Nouvelle : l'héritier.

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Naelya

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Nouvelle : l'héritier.

Message par Naelya »

Bonjour,
J'ai écris cette nouvelle il y a un certains temps déjà, une des plus aboutie que j'ai pu écrire et je me dis que ce serait peut-être le moment d'avoir quelques retours !! Donc je me permets de la soumettre à vos jugements de lecteurs avisés !

"J’avais dix ans la première fois que je suis rentré dans un musée. J’étais sorti me promener, prendre l’air, échapper aux regards d’une mère trop présente, me libérer de mon père et de son absence.

Cela faisait une demi-heure que je marchais sans vraiment savoir où j’allais, je commençais à me lasser d’errer au hasard, mais le destin fit que mes pas me guidèrent devant un musée. C’était un grand établissement blanc avec cinq lettres noires accrochées au-dessus de la porte, il n’avait même pas de nom mais il attira mon regard et me força à m’arrêter. Je ne sais pas vraiment ce qui m’a poussé à y entrer, aujourd’hui je me plais à dire que c’est ma curiosité de jeune enfant insouciant. Toujours est-il que j’en ai poussé la porte. La première chose que je vis, furent deux vigiles, deux montagnes de muscles avec des yeux fixes, qui surveillaient la porte d’entrée, je me suis dit qu’ici cela ne rigolait pas, et que j’allais sûrement y trouver un grand nombre de grandes personnes. Cette idée me rebutait un peu mais la curiosité des enfants étant plus forte que tout j’ai continué cette expédition en territoire inconnu : Heureusement !
Il y avait une dame derrière le comptoir d’accueil. Je l’ai appelé d’une toute petite voix, il faut dire que je n’étais pas très à l’aise, j’étais très impressionné par ce nouveau lieu qui s'ouvrait à moi et en même temps qu’il éveillait une envie de découverte, il m’inspirait un peu d’appréhension… J’ai malgré tout répété mon appel avec plus de force :

- Madame ?

Elle finit par baisser les yeux, elle prit un air étonné, on ne devait pas croiser un enfant de dix ans se promenant tout seul dans un musée tous les jours ! J’ai donc demandé sans attendre d’approbation :

- Je peux entrer s’il vous plaît ?

Elle resta éberluée un temps et finit par répondre essayant de se redonner une contenance :

- Oui, tu as quel âge mon petit bonhomme ?

- 10 ans.

- Et que fais-tu tout seul ici ?

- Et bien… Je suis curieux.

Elle sourit et après avoir précisé que c’était gratuit pour les moins de dix-huit ans, m’a donné un ticket. J’ai donc pénétré dans le royaume de l’art, mais ça je ne le savais pas encore !

La première salle était, comme je l’avais prédit, peuplée par beaucoup d’adultes. Certains enfants aussi mais la plupart faisaient la moue, traînés de force par leur parents. Je ne comprenais pas ce qui leur déplaisait, personnellement, avant même de m’être intéressé de près aux œuvres d’arts je me sentais bien, en sécurité, toute trace de mon appréhension avait disparu. Certaines personnes se retournaient sur mon passage, se demandant entre eux en chuchotant ce que je faisais ici tout seul et si j’étais perdu. Mais aucun n’est venu me parler, ils m’ont laissé en paix. J’ai remarqué qu’il y avait d’autres vigiles, un posté à chaque coin de la salle. Je savais qu’ils ne me voulaient pas de mal mais ils m’impressionnaient. Je me suis assis au milieu de la pièce, il y avait un banc de satin rouge. J’ai regardé l’œuvre devant moi, elle représentait une femme avec un chapeau rouge et un drapeau bleu blanc rouge, j’avais appris à l’école que c’était celui de la France. Autour d’elle il y avait des hommes avec des fusils, et même un enfant, je me suis demandé quel âge il pouvait avoir, à peu près le mien, peut-être plus… Par terre il y avait des corps allongés, quelque part je savais qu’ils étaient morts mais je n’osais me l’avouer, je préférais me dire qu’ils dormaient. Je me suis laissé aspiré par ce tableau, il m’a pris, et m’a emmené à côté de cette femme qui semblait admiré de tous. Plus rien autour de moi n’existait. Je suis resté de longues minutes (où peut-être était-ce des heures, je ne saurais le dire) à l’observer, à m'en imprégner, à le graver dans mon esprit. Je n’arrivais pas à en détacher les yeux, j’étais hypnotisé. Soudain une main sur mon épaule me sortit de ma léthargie. Je sursautai et me retournai, c’était la femme de l’accueil :

- Viens petit on ferme ! Il est l’heure de rentrer chez toi !

