu refusais de devenir : un humain qui fonctionne. Et tu as une âme d’artiste au fond de toi, et je ne sais pas ce qui t’empêche d’agir. Lorsque je t’ai connu, j’ai bien vu que tu allais mal, et avec Charlie, on avait tous les deux l’impression qu’on t’aiderait à aller mieux. Ça a marché durant un temps, et puis te revoilà, déambulant. Alors peux-tu répondre simplement à cette question : qu’est ce qui te retient ici ? »

Elle a raison, toutes ces choses, je le sais. Elle les a dites d’une traite, aussi vite que je les aie pensées. Mais voilà le problème : je n’ai pas de réponse à lui donner. Et cette conversation m’énerve, je suis sur les nerfs.

« -Tu veux savoir la vérité ? Je n’en sais rien. Je n’en ai aucune idée. Ça te va ? Tu vas me foutre la paix maintenant ?
-Si rien ne te retient, alors pars ! Je ne supporterais pas de voir un légume s’avachir sur le canapé tous les soirs en se plaignant de sa vie nulle sans rien faire pour y changer !
-Tu veux que je parte ? Très bien, je pars. Et démerde-toi pour manger et retourner en cours. »

Sur ses derniers mots, prononcés avec autant de violence et d’acidité que je pouvais en donner, je me retourne et commence à marcher, la laissant en plan au milieu de la rue, sur le trottoir, son mégot à peine écrasé fumant encore au-dessus de la chaussée.

De toutes manières, je n’avais pas faim.




❁❀❁❀❁




Je marche sans but. J’erre, à gauche, puis à droite, en suivant les lampadaires, encore éteints en ce début d’après-midi. Je ne retournerais pas à mon poste, et tant pis si mon patron le prend mal. Je ne suis pas d’humeur à parler du Costa Rica avec les riches des beaux quartiers où je me perds actuellement, alors qu’ils reviennent à peine de leur voyage aux Maldives. J’en ai assez de voir ces gens se pavaner avec leur million par an, j’en ai assez que ma sœur passe son temps chez sa petite amie plutôt qu’avec moi, j’en ai assez que mon frère soit à New York, j’en ai assez de ne pas avoir d’inspiration, j’en ai marre de tout.

De colère, je donne un grand coup dans une poubelle, qui se trouve être un peu plus remplie que je ne le pensais. Mon pied crie à l’aide suite au choc, et je me prends le mollet, sautillant comme un imbécile au milieu de la rue déserte.
C’est la particularité des quartiers aisés : leurs habitants sont abonnés-absents. Trop occupés en voyage d’affaires ou en voyage de loisirs pour rentrer se reposer dans leur immense demeure, aux jardins luxuriants et bâtisses resplendissantes. Quant à leurs enfants, il est évident qu’ils auront les meilleures études qu’ils soient, et que ce n’est pas à Penthourne (malgré la réputation de l’université) qu’ils iront faire leurs études supérieures, mais à Harvard, Oxford ou Cambridge. La vue de ses maisons n’apaise en rien mes nerfs à vif, et j’accélère le pas, bien que mon pied me rappelle à chacun d’entre eux qu’il faut réfléchir avant de taper n’importe où.

J’ai l’impression que la rue n’en finit jamais. Chaque fois, c’est les mêmes immenses barrières pointues avec des dorures, les mêmes haies infranchissables qui cachent des palaces presque abandonnés par leurs propriétaires.

Cet excès de richesses s’arrête enfin j’atteins l’orée de la forêt, qui marque la fin du quartier opulent de Penthourne, mais aussi la frontière de la ville : la forêt de Huron est classée au patrimoine national, il est donc envisageable de la raser ; la ville ne s’étend que par le nord.

Je n’ai pas mis les pieds dans la forêt depuis des années. La première excuse qui me viendrait à l’esprit est que je n’ai pas de temps. Ce qui est complètement faux, puisque je n’ai que ça. La seconde qui me vient en tête est plus réaliste : c’est ici qu’il y a bientôt cinq ans, j’ai eu mon accident, suite à une portion de forêt qui a été incendié. L’origine de l’incendie demeure inconnue, mais ce qui est certain, c’est que mes parents ne souhaitaient pas que je retourne ici. Ils craignaient trop que j’ai à nouveau un accident, d’autant plus qu’on ne capte rien entre ces arbres. Ici, nous sommes coupés du monde, à l’abri de tous les regards.

Le sourire aux lèvres, je décide de retourner dans la forêt. Cet air de pin mêlé à celui des sapins et des hêtres m’avaient bien trop manqué.

La terre prend la forme de mes pieds derrière moi : il a plu récemment. Les dernières neiges de Mars qui ont fondues, certainement. Pourtant, il est amusant de voir qu’il y a encore des feuilles d’automne qui traînent par terre, un peu partout, de toutes les couleurs, autour des racines, parfois encore accrochées aux branches, filtrant la lumière froide du soleil. L’air est plus pur ici, loin de la pollution permanente de Penthourne. Je sens mes poumons revivre, et j’accélère le pas, désirant m’enfoncer le plus possible entre les arbres.

Les feuilles et les brindilles craquent sous mes pieds. Un petit oiseau solitaire chante là-haut, caché quelque part, bientôt rejoint par une dizaine de ses compagnons, qui entament un petit air joyeux, dont j’essaie de suivre le rythme le mieux que je peux tout en marchant. Lorsque celui-ci prend de la vitesse, je trébuche bien malgré moi contre une racine un peu plus haute que les autres et je m’effondre de tout mon long sur le sol. Ma tête percute la mousse, faisant vibrer ma boîte crânienne.

Ça m’apprendra à marcher en dehors des sentiers prévus à cet effet.

Je me relève et tente d’enlever un maximum de terre de mes vêtements en les secouant. Une feuille morte s’est accrochée à mes cheveux, sans que je comprenne comment vu leur longueur extrêmement élevée. Les oiseaux ont arrêté de chanter, mais un autre phénomène surprenant m’attend. Face à moi, sur le tronc du chêne, un énorme graffiti a été peint avec une bombe orange. J’aurais pu croire à une indication d’un chemin de randonné si la peinture ne représentait pas un renard grandeur nature (et si je n’étais pas aussi loin du sentier originel).

Intrigué, je m’approche, vérifiant cette fois-ci qu’aucune racine ne gêne mon passage. Je glisse ma main sur le museau du renard, encore frais. La peinture est récente. Celui ou celle qui l’a fait, en plus d’avoir du talent pour qu’il ait l’air aussi réaliste, doit encore être dans les parages.

Je lance des regards à la ronde, en quête d’une personne. Je n’ai pourtant entendu personne d’autres autour de moi, c’est étrange…J’observe le sol, à la recherche d’une trace quelconque de passage. J’en aperçois alors une, et je bondis pour mieux l’examiner.

Elle est effectivement récente, encore bien marquée. A en juger par la taille, je penche plutôt pour une pointure d’homme. En relevant la tête, je n’en vois pas d’autres, comme si l’individu s’était volatilisé dans les airs, ou en s’accrochant aux branches. A moins qu’il n’ait marché sur les racines apparentes, ce qui signifierait qu’aucune trace n’aurait été laissé dans la terre.

Me prenant pour le mystérieux tagueur, je m’amuse à marcher uniquement sur les racines des différents arbres, mes pieds dérapant sur l’écorce humide. Je saute entre chacune d’entre elles comme les enfants sautent dans les flaques d’eau après la pluie. Je manque de tomber plusieurs fois et un sourire s’affiche sur mon visage quand je retrouve l’équilibre. Je n’ai aucune idée d’où je vais, et je ne vois toujours pas de traces de pas, trop obnubilé par mes pieds qui jouent entre les arbres. Jusqu’à ce qu’une branche me frappe en plein front et que je tombe par terre, rompant le silence de la forêt.
Décidément, je ne sais plus marcher.

Je me relève, mon pantalon maculé par la boue, bon pour un aller simple vers la machine à laver. Je passe ma main sur mon front, vérifiant que je ne saigne pas. Apparemment non, mais je ne peux m’empêcher de lancer un regard noir à la branche qui vient de m’agresser, qui, si elle avait des yeux, me regarderait certainement d’un œil moqueur.
Rebaissant les yeux, je les aperçois alors par terre, comme surgies de nulle part. Les unes à la suite des autres, des dizaines de traces de pas ont été laissées dans le sol, et je m’empresse de les suivre, arrêtant mon jeu enfantin, ma curiosité de nouveau piquée à vif.

Les pas n’en finissent pas. Je ne sais pas qui a fait la peinture sur l’arbre, mais il marche vite, et il est endurant. En y repensant, je serais incapable de retrouver où se trouvait le mystérieux chêne portant l’œuvre sur son tronc. Le renard avait presque l’air vivant…

La luminosité augmente alors, et j’arrive dans une clairière, de taille moyenne, vivement éclairée par le soleil de fin d’après-midi. J’ai marché longtemps, plus que je ne le pensais, et je me demande comment je ferais pour rentrer chez moi à temps ce soir. D’autant plus que, vu la couleur actuelle du ciel, la nuit ne tardera pas à tomber, et je n’ai pas forcément envie de m’égarer dans les bois. Qui sait quelles bestioles pourraient s’y trouver ? Très peu pour moi. Le jour, je sais où je mets mes pieds, mais la nuit, ça me fait froid dans le dos.

Mon regard revenant vers la clairière, je m’aperçois alors qu’un arbre isolé des autres s’y trouve, imposant par sa taille tout autant que par son tronc. M’approchant du mastodonte, j’entrevois alors, posée au niveau de ces racines, une échelle de corde, menant vers la cime de l’arbre. Serait-ce ici que se trouve le mystérieux artiste de la forêt ?

