Je me présente, une jeune fille inscrite sur BookNode depuis trois ans, et n'ayant jamais posté aucun de ses textes sur le site, bien qu'elle adore écrire. Elle pensait et croit toujours qu'ils ne valent rien, mais osa franchir ce pas et vous partage une nouvelle (ou un poème en prose), en espérant que sa plume inexpérimentée vous plaira. Elle serait plus que ravie de recevoir vos avis, positifs ou négatifs, mais qu'elle espère de tout cœur passionnés dans un cas comme dans l'autre, et y répondra avec joie.
Les larmes purificatrices du Serpent à plumes m’inondaient ; mon corps entier s’y noyait.
Ses impitoyables rafales balayaient le ciel, fissuré d’estafilades, infernales. Le visage balafré par ces incessants soufflets, dont les déchirures ciselaient ma chair en lambeaux, je redressai le menton et levai lentement les bras, paumes ouvertes, étendant mes doigts, puis les resserrant en coupe, figure de mon offrande, gage de ma promesse et de ma foi éternelles, tentant de saisir un fragment de nuage noir. Aussi noir, ténébreux que le bijou incrusté de perles obsidiennes, ceignant mon front et ornant mon cœur enchaîné, dont les battements tumultueux s’harmonisaient avec la vive allure des grondements assourdissants d’Ehecatl.
Ses pleurs taris, riants, je sus que mon être terrestre aride et mon désir avide me condamnaient à veiller sur l’au-delà des morts, telle la camarde des aubes pluvieuses, le monde d’en-dessous la terre où les âmes demeurent prisonnières jusqu’à l’atteinte de leur Salut, prière mortuaire ininterrompue.
Autrefois le grand vent nocturne soufflant, âpre et cruel, je n’étais plus que le petit gardien tyrannique des mânes souffrants, éthers charnels que retenait Mictlantecuhtli. Squelette paré d’un collier de globes oculaires vitreux, aux os parsemés de taches sanglantes, Il me remit les accrocs de son sceptre doté de grelots et s’éclipsa, occulté, omniscient, déléguant sa main écorchée à ma carcasse déchue, dont la cage de tissus lacérés laissait entrevoir l’organe pulsant, que le Serpent à plumes aspirait à m’arracher.
N’était-il pas repu des tripes de mon compagnon, dont il étouffa les rugissements bestiaux, le réduisant au silence en transperçant sa gorge et son ventre au velours mordoré, piqueté de blanc et de cercles bruns, le peignant sauvagement de pourpre dans un tourbillon de plumes. Sa colonne vertébrale et ses membres se fracassèrent, ses muscles se rompirent, ses coussinets se percèrent et sa queue fièrement levée s’abaissa, sa tête ronde se balançant de droite à gauche, de gauche à droite, découvrant l’ouverture d’une plaie béante aux lèvres écartelées, jusqu’à ce qu’elle tombât et roulât non loin de son cadavre découronné, à l’estomac et au foie aérés, et aux boyaux sanguinolents déroulés, enchevêtrés sous sa dépouille pourrissant.
Lorsqu’il se fut étendu sur le sol, inerte, je m’écroulai à ses côtés et caressai ses flancs inanimés, le creux de ses oreilles et son museau glacé. Le jaguar, alors familier, s’était éteint, et je me délestai de mon nom, Tepeyollotl, faisant de moi le cœur de la montagne, que je n’incarnais plus sans l’animal. Yoalli m’avait chassé puis achevé en tant que Yaotl, souverain de la guerre devenu supplicié, le martyr de Tepeyollotl.
Lorsque le jaguar, mon jaguar, expira, je cessai de respirer à mon tour. J’étais pétrifié, statufié par la rapidité de la froideur et la rigidité contractant ses restes, d’ores et déjà en décomposition, gangrénés, une odeur fétide s’en dégageant. Il s’élevait alors dans l’air infecté le parfum pestilentiel des Enfers, et la partie de moi m’ayant quitté à l’instant où la bête émigra d’une réalité sphérique à une autre, succomba, tandis que la seconde se chagrinait. Je n’étais pas triste, mais inconsolable. Je ne savais que penser, que faire, ainsi interdit, désarçonné de ma sûreté, mon ancre, le regard perdu dans l’immensité de couches épluchées et de soie vermeille rudement découpée, cisaillées sur toute la longueur. Ma vue s’embruma, un brouillard toxique obstruant mes sens, et la nébuleuse empoisonnée me cerna, enclave écumante. En transe, je me mouvais lentement, évoluant dans le tout, le rien, l’absurde, en proie aux affres que me causait ce trépas et à l’agonie sinueuse se faufilant et se gravant sous mon épiderme, Serpent rougeoyant plantant ses crocs jusque dans mes veines, qu’il asséchait. Amorphe, je réintégrais mon moi ébranlé, convulsant, gisant sur la terre avalant le défunt, à laquelle il revenait de droit, et la fureur m’aveugla.