- Oui Madame j’arrive.

Avant de partir je m’approchais du tableau, en dessous il y avait écrit :

“ La liberté guidant le peuple, Eugène Delacroix 1830”.

Tous les jours, après l’école je courais, mon cartable encore sur les épaules, je revenais m’asseoir sur le banc en satin rouge, et je m’aventurais chaque jour un peu plus loin dans cette nouvelle porte de l’imaginaire qui s’était ouverte et tous ses chemins merveilleux. J’étais fasciné par chacune des œuvres… J’en choisissais une par jour je restais à la regarder, enfin à la dévorer du regard serait plus exact. Je restais jusqu’à la fermeture, me laissant envoûter par les traits des personnages, ou les ombres des paysages. La dame de l’entrée s’était habituée à moi et elle m’accueillait toujours avec un grand sourire et un mot gentil, je l’aimais bien, elle faisait partie du lieu, elle contribuait à son harmonie. Au bout d’un mois, j’avais l’impression que moi aussi, telle un tableau accroché sur le satin rouge des sièges qui me servaient d'appui, je faisais partie à part entière du musée. Même les vigiles avaient fini par s’accoutumer à mes allés et venus et à me glisser de temps à autres quelques esquisses de sourire discrètes. Jamais je ne m’étais senti aussi bien quelque part, j’avais l’impression d’avoir trouvé ma place dans ce monde. Ces chefs d’œuvres étaient devenus mes amis, les peintres mes modèles, les couleurs mes confidentes. Je les connaissais tous par cœur, chaque trait de pinceau, chaque marque d’ombre ou de lumière. Je ne peux pas dire que je les comprenais mais je pense que quelque part ils faisaient et font toujours partit de moi. J’avais apprivoisé le regard bienveillant de la Joconde, contemplé le sacre de Napoléon, découvert l’astuce du tricheur à l’as de carreau… Ils étaient devenus mes compagnons les plus chers.

Mais un jour je la découvris, celle qui deviendrait l’amour de ma vie, celle qui me guiderait pour le reste de mes jours. Ce jour-là, je n’avais que dix ans mais ma vie bascula.

J’allais au musée comme tous les jours, j’avais fait le chemin en courant pressé de retrouver mes précieux camarades. Cela faisait maintenant trois mois que je me rendais au musée tous les jours et j’avais finis par m’imprégner de tous les tableaux des premières salles. Ce jour-là j’avais donc décidé, pour mon plus grand plaisir de découvrir une nouvelle pièce. J’entrais donc et me retrouvais face à face avec elle, juste devant moi, ses yeux gris/marron fuyant chastement mon regard.

Elle était seule, son œil était apaisant et son air était innocent et calme. Sa bouche était close mais sa posture en disait long sur ses pensées, son visage au teint pâle était éclairé par une lumière qui paraissait presque divine. Elle possédait une beauté discrète qui s’immisce dans votre cœur et prend possession de votre âme. Une beauté intimant au respect le plus audacieux des prétendants. Son aura se rependait dans toute la pièce, puissant, poétique presque magique. Je ne pouvais détacher mes yeux d’elle, mon cœur s’emballa, et des papillons envahirent mon ventre, je me sentais mis à nue par sa gestuelle, dévoilé par ses yeux. Face à elle je me sentais petit, tout petit, insignifiant. J’aurais été à ses pieds par un simple regard. J’étais incapable de détourner les yeux, je me dirigeais à tâtons vers le banc identique à tous les autres, en satin rouge. Je l’admirais plus que je ne l’avais jamais fait avec personne. Mes camarades féminines de l’école me paraissaient toute extrêmement fades comparées à cette perfection qui s’offrait à moi.