Maintenant que je suis sur le point de rencontrer cet étrange inconnu, un sentiment d’inquiétude me traverse. Qui cela peut-il bien être ? Vivrait-il ici ? Comment se nourrirait-il dans ce cas-là ? Des dizaines de questions me traversent l’esprit, me faisant reculer d’un pas lorsque j’en avance de deux. J’essaie de les chasser, car elles me rendent hésitant, mais c’est bien difficile de chasser la curiosité qui vous habite.

Durant presque une dizaine de minutes, je reste au milieu de la clairière, à découvert, partagé entre deux choix : gagner le tronc et monter à l’échelle, ou partir au plus vite de cet endroit pour rentrer à Penthourne, en terrain connu. Soit la curiosité, parce que je me connais, et, lorsque je n’ai pas de réponses à mes questions, mille interrogations envahissent mon esprit, soit la raison, qui m’éviterait de passer la nuit dehors, et qui me permettrait de pouvoir enfin peut-être recoller les morceaux avec mes trois colocataires.

Je suis certain que s’il ou elle est en haut, dans les branches de l’arbre, il doit bien rire en voyant un pauvre jeune homme qui fait des pas en avant et en arrière depuis autant de temps.

Un jour, Blaise Pascal a dit « Le cœur a ses raisons que la raison ignore. » Il semblerait que dans ce genre de situation, le cœur soit la curiosité et que je ne parviendrais pas à résister à la tentation de grimper à l’échelle de corde pour savoir.

A grandes enjambées, je m’approche du tronc de l’arbre, empoigne l’échelle à pleines mains et entreprends de grimper, bien que l’échelle de corde n’aide pas à l’ascension.

Lorsque, essoufflé, j’atteins le dernier barreau, je m’aperçois qu’il faut encore que j’escalade plusieurs grosses branches avant de parvenir à une sorte de plancher. Je me hisse de branches en branches, comme un singe, et atteins enfin ledit-plancher. Devant moi se dresse une petite cabane, recouverte d’une sorte de rideau de camouflage, qui la rend invisible depuis le sol (malheureusement l’échelle gâche un peu l’invisibilité de la cabane).

Prenant une grande inspiration, je pousse la porte de la cabane, me demandant ce que je vais y trouver.

Rien.

Elle est vide.

Sans aucune raison précise, j’explose littéralement de rire, rompant le silence pesant qui régnait dans la clairière depuis bientôt une demi-heure. La pièce est vide. J’ai perdu mon temps. Personne ne viendra aujourd’hui.

Le jour décline. Bravo Alex, tu vas devoir dormir ici.






❁❀ Chapitre 3 ❀❁
Dernière modification par Springbloom le dim. 14 avr., 2019 10:11 pm, modifié 1 fois.
Chlawee

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Re: ❁❀ Le Chant des Arbres ❀❁ Chapitre 1 [Contemporain]

Message par Chlawee »

Je sens que les colocs vont être inquiets... :lol:

Bon deuxième chapitre ! Je ne sais pas trop où on va, mais ton écriture est superbe et on est vite happé par l'histoire. Les descriptions sont très bien faites, aussi. :D

J'ai envie que le héros aille mieux. En tout cas, tu retranscris très bien toutes ses émotions !

Hâte de lire la suite ! :)
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Re: ❁❀ Le Chant des Arbres ❀❁ Chapitre 2 [Contemporain]

Message par Florance »

J'ai adoré. On commence dans notre monde bien à nous puis on se dirige petit à petit dans un monde un peu fantastique. A moins je la citadine que je suis est impressionnée dès qu'un bout de forêt montre le bout de son nez. Le tout guide par ton écriture qui me retient sans que je comprenne comment.je suis désolée d'avoir pris autant de temps pour venir ton chapitre. La prochaine fois, j'espère arriver plus tôt. Même si comme ça j'ai moins d'attente pour le chapitre suivant.
Pas mal de mystère pour la suite n'empêche.
À la fin je ne sais vraiment pas si j'envie ou pas le narrateur.
C'est quoi cet accident à la fin clairement lié à la fuite de l'inspiration ou au moins indirectement.
Pourquoi un renard et pas un lapin, un écureuil, un cerf ou une chouette ? Réponse : pourquoi pas, je sais.
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Re: ❁❀ Le Chant des Arbres ❀❁ Chapitre 2 [Contemporain]

Message par Springbloom »

Chloe38200 a écrit :Je sens que les colocs vont être inquiets... :lol:

Bon deuxième chapitre ! Je ne sais pas trop où on va, mais ton écriture est superbe et on est vite happé par l'histoire. Les descriptions sont très bien faites, aussi. :D

J'ai envie que le héros aille mieux. En tout cas, tu retranscris très bien toutes ses émotions !

Hâte de lire la suite ! :)
Mais non, il ne faut pas penser immédiatement comme ça x)

Il est vrai que, et je m'en rends bien compte, dans la plupart de mes histoires, la phase "d'introduction" est souvent très...mystérieuse et puis souvent on ne sait pas vraiment lorsqu'elle s'achève. (Je réalise que ce que je viens de dire n'est pas réellement positif pour mes écrits, on a l'impression que je dis "mais si, continue de lire, tu verras, les 200 premières pages sont chiantes, mais après c'est bien !")

C'est gentil de ta part de vouloir le bonheur de quelqu'un :lol:

Florance a écrit :J'ai adoré. On commence dans notre monde bien à nous puis on se dirige petit à petit dans un monde un peu fantastique. A moins je la citadine que je suis est impressionnée dès qu'un bout de forêt montre le bout de son nez. Le tout guide par ton écriture qui me retient sans que je comprenne comment.je suis désolée d'avoir pris autant de temps pour venir ton chapitre. La prochaine fois, j'espère arriver plus tôt. Même si comme ça j'ai moins d'attente pour le chapitre suivant.
Pas mal de mystère pour la suite n'empêche.
À la fin je ne sais vraiment pas si j'envie ou pas le narrateur.
C'est quoi cet accident à la fin clairement lié à la fuite de l'inspiration ou au moins indirectement.
Pourquoi un renard et pas un lapin, un écureuil, un cerf ou une chouette ? Réponse : pourquoi pas, je sais.
D'ores et déjà, je préfère te prévenir que si le fantastique est d'une certaine manière présent, on reste dans le monde réel. Ne t'attends pas à ce que soudainement Alex bascule dans le pays des Merveilles.

Sans exagération, je te remercie énormément de cette remarque. Etant moi aussi citadine (parisienne, même) de naissance, j'éprouve une fascination pour la forêt sans faille, et je voulais faire ressentir cette même fascination pour cet amas d'arbres et de verdures par le biais d'Alexander, savoir que ça fonctionne, c'est une forme d'accomplissement pour moi ^^ J'aime tant le vert *-*

Tu n'as pas à t'excuser pour prendre ton tempos pour venir lire, ce n'est qu'un passe-temps dans ta journée, recevoir mon message ne t'engage en rien.

Je ne vois pas en quoi devoir dormir seul au milieu de la forêt par des températures négatives est un problème ^^ Quant à ta seconde question, vis-à-vis de l'accident, je ne peux y répondre pour le moment, au risque de dévoiler une grande partie de l'intrigue. Ce que je peux en dire, c'est qu'il s'agit d'un feu de forêt, celui mentionné dans le prologue, mais qui a eu lieu presque 4 ans plus tôt.

En vrai, j'avais un raison claire d'avoir choisi un renard plutôt qu'un autre animal, mais je crois bien que, depuis le temps, j'ai oublié pourquoi. Du coup, on va garder ta réponse ^^


Le Chapitre 3 sera posté ce week-end
Springbloom

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Re: ❁❀ Le Chant des Arbres ❀❁ Chapitre 3 [Contemporain]

Message par Springbloom »

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Chapitre 3
Ryan

♪♫






Le chant des oiseaux emplit la pièce, et mes paupières se soulèvent. Je grelotte, frigorifié. J’ai à peine dormi de la nuit, simplement recouvert de mon manteau, mais c’était déjà mieux que mes nuits de deux heures chez moi. Mon ventre crie famine, je n’ai pas mangé depuis hier matin, et il me le fait violement savoir. Je ne capte pas de réseau, et mon téléphone est complètement déchargé. L’imbécile que je suis n’a même pas pensé à l’éteindre durant la nuit : je n’aurais pas de GPS, ni de secours à prévenir en cas de besoin.

La luminosité dans la cabane est plus forte qu’hier soir. Sous ce nouvel éclairage, c’est comme si je la redécouvrais. Le bois est lisse, les planches ont été achetées déjà prédécoupées mais, d’après les lignes de coupes, on les a retravaillées. Ce refuge semble avoir été battis par une seule et unique personne, ce qui représente un travail titanesque. Celui ou celle (même si l’hypothèse d’une fille me parait moins plausible) qui l’a construite doit être doué, et, en plus, il doit beaucoup y tenir. Je me sens un peu comme un intrus ici, mais il semblerait qu’il ou elle ne soit pas venu depuis un certain temps, vu le tas de poussière sur lequel j’ai dormi cette nuit.

Sur le mur face à moi, des douzaines de punaises sont plantées dans le bois, certaines ne soutenant rien, d’autre portant des dessins. Intrigué, je me redresse et m’approche de la première feuille A4, sur laquelle un paysage sauvage a été dessiné au crayon, dans lequel deux chevaux galopent. Dans le lointain, une grande montagne solitaire apparaît. Le dessin ne porte pas de couleurs, mais leur absence ne m’empêche pas d’être subjugué par le réalisme et la vie qui émanent de la feuille.
Curieux, je me dirige vers la feuille suivante, ayant du mal à décrocher mon regard du premier dessin. Le second représente un homme assis sur un banc dans un parc, sa guitare posée à ses côtés, contemplant la ville à ses pieds. Contrairement au précédent, qui rappelait un peu le film Spirit par son côté sauvage et très vif, comme s’il s’agissait d’une photo prise sur l’instant, celui-ci dégage une certaine sérénité, un grand calme apaisant. Les détails sont moins marqués que sur le précédent, comme si son auteur ne voulait pas que l’on puisse identifier l’homme assis sur le banc ou la ville en contrebas.

