Vox populi [Réaliste]

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vampiredelivres

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Vox populi [Réaliste]

Message par vampiredelivres »

︻╦╤─ | VOX POPULI | ─╤╦︻


     Derrière les casques, les visages font grise mine. Ça fait des plus de six heures qu’ils sont là, debout au milieu des rues froides, lourdement armés, face à la foule en colère. Huées, insultes, crachats, ils ont déjà tout essuyé, et pourtant, cela ne semble pas près de s’arrêter. Entre les cris furieux et les poings brandis, la rue semble être animée d’une vie propre. L’atmosphère oppressante pèse sur leurs épaules comme une chape de plomb, alourdit leurs déplacements et mine leur moral.
     Ils l’ont senti à l’instant où ils ont posé le pied sur le pavé. Cette lourdeur, ce chaos qui n’attendait que de se déclarer, cette odeur métallique, si proche de celle du sang et de la révolution. Ils ont senti la haine, la fureur de leurs adversaires, leur volonté de blesser, voire de tuer. Et, même s’il n’y en a que peu qui ont pour le moment osé agir, chaque seconde qui passe renforce le danger.
     Dans les rangs, Alex a cessé de réfléchir. L’épuisement, mêlé à une douloureuse sensation d’injustice qui vrille sa poitrine, ont anesthésié le reste de ses sensations, paralysé ses réflexions. Il sait qu’il a signé pour ça, qu’il s’est engagé pour agir dans ce genre de situations, mais actuellement, ses idéaux de justice et de droit sont violemment ébranlés par le cauchemar qu’il vit.
     Il ferme les yeux un instant, pousse un long soupir qui se répercute dans son casque. Le bouclier à son bras pèse son poids, sans même parler de l’équipement tactique qu’il porte depuis qu’il a pris son service. La seule chose positive, c’est qu’avec ces couches de vêtements, il n’a pas aussi froid que les manifestants en face. Eux frissonnent régulièrement, mais ça ne diminue pas leur virulence. Bien au contraire, ils semblent en tirer de la motivation, ils se soutiennent mutuellement.
     Le paradoxe des deux groupes, face à face, est frappant. D’un côté, les gendarmes nationaux, peu nombreux, figés, stoïque. De l’autre, la foule nombreuse et colérique, bruyante, en mouvement perpétuel.
     Soudain, un petit groupe se détache de l’anonymat, franchit en criant le no man's land de trois mètres qui sépare les forces de l’ordre des manifestants. Dans le peloton d’appui, Alex se tend, referme les doigts sur la poignée de son bouclier, observe la réaction de l’élément de contact. Les gendarmes resserrent instinctivement les rangs, les perturbateurs s’écrasent sur les boucliers de la ligne d’arrêt. Personne ne flanche, malgré les grognements au moment de l’impact, qui témoignent de la violence du choc.
     Les manifestants s’acharnent quelques secondes à coups de poing sur le plastique renforcé. Même à cette distance, Alex peut voir les gouttelettes sang qui giclent de leurs phalanges lorsqu’ils frappent un peu trop fort, entend leurs cris de frustration lorsqu’ils n’arrivent pas à briser le cordon de gendarmes. Puis, ils reculent, enragés par leur échec. Quelques uns de leurs amis les tapotent sur l’épaule lorsqu’ils regagnent les rangs de la foule, saluent leur « bravoure », huent à nouveau les gendarmes. Un court silence tombe, l’espace d’un instant, puis les huées reprennent. Ironiquement, Alex respire à nouveau un peu plus tranquillement. Il craint l’instant où ça dégénèrera totalement, où on lui permettra de faire usage de son arme, où il se sentira peut-être obligé de le faire.
     Il tourne légèrement la tête sur le côté, échange un regard las avec Baptiste. Leurs yeux sont vides, leur énergie, absente. À l’heure actuelle, ils donneraient beaucoup pour être chez eux, auprès de ceux qu’ils aiment. Mais personne ne sait combien de temps cette manifestation va durer. Ils étaient censés être chez eux, tranquilles, ce week-end, mais ils ont été rappelés en catastrophe. Enfin, en catastrophe… ils s’en doutaient tous un peu. Ils lisaient tous les appels à manifester sur les réseaux sociaux, voyaient la folie de masse qui augmentait graduellement. Certains ont même lu des messages qui encourageaient à « tuer du flic ». Pourtant, jusqu’au dernier moment, ils ont tous espéré que ce foutu coup de fil ne vienne pas.
     Alex bâille à s’en décrocher la mâchoire. Les heures se sont depuis longtemps dissolues dans un magma visqueux, étouffant. Impossible, à moins de consulter son poignet, de savoir depuis combien de temps il est là. Et, en vérité, il ne veut pas savoir. Cela vaut mieux, pour son mental, sinon il risque de commencer à prendre parti. L’absence de réflexions, ce silence mental semblable à la léthargie induite par les médicaments, lui fait plus de bien que de se poser des questions, parce qu’il sait qu’il n’aimera pas les réponses que son inconscient lui fournira. Alors il se contente d’observer la foule, de noter les visages en première ligne qui changent régulièrement, de se focaliser sur tout plutôt que sur ce que sa conscience voudrait lui dire.
     — Charlie, pause dej’ ! crie soudain Sylvain.
     Le peloton Charlie pousse un soupir de soulagement collectif à l’appel de son chef. Quinze minutes plus tôt, c’était Delta qui était parti manger. Maintenant, l’unité est en train de bouger, pour occuper la place que Charlie libère. Les hommes qui reprennent leurs fonctions échangent avec ceux qui la quittent des regards qui se veulent rassurants, mais qui en réalité témoignent de leur accablement.
     Charlie se replie dans un fourgon. Ceux qui portaient un bouclier s’en délestent avec soulagement, ceux qui portaient leurs matraques les posent à côté d’eux. Ils s’asseyent l’un à côté de l’autre sur les bancs métalliques, soulèvent leurs visières, font passer les petites baguettes jambon-beurre d’une main à l’autre, jusqu’à ce que tout le monde en ait une. Le silence règne, personne ne parle. Personne ne veut parler, en fait. Les parois métalliques du fourgon parviennent à atténuer une grande partie des bruits de l’extérieur, ce qui plonge l’espace fermé dans un calme relatif. Les hommes mangent en silence, se passent les bouteilles d’eau.
     Soudain, des cris retentissent dehors, si forts que même les portes fermées ne parviennent pas à les arrêter. C’est un mélange de peur, de haine et de détermination, qui semble faire vibrer le fourgon, ricoche dans les poitrines des gendarmes en y trouvant un douloureux écho. Une grande partie d’entre eux agrippent par réflexe leurs armes de service, rangées dans leurs holsters, la tension augmente brutalement, l’atmosphère devient électrique. Sylvain, le plus proche de la porte arrière, l’entrebâille légèrement, juste assez pour que le grésillement du haut-parleur, monté à pleine puissance, filtre par l’embrasure.
     — Obéissance à la Loi, dispersez-vous !
     Du côté des manifestants, les hurlements de fureur redoublent. Sylvain pose son sandwich à moitié entamé, appuie sur la petite radio accrochée à sa ceinture, écoute quelques instants. Une grimace déforme ses lèvres, il considère son peloton avec une lassitude palpable.
     — On vient de recevoir l’autorisation d’utiliser la force. Objectif, tenir la position et disperser la foule, lâche-t-il, lapidaire.
     Un lourd silence suit sa déclaration. Dans le mutisme, le marmonnement d’Alex, aussi bas soit-il, est entendu par tout le monde.
     — Journée de merde…