Je restais de longues minutes à m'enivrer de son visage, je ne saurais dire exactement combien, j’avais perdu toute notion du temps, tout ce qui existait quand je posais mes yeux sur elle étaient, elle, moi, et les battements de mon cœur. Mais je dus bien me rendre compte au bout d’un moment d’une proximité humaine, qui se transformait peu à peu en obstacle à mon intimité avec le tableau. J’ai tourné, à regret, la tête et c’est là que je l’ai vu. Il était assis à côté de moi, cela m’a d’abord surpris car d’habitude personne ne s’assoit sur ces bancs, les visiteurs passent trop vite d’une œuvre à une autre, sans prendre le temps de l’apprécier, des fois je les regardais et je souriais intérieurement. Mais cet homme assis à mes côtés était différent je l’ai tout de suite senti. Son regard sur l’art était différent, il ressentait les tableaux, il les gravait au plus profond de son être, il les respirait, les réinventait peut-être aussi, mais toujours avec respect, avec une sagesse et une solennité qui n’appartenait qu’à lui. J’ai tout de suite ressenti une sorte d’affection pour lui, j’y voyais peut-être le grand père que je n’avais jamais eu… Je l’ai regardé lui aussi, il dégageait une autorité et un charisme qui me réduisaient au silence, il m’impressionnait. Une fois passé la surprise de sa rencontre je me rendis compte que lui aussi regardait le tableau, mais pas avec des yeux immatures et passionnés, plutôt avec bienveillance et peut être une certaine mélancolie.

Tous les jours je le retrouvais là, assis au milieu de la pièce, se concentrant sur le tableau, parfois j’avais l’impression qu’il dormait les yeux ouverts. Un jour je décidais d’aller m'asseoir à côté de lui pour admirer le tableau avec lui et ressentir ce qu’il lui inspirait, nous sommes restés assis l’un à côté de l’autre, de longues minutes, peut-être même des heures, la beauté fait perdre la notion du temps, à la regarder à telle point que j’avais fini par avoir l’impression de la connaître. Au terme de ce moment que nous avions passé hors du temps, le vieil homme prit la parole, je ne savais pas vraiment à qui il s’adressait étant donné qu’il n’avait pas lâcher le tableau des yeux mais je l’écoutais attentivement il dit simplement :

- L’art ne se comprend pas, il s’observe, se ressent se délecte, s’admire aussi parfois mais il ne se comprend pas car quand un artiste crée il est parcouru par tant d’émotions indescriptibles et intimes qu’on ne pourrait s’oser à les retranscrire par des mots. Je pense que tu as compris ça en regardant ce tableau, tu en as profiter, tu l’as exploité, tu t’en es rempli le cœur, mais tu n’as pas essayé de la comprendre car sa beauté t’a frapper, n’est-ce pas ? “

Éberlué par la justesse de ses mots je ne savais que répondre, il lança vers moi un regard bienveillant d’homme qui a vécu, qui a parcouru une longue route semée d’expériences. Il me sourit d’un sourire emplit d’une malice enfantine et contagieuse. Il reprit d’une voix douce mais ferme :

“- Reviens demain, je t’apprendrai les subtilités de cet art qui s’est introduit à toi.”

Et il s’éloigna d’un pas tranquille, léger, qui lui donnait un aspect d’ombre bienveillante, bénéfique.

Le lendemain j’y retournai donc comme à mon habitude, je le trouvai là devant le tableau, conservant la même justesse dans le regard, la même harmonie avec le tableau. Je pris place à ses côtés, je ne savais que dire ni que faire. Je décidais de me taire, il m’avait invité à cette séance, c’était donc à lui de l’introduire. En attendant un quelconque signe de sa part je regardais le tableau, j’avais la singulière impression que jamais je ne m’en lasserais, qu’il était comme un bras ou une jambe, que je ne pourrais pas vivre sans lui comme je ne pouvais pas vivre sans un de mes organes vitaux. Cette sensation était dévorante mais sublime, mon jeune cœur ne pouvait la gérer et se laissait emporter petit à petit. Il découvrait simplement l’amour. Au bout d’un temps, que je ne cherchais même plus à compter car cela n’avait pas plus de sens pour moi que le contrôle de mathématiques du lendemain, il se leva et se dirigea vers la salle voisine, sans une invitation de sa part je savais instinctivement que je devais le suivre. Nous arrivâmes dans une petite salle, perdue entre deux couloirs il n’y avait que deux tableaux, l’un représentait une femme debout à côté d’un arbre, l’autre un homme, les deux tenaient dans leur main une pomme. Le vieil homme regardait le tableau, je l’imitais. J’essayais de le détailler, de repérer chacune de ses parcelles, de mettre à jour ses secrets. Je n’en menais pas large, il faut bien l’avouer mais comme tous ceux que j’avais avidement observés jusqu’à présent je m’en délectais.