Un bruit surprenant m’attire alors par la fenêtre, rompant ma contemplation des dessins, et je me dirige vers la petite ouverture pour voir d’où il provient. D’ici, la vue sur la forêt est imprenable. Le vent berce l’herbe verte de la clairière au gré de son envie. Un petit ruisseau la traverse de part en part, attirant à lui les petits animaux ayant le courage de se risquer au découvert. J’aperçois même une biche filer rapidement au loin, cachée entre les arbres. Au-delà de la cime des arbres, la surface bleue lisse du lac Huron resplendit sous les premiers rayons du soleil, brillant en bleu et blanc. Un sourire s’étire sur mon visage. On n’aurait pu choisir un meilleur endroit pour s’installer. Je rêverais d’avoir une vue comme celle-ci le matin en me levant, plutôt que sur l’immeuble d’en face, à moitié délabré, où certaines fenêtres sont condamnées et où les autres laissent échapper des cris de disputes. Ici, tout est tellement calme, tellement apaisant que je pourrais presque y passer ma journée si je n’avais pas à travailler.

Ma montre m’indique qu’il est bientôt six heures. J’ai un peu plus de trois heures pour retrouver mon chemin, je ferais mieux de partir maintenant. Pourtant, mon œil ne peut quitter le vert si pur de la clairière ni même de ces dessins, tous plus beaux les uns que les autres. Mais, à mieux y regarder, on peut voir trois traits différents, comme si tous les dessins qui étaient affichés venaient de trois personnes différentes, ce que je confirme en apercevant, dans le coin de plusieurs dessins, trois signatures opposées. J’étais persuadé qu’une seule personne venait ici, mais il semblerait qu’en réalité, ils soient plusieurs. Peut-être une fratrie d’enfants ?

L’heure tourne, et bien que j’aimerais comprendre, il faut que j’y aille. A contrecœur, je glisse entre les branches et redescends l’échelle. D’après ce que j’ai pu observer depuis le feuillage du chêne, une route d’état passe à environ un ou deux miles vers l’est. J’y serais dans une demi-heure : il ne restera plus qu’à croiser les doigts en espérant que quelqu’un y passera et acceptera de me prendre en stop.

D’un bon pas, je commence à marcher, filant entre les ombres des hêtres qui bordent le chemin inexistant que je suis en train de me tracer. Alors que je n’ai fait qu’une douzaine de yards et que j’aperçois encore la clairière dans mon dos, je ramasse quelques pierres, les semant comme un Petit Poucet sur mon chemin. L’orientation étant une qualité un peu joueuse avec moi, je préfère m’assurer d’avoir des repères.

Le temps s’écoule, et je suis incapable de dire depuis combien de minutes j’ai quitté la cabane. Le soleil joue à cache-cache entre les arbres qui retrouvent petit à petit leurs feuilles, et la route ne m’apparaît toujours pas. Si seulement j’avais pensé à éteindre mon téléphone pour ne pas user toute la batterie… (Ou simplement à ne pas m’enfoncer dans une forêt)

Les feuillages sont plus silencieux qu’hier. J’entends à peine les oiseaux. Même le vent s’est tu. De temps en temps, il y a un léger bruissement entre les branches, comme une course entre des écureuils, puis le silence revient.

« I know what you think in the morning, when the sun shines on the ground. »

Les paroles s’échappent comme un murmure de mes lèvres, les franchissant difficilement. Ce n’est ni du chant, ni un monologue, c’est un mélange entre les deux. Je n’ai plus chanté depuis des années, et ces simples paroles qui parviennent à prendre leur envol dans l’air sonnent comme un renouveau pour mes oreilles. Ma voix me semble si faible par rapport à ce qu’elle fut autre fois. Elle n’a plus travaillé, plus rien vécu depuis tout ce temps. On dirait presque qu’elle est brisée, abîmée par le temps, inaudible. Pourtant, je ne peux m’empêcher de continuer de chanter les paroles, d’abord comme un chuchotement, puis de plus en plus fort, faisant vibrer mes cordes vocales, comme le sol vibre lorsque les basses résonnent dans une salle de concert. Je poursuis ma course, chantant presque de cette voix grave qui est désormais la mienne.

« We’ve turned our hands to guns, trade in our thumbs for ammunition. »

Je ne sais pas pourquoi j’ai subitement eu envie de chanter. C’est venu comme on a envie de manger sucré ou de boire un verre. D’un claquement de doigt. Comme avant. Comme lorsque l’inspiration surgissait de nulle part, que j’arrivais à m’exprimer. Un sentiment étrange me parcoure le corps, me traversant jusqu’au bout des ongles. Je me sens détendu, apaisé. Mes pas, autrefois rapides et droits, presque militaires, commencent à suivre un rythme inconnu. En plein milieu de cette forêt, alors que les arbres sont silencieux, un homme, entre adolescence et âge adulte, danse en tournant en rond, au son d’une musique que seul lui entend. Je saute dans une flaque de neige fondue, éclaboussant le bas de mon pantalon, donne un coup dans un tas de feuilles mortes, les faisant voler dans les airs.

Je me sens bien. Pour la première fois depuis des siècles il me semble, je sens mes lèvres s’étirer en un sourire, un franc sourire. Pas celui que je me force à faire quand ma sœur me demande si je ne me suis pas ennuyé au travail aujourd’hui. Pas celui que je mime quand mes parents passent me voir, comme chaque mois, en demandant des nouvelles. Non, ce sourire, celui qui traverse mon visage de part en part, c’est celui que j’avais lorsque j’étais enfant, insouciant, que tout allait encore bien dans ma vie et que j’étais complètement insouciant et inconscient de ce qu’était la vie. Le sourire que j’avais quand je sortais du bus scolaire et que je sentais l’odeur des pancakes que me faisais ma mère, le sourire de fierté que j’avais après avoir réussi pour la première à finir les 20 tours du stade sans m’écrouler de fatigue. Ce mouvement de lèvres si simple et que je croyais avoir oublié à jamais.

Le vrombissement d’une voiture me sort de ma rêverie, et j’arrête mes pirouettes pour apercevoir la route, à quelques mètres de moi, et un camion filer à toute allure en direction du sud. Je parcours les derniers mètres qui me séparent de la frontière de la forêt et atteins finalement la route. Au loin, j’arrive encore à voir la semi-remorque rouler à toute allure sur le bitume. Aucun autre véhicule à l’horizon, peu importe le sens. Je vais devoir marcher, et mon euphorie vient de me quitter. C’est l’esprit vide que je reprends mon chemin, longeant le bas-côté de cette route d’état apparemment peu empruntée à cette heure matinale.

J’ai dû parcourir presque un kilomètre lorsque j’entends la première voiture s’approcher. Je fais aussitôt volte-face et lève mon pouce, espérant que le conducteur soit bienveillant et accepte de me prendre dans son 4x4 GMC. Croisant les doigts dans mon dos, je vois l’énorme automobile rouler à toute vitesse sur cette route où personne ne viendra la contrôler. J’ai presque l’impression qu’elle accélère, mais elle se décide enfin à freiner à ma hauteur. Je profite de cette chance et me dirige vers le véhicule, retrouvant ce sourire forcé que je connais si bien, pour faire bonne impression. Jouer la comédie est ce que je sais faire de mieux, après tout.

Arrivé à la hauteur de la place passagère, on ouvre la portière et j’aperçois le conducteur, un jeune homme qui doit avoir à peu près le même âge que moi. La première caractéristique physique qui me saute aux yeux est ses cheveux, blancs comme la neige. J’ai d’abord cru à un albinos, tant son visage était pâle, avant de comprendre que ce n’était qu’une simple teinture, ses racines brunes renaissant sous ses mèches nuageuses. Mon regard croise le sien, chaleureux, semblable à la couleur du ciel tant ses yeux sont clairs. Il porte un ample sweat-shirt gris, qui lui fait paraître aussi sec que moi.

« Où souhaitez-vous aller ?
-Je veux juste rejoindre la ville. Déposez-moi au premier arrêt de bus que vous trouverez. »




❁❀❁❀❁




Quelques minutes plus tard, les premières habitations de la ville se font voir, ainsi que les premières voitures, de plus en plus nombreuses. Bientôt, nous nous retrouvons coincés dans les embouteillages quotidiens des matinées de Penthourne.

Durant tout le trajet, mon voisin a été silencieux, ne quittant pas des yeux la route, les mains crispées sur son volant. Il semble nerveux et les traits de son visage sont tirés. Même ainsi son visage apparaît doux, net, sans défaut. Ses traits sont si fins qu’il pourrait être mannequin.

Maintenant que nous sommes à l’arrêt, la pression de ses phalanges sur le volant se relâche. Il semble plus détendu.

« Je sais que ça peut paraître bizarre de commencer une conversation ainsi », débute-t-il, « mais qu’est-ce que tu faisais aussi loin de Penthourne, au bord de la forêt ? Ne me dis pas que tu es parti enterrer un cadavre, je n’ai pas envie d’être complice d’un meurtre...»