     Il voit ses collègues hocher la tête, avale en quelques bouchées les restes de son sandwich, s’essuie la bouche sans grâce dans la manche de sa veste. Sa femme aurait fait une scène si elle l’avait vu agir ainsi, songe-t-il brièvement. Mais sa femme est bien au chaud dans son petit appartement, suit probablement les chaînes d’information avec inquiétude, prie pour qu’il n’arrive rien à son mari. Elle a essayé de le convaincre de se faire porter malade, a même proposé d’appeler l’une de ses connaissances, médecin généraliste, pour justifier son absence. Alex l’a gentiment envoyée balader en lui expliquant que c’est son devoir.
     Maintenant qu’il est là, maintenant que l’autorisation est tombée, le Sig Pro à sa ceinture semble bien lourd. Certes, les armes létales sont un ultime recours, qui nécessitent une seconde autorisation, à moins de légitime défense. Mais avoir conscience de pouvoir, peut-être même devoir, les utiliser, lui serre le cœur, lui noue l’estomac. Il serre les dents, fait passer avec un peu d’eau le goût étrangement amer qu’a laissé le sandwich sur sa langue, et se redresse en même temps que les autres.
     — Première sommation, on va faire usage de la force ! crie le représentant de l’escadron dans son mégaphone.
     Une nouvelle vague de huées lui répond. Le peloton Charlie jaillit du fourgon derrière son chef, boucliers et bâtons en main, accueilli par des cris d’une rare véhémence. La manifestation, jusque là relativement pacifique, commence à sérieusement dégénérer. Des vagues successives de militants s’écrasent contre les premières lignes du barrage. Les porteurs de boucliers tremblent, mais encaissent les chocs.
     — Soutiens sur les côtés ! Charlie 1, à gauche, Charlie 2, à droite ! gueule Sylvain pour se faire entendre par-dessus le boucan.
     Alex n’hésite pas. Il passe en pilote automatique, efface de son esprit les doutes qu’il avait pu avoir jusque là. Impossible de réagir autrement, de toute façon. Les cris adverses lui vrillent les oreilles, pourtant, il agrippe plus fermement son bouclier, et file à droite, comme le reste de son groupe. À ses côtés, Sylvain et Baptiste font passer leurs bâtons en position médiane, ralentissent pour le laisser passer devant. Alex se range sur le côté, bloquant l’espace vide entre un membre du peloton Bravo 1 et le mur de la ruelle.
     — Dernière sommation, on va faire usage de la force ! tente une dernière fois le porte-parole.
     Face à la foule qui se masse et ne recule plus, il descend de son perchoir – le marchepied du fourgon – avec une grimace, il abaisse son mégaphone avec résignation.
     — LG, EN POSITION !
     Le cri du commandant de l’escouade porte, malgré le boucan autour, leur vrille les tympans. Alex sent son estomac se contracter. Puis, il avise les regards brillants de haine des civils qui lui font face, et son angoisse monte encore d’un cran. Pour eux, il est le pantin de ce gouvernement qu’ils détestent, une cible parfaite. Il le voit dans leur attitude agressive, les briques qu’ils tiennent à la main, qui menacent de bientôt s’écraser sur son bouclier. L’anxiété pulse dans ses veines, brutale, incontrôlable.
     — BOND OFFENSIF !
     Alex se met en marche aux côtés de ses collègues. Il devine, derrière lui, le soutien silencieux de Baptiste, qui est prêt à intervenir avec son bâton. Son estomac se contracte alors que la distance entre lui et les civils s’amenuise, et qu’ils ne reculent pas. Trois mètres. Deux mètres. Un. Contact.
     Il sent le pouvoir de la masse anonyme qui percute son bouclier, serre les dents. Les manifestants, poussés par ceux qui se trouvent derrière eux, ainsi que leur propre haine, sont plus forts que les six hommes qui leur font face. Mais la seconde ligne de gendarmes mobiles est au taquet. Les bâtons jaillissent derrière les boucliers, frappent en pleine poitrine, récoltent des cris de douleur et d’indignation, mais obtiennent aussi gain de cause. Les manifestants reculent un peu, les boucliers s’emparent immédiatement de ce terrain. Comment la situation a-t-elle dégénéré aussi vite ? s’interroge Alex, anesthésié par les chocs à répétition qu’il encaisse. Encore dix minutes plus tôt, ils étaient calmes… Mais l’effet de masse pousse aux horreurs.
     Une fois qu’ils ont repoussé les manifestants d’une demi-douzaine de mètres, les gendarmes reculent brusquement, synchrones. Il y a un court moment de flottement, dans les rangs des civils, qui ne comprennent pas, au début. Puis retentit le cri du chef d’escadron.
     — LG, FEU !
     Les lance-grenades crachent leurs projectiles par-dessus les boucliers des forces de l’ordre. Ils s’écrasent au sol, dans l’espace nouvellement dégagé, commencent à déverser leur gaz lacrymogène. À l’abri derrière le masque qu’il vient de mettre, Alex observe la panique qui prend le pas sur la haine alors que les civils, qui jusque là doutaient de la réponse musclée, reculent. Un mouvement de masse désordonné s’ensuit, alors que le gaz irritant envahit la ruelle, réduit le champ de vision de tous.
     Une poignée de secondes s’écoule dans un calme relatif. Puis, soudain, une silhouette solitaire, les yeux couverts par des lunettes de ski, et le nez par une écharpe nouée à la hâte, bondit, attrape la grenade qui continue de déverser son contenu, et la projette avec violence en direction des gendarmes. Elle s’écrase aux pieds d’Alex, qui n’a pas le temps de la repousser. La foule enhardie par ce mouvement « héroïque » s’élance à nouveau à l’assaut, malgré le gaz qui agresse les yeux et le larynx.
     Alex ferme les yeux une seconde avant l’impact, cesse définitivement de réfléchir. Lorsqu’il écarte à nouveau ses paupières, il ne voit plus d’hommes, il ne voit plus de visages. Il ne voit qu’une masse informe, abreuvée d’un sentiment de puissance terrifiant. Cette foule aux multiples facettes, des jeunes, des moins jeunes, des adultes, cherche à lui faire la peau. Certains se sont armés de pavés, certains de morceaux de métal, certains y vont aux poings. Il y a des hommes comme des femmes, des ethnies diverses et variées, mais une seule colère, une seule volonté : celle de détruire. La rage de vaincre les anime, leur donne leur force, alors qu’en face, les gendarmes doivent se contenter de leurs équipements et de leur peur pour faire leur devoir. Alors eux aussi, ils frappent, ils ripostent, peut-être plus fort qu’ils ne le devraient selon l’opinion publique.
     Pourtant, ils sont obligés de reculer, pas à pas. Ils sont douze, dans cette ruelle adjacente, face à une trentaine de civils enragés. Idem pour l’autre ruelle adjacente ; quant à la rue principale, ils sont quarante, face à deux cent au moins, et la violence verbale, qui prédominait jusqu’à maintenant, s’est transformée en violence physique.
Une nouvelle salve de grenades fuse. Cette fois-ci, ce sont des assourdissantes. Mais, au lieu de calmer la foule, elles ne font que déchaîner sa colère en explosant. La terreur se mêle à la hargne, donne encore plus de puissance aux manifestants.
     Derrière Alex, Sylvain, le chef du peloton Charlie, porte la main à sa radio, marmonne quelques mots que, dans le boucan, Alex ne parvient pas à saisir. Il baisse les yeux lorsqu’une jeune femme aux traits déformés par la rage s’écrase sur son bouclier, essaie de forcer le passage, se prend un violent coup de matraque de la part de Baptiste. Il avise son Sig Pro, bien au chaud dans son holster, et l’idée qu’il doive en arriver là manque tout juste de lui faire rendre son sandwich, avalé à peine vingt minutes plus tôt. Alors il recule.
     Soudain, Sylvain lui tapote l’épaule, lui hurle de s’écarter. Anesthésié, Alex obéit sans réfléchir. Un instant plus tard, un puissant jet d’eau fuse là où il se tenait un instant plus tôt, percute les manifestants, qui reculent. La même chose se passe près de l’autre mur. Des cris outragés retentissent, et les manifestants reculent, brutalement trempés.