L’homme finit par poser une question très simple mais qui me dérouta complètement :

“- Que vois-tu ? “

Je réfléchis quelques minutes avant de répondre :

“ - Je vois un homme et une femme, ils sont adultes. A côtés de la femme il y a un arbre, et tous deux tiennent une pomme, je pense qu’elles proviennent toutes deux de l’arbre… Et derrière eux il n’y a rien, pas de ciel ni d’oiseau, juste une couleur, le noir. Il y a aussi un serpent, qui les regardent, il n’a pas l’air très gentil d’ailleurs.”

Le vieil homme hocha la tête pensive. Il resta coi de longues minutes, plongé dans une contemplation innommable. J’en profitais moi aussi pour me glisser dans une innocente béatitude. D’un seul coup sans préavis il répéta la question :

“- Que vois-tu ? “

Je ne compris pas tout de suite à quoi il voulait en venir, le sens sous-entendu d’une question, à laquelle j’avais failli, m’échappai. Je ne détachais pas mes yeux de la toile, je cherchais la réponse entre les traits de la femme, parmi les couleurs de l’homme, dans la profondeur de la noirceur de l’arrière-plan. Je plissais les yeux intensément, je sentais qu’une esquisse nouvelle se peignait en moi, ma perception changeait. La solution se dessina alors devant moi, claire, dans les yeux du serpent, les feuilles de l’arbre et le rouge de la pomme.

“- Je vois la naissance, le commencement.”

C’est ainsi que commença mon apprentissage, notre amitié, nos partages. Il m’apprit les secrets des tableaux de Rembrandt, l'incompréhensible des toiles de Dali, en faisant quelques détours par Goya, ou Cézanne… Tous les jours nous nous retrouvions, et tous les jours je prenais un peu plus de plaisir à me trouver là. Ce qui me plaisait, me passionnait plus que tout c’était qu’il n’analysait pas les œuvres, il les comprenait, comme si elle avait fait partit de lui, comme s’il les avait lui-même peintes. Et à chaque fin d’entrevue nous contemplions cette beauté picturale qui nous inspirait tant de sentiments et d’émotions différentes et indescriptibles. Je me sentais amoureux, amoureux de l’art, amoureux de ce nouveau monde qui s’ouvrait à moi et amoureux d’elle, la Dame à l’hermine, qui peuplait mes nuits.

Mon entourage ne comprenait pas vraiment cette nouvelle passion. Il est vrai que mes notes baissaient, que je dormais moins, que je mangeais mal et que l’art prenait tout mon temps mais de là à me reprocher d’aller tous les jours au lieu qui me rendait le plus heureux sur cette terre, il y a une limite. Mon père lui ne pouvait rien me dire, il était ailleurs, encore, quelque part en Europe ou en Asie pour un nouveau voyage d’affaires. Et j’avais conscience que je perdais les peu d’amis que j’avais déjà car tout mon temps libre je le passais au musée, en compagnie du vieil homme et des tableaux. Mais malheureusement, ma mère, qui décidément n’avait pas la fibre artistique, décida que j’étais trop jeune pour me passionner pour l’art. Comme s’il y avait un âge pour s’ouvrir à la culture. Le verdict frappa. Privé de sortie une semaine. La semaine la plus longue et la plus dure de mon enfance. Je regardais par la fenêtre le chemin qui me mènerait jusqu’au Graal de mes pensées. Je rêvais des toiles, une plus que les autres d’ailleurs toujours la même, elle m'habitait. Mais au bout de deux jours d’un ennui presque mortel je décidais que ce ne serais pas une porte qui me séparerait de l’art. Je montais au grenier, et après quelques heures de recherche, je découvris trois livres qui sentaient la poussière et contenant quelques pages se démenant contre la moisissure. Cependant je déchiffrais le titre aisément, “Œuvres majeurs de Léonard de Vinci.” J’ouvris une page, le hasard fit que ce fut la bonne. Elle était là, face à moi. J’en tombais assis de surprise et d’émerveillement. Le merveilleux tableau, la femme qui me fit découvrir la passion, ici, dans mon grenier. Mon rêve devenait réalité. Je ne pouvais garder cette trouvaille pour moi, je devais la partager avec le vieil homme. Tant pis pour ma mère et ses punitions absurdes. Il était 6h, j’avais une heure pour aller au musée et le retrouver, il y était j’en étais sûr, comme tous les jours.