A ces mots, je ne peux m’empêcher de pouffer d’un petit rire moqueur. Ce gars androgyne manque cruellement de tact. Moi, un meurtrier planquant des cadavres et repartant du lieu du crime en faisant de l’autostop ? On dirait le début d’un scénario de polar à vingt cents. Le genre de film qu’on aimait bien se regarder avec Matthew et Alexandria, en cachette, quand nous parents nous pensaient en train de dormir. Un bon vieux nanar à la Jennifer’s Body, avec un synopsis et des acteurs oscarisés de génie.

« Non, je me suis juste perdu. »

Un silence s’installe, et mon voisin, dont j’ignore toujours le nom, éclate d’un grand rire.

« Je m’appelle Ryan.
-Alexander. Ravi de faire ta connaissance. »

Bizarrement, pour une fois, je ne le sens pas comme une simple formule de politesse. Je suis réellement content de rencontrer quelqu’un, une nouvelle personne qui ignore qui je suis et qui, de toutes manières, doit s’en ficher. Quelqu’un qui n’est pas comme ma famille, ultra-protectrice depuis l’accident, ou comme Astrid, à toujours vouloir que tout aille bien, ou comme Charlie, qui ne se rend même pas compte de ce qui se passe autour de lui.

Ça fait juste du bien de rencontrer quelqu’un, quelqu’un qui est.

Il est encore tôt, à peine sept heures trente. Je ne suis pas certain d’avoir le temps d’avoir le temps de passer chez moi pour me changer, mais il le faut absolument, je ne peux pas revenir au travail dans une tenue aussi sale. Je n’ose pas demander à mon chauffeur, ça ne se fait pas, et puis il est déjà bien aimable d’avoir accepté de me prendre dans sa voiture alors que je sortais de nulle part.

« Je te dépose ici. »

Je quitte Ryan, qui repart aussi vite qu’il était apparu.

Et puis soudain, ça me revient en tête. J’ai toujours des vêtements de rechange dans ma voiture, fourrés au fond de mon sac de sport. Je préfère toujours en avoir sur moi, ne sachant jamais quand ma sœur peut débarquer et m’obliger à aller faire des tours de stade. Alexandria est un peu imprévisible quand elle le souhaite.

Fort heureusement, les transports roulent mieux aujourd’hui que la veille. Une demi-heure plus tard, je retrouve ma voiture. J’ai une soudaine pensée pour Astrid, que j’ai (légèrement) abandonnée ici, sans aucun moyen direct pour regagner l’Université ou l’appartement. Je m’en veux un peu, d’autant plus que ça a dû la mettre en rogne. Elle a tendance à un peu taper sur tout ce qui lui passe sous la main quand ça lui arrive, et je n’ai pas forcément envie que ça retombe sur Charlie. Il n’a rien à voir avec cette histoire.

Ayant finalement réussi à retrouver les clés de ma voiture, je pars pour le travail, évitant soigneusement la rocade, bien que le centre-ville soit un énorme labyrinthe. L’agence est encore fermée à cette heure-ci, et je remercie Mr. Lexington d’avoir accepté de me donner un double des clés, bien que je n’aie encore jamais eu l’occasion de m’en servir depuis leur obtention.

Mon sac de sport sur le dos, je déverrouille la porte et accélère le pas en direction des toilettes pour me changer. Une fois cela fait, je me dirige vers la fontaine à eau. J’ai si soif que je serais capable de la vider entièrement, mais je sais de source sûre - coucou maman ! - que boire trop n’étanche pas la soif. Par petites gorgées, je bois dans mon gobelet en plastique, profitant de cette heure pour rattraper un peu de mon retard de la veille. Qui sait peut-être que, pour la première fois de ma vie, je pourrais faire bonne impression à mon supérieur ?

Une heure plus tard, lorsque Peter arrive à son tour dans le bureau, il semble si surpris de voir la porte déjà ouverte qu’il manque de crier au cambriolage, avant de m’apercevoir, tranquillement assis derrière mon ordinateur, tapotant sur mon clavier.

« Qu’est-ce que tu fais ici ?
-Je travaille ici, vois-tu, fis-je d’un petit ton moqueur. Maintenant que tu es là, j’aimerais bien que tu gardes l’agence le temps que j’aille m’acheter à manger, j’ai légèrement faim. »

Je quitte la pièce tandis qu’il reste immobile sur le pas de la porte. Est-ce si étonnant que je sois ponctuel ?

Je reviens quelques minutes plus tard du Dunkin’ Donuts du coin de la rue, des donuts et un chocolat chaud pour moi et mon collègue dans les bras. Peter semble toujours nager autant dans l’incompréhension en me voyant entrer mais, lorsqu’il aperçoit l’encas que je lui ai pris, il a l’air de toute de suite mieux comprendre, étrangement.

Mr. Lexington arrive quelques minutes plus tard, et semble tout aussi surpris de me voir déjà là.

« J’ai rattrapé mon travail manqué d’hier. Je suis désolé de ne pas vous avoir prévenu, je n’étais pas bien. Je tenais à m’excuser. »

Mon supérieur ne répond rien, se contente d’hocher la tête et d’aller dans son bureau, claquant la porte. Je jurerais avoir vu une lumière s’allumer dans ses yeux. Est-ce si étonnant que je sois à l’heure et que je paraisse travailleur ? Maintenant que j’y pense, c’est vrai que je n’ai jamais montré beaucoup d’intérêt pour mon travail : souvent en retard, travail suffisant, sans plus ni moins. Je ne fais que le strict, certes, mais, au moins, je le fais, c’est déjà ça.

Quelques heures plus tard, contrairement à mon habitude, je rentre en voiture, évitant du mieux que je peux les embouteillages. Je n'ai pas vraiment envie de sentir tous les gaz toxiques qui y traînent.

Mais toutes ces fumées nocives ne sont rien face au regard que me lance Astrid lorsque je pénètre dans notre appartement. Même Charlie, qui est d'habitude absent à cette heure-ci, m'attend de pied ferme sur le canapé. La tension va encore monter et, cette fois-ci, il serait peut-être temps que l'on mette réellement fin à ce discours de sourds.

« Où étais-tu hier soir ? Commence Astrid, la voix perçante.
-En quoi ça t’intéresse ? Tu ne demandes pas à Charlie où il passe ses journées.
-Là n'est pas le sujet, Alex. On aimerait savoir ce qui t'arrives. »

Je n'ai pas vu Charlie depuis des semaines, du moins, pas plus longtemps que cinq minutes, et j'ai l'impression de redécouvrir sa voix, extrêmement grave, qui colle difficilement avec son physique d'afro-américain adolescent en pleine croissance. Sa peau noire porte encore la trace récente de sa dernière crise d'acné, et sa taille, à mi-chemin entre enfant et adulte, n'aide pas à savoir qu'il aura bientôt vingt-trois ans. Seule sa barbe pourrait donner un indice sur son âge. Physiquement, on dirait un adolescent tardif. En réalité, psychologiquement, c'est un enfant. Et pourtant, la plupart du temps, c'est le plus raisonné de nous trois.

« Et en quoi savoir où j'étais hier soir vous aidera ?
-Répond, ne joue pas au plus malin avec nous, réplique Charlie, qui s'est levé du canapé pour me faire face de son mètre soixante.
-Astrid m'a dit d'aller me faire voir ailleurs. Je suis allé voir ailleurs pour voir si elle pensait effectivement que ce serait mieux. Vu son inquiétude, je pense qu'elle me préfère à Penthourne.
-Certes, Alex, fait doucement Astrid, visiblement vexée par mes derniers mots. Je préfère que tu restes avec nous, mais je suis avant tout ton amie et je ne veux que ton bien. Et si ton bien n'est pas à Penthourne, tu es libre de partir. »

Dépitée, elle quitte le salon, et je t'entends la porte de sa chambre se fermer.

« Ta sœur revient s'installer à l'appartement demain soir. Je te souhaite bonne chance, à priori, elle souhaite avoir une discussion avec toi. Et vu le ton qu'elle avait au téléphone, elle ne semble pas aussi indulgente qu'Astrid », fait Charlie, avant de quitter la pièce et d'aller à son tour dans sa chambre.

Une fois mes « amis » partis, je m’effondre sur le canapé, fixant l’écran éteint de la télé, tentant d’y paraître à mon aise, comme si je pouvais faire bonne impression à mon reflet. Ma réflexion est sombre dans la pénombre de la pièce, presque floutée sur la surface noire face à moi.

Qu’ai-je fait pour en arriver là ? L’euphorie que j’avais ressentie ce matin me parait être un lointain souvenir du passé, tellement éloigné de moi qu’elle semblerait presque provenir d’un rêve. Désormais, assis dans mon salon, je me sens vide. Mon esprit, habituellement en continuel mouvement, s’est arrêté. Je n’ai aucune idée de ce qu’il pourrait améliorer mes relations avec Astrid et Charlie, faire en sorte que tout soit comme avant.

Mais la vérité, c’est que ce n’est pas ce qui m’importe actuellement. La seule chose qui m’intéresse, c’est la cabane de la forêt. Je veux savoir à qui elle appartient, qui a peint le renard dans la forêt, et qui sont les trois personnes à avoir réalisé les dessins accrochés aux murs. La curiosité me dévore.

En cet instant, je n’ai qu’une seule envie : y retourner immédiatement. Mais Astrid et Charlie ont raison sur un point : je dois aller dormir. Et demain, dès que j’aurais fini de m’occuper des voyages des familles Kingston et Lewis, je retournerais dans la forêt pour élucider ce mystère qui me trouble de plus en plus.






