Petite voix

[calyspo]

Bonjour, je viens par ici poster mon témoignage =)

Un témoignage sur quoi ? Sur le harcèlement dans le milieu scolaire. Je ne viendrai pas raconter ce qu'il s'est passé durant mes années d'école, mais ce qu'il s'est passé par la suite, ce qu'il se passe pour moi maintenant. Car si le harcèlement est tabou et souvent ignoré, on sait encore moins qu'il marque au fer rouge. Je n'en ai jamais parlé à ma famille ni à personne, jusqu'à ce que quelqu'un rencontré sur internet et ayant vécu la même chose m'ait dit qu'il s'était senti mieux en l'écrivant et en le postant.

J'essaye donc de faire de même (il a fallu un peu de courage =D). Je suis désolée, ce n’est pas du tout de la grande littérature, il s'agissait juste d'exorciser ma "petite voix", d'une façon ou d'une autre =) :

Petite voix :

C’est drôle ce que les petites voix, dans les films et les livres, ont toujours d’amusant. Futées et de bon conseil, ironiques et blasées, en binôme manichéen, elles ont toujours le mot pour rire.

Tous les matins lorsque je me lève et que je croise le miroir de la salle de bain, la petite voix me jette un « Tu es si laide ». Je ne l’écoute pas. Je sais bien que c’est déraisonnable, je suis normale et pas plus belle ni moche qu’une autre, et je suis une personne sensée non ?
Pourtant je sais que demain matin elle sera là. Je sais qu’à chaque fois que je croiserai une glace, un rétro, l’écran d’un ordinateur éteint, une vitrine ou la carrosserie d’une voiture, qu’à chaque fois que je croiserai mon reflet, je resterai l’espace d’une seconde figée et qu’une part de moi sera horrifiée à ma propre vue.
Et la petite voix rira « Tu es si laide ».
Mais je ne l’écouterai pas.

Régulièrement, je triture la peau de mes joues jusqu’au sang, je la couvre de marques et de griffures, parce que la petite voix criait si fort et qu’il n’y a que ça qui l’a fait taire.
Et lorsque ma mère me demande ce que j’ai encore fait à mon visage, je voudrais m’étouffer. Mais je réponds juste que j’ai gratté sans y penser en travaillant, et je me jure de ne plus recommencer, c’est ridicule. Alors la petite voix renifle « Tu y reviendras ».
Je ne l’écoute pas.

Autrefois je ne pouvais pas entendre des gens rire près de moi sans que la petite voix ne ricane « C’est de toi qu’ils se moquent ». Mais cette fois je l’ai eue et elle s’est tue.
Je ne l’avais pas écoutée.

A chaque fois que je dois intégrer un nouvel endroit, je peine à museler la peur qui me griffe le ventre, la terreur à laquelle je suis en proie à chaque visage inconnu.
Et la petite voix de s’exclamer « Cela va recommencer ! Cela va recommencer ! ». Puis je m’avance vers eux avec mon sourire et ma voix claire, avec ma démarche aux grands pas, et je les salue de cette façon qui leur fera dire plus tard que je suis une personne très sure d’elle.
Je ne l’écoute pas.

De temps en temps je ne trouve pas le sommeil, je reste en boule dans mon lit les doigts serrés sur les couvertures, et je me rends compte que je n’arrive plus à goûter l’instant présent, qu’on dirait qu’il y a quelque chose de cassé quelque part, que je ne comprends pas ce qu’il se passe.
La petite voix murmure « Tu le sais. Je sais que tu le sais ». Mais je suis raisonnable, j’ai tout pour être heureuse, je devrais avoir honte, cesser immédiatement et me retrousser les manches, me forcer à voir les choses du bon côté car c’est le premier pas du bonheur. On n'a rien sans rien. – « Tu sais à quoi je pense en te regardant ? A un insecte qui se débat au fond d’un bocal, et auquel des enfants arrachent les membres un à un. » – On a rien sans rien, je suis raisonnable. Je suis plus forte que tout ça, je suis la plus forte et je ne l’écoute pas.
Je ne t’écoute pas.

