Détenus

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AliasBookine

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Détenus

Message par AliasBookine »

« J’étais en prison.
Entourées de voleurs, braqueurs, violeurs, tueurs, je ne me suis jamais autant sentie des leurs.
Parmi tous ces hommes d’âges et de vies différentes, j’étais humaine. Tout simplement.
J’étais comme eux.
Pendant un instant, unis par la musique, nous étions tous dans le même monde, éclairés par le même rayon.
J’ai rencontré, non pas des détenus mais bien des hommes. Des hommes fais de chaire, de sang et d’une âme. Des hommes comme vous. Comme moi.
Nous.
En entrant, j’avais peur. Non pas d’eux, mais de moi. J’étais inquiète car je ne savais pas ce que j’allais ressentir face à ces gens. Je paniquais à l’idée qu’il me voit comme l’observateur devant l’animal. Ils sont loin d’être des animaux. Ce ne sont pas des bêtes de foire.
Ce sont des hommes.
Des hommes qui ont su m’émouvoir à cause de leur vie, de leur passé. Des hommes possédant une histoire. »

Je suis entrée dans la prison par hasard. Maman y travaille depuis des années. En soit, je suis née dans cette prison. Façon de parler. Depuis que j’ai l’âge de comprendre, elle m’en parle. Elle me parle de ce monde qui est le sien, de ce monde qu’elle aime, envers et contre tout … Parfois malgré elle.
Souvent, elle m’apprend des choses. Je ne suis qu’une enfant, cela dans bien des domaines, et j’ai soif de savoir, soif d’apprendre et de comprendre. Plus petite, je me souviens, quand elle commençait un peu à me parler de son travail, j’étais très fermée au sujet. Je pensais que les prisonniers (on disait comme ça, à l’époque) étaient tous des méchants qui méritaient leur sort. Je me rappelle encore ma réaction quand maman m’a parlé de tous leurs privilèges. Télévision, cuisinière, livres, et j’en passe. A l’époque, je m’étais rebellée : « Ce n’est pas normal, ce sont des méchants ! Ils ne peuvent pas avoir tout ça, ils sont en prison. » Avec ma voix d’enfant, je ne voulais rien savoir, ils étaient méchants et point barre. Cette fois-là, maman m’a répondu : « Et pourquoi pas ? Ils sont humains, après tout. On ne peut pas les priver de tout. » Il m’aura fallu des années pour comprendre ce qu’elle disait à l’époque.
Un jour, il n’y a pas si longtemps que ça, un an peut-être, j’ai lu un livre. J’adore son titre. « L’enfer-me-ment ». Il était dans la bibliothèque de maman et je lui ai piqué. D’abord, je ne voulais pas qu’elle sache que je le lisais, je ne sais pas trop pourquoi. Puis, quand j’ai eu fini, il fallait que j’en parle. Ce livre m’a fait pleurer. C’est bête, hein ? De pleurer pour un livre … Mais c’était le cas pour celui-là. C’est un recueil de témoignages, de photos … C’est un livre qui nous fait prendre conscience que ce sont tous des hommes, peu importe ce qu’ils ont pu faire. Ils sont humains.
Depuis quelques années maintenant, maman me parle plus des détenus que du travail technique. Avant, elle me parlait d’agent et des différentes tâches qu’elle avait. Aujourd’hui, alors qu’elle gère les activités socio-culturelle (elle aime que je dise le nom complet) nos discussions se basent plus sur eux.
En général, ce sont toujours les mêmes noms. Des noms que je finis par connaître, sans jamais en parler avec quelqu’un d’autre que maman.
Ces noms, ils m’ont longtemps donné à réfléchir. Mais c’est un en particulier qui, à l’époque, m’a fait comme un électrochoc. C’est l’histoire d’un homme aux nombreux passages en prison qui y est retourné un jour à cause d’une émotion bien particulière, à cause d’un fait bien particulier. Je ne veux pas citer plus de détail, je ne veux pas dire son nom en dehors de nos conversations. Je veux que ses faits restent relativement vagues. Je veux juste dire que je comprends le pourquoi. C’est dur, d’entendre ça, hein oui ? Mais je comprends. Non pas l’acte, mais pourquoi il l’a fait. Je comprends l’homme, je comprends le père. Je comprends la rage du père séparé de son enfant. J’en dis déjà trop. Mais je sais où je veux en venir. Et je sais que cet homme et son nom resteront le détail qui m’aura fait changée.