❁❀ Chapitre 4 ❀❁
Dernière modification par Springbloom le mar. 21 juil., 2020 1:58 pm, modifié 1 fois.
Chlawee

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Re: ❁❀ Le Chant des Arbres ❀❁ Chapitre 3 [Contemporain]

Message par Chlawee »

Un bon troisième chapitre ! :)
Je ne sais pas trop où on va encore, mais la cabane et les dessins sont très intriguants. J'ai envie de savoir qui les a fait. Du coup j'ai hâte de lire la suite ! :D
Ton écriture est toujours aussi belle et prenante !
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Re: ❁❀ Le Chant des Arbres ❀❁ Chapitre 3 [Contemporain]

Message par Florance »

Durant ces moment de pure euphorie, on se dit facilement que la vie est géniale en fin de compte. Mais durant les moment de laisser aller désabusés, on s'ennui quand même beaucoup.
Je crois que je parle plus de moi que de ton chapitre. Mais il y a un peu de l'idée.
Springbloom

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Re: ❁❀ Le Chant des Arbres ❀❁ Chapitre 3 [Contemporain]

Message par Springbloom »

Chloe38200 a écrit :Un bon troisième chapitre ! :)
Je ne sais pas trop où on va encore, mais la cabane et les dessins sont très intriguants. J'ai envie de savoir qui les a fait. Du coup j'ai hâte de lire la suite ! :D
Ton écriture est toujours aussi belle et prenante !
Florance a écrit :Durant ces moment de pure euphorie, on se dit facilement que la vie est géniale en fin de compte. Mais durant les moment de laisser aller désabusés, on s'ennui quand même beaucoup.
Je crois que je parle plus de moi que de ton chapitre. Mais il y a un peu de l'idée.
Merci toutes les deux pour vos commentaires, la suite arrive prochainement ^^
Springbloom

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Re: ❁❀ Le Chant des Arbres ❀❁ Chapitre 4 [Contemporain]

Message par Springbloom »

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Chapitre 4
Patrick ou le barbecue de Mars

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Après plusieurs manœuvres, je finis par stopper ma voiture, garée entre deux autres dont le prix doit être supérieur à mon salaire annuel. Face à moi se dressent les premiers arbres de la forêt, immobiles et silencieux. Parfois, le vent vient doucement souffler dans leurs branches, leur redonnant un soupçon de vie.

Cette fois-ci, j’ai préparé tout ce qu’il me fallait si jamais je me retrouvais encore à dormir dans la cabane. Mon sac à dos sur les épaules, chargé d’une batterie portable, d’un en-cas, d’eau, d’une couverture et d’une tenue de rechange, je quitte ma voiture et m’élance entre les végétaux qui dressent leur hauteur vers le ciel, obscurcissant le sentier.

Je marche d’un pas assuré, presque mécanique, rapide et régulier. Les journées ont beau s’allonger, la nuit vient recouvrir la Terre de son voile toujours aussi tôt, et j’aimerais bien atteindre la clairière avant le crépuscule. Si jamais quelqu’un s’y trouve réellement, il y a plus de chances qu’il y soit en plein jour, surtout en plein hiver.

Les oiseaux chantent toujours autant que la dernière fois, mais leurs sifflements me paraissent plus lointains. Comme s’ils avaient pris de la hauteur et qu’ils s’étaient éloignés. A moins qu’ils ne préfèrent ne pas s’approcher de trop près du sentier, ce en quoi je les comprends. Une atmosphère étrange s’échappe de ce chemin, bien trop de fois utilisé par des gens inconscients. Plus d’une fois, j’aperçois des détritus, laissés là par des promeneurs sans respect, que je m’empresse de ramasser. « La forêt de Huron fait partie du patrimoine national et doit rester un domaine protégé ». Parfois, la logique de certains américains me dépasse.

Il n’y a personne. Pas même la trace d’un quelconque passage. Comme si plus personnes ne passaient par ici depuis des années. Le sentier n’est presque pas emprunté, à en juger par les traces de pas absentes et les restes intacts de la dernière chute de neige. Seuls les détritus témoignent d’un passage. Je sais que nous sommes en semaine, mais je me rappelle que, lorsque j’étais adolescent, et que mes parents m’avaient – enfin – laissé un peu de liberté, je sautais sur la première occasion pour aller me promener dans la forêt. Les arbres me renvoyaient en écho mes chants, dressaient le décor de mes dessins, m’insufflaient l’inspiration pour mes écrits. A bien y réfléchir, je ne sais pourquoi je ne suis pas revenu ici plus tôt. Pourquoi j’ai attendu quatre ans avant de remettre les pieds dans mon théâtre de l’art.

Une odeur surprenante m’assaillit les narines, me sortant de mes pensées. Elle vient de ma droite, et me chatouille les cellules olfactives depuis une dizaine de secondes. Je sais que je la connais, mais je n’arrive pas à retrouver clairement l’endroit où je l’ai senti pour la dernière fois. Je m’arrête dans ma marche, paupières closes pour mieux me souvenir. La cuisine de mon ancienne maison, lorsque je vivais encore avec mes parents, la porte-fenêtre menant à la cour arrière, ouverte. La cour est bondée de membres de ma famille, plus ou moins connus, rassemblés sous une bannière en l’honneur du 4 juillet. Le ciel est chaud et bleu, sans nuages.

Nos barbecues annuels pour la fête nationale.

Ça sent le brûlé.

En temps normal, je n’aurais pas réagi. Je me serais dit qu’un restaurant à l’hygiène douteuse se trouvait dans le coin, et que je ferais mieux d’aller trouver un Taco Bell si je voulais manger quelque chose qui ne me rendrait pas malade pendant des jours. Je n’ai jamais aimé les barbecues, l’ambiance bien trop américaine qui venait prendre notre jardin durant cette journée, où tous les Bronx venaient à Penthourne, et où mes parents faisaient la guerre avec nos voisins pour savoir qui avait la meilleure décoration de jardin envers la patrie. Le barbecue empestait toute la journée et je n’avais pas le droit d’aller dans ma chambre pour dessiner, contraint de me coltiner mes cousins insupportables.

Sauf qu’ici, dans cette forêt déserte, cette odeur de barbecue a un sens totalement différent. Cela signifie qu’il y a quelqu’un d’autre. Et, au vu de la distance parcourue, j’approche de la clairière et personne ne s’enfonce aussi loin dans la forêt. Même adolescent, j’allais rarement aussi loin.

Cette odeur signifie donc que je touche au but : je vais enfin savoir à qui appartient la fameuse cabane de la forêt. Ma curiosité piquée à vif, je cours presque entre les arbres, quittant le sentier que je parcourais depuis plus de deux heures déjà.

Mon ventre crie famine tandis que je suis l’odeur du barbecue, comme si l’odeur de poitrine de porc pouvait maintenant m’intéresser. Mais lorsque j’atteins enfin la clairière, je me stoppe, pris de cours.

Devant moi se dresse une dizaine de tentes, alignées sur leurs différents espaces personnels. Une demi-douzaine d’enfants court entre chacune d’elles, les bras levés, s’échangeant un ballon en mousse verte. Emmitouflés dans leurs manteaux verts, un attroupement d’adultes qui doivent être leurs parents sont rassemblés autour de la seule source de chaleur, le barbecue, retournant la viande sur les braises. Alors que je suis toujours immobile, à moitié caché par les ombres des arbres, un homme sort de la tente, une douzaine de chapeaux verts plus étranges les uns que les autres, certains à plumes, d’autres décorés de fleurs ou de chopes de bière, et les dépose sur la tête de chacun de ses camarades, qui rient de bon cœur, tout en buvant de la bière.

Je n’ai même pas le temps de me poser des questions sur leur présence ici qu’un des petits me rentrent dedans, s’affalant de tout son long à mes pieds. Sa tignasse brune se secoue alors et il lève alors la tête pour observer mon visage, manquant presque de se tordre le cou. Il est tellement petit qu’il m’arrive à peine au genou.

-Sean, s’écrie un autre petit garçon, ses cheveux roux lui masquant le visage, manquant de le faire tomber à chaque enjambée. Oh ! Vous êtes qui Monsieur ? S’exclame-t-il quand il m’aperçoit.
-Vous voulez jouer avec nous Monsieur ?

Je ne peux même pas répondre qu’ils attrapent chacun une de mes mains dans leurs bras frêles et m’entraîne au milieu de leur camping, rejoindre les autres enfants. A peine ai-je le temps de comprendre ce qu’ils m’arrivent qu’une balle en mousse vient me frapper en plein torse. Surpris durant un instant, j’observe le visage des gosses qui me font face, attendant que je ramasse la balle qui gît par terre. Alors que je m’apprête à leur renvoyer avant de disparaître de nouveau entre les arbres, une jeune adolescente surgît de sa tente, lissant les plis de sa jupe noire et vérifiant l’état de ses tresses rousses.

-Je suis prête pour jouer avec vous, nous prévient-elle en se plaçant dans le cercle que nous avons formé. Mais, attends, t’es qui toi ? Qu’est-ce que tu foue là ?
-C’est le Monsieur de la forêt, Honora ! Il est arrivé et Sean il est tombé par terre ! fait le roux avec ses cheveux qui lui cache le tiers du visage.
-Mais je suis pas tombé Connor, dit pas de mensonges ! réplique Sean.

Les deux seules gamines du groupe, également toutes deux cheveux tressés, certainement jumelles tant elles se ressemblent, se mettent alors à pouffer, en se moquant du jeune Sean qui a chuté.

-C’est pas juste ! fait ce dernier, s’asseyant par terre en croisant les bras et affichant une moue boudeuse sur le visage.
-Sean, arrête de bouder. Keira, Freya, arrêtez de vous moquer, vous passez votre temps à glisser sur le plancher de la maison, lance la dénommée Honora à l’intention des deux jumelles. Et toi, finit-elle en frappant le haut de mon torse, je veux savoir ce que tu fais ici. Je t’ai jamais vu avec ma famille, ni la leur. Qui t’es ?