Je me glissais dans ma chambre à pas de loups, et sortit par ma fenêtre, par chance j’habitais un pavillon. Je courus à en perdre haleine, l’adrénaline de la joie m’aurait presque fait pousser des ailes ! J’arrivais au musée haletant et en nage, le précieux ouvrage serré contre mon cœur. J’entrais, sourit à la dame de l’accueil et sans prendre le temps de lui adresser deux mots, filais jusqu’à la salle où l’on avait interrompu nos leçons. Il n’était pas là. La panique me submergea. Je ne pouvais pas courir dans le musée, le règlement l’interdisait, malgré tout je visitais salles après salles le plus rapidement que mon pas me le permettait. Il n’était nulle part. Mon estomac se retourna, un vide au creux de mon ventre apparu, et la peur m’envahit. Jamais il ne manquerait un jour au musé, et jamais il ne risquerait de perdre une minute loin de ces œuvres, je le savais au fond de moi, il lui était arrivé quelque chose. Je descendis jusqu’à la réception, paniqué. La gentille dame qui m’avait soutenue jusque-là me vit arriver, elle me demanda d’une voix douce que je n’ai jamais oublié :

“ - Que se passe-t-il mon garçon ? Tu as un problème ?

- Je ne trouve pas mon ami, un vieil homme très gentil, l’auriez-vous vu ?

J’essayais de calmer les battements de mon cœur qui s’emballait et résonnaient à mes oreilles.

- Tu parles du vieil homme qui va souvent voir le tableau de Vinci ?

- Oui, lui-même, alors vous savez où il est ?

- Oh… Mon pauvre garçon, il s’est évanoui hier soir avant la fermeture, devant ce même tableau, les urgences l’ont emmené et il doit être à l'hôpital à l’heure qu’il est…

Ma gorge se noua, je ne pouvais pas tout comprendre mais je savais que c’était grave, mes yeux s’embuèrent :

- Quel hôpital ? Je dois le voir.

Ma voix se voulait ferme, mais elle tremblait malgré tout. La dame de l’accueil, me regarda, je sentais qu’elle ne savait pas quoi faire devant ma détresse. Elle me proposa :

- Mon garçon, si tu veux je finis dans 10 minutes, je t’y emmènerais.

-Merci infiniment !”

J’attendis les 10 minutes, le souffle court, j’avais peur, trop peur. Mon seul réconfort était le livre serré sous mon bras que je n’avais pas lâché. Je l’ouvris pour la seconde fois, sur la même page, je trouvais dans les yeux de cette femme, dans la fourrure de l’animal qu’elle portait, dans ses mains, dans la parure de sa robe, le réconfort que je cherchais. Cela ne m’apaisa pas complètement, mais cela m’aida à patienter les dix longues minutes promises. Au terme du temps imparti, la dame m’invita à monter dans sa voiture. J'eus une pensée pour ma mère elle devait s'inquiéter, mais cela m’importait peu maintenant, la priorité était de savoir si le vieil homme allait bien et de lui parler de ma découverte. Nous arrivâmes à l’hôpital 20 minutes plus tard, mon rythme cardiaque était beaucoup trop haut. Je remerciai brièvement la dame de l’accueil, elle décida de m’accompagner pour communiquer avec le personnel de l’hôpital, présageant que rare sont les gens qui prennent un enfant de 10 ans au sérieux. Elle parla avec la réception, et je ne sais pas exactement ce qu’elle leur dit mais elle trouva le numéro de la chambre. Je courais à travers les couloirs, elle suivait péniblement derrière moi.

Enfin, au bout d’une longue course effrénée j’arrivais devant la porte 78B, sa chambre d’hôpital.

Ma main tremblante frappa trois coups sur le bois blanc, une voix, faible et autoritaire à la fois me dis d’entrer. Sa voix. C’était bon signe. Je passais prudemment le pas de la porte, il était allongé sur son lit, le teint pâle mais toujours la même étincelle dans le regard. Quand il vit que c’était moi, une esquisse de sourire se dessina sur ses lèvres :

- Bonjour bonhomme, alors comme ça on loupe une journée de leçon ?