     — CHARGE ! hurle Sylvain.
     Les gendarmes s’élancent au pas de course. Combiné avec les jets d’eau, l’assaut est effectif : ils regagnent le terrain perdu en une poignée de secondes. Le soudain manque d’assurance, en face, leur redonne le courage de se tenir fermement face à la foule en colère. Les grenades continuent de pleuvoir à intervalles réguliers, les civils avancent à nouveau, puis reculent, tels une marée rugissante.
     Les minutes s’écoulent ainsi, au rythme des échanges de coups. Les hommes ont cessé de réfléchir depuis bien longtemps. Durant les rares périodes d’accalmie, ils se relaient pour se reposer, ne serait-ce que dix minutes. Alex voit ses collègues vaciller plus d’une fois au fur et à mesure que la journée avance. Certains tombent, un ou deux se prennent des pavés dans la poitrine ou la jambe, doivent prendre du recul, voire quitter les lieux. Les effectifs de la gendarmerie s’amenuisent, alors que ceux des manifestants demeurent constants, ou du moins, semblent se renouveler régulièrement.
     Lorsque les réverbères s’allument, Alex sent le découragement l’envahir. À côté de lui, Baptiste a essuyé un tir de pavé dans la cuisse, et il a beau dire que ce n’était pas sa faute, Alex se sent coupable. C’était son bouclier qui était trop à gauche. Mais Baptiste a refusé d’aller voir le soigneur. Il ne veut pas abandonner ses collègues, non, hors de question. Alors, bon gré mal gré, il claudique, après avoir appliqué un peu de spray froid sur la blessure. Depuis, Alex le couve de son mieux.
     Parce que, sur les soixante-huit GM qui ont été déployés à partir de quatre heures du matin, il n’y en a plus que soixante-et-un. Et la différence pourrait ne pas sembler terrible, mais face à une foule de deux à trois cent personnes qui ne décolèrent pas, sept hommes en moins, c’est beaucoup trop. En plus, les CRS qui les soutenaient ces deux dernières heures ont été appelés ailleurs, à cause d’un hôtel en flammes.
     La nuit tombe, le gaz lacrymogène s’attarde près du sol, alourdit l’air et réduit la visibilité. Alex a la gorge irritée, malgré son casque et son masque. Il est plongé dans une transe passive, se contente d’encaisser, d’obéir à son chef de peloton. Ça fait plus de douze heures qu’il est sur place, maintenant, et la fatigue commence à prendre le dessus, malgré l’overdose de café infâme qui est distribué régulièrement. Il songe à ses enfants. Sa fille se trouve probablement à moins de trois kilomètres de là, debout en train de haranguer ses amis sur une barricade de lycéens. Il l’a vue en première page du journal, la veille, il lui a passé un savon. Elle s’est contentée de lui répondre que les manifestants ont raison et que lui et son bel insigne de flic peuvent aller se faire foutre, avant de s’enfermer dans sa chambre.
     Et, dans la lassitude et l’épuisement qui l’accablent, il se prend à songer qu’effectivement, les manifestants ne seraient peut-être pas autant en colère s’ils avaient tort. D’une certaine manière, s’ils se plaignent autant, c’est parce qu’ils se sentent vraiment délaissés.
     Jusque là, Alex ne s’est pas senti concerné par le mouvement, parce que pour lui, l’augmentation des coûts de l’essence n’impactera pas vraiment sa vie. Lui et sa femme se déplacent majoritairement en métro, la Mini garée en bas de leur immeuble leur sert à peine deux à trois fois par semaine, lorsqu’ils décident de faire une sortie en famille. Ils gagnent relativement bien leur vie. Certes, ils ne font pas partie des plus aisés, mais le fait est que cette hausse des prix qui soulève tant de cris ne les affectera pas tant que ça. Dans le pire des cas, ils s’étaient déjà tous les deux résignés à faire des heures sup.
     De toute façon, avec cette hystérie collective, il est déjà en train de faire bien plus que son service hebdomadaire. Pire, il n’y a pas de relève qui va venir. Tous ceux qui sont mobilisés sont déjà répartis dans l’ensemble de la ville, subissent le même cauchemar que lui. La seule chose qu’ils peuvent tous faire est tenir bon, refuser de reculer, malgré l’épuisement, malgré les coups, les insultes et la haine.
     Face à un nouvel assaut qu’ils voient se profiler, le chef d’escadron et ses quatre subordonnés directs se réunissent en urgence. Le calme qui est tombé ces quinze dernières minutes est un mauvais présage, après une journée entière de guérilla urbaine. Ils voudraient croire à un arrêt de la manifestation, mais ils savent que ce ne sera pas le cas. Leurs adversaires sont juste en train de se réorganiser.
     Et, malheureusement, avec la nuit qui commence à tomber, le visage de la masse change. Les travailleurs qui se disaient « pacifistes », même si à force, ils ont eux aussi commencé à lancer des pavés et renvoyer les grenades, reculent. Ils cèdent la place aux jeunes de milieux défavorisés, qui eux n’ont pas les mêmes desseins. La haine qui a motivé les mouvements quelques heures plus tôt n’est rien face à la déferlante de fureur qui attend les gendarmes.
     Mais en attendant l’assaut, et parce qu’ils savent que si c’est eux qui initient le mouvement agressif, les journaux vont les faire passer pour les connards de service, les gendarmes patientent, alternent pour se reposer ne serait-ce que quelques minutes. Il est quasiment dix-sept heures, l’obscurité finit de s’installer, et pour la plupart, ils se sont levés à trois heures du matin pour être déployés à quatre heures trente au plus tard. Donc même les dix minutes de demi-sommeil qu’ils peuvent se permettre, à moitié avachis dans le fourgon, ils en profitent au maximum.
     Alex fait maintenant partie de la seconde ligne. C’est la quatrième fois, depuis qu’il est là, qu’il échange son rôle de porteur de bouclier avec l’un de ses collègues, Mathieu, pour soulager un peu ses bras. Maintenant, il est armé d’une matraque, mais pour le moment, la tient en position de repos. La rue s’est calmée, les manifestants ont reculé. Le no man's land entre eux et les troupes nationales mesure désormais une quinzaine de mètres. Avec les volutes de gaz irrégulièrement éclairées par les belvédères, les lieux prennent une ambiance étrange, presque mystique. Et assoupissante. Alex bâille, échange un regard avec Baptiste, qui se tient à sa gauche. Malgré le reflet de la lumière sur la visière du casque, il parvient à deviner ses sourcils plissés par la douleur, la grimace qui déforme son visage.
     — Mec, ça va ?
     L’autre lui répond d’un hochement de tête, sans parler. Alex regarde instinctivement la plaie sur sa cuisse. Un peu de sang a coulé, a taché de noir le pantalon bleu sombre, mais pas assez pour que Sylvain, leur chef de peloton, oblige Baptiste à aller se faire soigner. Et le gendarme blessé en profite. Il tient à rester dans les rangs, malgré ce qu’il a subi.
     — À BAS LES POULETS !
     — MORT AUX FLICS !
     Les hurlements retentissent de l’autre côté. Les gendarmes se figent, échangent des regards soudain nerveux, resserrent instinctivement les rangs. L’air devient irrespirable, la tension palpable, alors qu’ils fixent le brouillard blanchâtre en essayant de deviner les mouvements des manifestants. Derrière, les commandants des sous-unités, qui forment l’élément d’appui, agrippent leurs armes de service, se tournent vers le chef de l’escadron, le seul à pouvoir donner l’ordre d’user des armes à feu.