Je ne peux m’empêcher de sourire en voyant cette petite d’à peine douze ans tenter de me dominer de toute sa hauteur qui ne doit pas excéder les 1m40. Son visage affiche un air de défi, comme si elle était le chef de toute cette petite bande, et qu’elle voulait leur prouver qu’une jeune adulte de dix ans son ainé ne pouvait pas la troubler.

-Je suis à la recherche de quelqu’un, mais j’ignore qui.
-Comment tu peux chercher quelqu’un que tu ne connais pas ?
-C’est compliqué.
-C’est des problèmes d’adultes, ça, faut que tu demandes à mes parents. Ça doit être un problème de tête, comme ils disent. Je ne comprends pas toujours tout, mais ils sauront t’expliquer.

Tout en disant ces mots, elle me pousse vers le barbecue, où les parents, bien trop occupés à étudier le fond de leurs verres, ne m’ont toujours pas vu. Heureusement que personne ne souhaite enlever leurs gosses, je suis certain qu’ils ne se seraient aperçus de rien.

Parents de l’année.

-Ils se passent quoi ici exactement ? Et c’est quoi cette effusion de vert ?
-Mais t’es pas au courant ? C’est la Saint-Patrick ! D’où tu sors pour ne pas savoir ? T’es vraiment bizarre.
La Saint-Patrick ? Je comprends mieux alors, pourquoi les parents sont déjà soûls avant même le début du repas, pourquoi un fût de bière traîne dans un coin et pourquoi autant de vert est en train de m’exploser les yeux.
-Honora, t’es très gentille, mais il faut que j’y aille, tu m’excuseras.

Avant même que l’on ait atteint ses parents, je m’éclipse, filant entre les arbres, sans même me retourner. Il y a trop de gens là-bas, et ça me rend mal à l’aise. Et puis, ce n’est pas ici que je trouverais ce que je recherche.

En jetant un coup d’œil vers le ciel, j’aperçois les premières lueurs orangées le traverser. Le soleil se couche, la nuit va de nouveau bientôt tomber. La luminosité faiblarde ne m’aide pas à y voir très clair, et je manque plusieurs fois de trébucher à cause des trop nombreuses racines qui entravent mon chemin. Glissant une main dans mon sac à dos, j’en sors une lampe de poche, et éclaire le chemin inexistant devant moi. Mes pieds écrasent les feuilles, rompant le silence pesant dans l’air. Les oiseaux ne font plus un bruit, les nocturnes dormant encore, et les diurnes partant les rejoindre.

Entre deux mondes, jour et nuit, je continue de m’enfoncer entre les arbres. Tout est si calme, si paisible, que je me sens comme un intrus à cette frontière crépusculaire. Personne n’a sa place ici, dans ce bref instant, dans la forêt. Pas même les animaux qui l’habitent. Seul le silence devrait régner ici, au crépuscule, et rien d’autre. Eteignant ma lampe, je me stoppe au beau milieu de ma marche, les yeux tournés vers le ciel, se pâmant des milles couleurs qui lui vont si bien. Lentement, je laisse mes paupières se refermer, pour mieux apprécier la caresse du vent sur ma peau, contre ma chair, sa froideur hérissant mes poils, respirant cette odeur de conifères, bien loin du barbecue de tout à l’heure, tellement plus agréable.

J’ai cru toucher au but ce soir, je me suis trompé. Il n’y a apparemment personne dans cette forêt, si ce n’est des Irlandais assez étranges pour faire du camping en plein hiver alors qu’il pourrait neiger à tout moment. Mais au moins, je peux sentir cette incroyable paix m’emplir. Je me sens libre, caché, à l’abri entre les milliers de troncs d’arbres de la forêt d’Huron. Personne ne peut m’atteindre, personne ne peut me trouver. Pas d’Astrid pour me faire des remarques à longueur de temps. Pas d’Alexandria pour me forcer à courir des lieues autour d’un fichu stade et vérifier que je ne sois jamais blessé, comme si j’étais hémophile. Pas de Matthew, ni de Charlie, ce qui ne change pas de d’habitude. Ici, je suis celui que je veux être, et personne ne peut m’en empêcher.

-See the little faggot with the earring and the makeup. Yeah, buddy, that’s his own hair. That little faggot got his own jet airplane. That little faggot he’s a millionaire.

La voix provient de quelque part devant moi, dans le lointain, entre les arbres, qui portent encore pour certains les traces des dernières chutes de neige. Elle me tire immédiatement de ma méditation intérieure, me ramenant à la réalité. Quelqu’un d’autre se trouve dans la forêt et trouble son silence.

Un peu moins enjoué que plus tôt, je me dirige dans la direction du chant masculin, sans même accélérer. La curiosité est toujours présente, mais le désir de savoir s’est envolé en même temps que la bière dans les verres des Irlandais.

Plus je m’avance, plus les arbres semblent se resserrer, se rapprochant de moi. Peut-être une simple illusion dût à la nuit, mais ça n’a rien de rassurant. Ma lampe de poche éclaire les ténèbres d’une lumière jaunâtre, presque effrayante. Je n’ai aucune raison d’avoir peur, mais je frissonne. Sûrement le froid.

Au loin, quelque part dans l’ombre, on ne s’arrête pas de chantonner, et j’approche, reconnaissant une des chansons de Dire Straits. Le désir de vérité surpasse tout le reste, et je sache mes pensées négatives. Je n’ai pas de raison à craindre l’homme au bout de la voix – car, j’en suis certain, ce n’est pas la voix d’un enfant, elle est trop grave pour cela.
Soudain, les arbres laissent place au vide, et ma lampe n’éclaire plus que l’herbe verte sous mes pieds.

Je suis revenu dans la clairière de la cabane. Et la voix s’est tue. A l’autre bout de la clairière, éclairé par une lanterne, une silhouette encapuchonnée tient une guitare. Elle relève la tête dans ma direction, et, aussitôt qu’elle m’aperçoit, elle lâche la guitare, s’empare de la lanterne et s’enfuit à toutes jambes dans la direction opposée à la mienne. Abandonnant mon sac pour aller plus vite, je m’élance à sa suite, n’ayant pas fait tout cela pour rien.

Mes jambes se meuvent plus vite que je ne l’aurais cru après avoir raté mon repas du soir. Je file entre les arbres, entendant les respirations accentuées de l’inconnu devant moi et m’en servant comme d’un guide, en plus de la lanterne qui se secoue dans la pénombre. Malgré ma vitesse, il semblerait qu’il aille plus vite encore que moi, ce qui est surprenant, mais qui ne m’empêche pas d’arriver à le maintenir en vue.

Je n’ai jamais été très endurant, et, bien que rapide, je m’essouffle vite. Au bout de quelques minutes, la silhouette disparaît entre les arbres, comme par magie. Avec un soupir exaspéré, je fais demi-tour et regagne la clairière, ramassant mon sac, laissé à l’orée des arbres.

Une fois de plus, je vais devoir dormir dans la cabane. Ça fait déjà deux fois en trois jours. Mais au moins, cette fois-ci, je sais que le refuge dans les arbres n’est pas abandonné. Je récupère la guitare, glissant la hanse sur mon dos pour la monter jusqu’à la cabane, où, ô surprise, je découvre un sac de couchage, ainsi que du matériel à dessin et l’emballage d’un club sandwich dont il ne reste que des miettes.

Contrairement à l’avant-veille, je me sens presque comme un intrus surgit dans l’univers de quelqu’un. Si la dernière fois personne ne se trouvait ici, je sais désormais que l’on vient ici, et à priori, plutôt souvent. Je n’ai pas ma place dans ce lieu, mais la nuit est tombée, et un léger coup d’œil sur le ciel m’apprend qu’il ne tardera pas à pleuvoir (ou à neiger). Il me faut un toit pour la nuit, et c’est le seul que j’ai trouvé.

Mal à l’aise de m’incruster ainsi dans une propriété privée, je me glisse dans un coin, laissant le sac de couchage de côté et je m’enroule dans ma couverture. Peu après avoir mangé mon repas, je ferme les yeux et m’endors.




❁❀ Chapitre 5 ❀❁
Dernière modification par Springbloom le mar. 21 juil., 2020 1:57 pm, modifié 1 fois.
Springbloom

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Re: ❁❀ Le Chant des Arbres ❀❁ Chapitre 5 [Contemporain]

Message par Springbloom »

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Chapitre 5
Les Noms de Forêt

♪♫






Les oiseaux sifflotent autour de moi, et mes paupières papillonnent à cause de la luminosité soudaine qui vient saluer mes iris. Une nouvelle journée commence au milieu de la forêt de Huron. M’étirant, je fais craquer mes inexistants muscles dorsaux et m’aperçoit alors que quelque chose a changé dans la pièce. Le sac de couchage et replié dans un coin, l’emballage de club sandwich a disparu ainsi que le matériel de dessin et la guitare. Il est repassé pendant que je dormais. Je suis encore plus gêné d’avoir dormi chez lui. Si on peut appeler ça un « chez soi. »
Une odeur de bacons et d’œufs vient alors m’attaquer les narines, me réveillant complètement, me rappelant à quel point j’ai faim. Elle provient de la base du chêne dans lequel je suis perché. Je m’empresse de sortir de ma couverture pour aller voir, manquant presque de glisser sur les barreaux humides de l’échelle. La chute de neige de cette nuit n’a pas été longue et elle a déjà fondu : je plains les Irlandais.

Quelle n’est pas ma surprise une fois en bas, lorsque j’aperçois que je ne suis pas seul. Du moins, Alexander, réfléchit avec ton cerveau et non ton estomac : les œufs ne se cuisent pas tout seul, et encore moins le bacon.