- Je suis désolé monsieur, ma mère m’a puni parce que je venais trop au musée.

- Ah mon pauvre garçon, l’art exige des sacrifices…



Il sembla perdu dans ses souvenirs quelques instants. Je me suis soudain rappelé de ce que j’avais sous le bras :

- Mais j’ai fait une découverte dans mon grenier, je saisi le livre, l’ouvrit à la bonne page et le lui tendis.

Malgré mon jeune âge je vis que ses yeux se remplirent d’émotions, et j’étais fière de moi.

Il me sourit :

- Merci jeune homme, tu vois l’art est partout, dans les musées, dans un livre, dans la vie et dans ton cœur. Ne l’oublie jamais, pour peu que tu le veuilles, il sera toujours avec toi.

Je hochai la tête. Mais une question me trottait dans la tête depuis quelques semaines maintenant depuis que j’avais aperçu cet air dans son regard quand il regardait le tableau. Ce n’était pas juste de la fascination comme ce que moi j’aurais pu ressentir… Non on aurait dit qu’il connaissait le tableau, et pas uniquement sur la toile.

- Monsieur… Je peux vous poser une question ?

- Oui bien sûr, ce que tu veux…

- Pourquoi ce tableau importe-t-il tant à vos yeux ?

- A toi aussi n’est-ce pas ?



- Oui évidement mais vous ce n’est pas pareil… C’est comme si vous le connaissiez…

- Bien observé… C’est une bien longue histoire tu sais… Mais si tu insistes je vais quand même te la raconter… Ce tableau fut peint par Léonard de Vinci entre 1488 et 1490, c’était un cadeau pour la modèle, Cécilia Gallerani, de la part de son amant de l’époque Ludovic Sforza, duc de Milan. Il voulait lui laisser un dernier présent avant leur séparation définitive qu’obligeait son mariage avec Isabelle d’Este la femme avec qui il passa le reste de sa vie. Ce tableau passa entre de nombreuses mains notamment pendant la Seconde Guerre Mondial ou les nazis l’ont volé. Une fois cette guerre meurtrière achevée, l’œuvre fut racheté par le propriétaire d’un château de Pologne, le château Wawel. Celui-ci le recueilli, le restaura et l’aima comme il l’aurait fait de son propre enfant. Mais la vie suivant son cours, son penchant pour le jeu ayant des conséquences les dettes commencèrent à pleuvoir. Il eut quand même un fils, le fruit d’une nuit de déboire, une fois l’enfant né la mère lui en donna la garde et s’enfuit, il l’éleva seul, accumulant les emprunts, augmentant ainsi la rage de ses créanciers. Il parvint malgré tout à lui transmettre sa passion, à lui faire part de son amour pour l’art, son talent pour la restauration. Mais un sombre après-midi, ils sont arrivés, ils ont tous pris, commençant par la table, héritage de l'arrière-grand-mère, jusqu’au magnifique tableau qui avait bercé toute mon enfance et que tu as aujourd’hui devant les yeux. Ce fut un coup dur et le tableau disparût plusieurs années. Le fils et son père avaient été chassés de leur château et n’avaient ni famille ni amis chez qui se réfugier. Ils ont erré dans les rues. Un jour ou la pluie battait son plein ils se sont réfugiés dans un musée, le musée officiel de Cracovie. Le fils était enchanté et émerveillé de le revoir mais le père ne partagea pas son euphorie. Il avait l’impression insupportable que le tableau était violé par tous les regards qui défilaient chaque jour. Il considérait que c’était une beauté si pure et si parfaite qu’elle ne pouvait s’admirer que dans l’intimité d’un chaleureux foyer. Ce fut le choc de trop, il n’y résista pas et il devint fou, fou d’amour et de rage. Il se laissa dépérir de faim, de froid et de désespoir. Son fils qui n’avait encore que dix-sept ans à l’époque se retrouva seul mais ne pouvait se résigner à quitter Cécilia. Il demeura donc auprès d’elle, restant à Cracovie tant qu’elle y était. Voyageant jusqu’à Londres comme un clandestin quand elle y fut exposée temporairement et pour finir il arriva dans un village, où il rencontra un petit garçon qui avait dans le regard la même étincelle que lui à son âge. N’ayant jamais eu d’enfants il vit en lui la chance de transmettre son savoir, de perpétuer l’héritage de son père. Le petit garçon ne l’a pas déçu dans toute l’innocence et la curiosité de son jeune âge. Et tout ce que j’espère maintenant c’est qu’il continuera sur cette voie-là, vouant sa vie à l’art.”