     Ils ont déjà dû s’en servir un peu plus tôt, raison pour laquelle la rue était un peu plus calme. Mais c’étaient des tirs avec des balles en caoutchouc, et les manifestants n’étaient pas aussi virulents. Là en revanche, les jeunes voix portent une rage rarement entendue, une détermination effarante.
     À droite, dans la ruelle adjacente qui a été totalement dégagée avec l’aide des CRS, les caméras s’amassent, les flashs crépitent. Les journalistes sont les seuls à pouvoir franchir le barrage, pour le moment, et eux aussi ont entendu les menaces proférées par les manifestants. L’un d’entre eux, caméra en main, a le courage de se détacher du groupe, pour filer voir le chef d’escadron. Sa voix est claire, malgré les harangues qui continuent de se faire entendre du côté civil.
     — Commandant, qu’est-ce que vous comptez faire s’ils se montrent agressifs ?
     Le CDU hésite à répondre. Il sait que, quoi qu’il dise, si la situation tourne mal, on interprètera ses mots de travers, et il sera tenu pour responsable. S’il y a des morts, ce sera sous ses ordres.
     — Tout dépend de la situation, biaise-t-il finalement, avant de se détourner.
     Le reporter n’insiste pas, mais demeure non loin. De toute manière, les gendarmes ne se préoccupent plus de lui. Car, de l’autre côté, dans le brouillard, les silhouettes se sont mises en mouvement.
     Alex a un instant de satisfaction égoïste à l’idée de ne pas être en ligne d’arrêt, mais en ligne de soutien, de ne pas avoir pour une fois à faire face aux coups. Mais, très vite, la réalité le rattrape, il lève sa matraque, serre et desserre les doigts sur les poignées une ou deux fois. À côté, Baptiste fait de même. Ils retiennent tous leur souffle, prient pour ne pas avoir à faire face à ce qu’ils pressentent. Leurs pouls s’accélèrent, la sueur coule dans leurs nuques malgré la froideur de la nuit.
     Soudain, un long trait noir jaillit de la brume, juste en face d’Alex. Mathieu a un réflexe instinctif, celui de relever son bouclier devant son visage. La barre de fer, projetée comme un javelot, s’écrase sur le plastique, si brutalement qu’elle le déforme. Sous l’impact, Mathieu recule, bute contre Alex, qui a toutes les peines du monde à rester debout.
     Comme si ce petit pas en arrière était le symbole du recul de l’autorité, les casseurs s’élancent. Ils jaillissent de la brume lacrymogène en une nuée agressive, armés de haches, de bouteilles à moitié remplies, qu’ils balancent aux pieds des gendarmes, qui s’enflamment à l’instant où elles se brisent. Cocktails Molotov, a tout juste le temps de penser Alex, catastrophé, avant que la masse ne s’écrase à nouveau sur les boucliers, pour la millième fois de la journée. L’impact fait trembler l’ensemble du cordon policier, qui peine à rester debout face aux haches, aux couteaux et aux barres métalliques aiguisées, qui cherchent la moindre faille dans la rangée de boucliers. Alex met un instant à réellement comprendre à ce qu’il voit.
     Et soudain, la terreur fait bouillir son sang, l’adrénaline déferle dans ses veines. Toute la fatigue accumulée durant ces heures à contenir une foule en colère se mue brutalement en fureur destructrice. Le cri de guerre des assaillants, pour la plupart de jeunes adultes de banlieues défavorisées, résonne dans ses oreilles, lui fait perdre toute contenance.
     — CRÈVE, SALE S.S. ! gueule un gamin devant lui.
     Alex profite d’une ouverture, réplique par un violent coup de matraque dans la poitrine. Ses collègues lui jettent un petit regard surpris lorsque, abandonnant toute retenue, il hurle en retour :
     — SEULEMENT SI TU CRÈVES AVEC MOI !
     Son cri fuse au-dessus des rangs, provoque un petit moment de flottement, mais très vite, les échanges de coups reprennent. Entre deux impacts, Mathieu lui demande :
     — T’es sûr que tu vas bien ?
     — J’en ai marre. Je suis pas de la chair à canon, rétorque-t-il. Ça fait treize heures qu’on est là, qu’ils aillent se faire foutre.
     Sa réponse trouve écho dans les esprits des autres. Au lieu de lui enjoindre de se calmer, ils hochent la tête. La colère qu’ils partagent fait étinceler leurs regards, leurs visages las, figés, s’animent soudain. Ils ne remarquent pas les caméras qui s’approchent pour filmer leur riposte.
     — Charlie, Delta, charge à trois ! lance soudain le commandant d’escadron, qui a senti le changement de mentalité.
     — Un ! crie Baptiste, le sous-officier adjoint du peloton Charlie, pour coordonner le mouvement. Deux ! Trois !
     Comme un seul homme, les gendarmes s’avancent au pas de course. Leurs adversaires n’ont pas le temps de réaliser. Ils ne sont qu’une soixantaine à avoir osé se porter au corps à corps avec les forces de l’ordre, jusque là passives. Face à la fureur à peine maîtrisée de gendarmes qui se comportent soudain comme une meute de loups aux abois, ils reculent précipitamment. Ça ne les empêche pas de continuer à frapper, mais l’agressivité soudaine qu’ils obtiennent en retour, résultat d’heures passées à encaisser sans mot dire, rend leurs coups presque inopérants.
     Une grande partie recule, soudain terrifiée, se replie dans la brume. Ceux qui restent se retrouvent submergés, et malheur à ceux qui tombent. Les lignes d’arrêt et de soutien les contournent, mais les gendarmes qui sont à l’arrière, en réserve, les obligent très vite à s’agenouiller au sol, mains sur la tête.
     Mais, parmi ceux qui sont en train de se faire arrêter, un type profite d’un moment de distraction du sous-officier qui le surveille, porte la main à sa veste. La caméra d’un journaliste, qui retransmet en direct, se braque sur le casseur alors qu’il agrippe le pistolet, tire une volée de coups de feu droit en direction de la ligne de gendarmes qui lui tournent le dos.
     Les détonations dont tressaillir tout le monde. Trois gendarmes vacillent, l’un d’entre eux hurle alors que la balle s’enfonce dans sa chair, malgré le gilet en kevlar qui protège son dos. Baptiste.
     Alex lâche sa matraque par réflexe, porte la main à son Sig Pro. Il ne réfléchit pas. Son tir part en même temps que celui du civil armé. Les deux touchent leur cible. Alex a tout juste le temps de réaliser que c’était le gamin qui le traitait de S.S. avant qu’une violente douleur n’irradie dans son cou. Il lève la main pour la porter à sa blessure, mais ses genoux flanchent. Il s’effondre, face contre les pavés qu’on a projetés sur lui quelques heures plus tôt. Il n’entend pas les cris de ses collègues, ne voit pas la caméra qui n’a pas eu le temps de se détourner pour éviter un double homicide en direct. Un bruit aigu, continu, résonne dans ses oreilles, un voile noir masque sa vue. Le sang, son sang, gicle sur le trottoir. Son corps est secoué de soubresauts, il hoquette alors que le liquide visqueux glisse dans ses poumons.
     Une douzaine de secondes plus tard, il ne bouge plus, inconscient. Le journaliste, choqué, ne parvient pas à se détourner de la scène ; sa caméra reste braquée sur le corps inerte alors que trois des gendarmes de réserve se précipitent. L’un file en direction du fourgon pour sortir le kit médical, les deux autres foncent retourner le corps pour le mettre en PLS et faire pression sur la plaie ouverte. Le commandant d’escadron, lui, saisit son téléphone pour appeler une ambulance. Dans la petite ruelle adjacente, les flashs crépitent, les autres reporters bravent l’interdit, se précipitent pour avoir une image nette.
     Moins de trois kilomètres plus loin, une adolescente qui suivait le direct avec un mélange de fierté et d’appréhension, pousse un hurlement d’horreur pure lorsqu’on soulève la visière du blessé pour faciliter sa respiration, dévoilant ainsi le visage de son père.