Assis sur une des racines de l’arbre, tournant son petit déjeuner sur la grille de son réchaud de camping, se trouve le garçon que j’ai coursé hier soir, faisant tranquillement sa cuisine en écoutant The Offspring. Il a retiré sa capuche, mais porte une casquette, vissée à l’envers sur son crâne, d’où s’échappent quelques mèches brunes sauvages. Son visage est baissé, concentré sur son plat, et il met un certain temps avant de se rendre compte de ma présence et de relever la tête.
Ses yeux noisette viennent à ma rencontre, et il me lance un sourire, ses lèvres s’étirant le long de ses joues, faisant presque disparaître les iris de ses yeux légèrement bridés. Ses sourcils, aussi bruns que ses cheveux, renforcent son regard déjà sombre, qui rappelle un peu les teintes de l’arbre sur lequel il a élu domicile. Sa barbe est assez longue pour que j’en conclue que celui à qui je fais face a depuis longtemps fini sa puberté : il doit avoir à peu près mon âge.

- Merci de ne pas avoir pris mon sac de couchage, finit-il par dire, rompant notre échange visuel.

Il commence à retirer les différents aliments du grill, les plaçant dans deux assiettes en carton. Je reste silencieux, l’observant faire, me sentant étranger à cet homme. Je ne sais pas vraiment à quoi je m’attendais pour ce qui était du ou des propriétaire(s) de la cabane. Je n’y avais pas vraiment réfléchi, souhaitant plus savoir de qui il s’agissait plutôt que de qui c’était : enfant, adolescent, vieillard, femme, homme, riche, pauvre, étudiant, au chômage ou travaillant, peu m’importait. Mais je ne pensais pas me retrouver face à un garçon de mon âge, vêtu d’une veste noire au motif squelettique par-dessus un simple T-shirt gris, un jean noir troué aux genoux d’où pend une chaîne métallique, chaussé d’une paire de rangers qui avaient dû botter le cul de plus d’une personne.

- Viens manger, j’ai préparé le petit dej’, m’accueille-t-il en tendant la seconde assiette, que j’accepte plus par politesse que par faim.

Je n’ai pas envie de voler la nourriture d’un inconnu, même si je suis affamé.

Je m’assois sur une autre racine, en contrebas par rapport à lui, et l’observe manger, touchant à peine à mon repas. Je ne sais pas trop quoi penser de lui, son air insouciant sur le visage, ses sourires lorsqu’il me regarde, comme s’il était parfaitement normal d’inviter un inconnu à manger avec vous alors qu’il s’est tapé l’incruste à l’improviste dans votre cabane au milieu des bois.

Cette situation n’a aucun sens.

- Tu n’as pas faim ? me demande-t-il en voyant que je ne touche presque pas à mon assiette. Ce serait dommage de gâcher…

Embarrassé et incapable de dire un mot, je lui tends le reste de mon repas.

Je m’attendais à ce que ça se passe comment au juste ? Je serais tombé sur le mystérieux propriétaire et on aurait discuté comme si de rien était de peintures et de dessins ? Je crois que j’ai vécu un rêve éveillé ce jour-là. Savoir à qui appartenait la cabane ne m’aura servi strictement à rien. Ça m’aura occupé durant la semaine, me coupant de ma routine, et puis elle reviendra, comme d’habitude. Ma sœur est rentrée hier soir, et il faudrait mieux que je retourne à la maison, plutôt que de traîner comme un imbécile sous un arbre, avec une sorte de rockeur bizarre qui s’amuse à exploser son jaune d’œuf.

« Tu comptes déjà partir ? Me questionne-t-il en me voyant me lever. Ce serait bête de déjà partir alors que t’as fait tout ce chemin pour me rencontrer. Tu l’as fait pour ça, pas vrai ?

Un faible oui s’échappe de ma bouche.

- Qu’est ce tu que voulais savoir ? poursuit-il, comme si nous jouions à un jeu de questions/réponses.
- Je voulais juste savoir qui avait construit la cabane. C’est tout.
- Et bien, tu n’es pas très curieux. Vu comment tu m’avais pourchassé hier soir, je pensais qu’il y avait autre chose.

Il se lève et commence à ranger son matériel de cuisine. Il n’est pas très grand, même plus petit que ma sœur, comme s’il avait stoppé sa croissance à quinze ans. Aussi grand qu’une fille, mais avec une carrure bien différente, tout en muscle.

- Tiens, si ma présence te gêne aussi peu, je l’interroge à mon tour, pourquoi t’être enfuis hier soir ?
-Curiosité est revenue il semblerait. Mais je n’ai pas envie de répondre à cette question. Je ne te connais pas encore assez. Même si tu es une des rares personnes à avoir déniché mon refuge, et qu’habituellement, je considère cet endroit comme celui où on peut tout se dire.

Il a chuchoté les derniers mots et a fixé étrangement le sol, comme si cela lui évoquait un souvenir nostalgique, avant de se redresser de tout son long et de s’approcher de moi.

- On devrait se trouver des noms de forêt ! s’exclame-t-il en posant ses mains sur mes bras maigrichons.

Je me sens comme une brindille à côté de lui.

Des noms de forêt ? Mais quel âge a ce gars ? Il en semble plus de vingt, mais il ne doit pas réfléchir plus loin que dix. Un véritable gosse.

Cependant l’idée semble amusante, bien que, comme d’habitude, je n’ai aucune inspiration pour ledit nom. Il faudra qu’il en trouve un qui me convient lui-même, ce qui semble difficile étant donné qu’il ne sait rien de moi. Tant pis, il faudra abandonner l’idée.

- Je t’appellerai Oncle Jim, finit-il par dire.
- Je te demande pardon ? Pourquoi je serais ton oncle ?
- Parce qu’ici, entre les arbres, c’est un autre monde, Oncle Jim. Ce monde, on le crée par nos propres pensées, notre propre imagination. Ici, c’est Neverland, et, ce lieu, c’est James Barrie, Oncle Jim, qui l’a créé, et je te vois bien me donner vie. Parce que moi, c’est Peter, Peter Pan. Enchanté de te rencontrer, cher Créateur.

Je serre sa main, un sourire franchissant mes lèvres, ainsi qu’un petit rire, très court et très léger, mais qui est déjà surprenant venant de ma part.

- Je suis désolé, mais j’étais plus du genre Wonderland quand j’étais gosse, dis-je en lâchant sa main.
- J’ai une tête à m’appeler Alice ? Réplique-t-il. Et puis Peter Pan, c’est mieux, on peut toujours trouver d’autres enfants perdus et les inviter à nous rejoindre. Et puis à choisir entre un monde de drogués et un autre où tout le monde est un gosse dans sa tête, mon choix est vite fait.

J’acquiesce sur cette dernière remarque, pas entièrement fausse, même si je suis certain que Carroll doit se retourner dans sa tombe en ce moment.

- Va pour le monde de Peter Pan, mais je préfère en faire partir dans ce cas-là. Je peux choisir Captain Hook comme nom de forêt ?

Il me lance un regard atterré. J’ignore toujours sa véritable identité, mais il a quelque chose de sympathique, de différent des autres rencontres que je fais. Du moins, du peu que je fais. Charlie essaie toujours de me faire sociabiliser en m’emmenant à ses multiples soirées, mais ce n’est jamais concluant. Je suis trop associable, trop dans ma bulle pour réellement rencontrer d’autres gens. Je n’y peux rien si je suis mal à l’aise dans la foule.

En face à face avec « Peter », c’est différent.

- Hors de question ! Hook c’est un adulte, être adulte ce n’est pas amusant, c’est pour ça qu’ici c’est réservé aux enfants perdus, ceux qui ne veulent pas grandir. Et si tu veux être adulte, tu ferais mieux de déguerpir au plus vite de cette clairière, parce que les grands n’ont pas leur place ici. Et puis Hook est mon pire ennemi, et je ne te veux pas pour adversaire, même si t’as pas mangé ton bacon et que c’est inadmissible de ne pas manger son bacon.

« Peter » a un débit de paroles incroyables, mais, même si ce qu’il dit n’a aucun sens, je continue de trouver cela amusant. C’est comme il l’a dit lui-même : il s’invente son propre monde. Certains diraient qu’il abuse trop et qu’il va trop loin dans ces délires mais, j’ignore pourquoi, je les trouve distrayant. Tel qui l’a énoncé plus tôt : ici, nous sommes qui nous souhaitons être, nous nous imaginons nos propres vies.

Ici, on peut tout recommencer.

Et je peux effacer tout le reste.

- Alors, si nous sommes obligés d’être des enfants, je choisis pour nom de forêt Eleven. Et appelle moi El’. »

« Peter » éclate de rire, son sourire traversant une fois de plus son visage pour venir dissimuler ses yeux. Il fait ça avec tant de naturel…Je lui envie presque sa gaieté qui ne l’a pas quitté depuis que je suis descendu de l’arbre, alors que je n’ai fait que rester coincé dans ma bulle, comme je sais si bien le faire. Comme si j’avais peur de parler, de m’attacher aux autres.

- Eleven est une fille. Je sais que sa télékinésie est extra, mais il ne me semble pas que tu sois une fille, El’.
-C’est soit ça, soit Keyser Söze. Et si tu t’avises de te moquer de mon nom de forêt, je t’appelle Alice.
-Très bien, El’, accepte-t-il, un étrange air sur le visage.