Il me regarda intensément, je vis d’un coup tout le poids des années dans ses yeux et je compris qu’il parlait de lui, de moi. Je lui dis oui du regard et mes lèvres prononcèrent instinctivement, indépendantes de mon cerveau :

- Je suis sûr que ce petit garçon sera honoré de cette tâche et consacrera sa vie à l‘art.

Il me sourit un grain de malice dans le regard. Une réalité s’imposa à moi, comme une gifle : il faisait de moi son héritier, il me donnait le titre symbolique de légitime possesseur de la Dame à l’hermine. Mon cœur battait à tout rompre, j’étais fier de cet honneur. Et heureux de pouvoir vivre aux côtés de mon premier amour, aussi spirituel et onirique qu’il soit. Je ne trouvais rien à dire, je parvins simplement à bafouiller :

- Merci Monsieur, pour tout.



- Merci à toi mon petit bonhomme de me l’avoir amené. Je vais pouvoir partir en paix.

Il mourut deux jours plus tard, j’étais à l’école, je l’ai appris au musée, c’est la dame de l’accueil qui me l’a annoncé avec une certaine peine dans la voix. Je versai une larme, unique larme, car je savais qu’il était parti heureux et apaisé, accompagné de la femme de sa vie ; le cycle pouvait continuer sans lui. Ce jour-là je pris la décision qui me guida dans la vie, je devins restaurateur d’œuvre d’art. Je nourrissais également un rêve, beaucoup plus personnel et secret que je n’ai jamais perdu de vue. Aujourd’hui je peux dire avec fierté que je l’ai réalisé, que mon bonheur est enfin complet, la justice est rétablie, l’héritage est délivré.”

Jonathan traça son dernier mot sur le papier, posa son stylo, leva les yeux. La dame à l’hermine était là, fixée sur sa toile, à une effleure de son visage, il sourit. Ils n’y avaient qu’eux dans l’intimité d’un foyer chaleureux. Elle était toujours aussi belle, il était toujours aussi fasciné."

Voilà en espérant que cela vous aura plu :)
Gilles51

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Re: Nouvelle : l'héritier.

Message par Gilles51 »

Bonjour Naelya,
Franchement, j'ai trouvé ta nouvelle magnifique ! C'est bien écrit, on rentre tout de suite dedans, et on n'a plus envie d'en sortir !
En lisant ceci, j'ai pensé : "elle devrait écrire un roman", mais après, en lisant ton "Qui suis-je", j'ai vu que c'était déjà fait... Je peux te demander si tu l'as envoyé à un éditeur ou si c'était simplement pour toi ?
En tout cas, encore bravo ! :o)
Charmimnachirachiva

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Re: Nouvelle : l'héritier.

Message par Charmimnachirachiva »

Magnifique, je n'ai pas d'autres mots
zoulia

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Re: Nouvelle : l'héritier.

Message par zoulia »

Salut!
Quel bonheur de relire une de tes nouvelles!
C'est juste magnifique, ça se lit tout seul, c'est poétique, entrainant...
C'est un format qui te va très bien!
Si jamais tu en postes d'autres, n'hésite pas à me tenir au courant ;)
Naelya

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Re: Nouvelle : l'héritier.

Message par Naelya »

Merci pour vos messages tellement encourageant :) Ca fait vraiment plaisir !

Gilles51 :
Je peux te demander si tu l'as envoyé à un éditeur ou si c'était simplement pour toi ?
Je l'ai publié par le biais d'une association qui cherchait un appui pour travailler sur le harcèlement scolaire et l'homophobie donc la publication est restée locale en Bourgogne, c'est un livre qui s'appuie sur un style différent car il prend la forme d'un journal intime. Si jamais cela t'intéresse je pourrais te l'envoyer en PDF ^^

Charmimnachirachiva : Merci beaucoup ça me touche !

Zoulia : ça me fait vraiment plaisir que tu l'ais lu ! Ce serait également plaisir que je lirais une de tes productions si jamais tu as encore un peu de temps à consacrer à l'écriture ;)
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