Je dis que je comprends et là, les yeux s’arrondissent. Comprendre un détenu (c’est comme ça qu’on dit, maintenant) ? Impossible. Comment on peut comprendre des gens pareils ? Des monstres … ? Ce sont ici les questions de bien des gens.
En soit, je ne vois pas pourquoi leur répondre. J’aimerai leur hurler dessus, leur dire qu’ils sont tous cons. Mais je ne dis rien. Après tout, pourquoi ? Ils ne comprendraient pas. Ne veulent pas comprendre, de toute façon.
La vérité, c’est que les gens ont peur.
Avec maman, nous sommes allées à un concert, suite à ma visite en prison. Ce concert était accompagné de photos, de vidéos, de commentaires positifs concernant les détenus. Et vous savez quoi ? Quand des gens ont compris ce qu’ils venaient voir … Ils sont partis. Comme ça, tout simplement.
La vérité, c’est que les gens ont peur.
Peur de voir qu’ils ne sont pas différents, eux, de l’autre côté des barreaux. Que celui qui se trouve en cellule n’a aucune différence physique avec eux, ni aucune différence de caractère au final. Ils savent tous rire, sourire, pleurer, danser. Ils savent être humains. C’est normal. Mais ça fait peur. Les gens ne veulent pas ouvrir les yeux sur ces hommes qui ont fait des erreurs un jour et payent aujourd’hui pour ça.
Evidemment, quand j’écris ce genre de chose, on pourrait dire que je cautionne leurs actes à tous. Ce n’est pas le cas. Je ne cautionne rien. Mais je peux comprendre que parfois, la limite soit franchie pour une raison ou une autre. Dans certain cas. Le Parfois est important. Tous ne sont pas pardonnables, tous ne sont pas hommes. Et certains sont réellement des monstres. Certains Hommes sont des monstres, oui. Je ne parle pas des détenus quand j’emploie cette idée négative, non. Et pourquoi ? Parce que selon moi, il y a bien plus de monstres de notre côté des barreaux.
Je ne sais pas trop ce que je vais faire de ce que j’écris. J’écris sans savoir où ça va me mener, mais je le fais parce que j’en ai envie et besoin. On m’a demandé d’en parler, aussi, de ce que j’avais ressenti, de ce que j’avais pensé. Mais je n’en suis pas capable. Je préfère écrire.
Quand je suis entrée dans la prison, je ne me suis pas étonnée de l’environnement. Je connaissais la disposition des couloirs, celles des cellules. Mais on ne voit jamais l’intérieur de celles-ci. Elles sont encore plus petites en vrai qu’en photo, ou en vidéo. Et quand je suis entrée dans la cellule de cet homme qui possédait télévision, cuisinière, four à micro-onde, étagère, lit, divers sodas. Je ne me suis pas dite ce que je me disais petite. La seule chose que j’ai pensé était « C’est trop petit ». Vous savez, nous, à l’extérieur, nous nous plaignons du nombre de pièce dans nos maisons, toujours trop petites, et de notre faible quantité de meuble entre nos trois canapés et nos cinq bibliothèques. Je me suis sentie tellement égoïste, dans cette cellule. Le détenu me parlait, me disait qu’il fallait être plus stricte avec eux, et moi, je hochais la tête, sans pouvoir me dire autre chose que « Comment c’est possible ? »
Pour la première fois de ma vie, j’ai eu honte.
Honte d’être dehors.
Nous sommes allés en salle de visite, pour une activité entre les détenus et la chanteuse du concert qui a suivi. Vous savez, cette fameuse salle de visite. Et pour celle-ci encore, je me suis dit que ce n’était pas possible, ce manque d’intimité. Ce manque de dignité. Comment un humain pouvait-il supporter ce genre de chose ? Vous savez ce que je me suis dit, en les voyant tous, là, devant moi, dans cette salle dans laquelle ils semblaient si à l’aise ?
Je me suis dit qu’ils étaient courageux.