Souvent j’ai l’impression qu’il y a quelque chose que je maintiens enfermé en moi, que je cache entre mes côtes. Et je ne le vois pas, alors ça n’est pas là, ça n’existe pas, c’est moi qui décide et la raison est la plus forte. Je souris, je vis, je suis heureuse, la raison est la plus forte et tu ne gagnes pas sale teigne.
Mais c’est là quand même, c’est lové et ça ronge, ça ronge comme la marée grignote. Et la petite voix souffle « Je suis là. Je suis là. C’est quand tu penses que je n’existe plus que je ressors ».
Je ne t’écoute pas.

Et parfois je me dis que ça suffit les conneries, qu’il faudrait que j’aille voir quelqu’un, que je n’y arrive pas toute seule.
Alors la petite voix répond « Bien sur. Tu vas te planter devant eux avec ton sourire et dire : Papa, Maman, il faut que j’aille voir un psy parce que je me suis fait harceler il y a huit ans et que je ne parviens pas à m’en sortir ».

Et parfois je me dis que je ne suis pas forcément obligée de passer par eux, que je suis une grande fille, que je peux prendre mon courage dans une main, pousser tout le reste de l’autre et me saisir de ce putain de téléphone pour prendre rendez-vous avec un psychologue.
Alors la petite voix répond « Alors ça y’est, tu t’avoues finalement vaincue ? Je savais bien que tu es faible ».
Et je l’écoute.

[Judyli]

J'ai beaucoup aimé ton texte. Il est bien écrit et frappant. Tu as eu totalement raison de le poster, faut bien qu'on ouvre les yeux sur le harcèlement scolaire. Alors merci

[Meynie]

eh bien eh bien... Tu as remarqué que lorsqu'on lit un texte, on ressent les émotions que l'auteur a fait passer. Pour ton texte, je les aient ressenties, mais amplifiées sans vraiment comprendre pourquoi. C'est assez bizarre et ça m'a prise un petit peu au dépourvu. C'est vrai que les évènements marquants de notre vie ne nous quittent jamais vraiment...

[Mimori]

Moi même ayant vécu un harcèlement scolaire très lourd et sur une très longue période de ma vie, je ne peux que prendre une grosse claque en lisant ces lignes. Parce que c'est vrai... malheureusement. La petite voix ne nous quitte jamais. Elle s'apaise, parfois, si bien qu'on pourrait la croire disparue, mais elle nous attend toujours au tournant. Pour eux, c'est juste pour rire, et d'ailleurs, quand on les croise plus tard, c'est à peine s'ils s'en souviennent. Pour nous, c'est pour toute la vie. On porte cette petite voix comme un fardeau sur nos épaules.
J'espère que tu tiens le coup !

Sur un plan plus stylistique, la lecture est très agréable. Tu nous as indéniablement écrit quelque chose de très bon, d'autant plus que c'est un sujet très délicat.

[Laurence53]

Bonjour! Je suis très émue par ton texte parce qu'il dit très justement les séquelles du harcèlement à l'école, sans atermoiement et avec brio. Il me replonge dans ce que j'ai pu vivre, moi aussi, durant mes années de collège: de mon temps, on parlait de bouc-émissaire, de tête de turc, de souffre-douleur en riant, parce que les profs comme les élèves pensaient que c'était une chose normale que d'avoir au moins une tête de turc dans la classe. Les adultes allaient jusqu'à affirmer que c'était une chose nécessaire, une sorte d'exutoire bénéfique pour le reste de la classe.

Je te remercie pour ce texte car il m'éclaire sur ce que je suis aujourd'hui. Cette petite voix, je la connais, je l'entends encore parfois lorsque je me retrouve dans la foule, dans la rue, au travail. Et c'est grâce à toi que je comprends seulement si tard d'où elle vient...
Ton texte m'est devenu précieux: il est indispensable et ta Plume très talentueuse. Mille fois merci!!!

[calyspo]

Merci à tous, cela me touche beaucoup que ce texte vous ait plu.

J'avais un peu peur de verser dans l'auto-apitoiement et suis bien contente d'apprendre que ce n'est pas le cas.
Si ce texte peut aider quelqu'un de quelque façon que ce soit, rien que pour savoir qu'il n'est pas seul, j'en suis très heureuse.^^

[calyspo]

Bonsoir !

