Je seiche... (c'est pas une faute d'orthographe)

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JoelK

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Je seiche... (c'est pas une faute d'orthographe)

Message par JoelK »

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JE SEICHE


1.

Décidément, je fonctionnais à l’envers… Communément, c’étaient les remous, les vagues se brisant sur la coque et les tangages incessants qui donnaient aux novices le mal de mer. L’agitation dans l’immensité, quoi. Même encore aux vieux loups, parfois. Mais dans mon cas, c’était ce calme absolu, cette sérénité bleue et infinie qui brouillait ma vue et me tournait les entrailles. Mon cœur s’était déjà fait la malle depuis un bon quart d’heure, pour sa part… Pas une once de vent : le drame pour un humain qui tirait plus du poisson que du singe. Et, tout aussi étrangement, ce n’était pas mon cas. Je n’avais rien du marin. Pas le soupçon d’un profil, même éloigné, de la fibre aquatique. Le grand large, pour moi, se résumait à une piscine d’une cinquantaine de mètres de long. Alors la situation paraissait inévitablement complexe, voire absurde, au su de ces maigres informations… Comment un homme sain et sensé - informations complémentaires - qui n’aime pas spécialement l’eau, peut avoir le mal de mer quand ladite mer s’ennuie jusqu’à l’évaporation, et surtout pourquoi s’y retrouve-t-il ? C’est là que commencent précisément les désillusions, quand le rêve de piraterie d’un môme devient une réalité que même adulte il n’aurait pu anticiper. Car dans les rêves d’enfant, jamais n’y dorment les vrais obstacles dont il ne peut avoir conscience à son jeune âge… C’est donc l’heure trop facile de l’introspection.

Le meilleur rapport à l’océan que j’ai jamais eu était constitué de dîners de Noël quand, tous réunis, nous nous jetions goulûment sur des pinces de crabes qui sentaient bon l’iode, suivies des cocktails de crevettes, langoustines, et l’entière généalogie des crustacés qui succédaient, suivant proprement leur rituel chaque année, au grand régal d’une tablée sans cesse grandissante. Cette anecdote m’avait d’ailleurs toujours fortement amusée : à tour de rôle, chaque famille invitait les autres chez elle, formant un triptyque quasiment filial de bons vivants rougeauds, braillards bref, une secte de cœur-sur-la-main, mais dont, si le décor changeait, jamais le sacro-saint menu ne déviait d’un pouce, peu importe qu’il fut préparé par l’oncle ou la belle-mère d’un tel. Un rituel immuable. Plus que ça même : un repère. Surtout pour une tripotée de cousins et cousines qui grandissaient ensemble, et dont les seules déviances furent les scolarités éparpillées.
Comme tous les gamins, ou du moins comme beaucoup, lors de réunions de ce genre, entre les amusements et les cris, des promesses sont faites, des promis jurés crachés, qui forment la colonne vertébrale de véritables histoires d’amitiés, au-delà du rapport génétique et sanguin. Des délires murmurés au calme dans une chambre pendant que les adultes s’égosillent en bas, des chuchotements intimes mais marquants qui nous construisent sans nous forger. Le notre, c’était la piraterie. Bien loin des considérations selon lesquelles les côtes françaises ne sont pas franchement réputées pour abriter des trésors enfouis, et encore moins des vrais héros avec des sabres et des bateaux ornés de crânes, car le lieu importait peu, somme toute. L’important, le vital, c’était que plus tard, quand nous serions grands, nous nous retrouverions et qu’ensemble, nous irions dénicher le plus gros trésor du monde. Le rêve ultime. Mieux que la paix internationale, c’était le seul rêve commun à tous les êtres humains sans exception : la richesse à outrance. Alors même qu’à cet âge, lequel peut savoir ce que représente vraiment l’argent et comment on l’utilise à bon escient ? On résonnait en nombre de boîtes de Lego, nous ! Et tout bien réfléchi, ça n’était peut-être pas plus bête que leurs idées à eux, les parents…

Bref, vingt ans après, bardé de mes souvenirs, guindé dans mes muscles maigrichons, et toujours en contact avec le cousin en question, nous convenions, bien qu’avec beaucoup plus de légèreté, sans plus aucune naïveté et pour la simple satisfaction du souvenir accompli, toutes dents visibles, qu’il était enfin temps de se payer une embarcation direction loin là-bas, pour notre première plongée en quête du plus petit mais symbolique trésor que Mer voudrait bien nous léguer. Mais si les pirates avaient eu à leur époque des tenues de plongée, il est à parier qu’ils auraient fait rêver bien peu d’enfants de nos jours, et que pour une même activité, sur le papier, ils se retourneraient dans leurs tombes en nous voyant réciproquement. Encore que, le cousin fut plein de surprises…