En fait, en les voyant comme cela, en salle de visite, je me suis rendue compte de beaucoup de chose.
L’un d’entre eux m’a fait un peu peur, je dois bien l’avouer. Renfermé, il ne parlait pas vraiment, toujours un peu penché en avant, comme un prédateur. Alors, je me suis rappelée que c’était malgré tous des hommes ayant, un jour, fait quelque chose de mal.
L’un d’entre eux m’a fait pleurer. Il a chanté « Emmenez-moi », de Charles Aznavour, devant tous les autres. Et j’ai trouvé ça tellement beau. De la part d’un homme dont la liberté a complètement disparu, j’ai trouvé ça tellement incroyable, lorsqu’il a chanté « Il me semble que la misère serait moins pénible au soleil ». Ce chant d’espoir et de tristesse mêlés, c’était tellement de chose à la fois.
L’un d’entre eux a débattu avec moi. Celui de la cellule, en fait. Nous avons parlé du système carcéral, de ce qu’il en pensait et de ce que moi je croyais. Il me parlait d’une prison plus stricte, d’un monde plus réglé, pour eux, détenus, hommes là pour une raison précise. Je n’étais pas d’accord. La façon dont il m’en parlait, comme s’il voulait priver encore plus de liberté les hommes qui, comme lui, sont enfermés derrière des barreaux.
L’un d’entre eux m’a surprise. Il est venu me parler de maman, mais ça, j’y reviendrai. Il a parlé d’amour, de femme, de respect. Il m’a parlé comme un homme qui a compris beaucoup de chose, mais comme un homme qui ne s’en sortira pas vraiment, jamais. Comme un homme détruit n’ayant plus rien à perdre. Dans ses yeux, peu importe qui il était, je sentais un vide. Il m’a parlé de sa mère, qu’il a retrouvé pendue quand il était plus jeune. Et je l’ai compris. Pour la première fois depuis longtemps, j’ai ressenti de la peine pour quelqu’un que je ne connaissais pas.
Et il y en a eu un autre. C’est celui qui m’a le plus marqué ce jour-là. S’il savait … Il ne m’a pas beaucoup parlé, mais il n’en a pas eu besoin, parce que je l’ai beaucoup observé. Je l’ai regardé parler avec maman, je l’ai regardé sourire, rire, lui faire une blague. J’ai demandé à maman qui il était, ce qu’il avait fait, et pourquoi, comment, quand, quel âge il avait et combien il avait pris. J’ai voulu tout savoir. J’ai même fait des recherches sur l’affaire le concernant. Et ça m’a tellement touchée. Un garçon dont la vie n’avait déjà pas bien commencé a fait un jour l’erreur de sa vie. L’erreur impardonnable. Pour elle, nous avons deux façons de penser différente. Soit, nous pensons toute notre vie « Je n’aurai pas dû, je ne sais pas ce qui m’a pris » soit nous nous disons « Je n’avais pas le choix, et s’il fallait recommencer, je le ferais ». Et peu importe ce que lui, il pense, au final, c’est son choix, son droit, sa pensée la plus intime. L’important, pour moi n’est pas là. Non, je veux en venir au fait. Suite à cela, il a pris non pas dix, ni vingt mais trente ans de réclusion criminelle. Trente ans. De quoi gâcher une vie. Comment on peut demander à quelqu’un de sortir de prison après trente ans en se disant « Je vais reconstruire ma vie » ? Tu ne peux pas te reconstruire après trente ans, tu as perdu une moitié de ta vie. C’est horrible, impensable. Et vous savez quoi ? Le tribunal, la cour de justice, a un jour décidé de gâcher la vie, de prendre tout espoir d’un jour être quelqu’un. Et vous savez à qui ? Le tribunal a pris tout cela à un gamin.
Un gamin de seize ans.
Comment on réagit, à seize ans, quand on nous dit qu’on est condamné pour trente ans ? Moi, la première chose que je ferais, c’est un calcul. Quarante-six. Quarante-six ans ?! Mais qu’est-ce qu’on fait, à cet âge-là ? On entre en prison à une époque où nous devons encore passer des diplômes, rencontrer des petits copains, des meilleurs amis, des gens qui nous feront pleurer et d’autres qui nous aideront à grandir. A seize ans, on a un job étudiant, un rêve, un fantasme. Et à quarante-six ? On a des enfants, un boulot. On pense à sa pension, on compte les années qu’il nous reste à travailler, on élève notre dernier, on le voit rentrer à l’université, on lui corrige son CV. Trente ans de prison, ce n’est pas une punition. C’est un meurtre. C’est tuer quelqu’un, l’empêcher d’avoir une vie après.
Et on dit qu’il ne faut pas combattre le mal par le mal … ?