Ses affaires de cuisine rangées, il passe le sac qui les contient sur son dos et entreprend de grimper à l’échelle de corde. Ne sachant s’il va revenir ou pas, j’attends en bas. Les minutes s’écoulent, en silence, et « Peter » ne redescend pas de son perchoir. Lassé d’être debout à ne rien faire, je me décide à m’asseoir et j’observe les arbres face à moi, d’où jaillissent les premiers bourgeons. Ma main se balance dans l’air, venant chatouiller l’herbe verte et mouillée de rosée, jusqu’à ce qu’elle cogne à un objet dur.

La guitare.

Elle repose sur l’herbe, allongée comme si elle voulait bronzer sous le soleil glacé de mars. Je jette un œil en l’air, aucune trace du mystérieux jeune homme. De toutes manières, il ne devrait pas m’en vouloir si je m’en sers.

Je récupère la guitare, venant la placer sur mes genoux. Je caresse les cordes du bout des doigts, les faisant doucement vibrer dans l’air, vérifiant qu’elles sont accordées. Ça fait si longtemps que je n’ai rien joué, je crains de tout rater. Fébrilement, je place ma main gauche au bout du manche, glissant l’autre autour de la base en bois de l’instrument. Je ne sais même pas si je me souviens encore de l’enchaînement des accords.

Un instant, je ferme les yeux, repartant dans mes souvenirs, jusqu’à la dernière fois où j’ai joué de la guitare. Ça remonte à il y a si longtemps…avant l’accident, il me semble. Je devais être encore adolescent, car Matthew était encore à la maison. Avec deux de mes amis, Dan et Kenneth, nous nous étions improvisés petit groupe de musique au spectacle de fin d’année. Nous n’avions chanté que deux chansons, mais le public avait eu l’air d’énormément apprécier notre petit groupe débutant. Durant un temps, nous avions pensé nous lancer dans quelque chose de sérieux, mais le décès de la mère de Dan lui a fait abandonner l’idée. Aujourd’hui, c’est à peine si l’on se parle encore tous les trois. Dan est parti vivre à Austin, et Kenneth suit des études de droits à Salt Lake City.

Avec un sourire, je me rappelle alors de l’une des deux chansons que nous avions jouées, qui avait réveillé quelques élèves rebelles, bien trop heureux que les cours soient finis, et achevé de nous faire haïr de tous nos professeurs présents. Mes amis et moi-même n’avions jamais été appréciés par nos enseignants, mais ce fut encore pire après.

- We don’t need no education. We don’t need thought control. No dark sarcasm, in the classroom. Teachers leave them kids alone.

Les accords s’enchaînent sous mes doigts, comme si la foule était toujours devant moi et que j’avais répété une heure auparavant à peine. Je retrouve la guitare comme on retrouve une amie après des années : même après s’être séparés longtemps, on se connaît toujours par cœur.

J’avais arrêté de jouer parce que je m’en sentais incapable, je me trouvais nul, trop incompétent quand j’écoutais les professionnels jouer comme s’ils étaient nés avec une guitare comme membre supplémentaire rattaché à leur corps. C’est pour cette raison que j’avais fini par arrêter d’écouter de la musique. Je pensais que ça améliorerait ma confiance en moi, que j’arriverais enfin à gratter ces six cordes qui me semblaient si étrangères. Mais ça n’y a rien changé, cela a juste eu pour effet de me mettre le moral au plus bas, au fond de mes chaussettes.

Pourtant, en cet instant, je n’ai aucun problème. Si certes je ne suis loin d’être Roger Waters, j’ai l’impression de retrouver un peu de l’union que j’avais autrefois avec ma guitare, quand j’en jouais continuellement, et que je m’amusais même à composer. Une époque depuis longtemps révolue et que je doute voir revenir un jour, mais je ne peux m’empêcher d’apprécier sentir les cordes me mordre la chair lorsqu’elle les frotte.

Le bruit d’une chute me sort de ma transe et ma main ripe sur les cordes. Avec un son désagréable, la sixième corde casse et vient me frapper sous le menton alors que je lève la tête. « Peter » a atterri par terre après avoir sauté d’une des branches, et se relève en époussetant ses vêtements, tachés çà et là de terre.

- Je ne voulais pas te faire peur, désolé. J’ai l’habitude d’atterrir un peu plus…délicatement sur le sol. Oh mais tu saignes !

Il se précipite vers moi, soulevant mon visage pour observer la coupure. Il tire un paquet de mouchoir de la poche arrière de son jean et m’en tends un, regardant la plaie d’un mauvais œil.

- Ça ne te fait pas trop mal ? Je suis désolé, je n’aurais pas dû sauter, j’ai trop l’habitude, je m’excuse, pard…
-Tu n’as pas à être désolé, je le coupe en appliquant le tissu sur la blessure, c’est moi qui ait cassé ta guitare, c’est à moi de te demander pardon.

Il secoue négativement la tête. Il a vraiment l’air de se sentir mal que je sois blessé, comme s’il était coupable. Il n’y est pour rien, il a juste sauté de l’arbre. Et puis ce n’est qu’une petite coupure, il n’y a vraiment pas de raison de s’inquiéter comme il le fait. Ce n’est pas comme si un loup avait surgi des bois et qu’il m’avait mordu. D’ailleurs, je me demande s’il y a des loups dans cette forêt…

- C’est qu’une corde, ça se remet en moins de deux. Tu ferais mieux de rentrer chez toi, El’, pour désinfecter, on ne sait jamais.

Ce comportement ressemble à celui qu’à ma sœur presque chaque fois qu’elle me voit. Telle une véritable mère poule, elle vérifie toujours que je ne me sois pas blessé, que je n’ai pas de fièvre, que tout aille bien dans ma vie. A la différence qu’ici, je ne sens aucun effort de la part de « Peter ». C’est dans sa nature d’être prévoyant, et aucun parent ne lui a demandé de veiller sur son petit frère soi-disant traumatisé par son accident. Il veut aider parce qu’il veut que les gens aillent mieux. Pas pour que ses parents soient fiers de lui, pas par devoir. Parce que ça lui semble normal. Et j’ignore comment je fais pour voir tout ça simplement par la manière dont il me regarde, dont il a cuit nos œufs ce matin, dont il m’a tendu son mouchoir et ses yeux inquiets. Comme si je le connaissais déjà alors que j’ignore tout de lui.

- Je vais te raccompagner jusqu’à la ville. Il y a un raccourci. Allez, suis-moi.

Il me tend la main pour me relever, avant de glisser la guitare dans son étui et de la laisser au pied de l’arbre, sans aucune crainte que quelqu’un puisse venir et trouver la cabane. Sans crainte que quelqu’un d’autre comme moi surgisse des bois et dorme dans son refuge.

Le trajet se fait en silence. Je ne sais pas trop quel sujet aborder avec « Peter ». Il me semble tellement différent de moi. Tellement plus ouvert, plus gentil, plus souriant, plus extraverti. Alors que je suis fermé sur moi-même, presque muet, le regard fuyant les conversations.

Deux complets opposés.

Pourtant, cette rencontre me rend heureux. « Peter » a réussi à me redonner le sourire, sans que je sache comment. Il y a de fortes chances, que, comme la veille, ce sentiment disparaisse aussitôt que j’ai franchi la frontière de la forêt. Ce sera le retour à la réalité, le retour à la ville, à ma vie monotone, sans arbres, sans forêt, sans cabane, sans Irlandais ni œufs au bacon le matin.

En y repensant, j’ai envie de revivre ça. Je ne me suis jamais autant amusé que durant ce court moment passé dans les bois. Personne n’était là pour me juger, pour me reparler de ce fichu accident…comme si tout le monde s’en fichait, où l’avait effacé de sa mémoire. « Peter » a raison. Ici, on peut être qui on veut, complètement refaire sa vie. Mais si je la refais, je veux la faire en étant moi-même, et pas un masque.

- Je m’appelle Alex, en fait », fis-je lorsqu’on atteint enfin l’orée de la forêt, au bout d’une vingtaine de minutes. Je suppose que les noms de forêt ne nous servent plus quand il n’y a plus de forêt.

« Peter », qui avait fait tout le chemin devant moi, comme un guide, se retourne en me lançant un sourire, le visage éclairé par la lumière d’un lampadaire récalcitrant qui refuse de s’éteindre bien qu’il fasse jour. Elle lui donne un teint étrange, presque irréel. Mais après tout, Peter Pan ne l’est pas, tout comme Neverland.

- Jonathan, se présente-t-il alors. Mais ne compte pas sur moi pour t’en dire plus pour le moment. Tu reviendras, pas vrai, Eleven ? Alex, pardon, se reprend-t-il.

Je pouffe légèrement, tentant de retenir mon rire. Il semble si gêné de m’appeler par un prénom féminin !

- J’y pensais. Mais comment ferais-je pour savoir quand tu seras là ?
-Je viens deux fois par semaine. Le vendredi soir, et le lundi aussi.
-A lundi alors.
-A lundi.

Je ne sais pas comment le saluer. Je ne le connais pas encore assez pour ne serait-ce que lui serrer la main. Nous nous séparons alors et nous disons au revoir d’un simple signe de main.

- Alex ? S’écrie-t-il alors que j’ai déjà fait quelques pas dans la rue et lui sous les arbres. J’ai presque du mal à le voir entre les branchages denses qui font des ombres sur sa silhouette d’athlète.
- Oui ?
-T’es doué pour la guitare. Et le chant.

Et il disparaît derrière les arbres, m’abandonnant au milieu du quartier riche, une fois de plus désert.




❁❀ Chapitre 6 ❀❁
A venir...
Florance

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Re: ❁❀ Le Chant des Arbres ❀❁ Chapitre 5 [New Adult - Drame - Contemporain]

Message par Florance »

Ça m'a prie du temps mais je suis là et j'ai lu. Très sympa.
Même sans magie on peut créer de la magie !
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