Aux retrouvailles sur le port, je le vis arriver de loin car, en pleine assurance de son style en public, il avança le buste gonflé de fierté, croisant des passants moins amusés qu’effarés lui laissant toute place de bon cœur, s’éloignant de son chemin, tel le saumon qui remontait sa rivière dans une tentative pour battre son propre record en contre-la-montre. Ce clown s’était affublé de son plus « beau » costume de pirate, chiné dix minutes plus tôt dans une boutique spécialisée pour les guignols de classe mondiale. Dire qu’il avait osé donner de l’argent pour m’offrir ce spectacle… L’envie de sauter dans l’eau me saisit vivement, guettant le bord contre lequel stagnaient les algues et un début de vase, à moins de trente centimètres de mes pieds. Je m’imaginais en crabe suicidaire. Mais la vision était trop folle, trop forte, trop absurde, et je sentis un sourire se fendre sur mon visage, que je tentais de réprimer de toutes mes forces, puis le rire prit le pas. J’étais foutu, et plié…
On s’embrassa chaleureusement, ne s’étant plus vu depuis deux ans au moins. Une fois les premières politesses passées, vu que j’attendais près de l’embarcadère qu’il avait gracieusement loué (il avait insisté), comme j’étais arrivé en avance, par habitude, nous décidions d’y aller directement, sans plus de cérémonie. Le guide nous attendait, lui aussi, et l’on sentait que pour lui ça n’était en rien une cause d’apaisement. Agacé mais un brin chaleureux tout de même, tenant à la fidélisation de sa clientèle, il nous briefa sur quelques règles de sécurité marine basiques, nous laissa nous échouer dans les surprenantes moelleuses banquettes à l’arrière de son espèce de gros zodiac, défit les cordages et démarra sans plus se retourner.

Je ne sais toujours pas si c’est moi qui n’ai pas vu le temps passer, ou si nous étions réellement sur place en quelques dizaines de secondes, mais lorsqu’il arrêta le moteur et qu’il ralentit franchement et même un peu trop, je fus prit d’une inquiétude fort désagréable car absolument involontaire. Je détestais n’être pas préparé aux imprévus, évidemment… Cette espèce de panique soudaine, loin d’être comme le disent certains le « bon stress », freina mes ardeurs de grand enfant au point qu’en me levant sûrement un peu trop vite, titubant un instant, je me redressais avec précaution et je me tournais toujours doucement pour scruter cette carte postale grandeur nature pour me rassurer, ignorant tout à fait le cousin qui me regardait et me parlait, me demandant à tous les coups si ça allait. Comme dans les films et les séries, j’entendais, mais n’écoutais pas, et cela formait comme une résonnance lointaine venant d’un brouillard coloré, un flou trop forcé. Des mots sans syllabe distincte, une bouillasse sans sens, des formes chancelantes comme le réveil après une opération.
Lucide malgré tout, je me concentrais en tentant de fixer un point précis devant moi, sur cette ondulation que je devinais, et attendit dans un silence enfin complet que tous mes sens me reviennent après plusieurs minutes. Les deux autres avaient compris mon état, et m’avaient laissé gérer à mon rythme, à moitié rassurés. Une fois pleinement en possession de mes moyens, réalisant à nouveau la solitude du lieu, moi grand solitaire par essence, apte plus que tout autre à apprécier alors qu’on m’ait offert ce que je désirais depuis trop longtemps, ça n’allait pourtant déjà plus… Décidément, je fonctionnais à l’envers… Et voilà que notre boucle était bouclée.

- Alors champion, tu es prêt à couler ?
- Ouais, répondis-je avec une décontraction trop feinte, j’ai même ramené mon enclume, pour être sûr de ne pas remonter tant qu’on n’aura pas trouvé un coffre gros comme ma bagnole !
- Ca fera deux enclumes…
- Dont une en or, on mourra en paix.
Il éclata de rire. Nous étions bien sur la même longueur d’onde, même après toutes ces années… C’était rassurant pour moi aussi, je dois avouer. J’avais justement besoin d’un rire comme le sien pour me décoincer un bon coup.
Pour ne rien faire comme tout le monde et dans un pur esprit de contradiction avec notre commandant de bord bougon, il tenait à garder le maximum d’accessoires de sa tenue de pirate par-dessus sa tenue de plongée. Au final, lui argumentant que quoiqu’il en soit il était payé à l’heure donc de-quoi-je-me-plains-si-je-mets-trois-plombes-à-me-changer notre hôte se dérida un tantinet et le laissa à son dépatouillage. Bien que pour la seconde fois me concernant, je dus l’attendre aussi, et qu’il n’avait pas intérêt à me faire poireauter une fois au fond…
Une fois installés chacun sur notre rebord, il m’échangea un dernier regard plein à ras bord de malice, et nous plongeâmes en même temps dans une béatitude ignare et écœurante aux yeux d’un non initié.