Lors de leur ronde, lors de leur débat avec la chanteuse, ils ont dû citer des mots, des messages qu’ils ont pour le monde extérieur.
Humanité.
Solidarité.
Espoir.
Justice équitable.
Beaucoup d’argent.

Tous ces mots voulaient dire quelque chose pour eux, ont voulu dire quelque chose pour moi, à l’intérieur, auprès d’eux.
A l’intérieur, je me suis sentie proche d’eux, de ma mère, et de mon père aussi, pour plein de raison différente.
D’eux pour tout ce que j’ai dit pendant plus de 6 pages. Mais aussi pour une autre chose qui m’a beaucoup étonnée : Tout le respect et l’amour, en quelque sorte, qu’ils ressentent pour maman. L’amour a plein de forme et j’utilise ce mot aussi dans ce cas. Ils m’ont fait comprendre que maman a été, et est toujours, leur petite lumière dans le noir, leur lionne, leur protectrice. Ce sont des mots qu’ils ont utilisés, je ne les invente pas, ils parlent comme cela, aussi, parfois. Ils m’ont répété, encore et encore, combien elle était formidable, toujours en train de se plier en quatre pour eux. Et je n’ai pu répondre qu’une seule chose : « Je sais. »
De maman, parce que je la voyais pour la première fois dans son élément. Pendant de longs mois, je me suis demandée pourquoi elle continuait. Pourquoi elle travaillait encore là-bas. Pendant longtemps, je ne la comprenais pas. Et là, dans cette prison, je l’ai enfin comprise. Si elle aime son travail, c’est grâce à eux. Si elle continue, c’est pour eux. Et je l’ai trouvée tellement belle, aussi. Genre Xena la guerrière.
De mon père. Je pense que c’est le plus dur à citer ici. Je pense que c’est le moins facile à écrire. Je ne me suis pas vraiment sentie sa fille, au sein de l’établissement. Rien d’étonnant dans cela, je n’ai pas été surprise. Mais je l’ai vu sous un nouveau jour. Il m’a semblé plus grand. Plus fort. Je le voyais depuis toujours comme un homme assis, tremblant et pas trop sûr de ce qu’il pouvait me dire. Ici, il me parlait avec fermeté, sûr de ce qu’il me racontait, il était dans son élément. C’est vrai, il m’a semblé plus grand, plus fort. Et pour la première fois, il correspondait au père que je m’étais inventé dans ma tête quand j’étais enfant.

Au final, pour bien des raisons, je ne voulais pas quitter l’endroit, je ne voulais pas partir. A la fois à cause des détenus, mais aussi à cause de mon père, de maman. Je ne voulais pas que cette sensation s’arrête. Je me sentais tellement humaine, dans cet endroit. Sans pouvoir expliquer cela, j’étais à ma place.
Mais en sortant, je me suis sentie honteuse. J’avais honte d’être libre, dehors, dans ma voiture, avec mon téléphone, lisant mon livre, roulant vers mon cheval. J’avais tellement honte.
La chanteuse l’a dit, quand elle était dans la prison avec nous. Et j’ai trouvé ça tellement vrai, ça m’a tellement parlé que je ne peux que finir par cela.

« Le plus dur, ce n’est pas de rentrer. C’est de sortir. »
LaudeLove

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Re: Détenus

Message par LaudeLove »

C'est sublime ! J'aime énormément ton texte, il est très touchant !
AliasBookine

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Re: Détenus

Message par AliasBookine »

Merci beaucoup ! Ca fait vraiment plaisir. :D
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