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Dernière modification par vampiredelivres le sam. 15 déc., 2018 2:03 am, modifié 3 fois.
angelite

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Re: Vox populi [Réaliste]

Message par angelite »

Wow...
J'ai pas de mot...Juste wow. :shock:
La vache!!! C'est tellement bien écrit! On s'y croirait!
Et puis c'est triste...Mais ça reflètent tellement bien la réalité d'aujourd'hui... Vraiment, j'ai beaucoup aimé.
Et la fin... oui, la fin *hum* comment dire...C'est quoi ce bordel?!! C'est pas une happy end ça!
Mais tu as bien fait, je ne m'y attendais pas du tout! Et je crois que c'est la meilleure fin possible.
Vraiment bravo! :mrgreen:
DH180

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Re: Vox populi [Réaliste]

Message par DH180 »

Comme le dit angelite c’est complètement incredible !!!!
Ce talent qui nous donne l’impression d’être dans la rue, invisible et spectateur est juste magnifique !
On s’y croirait vraiment avec cette haine présente tous le texte, cette haine des manifestants et des gendarmes qui traduit vraiment la situation d’aujourd’hui.

Tu as un de ces talents pour écrire, continue comme ça !!!
La fin est triste mais malheureusement, la haine appelle à la violence et celle-ci provoque le malheur et la souffrance :| :cry: :cry:
DanielPagés

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Re: Vox populi [Réaliste]

Message par DanielPagés »

Ouais, ma chère Sarah, j'ai lu depuis un moment déjà, mais en ce moment ça génère chez moi un gros malaise. C'est peut-être réussi à cause de ça, justement. Dans ton texte, j'ai trop vu les manifestants comme des agresseurs sauvages alors que ce ne sont que des pauvres gens qui essayent de survivre et n'en peuvent plus que les puissants leur envoient une machine de guerre pour toute réponse. Et là on est dans la machine de guerre. Et son humanité qui ne s'exprime pas. Ou qui s'exprime au service de l'inhumanité.
Bref tu m'as violemment troublé. Je t'avais prévenue...
Sinon, comme d'hab, tu écris avec beaucoup de talent ! ❀❀❀
vampiredelivres

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Re: Vox populi [Réaliste]

Message par vampiredelivres »

D'une certaine manière, Daniel, ça veut dire que j'ai réussi mon boulot :P
Non, plus sérieusement, j'ai beau dire que le texte n'est pas "politiquement" orienté, il l'est. Mais je le voulais ainsi, ce serait faux de dire le contraire. Je voulais montrer que, justement, la machine de guerre, comme tu l'appelles, reste constituée d'humains comme nous, qui, au fond, peuvent très bien être d'accord avec l'opinion des manifestants. Mais ils sont au boulot, et leurs émotions personnelles n'ont pas à interférer. Donc ça s'accumule en dessous de la surface, comme dans une cocotte minute.
D'ailleurs, preuve de leur ras-le-bol général à eux aussi, ils envisagent de manifester, maintenant, pour réclamer eux aussi leur augmentation de salaire, rien que par rapport au nombre d'heures sup qu'ils ont déjà faites. Et, dernier petit détail comme ça, la barre de fer qui fait office de javelot, Baptiste qui refuse de quitter les lieux malgré sa blessure… c'est inspiré de témoignages réels. Wala.
Désolée pas désolée de t'avoir mis mal à l'aise. Merci pour ton commentaire ! :)
DanielPagés