2.

A la vérité, je ne me souviens de rien du tout. Enfin si, de mon identité, de ma vie en général, oui. Mais quant à savoir ce qu’il s’est passé ce jour-là, c’est le néant absolu. Il paraît qu’on m’a remonté de trente mètres de profondeur, et que mes bras, mes jambes et mon cou étaient bardés de dizaines de bijoux, colliers, bracelets, tous en or, et tous incrustés de pierres rares. Que j’avais l’air saucissonné dedans. Lesté, qu’ils m’ont dit… Comme si quelqu’un avait voulu se débarrasser de moi de la plus luxueuse des façons. Comme si, de manière tout à fait volontaire, quelqu’un avait voulu me faire couler, un ennemi (que je ne pense pas avoir, mais ma mémoire est devenue calcaire), mais qui trouvait que le granit c’était démodé. Personne ne sait non plus qui a alerté, qui a prévenu que j’étais là, à pic. Un sauveteur anonyme ? L’ex-futur meurtrier pris de remords ? Des policiers sont venus m’interroger plusieurs fois, jamais les mêmes d’ailleurs, mais qu’aurais-je pu leur dire de plus que je ne leur aurais pas transmis les dix premières fois ?

Le point positif dans cette histoire, mis à part ma perte de mémoire, ce qui n’est peut-être pas si mal, qui sait, c’est qu’en dédommagement, l’Etat, par le biais de ses enquêteurs, m’a autorisé, ou plutôt a ordonné à l’hôpital de me restituer à hauteur de la moitié de la valeur des pierres précieuses et de l’or trouvé sur moi lors de mon sauvetage, l’autre moitié se l’attribuant gracieusement comme lors de chaque découverte de trésor, qu’il vienne d’un fond marin ou d’une cave d’un particulier, en tant que paiement d’impôt anticipé, j’imagine. Normal, disent les fonctionnaires. Abus honteux, disent les communistes. Ecologique, disent les écologistes. Ce n’est pas assez, disent les ministres. Sacrés étrennes, moi je dis ! Enfin, me voilà riche à millions, et sans même savoir pourquoi ni comment…

Ce qui me fit le plus plaisir lors de ma convalescence, ce fut un mot laissé par l’un de mes cousins, le plus drôle de tous, sur ma table de chevet. Je n’y comprends pas tout, mais j’y devine une affection particulière qui me va droit au cœur à chaque fois que je le relis. Attendez que je le retrouve… ah le voilà ! Vous allez voir, c’est poignant :

« Mon cousin adoré,
Il paraît que tu as encore voulu tout gardé pour toi ? Et que maintenant tu passes tes journées à sécher sur une corde à linge ? Saches que jouer les enclumes c’est tout un métier, il faut un forgeron, et quelque chose à forger en plus ! Sache aussi que lors de mon passage, j’ai laissé à ton intention avec ce petit mot une grosse dose de culpabilité de n’avoir pu être là plus tôt, mais que l’important à ton réveil, c’est qu’il y ait eu un réveil. Je te raconterai les détails lorsque nous nous reverrons, sûrement dans longtemps malheureusement, car j’ai quelques affaires à faire fructifier, et un joli costume à rendre. Je suis heureux qu’un vrai pirate t’aie enfin corrigé (non je rigole) mais je déplore que tu aies oublié qu’un pirate solitaire n’existe pas. Nous ne sommes plus des gosses comme tu le sais (tu te souviens de ton âge au moins ?), ainsi même dans l’oubli, une leçon ça s’apprend, et les Lego ça se vend. Bon rétablissement, je t’embrasse !

PS : S’il te prend la lubie de retourner voir au fond, munie-toi d’une sacrée pelleteuse pour ramener les neuf dixième restant du butin que Barbe Bleue a eu la gentillesse de laisser là, le temps que je lui botte le cul. »

Il me rappelle des souvenirs d’enfance, et ça m’émeut toujours autant… Enfin bref. Même si je ne comprends pas tout de cette lettre, j’ai pourtant compris une chose importante dans cette mésaventure : je resterai à vie aussi loin de l’eau que possible, baignoire mise à part !
Kelly_pft

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Inscription : jeu. 27 juil., 2017 6:15 pm

Re: Je seiche... (c'est pas une faute d'orthographe)

Message par Kelly_pft »

J'aime bien comment tu écris c'est si professionnel :lol: et j'aime bien le titre.
Désolé pour le cours commentaire mais je suis à court de mot ...
Et sinon tu écris juste pour le plaisir ou ..?
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