Cesse de geindre

[Arcanum]

Cesse de geindre


Susanne se réveille tôt ce matin-là. Elle se réveillait toujours la première ; son mari était du genre à prendre son temps.

Après avoir passé un peu d’eau sur son visage, elle descend au rez-de-chaussée et se dirige machinalement vers la cuisine. Elle y allume la cafetière, sort deux bols, deux tasses et deux cuillers. Elle prend les céréales et le lait et les pose sur la table. Elle s’assoit sur sa chaise, dos à la fenêtre, comme d’habitude.

C’est cet instant que choisissait toujours le bébé pour se mettre à pleurer. Ça commençait toujours par de légers gémissements. Des gémissements qui suffisaient à couvrir le bruit de la cafetière. Susanne reste assise à fixer le filet de café s’écouler jusqu’à qu’il ne reste plus que des gouttes. Elle se relève calmement et se verse une tasse de café. Sans prendre le temps d’y mettre du sucre, elle porte la tasse à ses lèvres et se brûle. Aïe ! Elle repose la tasse, agacée. Elle regagne sa place avec sa boisson et attend les bras croisés qu’elle refroidisse. Le bébé continuait de pleurer. Ce n’était plus des gémissements, il hurlait presque à présent. Inutile de penser que son mari allait calmer leur bébé. Il ne l’entendait pas pleurer. Il ne l’avait d’ailleurs jamais entendu.

Elle verse des céréales dans son bol et y ajoute du lait. Elle prend une grosse cuillerée, mais le bruit des pétales qui croustillent sous ses dents ne suffit pas à couvrir le bruit du bébé. Elle prend une cuillerée plus grosse encore. Elle mâche sa nourriture avec force. Ses dents finissent par mordre sa langue. La douleur aurait dû arrêter n’importe qui, mais ça n’arrête pas Susanne qui continue à mâcher bruyamment ses céréales. Elle fixe un point dans le vide. Une fois son bol terminé, elle attrape machinalement sa tasse de café et boit une gorgée sans cesser de regarder dans le vide. Amer. Trop amer. Le goût puissant de son café tapisse son palais. Ça lui fait du bien. La caféine lui donne un semblant d’énergie, énergie qu’elle ne parvient plus à trouver dans son sommeil malgré les somnifères qu’on lui avait prescrits.

Ses cernes creusés rendaient ses pommettes plus saillantes qu’elles ne l’étaient déjà. Elle pose ses yeux fatigués sur sa tasse. Ces foutus cris n’allaient-ils jamais cesser ? Elle est à bout de nerfs. Ses mains tremblent. Elle resserre sa prise sur sa tasse et avale le liquide qu’il reste d’une seule traite. Trop amer. Beaucoup trop amer. Elle ferme les yeux pour se concentrer sur l’affreuse amertume qui tapisse maintenant toute sa gorge. Et elle crut, pendant un instant qui semblait figer le temps, que les hurlements du bébé avaient cessé.

Mais elle rouvre les yeux. Et ils reprirent de plus belle. Ses nerfs lâchent et Susanne lance la tasse contre le mur en face d’elle en poussant un profond cri de frustration. Si son mari avait été assis en face d’elle, derrière son bol, il aurait reçu le projectile en pleine face. Elle se lève brusquement, les deux mains à plat sur la table, en faisant crisser la chaise sur le lino gris de la petite cuisine. Elle écrase des débris de céramique et se dirige vers les escaliers. Elle monte au premier en faisant grincer le vieux bois des marches.

Elle doit appliquer les conseils que son thérapeute lui a donnés.

Allez à la source du problème, Susanne.

Susanne arrive au premier et tourne en direction du couloir.

Vous entendez des pleurs provenant de la chambre ?

Elle passe devant la salle de bain et continue.

Eh bien, allez-y !

Elle arrive devant la porte de la chambre à peine entrebâillée.

Allez dans cette chambre, Susanne.

Elle n’hésite qu’une seconde et entre en repoussant la porte d’une main ferme.

Vous verrez qu’il n’y a rien.

Les pleurs cessèrent au moment où elle pose le pied dans la chambre, comme si elle avait appuyé sur un interrupteur. Rien du tout. Il ne reste plus aucune trace des pleurs qui hantaient son esprit de mère. Elle balaye la petite pièce des yeux à la recherche de n’importe quoi qui aurait pu prouver qu’elle ne souffre pas d’hallucinations. Mais la pièce est totalement vide. Se défaire du passé en retirant tous les meubles fait partie de sa thérapie. Elle arrête son regard sur l’endroit où le lit de sa fille se trouvait il y a de cela une éternité lui semblait-il, puis ferme la porte.

Le silence l’enveloppe. Sa fille était morte. Son mari aussi. Tous les deux. Morts. Maintenant, il ne restait plus que Susanne et ce mal qui l'usée. Sûrement était-elle morte elle aussi, d'une certaine façon.

[normalement]

Ce texte est magnifique !
J'ai cru pendant la lecture que la mère allait tuer sa fille en criant "cesse de geindre !" mais c'est surement mon coté dramatique qui a prit le dessus !
Remarque, ce texte est bien assez dramatique avec cette fin ! On sent bien la détresse de Suzanne, sa demi-folie qui prend le dessus sur sa raison !
Bref, un texte génial ! Bravo

[Arcanum]

Merci, Normalement, je suis ravie que ce texte t'ait plu ! Je garde ton idée d'infanticide dans un coin de ma tête

[Charmimnachirachiva]

Trop bien, bien que ce soit pas trop mon genre de lecture, cette fois si, j'ai trouvé ça touchant

[Arcanum]

Merci, Charmimnachirachiva ! Ca me fait très plaisir de savoir que mon texte ait pu te toucher

[Charmimnachirachiva]

De rien, c'est justifié, tu écris très bien