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Re: Vox populi [Réaliste]

Message par DanielPagés »

Oui, c'est ce que je disais, t'as réussi ton coup puisque t'as eu une réaction 'violente' de ma part (d'ailleurs je t'ai envoyé par la poste un cocktail molotov). :lol:
Même si j'ai oublié de le mentionner, Je me suis bien rendu compte que tu avais fait ton travail d'écrivaine en allant chercher dans le réel certains éléments qui rendent ton texte terriblement crédible... Ça ressemble trop à ma manière de travailler d'insérer du vocabulaire, des éléments de décor, des sensations réalistes, ... dans un texte de fiction pour que le lecteur s'y retrouve plongé profondément... ;)
Faut absolument qu'on se fasse une petite réunion un jour pour parler sans retenue de nos écritures... (Suis toujours pas passé par Lyon !) :lol:
vampiredelivres

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Re: Vox populi [Réaliste]

Message par vampiredelivres »

Ah, je ferai gaffe en ouvrant mon courrier, alors… :mrgreen:
En fait, j'étais partie totalement à l'aveuglette, j'ai à peine écrit une demi-phrase, et ensuite, j'ai commencé à fouiner à droite à gauche… et j'ai fini par faire près de trois heures de recherches et de lectures informatives. :lol:
Wiii, faut vraiment qu'on se croise un jour ! Écoute, si tu passes dans la région, fais-moi signe ;)
TcmA

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Re: Vox populi [Réaliste]

Message par TcmA »

Hello, Sarah :)

Alors premièrement, encore une fois, je suis désolée ;^; J'utilise ma 2ème boîte mail pour BN (que je regarde moins souvent) et je ne passe pas souvent sur mon mur (chose qui va changer rapidement), je n'avais donc pas vu que tu m'avais envoyé ce diamant. ;^;


Deuxièmement NON MAIS JE VAIS FINIR EN PLS, OH. ;A;

J'ai pas les mots pour exprimer à quel point tu écris bien (et "bien" est une euphémisme). Je suis impressionnée. Tu as vraiment du talent!
C'est beau. C'est dur. C'est une claque en pleine figure.

Je... Wow.

Alors déjà, sur la forme, le texte est magnifique. Il y a une espèce d'intemporalité, au début, on ne sait pas où on est, ni quand, on a envie d'en savoir plus. On est happé par le style, la tension qui monte brutalement (pour finir en apothéose sur une PLS, autant dans le texte et dans ma tête), c'est magnifique.

Mais sur le fond... Sur le fond, tu nous mets une claque. Je suis sans voix. Les émotions, la lassitude, l'impuissance, la tristesse, la colère, la haine, on se prend tout dans la figure, c'est brut, brutal, c'est violent. Et ça ne fait que refléter le thème de ta nouvelle.

Avec ce qu'il se passe en ce moment, ça ne peut que résonner en nous.

Merci pour cette nouvelle, ce point de vue. Plus de monde devrait la lire. (J'ai envie de la partager de partout ;^; )

Encore désolée pour ce cafouillage, merci pour ta nouvelle et ton partage (oh, une rime, c'était pas voulu xD)!

Zouzoubisous!

(PS : ton avataaaaaaar, il est beauuuuu *^* )
vampiredelivres

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Re: Vox populi [Réaliste]

Message par vampiredelivres »

Hey Salomé !
Paaas de souci, moi-même, je consulte mon mur une fois tous les trois mois :)
Je m'excuse sincèrement… mais c'était un peu le but de te faire finir en PLS :P Quand l'idée est venue, je savais déjà où j'allais, et je savais que je voulais prendre le point de vue opposé à la majorité (question de convictions personnelles, mais bref). En tout cas, je suis ravie que ça t'ait plu !
Merci beaucoup pour ton avis et ton super commentaire, je l'ai découvert aujourd'hui, ça fait un superbe cadeau de Noël ! :)
Bises !
TcmA

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Re: Vox populi [Réaliste]

Message par TcmA »

vampiredelivres a écrit :Hey Salomé !
Paaas de souci, moi-même, je consulte mon mur une fois tous les trois mois :)
Je m'excuse sincèrement… mais c'était un peu le but de te faire finir en PLS :P Quand l'idée est venue, je savais déjà où j'allais, et je savais que je voulais prendre le point de vue opposé à la majorité (question de convictions personnelles, mais bref). En tout cas, je suis ravie que ça t'ait plu !
Merci beaucoup pour ton avis et ton super commentaire, je l'ai découvert aujourd'hui, ça fait un superbe cadeau de Noël ! :)
Bises !
Hé hé, ça me rassure alors :'D
Ne t'excuse pas, c'était magnifique. Pour tout te dire, je suis aussi de ton avis, et cette nouvelle n'a fait que le renforcer!
Aww, je suis contente! Merci à toi de l'avoir partagée ♥
Zouzoubisous et bon Noël :D
louji

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Re: Vox populi [Réaliste]

Message par louji »

AH MAIS
JE PENSAIS ETRE PASSEE LIRE MAIS QUE NENNI
Ouh ben désolée du retard :v
vampiredelivres a écrit :
︻╦╤─ | VOX POPULI | ─╤╦︻