Le Serpent à plumes était victorieux, et alla se vanter de son infâme prouesse auprès de Mictlantecuhtli, le recevant malcontent. Mon rang d’œil brûlant m’avait été retiré et l’on m’enleva la seule créature que je possédais ; le Dieu faucheur ne pouvait y consentir, mais Ehecatl était irrépressible. Un jour, il redescendit voir son créateur, et tenta de s’emparer des ossements des macchabés, afin d’engendrer une nouvelle race. Cependant, il les relâcha dans sa fuite et une caille les picora. Ils se retrouvèrent difformes, et lorsqu’Ehecatl désira les ramener à la vie, il les arrosa de son fluide incandescent, donnant naissance à des hominiens de tailles diverses, astreints de nouveau à la mort. Peu m’importaient ses exploits névrosés, pourvu que je le tailladasse, le déchiquetasse et le ravinasse, creusant et enfouissant sa sépulcre.
A présent, je ne détournai pas mes yeux emplis de gouttes écarlates, s’écoulant le long de l’armature de mon cou et de mes épaules raidies de la voûte céleste, abritant ma dernière lueur d’espoir de la noirceur des cotons tressés d’obscurs filaments, semblant suspendus à l’arc céruléen agité. Son foudre enflait, grossissait, crépitait, exaltait, tonitruant, fendant le néant et quêtant délibérément me blesser, me faire trembler de peur et courber l’échine devant lui, mais je ne cédais pas, pas encore, pas face à lui, le souvenir vivace du jaguar décousu s’emparant de moi, et me happant dans les profondeurs des limbes de mon esprit tourmenté.
Brandissant mon miroir fumant, reflet de ma dévotion annihilée et unique rempart perdurant entre lui et moi, je créai quelque bourrasque, que j’orientai et manœuvrai dans sa direction ; foudre contre vent, eau contre terre. L’inlassable houle se heurtait à ses flots perpétuels, incendiant l’air d’un parfum de pluie et de cendre, d’onde et de poussière mêlés, se déversant dans le nid du lac du cóatl. Le soleil sibyllin que j’étais devenu obombrait ma grâce souillée, dont l’éclat se ternissait peu à peu, ainsi soumise au temps que le Serpent à plumes m’accordait, avant qu’il ne se décidât à abattre sur moi le feu du ciel.
Ma tristesse faisant écho à la sienne se mua en flamboyante colère teintée de sombre rancœur, dont l’ascendante puissance me tordit les entrailles. Je ne redoutais pas son talion, ne craignais plus son châtiment. Mon désespoir latent prit possession de moi, et l’impétueuse tempête s’opposa à l’ouragan destructeur. Je n’étais ni hardi ni courageux, mais impavide, fuyant l’abîme en y plongeant, considérant que le peu de valeur que j’avais ne suffirait pas à me sauver, me sauver de mon affront, de ma déchéance ; de mon destin tragique, baigné d’orgueil et de sang. J’étais humilié, indigne, vil ; une enveloppe corporelle scarifiée de part en part. Je n’échapperais pas à l’opprobre de mes actes dénués de raison, soit. Pourquoi ? Pourquoi avoir agi de la sorte ? Je ne le savais pas et ne le saurais sans doute jamais, réclamant seulement vengeance, ma revanche. Etais-je sciemment sous l’emprise de cette peur à laquelle je refusais ma reconnaissance, voilant mon regard dès lors embué et m’armant d’absurdes œillères ?
Je hurlai toute ma douleur et, essoufflé, confectionnai une lame aiguisée sur un typhon, avant de crever les yeux d’Ehecatl et de le poignarder en plein cœur. Une joie indicible m’envahit et je m’effondrai sur le sol gorgé de bleu et de rouge, ma couleur se languissant de la sienne, séchée. Un sourire tordu étira mes lèvres craquelées et mon miroir, que je tenais fermement, se brisa entre mes doigts à jamais maculés de mon ignominie.
Son masque chuta.
Le « joyau du vent » s’ébrécha.
Son chapeau à panache reposait à mes pieds.
Tranché était le crâne sacrificiel piqué d’orbes pâles éclatées.
« Le cœur du ciel dit simplement « Terre », et la Terre s’élève comme une brume de la mer. » Popol-Vuh