Voici un deuxième petit exorcisme qui est en quelque sorte la suite de petite voix. Encore une fois ce n'est pas du grand art, c'est surtout pour faire sortir =)

Le froid :

“Est-ce que tu peux m’expliquer ce que tu es en train de faire ?” ricane toujours la petite voix, “ça ne sert à rien. Ce n’est que de la poudre aux yeux. Tu ne seras jamais comme eux.”

Je ne l’écoute jamais, bien entendu, et je poursuis ma discussion. Sourire maintenant. S’ils disent ceci répondre cela. C’est un dur travail d’observation de tous les instants, où il faut rester à l'affût du moindre détail pour dire et faire ce qu’il convient. Peut-être qu’ils ne se rendront compte de rien de cette façon.
A quel point je suis bizarre.

“Sale menteuse, menteuse hypocrite. Tu n’es qu’un monstre.”

Silence saleté !
La petite voix a un reniflement dédaigneux. Mais elle se tait.
Elle ne dort jamais trop longtemps cependant. Elle attend patiemment, tapie au fond de sa geôle, rongeant ses barreaux. Et lorsque je laisse échapper une parole incongrue, un geste de trop, que mes interlocuteurs haussent les sourcils et échangent des sourires gênés, alors elle sait qu’elle a de nouveau gagné.
Mais je reprends le contrôle immédiatement. Je me suis battue, me suis arrachée les ongles pour m’extirper de la fange et être enfin acceptée par mes pairs. Que la petite voix y reste si elle le souhaite. Elle ne mérite pas mieux.
Je suis intégrée, il suffit de suivre le chemin de conduite -est-ce que tu te rends compte que personne ne te connait vraiment ?- d’observer les autres et de reproduire leur comportement par mimétisme et alors -et c’est seulement, uniquement de ta pauvre faute- alors tout ira bien. Oui tout ira bien.
Et puis au fond, tout au fond…

“Laisse moi sortir ! Laisse moi sortir !”

Et en soirée, participant machinalement à la conversation -est-ce que seulement toi même tu te connais ? - marionnette assise sur ma chaise, je n’ai que le froid pour compagne.
Est-il seulement possible d’être aussi vide ?

“Laisse moi sortir ! LaissemoisortirlaissemoisortirLAISSE MOI SORTIR SALOPE !”

Non, non, non ! Hors de question ! Ils vont nous faire du mal, je le sais, ils nous referont du mal et jamais je ne pourrais le supporter ! Plus jamais. Jamais.

La petite voix s’est épuisée sur la grille de sa prison. Son corps étendu sur le sol n’est plus qu’angles et saillies, plus que peau sur des os presque à nus.
Elle dit :

“J’ai envie de mourir.”

Alors je m’adosse aux barreaux, me laisse glisser au sol. Puis je pose une main sur son crâne dégarni.

“Je sais.”

Un temps, seulement entrecoupé par la respiration de la petite voix, lente, si lente.

“Je l’ai fait pour nous sauver.”

Elle rit. Un caquètement amer, strident sur sa chute.

Ohparcequetunoustrouvessauvéesmaintenant

Il fait si froid.

[ChloPlume]

Wouah.

J'ai également, comme beaucoup d'autres souffert de harcèlement scolaire. Et tes textes font à la fois ressortir le plus dur (les insultes et les brimades) et ce qu'il y a de plus à ces épreuves : je m'en suis sortie aujourd'hui et je milite contre le harcèlement scolaire.
Contradictoire mais pas incompréhensible, je l'espère.
Et je peux te le promettre : se faire aider, ça n'est pas une preuve de faiblesse mais de force.
Je me suis fait harceler jusqu'au bac. Cela fait désormais quatre ans que je suis libre. Il m'a fallut du temps. Pour apprendre à refaire confiance, à me confier, pour apprendre à m'aimer. Continue d'écrire, continue de parler. Et n'abandonne jamais.
Tu es fantastique.

Littérairement votre. Chlo Plume
http://chloplume.unblog.fr/