     Derrière les casques, les visages font grise mine. Ça fait des plus de six heures qu’ils sont là, debout au milieu des rues froides, lourdement armés, face à la foule en colère. Huées, insultes, crachats, ils ont déjà tout essuyé, et pourtant, cela ne semble pas près de s’arrêter. Entre les cris furieux et les poings brandis, la rue semble être animée d’une vie propre. L’atmosphère oppressante pèse sur leurs épaules comme une chape de plomb, alourdit leurs déplacements et mine leur moral.
     Ils l’ont senti à l’instant où ils ont posé le pied sur le pavé. Cette lourdeur, ce chaos qui n’attendait que de se déclarer, cette odeur métallique, si proche de celle du sang et de la révolution. Ils ont senti la haine, la fureur de leurs adversaires, leur volonté de blesser, voire de tuer. Et, même s’il n’y en a que peu qui ont pour le moment osé agir, chaque seconde qui passe renforce le danger.
     Dans les rangs, Alex a cessé de réfléchir. L’épuisement, mêlé à une douloureuse sensation d’injustice qui vrille sa poitrine, ont :arrow: puisque ta proposition est entre virgules, le verbe s'accorde à "épuisement" seulement non ? :geek: anesthésié le reste de ses sensations, paralysé ses réflexions. Il sait qu’il a signé pour ça, qu’il s’est engagé pour agir dans ce genre de situations, mais actuellement, ses idéaux de justice et de droit sont violemment ébranlés par le cauchemar qu’il vit.
     Il ferme les yeux un instant, pousse un long soupir qui se répercute dans son casque. Le bouclier à son bras pèse son poids, sans même parler de l’équipement tactique qu’il porte depuis qu’il a pris son service. La seule chose positive, c’est qu’avec ces couches de vêtements, il n’a pas aussi froid que les manifestants en face. Eux frissonnent régulièrement, mais ça ne diminue pas leur virulence. Bien au contraire, ils semblent en tirer de la motivation, ils se soutiennent mutuellement.
     Le paradoxe des deux groupes, face à face, est frappant. D’un côté, les gendarmes nationaux, peu nombreux, figés, stoïque :arrow: manque un s ^^. De l’autre, la foule nombreuse et colérique, bruyante, en mouvement perpétuel.
     Soudain, un petit groupe se détache de l’anonymat, franchit en criant le no man's land de trois mètres qui sépare les forces de l’ordre des manifestants. Dans le peloton d’appui, Alex se tend, referme les doigts sur la poignée de son bouclier, observe la réaction de l’élément de contact. Les gendarmes resserrent instinctivement les rangs, les perturbateurs s’écrasent sur les boucliers de la ligne d’arrêt. Personne ne flanche, malgré les grognements au moment de l’impact, qui témoignent de la violence du choc.
     Les manifestants s’acharnent quelques secondes à coups de poing sur le plastique renforcé. Même à cette distance, Alex peut voir les gouttelettes sang qui giclent de leurs phalanges lorsqu’ils frappent un peu trop fort, entend leurs cris de frustration lorsqu’ils n’arrivent pas à briser le cordon de gendarmes. Puis, ils reculent, enragés par leur échec. Quelques uns de leurs amis les tapotent sur l’épaule lorsqu’ils regagnent les rangs de la foule, saluent leur « bravoure », huent à nouveau les gendarmes. Un court silence tombe, l’espace d’un instant, puis les huées reprennent. Ironiquement, Alex respire à nouveau un peu plus tranquillement. Il craint l’instant où ça dégénèrera totalement, où on lui permettra de faire usage de son arme, où il se sentira peut-être obligé de le faire.
     Il tourne légèrement la tête sur le côté, échange un regard las avec Baptiste. Leurs yeux sont vides, leur énergie, absente. À l’heure actuelle, ils donneraient beaucoup pour être chez eux, auprès de ceux qu’ils aiment. Mais personne ne sait combien de temps cette manifestation va durer. Ils étaient censés être chez eux, tranquilles, ce week-end, mais ils ont été rappelés en catastrophe. Enfin, en catastrophe… ils s’en doutaient tous un peu. Ils lisaient tous les appels à manifester sur les réseaux sociaux, voyaient la folie de masse qui augmentait graduellement. Certains ont même lu des messages qui encourageaient à « tuer du flic ». Pourtant, jusqu’au dernier moment, ils ont tous espéré que ce foutu coup de fil ne vienne pas.
     Alex bâille à s’en décrocher la mâchoire. Les heures se sont depuis longtemps dissolues dans un magma visqueux, étouffant. Impossible, à moins de consulter son poignet, de savoir depuis combien de temps il est là. Et, en vérité, il ne veut pas savoir. Cela vaut mieux, pour son mental, sinon il risque de commencer à prendre parti. L’absence de réflexions, ce silence mental semblable à la léthargie induite par les médicaments, lui fait plus de bien que de se poser des questions, parce qu’il sait qu’il n’aimera pas les réponses que son inconscient lui fournira. Alors il se contente d’observer la foule, de noter les visages en première ligne qui changent régulièrement, de se focaliser sur tout plutôt que sur ce que sa conscience voudrait lui dire.
     — Charlie, pause dej’ ! crie soudain Sylvain.
     Le peloton Charlie pousse un soupir de soulagement collectif à l’appel de son chef. Quinze minutes plus tôt, c’était Delta qui était parti manger. Maintenant, l’unité est en train de bouger, pour occuper la place que Charlie libère. Les hommes qui reprennent leurs fonctions échangent avec ceux qui la quittent des regards qui se veulent rassurants, mais qui en réalité témoignent de leur accablement.
     Charlie se replie dans un fourgon. Ceux qui portaient un bouclier s’en délestent avec soulagement, ceux qui portaient leurs matraques les posent à côté d’eux. Ils s’asseyent l’un à côté de l’autre sur les bancs métalliques, soulèvent leurs visières, font passer les petites baguettes jambon-beurre d’une main à l’autre, jusqu’à ce que tout le monde en ait une. Le silence règne, personne ne parle. Personne ne veut parler, en fait. Les parois métalliques du fourgon parviennent à atténuer une grande partie des bruits de l’extérieur, ce qui plonge l’espace fermé dans un calme relatif. Les hommes mangent en silence, se passent les bouteilles d’eau.
     Soudain, des cris retentissent dehors, si forts que même les portes fermées ne parviennent pas à les arrêter. C’est un mélange de peur, de haine et de détermination, qui semble faire vibrer le fourgon, ricoche dans les poitrines des gendarmes en y trouvant un douloureux écho. Une grande partie d’entre eux agrippent par réflexe leurs armes de service, rangées dans leurs holsters, la tension augmente brutalement, l’atmosphère devient électrique. Sylvain, le plus proche de la porte arrière, l’entrebâille légèrement, juste assez pour que le grésillement du haut-parleur, monté à pleine puissance, filtre par l’embrasure.
     — Obéissance à la Loi, dispersez-vous !
     Du côté des manifestants, les hurlements de fureur redoublent. Sylvain pose son sandwich à moitié entamé, appuie sur la petite radio accrochée à sa ceinture, écoute quelques instants. Une grimace déforme ses lèvres, il considère son peloton avec une lassitude palpable.
     — On vient de recevoir l’autorisation d’utiliser la force. Objectif, tenir la position et disperser la foule, lâche-t-il, lapidaire.
     Un lourd silence suit sa déclaration. Dans le mutisme, le marmonnement d’Alex, aussi bas soit-il, est entendu par tout le monde.
     — Journée de merde…
     Il voit ses collègues hocher la tête, avale en quelques bouchées les restes de son sandwich, s’essuie la bouche sans grâce dans la manche de sa veste. Sa femme aurait fait une scène si elle l’avait vu agir ainsi, songe-t-il brièvement. Mais sa femme est bien au chaud dans son petit appartement, suit probablement les chaînes d’information avec inquiétude, prie pour qu’il n’arrive rien à son mari. Elle a essayé de le convaincre de se faire porter malade, a même proposé d’appeler l’une de ses connaissances, médecin généraliste, pour justifier son absence. Alex l’a gentiment envoyée balader en lui expliquant que c’est son devoir.
     Maintenant qu’il est là, maintenant que l’autorisation est tombée, le Sig Pro à sa ceinture semble bien lourd. Certes, les armes létales sont un ultime recours, qui nécessitent une seconde autorisation, à moins de légitime défense. Mais avoir conscience de pouvoir, peut-être même devoir, les utiliser, lui serre le cœur, lui noue l’estomac. Il serre les dents, fait passer avec un peu d’eau le goût étrangement amer qu’a laissé le sandwich sur sa langue, et se redresse en même temps que les autres.
     — Première sommation, on va faire usage de la force ! crie le représentant de l’escadron dans son mégaphone.
     Une nouvelle vague de huées lui répond. Le peloton Charlie jaillit du fourgon derrière son chef, boucliers et bâtons en main, accueilli par des cris d’une rare véhémence. La manifestation, jusque là relativement pacifique, commence à sérieusement dégénérer. Des vagues successives de militants s’écrasent contre les premières lignes du barrage. Les porteurs de boucliers tremblent, mais encaissent les chocs.
     — Soutiens sur les côtés ! Charlie 1, à gauche, Charlie 2, à droite ! gueule Sylvain pour se faire entendre par-dessus le boucan.
     Alex n’hésite pas. Il passe en pilote automatique, efface de son esprit les doutes qu’il avait pu avoir jusque là. Impossible de réagir autrement, de toute façon. Les cris adverses lui vrillent les oreilles, pourtant, il agrippe plus fermement son bouclier, et file à droite, comme le reste de son groupe. À ses côtés, Sylvain et Baptiste font passer leurs bâtons en position médiane, ralentissent pour le laisser passer devant. Alex se range sur le côté, bloquant l’espace vide entre un membre du peloton Bravo 1 et le mur de la ruelle.
     — Dernière sommation, on va faire usage de la force ! tente une dernière fois le porte-parole.
     Face à la foule qui se masse et ne recule plus, il descend de son perchoir – le marchepied du fourgon – avec une grimace, il abaisse son mégaphone avec résignation.
     — LG, EN POSITION !
     Le cri du commandant de l’escouade porte, malgré le boucan autour, leur vrille les tympans. Alex sent son estomac se contracter. Puis, il avise les regards brillants de haine des civils qui lui font face, et son angoisse monte encore d’un cran. Pour eux, il est le pantin de ce gouvernement qu’ils détestent, une cible parfaite. Il le voit dans leur attitude agressive, les briques qu’ils tiennent à la main, qui menacent de bientôt s’écraser sur son bouclier. L’anxiété pulse dans ses veines, brutale, incontrôlable.
     — BOND OFFENSIF !
     Alex se met en marche aux côtés de ses collègues. Il devine, derrière lui, le soutien silencieux de Baptiste, qui est prêt à intervenir avec son bâton. Son estomac se contracte alors que la distance entre lui et les civils s’amenuise, et qu’ils ne reculent pas. Trois mètres. Deux mètres. Un. Contact.
     Il sent le pouvoir de la masse anonyme qui percute son bouclier, serre les dents. Les manifestants, poussés par ceux qui se trouvent derrière eux, ainsi que leur propre haine, sont plus forts que les six hommes qui leur font face. Mais la seconde ligne de gendarmes mobiles est au taquet. Les bâtons jaillissent derrière les boucliers, frappent en pleine poitrine, récoltent des cris de douleur et d’indignation, mais obtiennent aussi gain de cause. Les manifestants reculent un peu, les boucliers s’emparent immédiatement de ce terrain. Comment la situation a-t-elle dégénéré aussi vite ? s’interroge Alex, anesthésié par les chocs à répétition qu’il encaisse. Encore dix minutes plus tôt, ils étaient calmes… Mais l’effet de masse pousse aux horreurs.
     Une fois qu’ils ont repoussé les manifestants d’une demi-douzaine de mètres, les gendarmes reculent brusquement, synchrones. Il y a un court moment de flottement, dans les rangs des civils, qui ne comprennent pas, au début. Puis retentit le cri du chef d’escadron.
     — LG, FEU !
     Les lance-grenades crachent leurs projectiles par-dessus les boucliers des forces de l’ordre. Ils s’écrasent au sol, dans l’espace nouvellement dégagé, commencent à déverser leur gaz lacrymogène. À l’abri derrière le masque qu’il vient de mettre, Alex observe la panique qui prend le pas sur la haine alors que les civils, qui jusque là doutaient de la réponse musclée, reculent. Un mouvement de masse désordonné s’ensuit, alors que le gaz irritant envahit la ruelle, réduit le champ de vision de tous.
     Une poignée de secondes s’écoule dans un calme relatif. Puis, soudain, une silhouette solitaire, les yeux couverts par des lunettes de ski, et le nez par une écharpe nouée à la hâte, bondit, attrape la grenade qui continue de déverser son contenu, et la projette avec violence en direction des gendarmes. Elle s’écrase aux pieds d’Alex, qui n’a pas le temps de la repousser. La foule enhardie par ce mouvement « héroïque » s’élance à nouveau à l’assaut, malgré le gaz qui agresse les yeux et le larynx.
     Alex ferme les yeux une seconde avant l’impact, cesse définitivement de réfléchir. Lorsqu’il écarte à nouveau ses paupières, il ne voit plus d’hommes, il ne voit plus de visages. Il ne voit qu’une masse informe, abreuvée d’un sentiment de puissance terrifiant. Cette foule aux multiples facettes, des jeunes, des moins jeunes, des adultes, cherche à lui faire la peau. Certains se sont armés de pavés, certains de morceaux de métal, certains y vont aux poings. Il y a des hommes comme des femmes, des ethnies diverses et variées, mais une seule colère, une seule volonté : celle de détruire. La rage de vaincre les anime, leur donne leur force, alors qu’en face, les gendarmes doivent se contenter de leurs équipements et de leur peur pour faire leur devoir. Alors eux aussi, ils frappent, ils ripostent, peut-être plus fort qu’ils ne le devraient selon l’opinion publique.
     Pourtant, ils sont obligés de reculer, pas à pas. Ils sont douze, dans cette ruelle adjacente, face à une trentaine de civils enragés. Idem pour l’autre ruelle adjacente ; quant à la rue principale, ils sont quarante, face à deux cent au moins, et la violence verbale, qui prédominait jusqu’à maintenant, s’est transformée en violence physique.
Une nouvelle salve de grenades fuse. Cette fois-ci, ce sont des assourdissantes. Mais, au lieu de calmer la foule, elles ne font que déchaîner sa colère en explosant. La terreur se mêle à la hargne, donne encore plus de puissance aux manifestants.
     Derrière Alex, Sylvain, le chef du peloton Charlie, porte la main à sa radio, marmonne quelques mots que, dans le boucan, Alex ne parvient pas à saisir. Il baisse les yeux lorsqu’une jeune femme aux traits déformés par la rage s’écrase sur son bouclier, essaie de forcer le passage, se prend un violent coup de matraque de la part de Baptiste. Il avise son Sig Pro, bien au chaud dans son holster, et l’idée qu’il doive en arriver là manque tout juste de lui faire rendre son sandwich, avalé à peine vingt minutes plus tôt. Alors il recule.
     Soudain, Sylvain lui tapote l’épaule, lui hurle de s’écarter. Anesthésié, Alex obéit sans réfléchir. Un instant plus tard, un puissant jet d’eau fuse là où il se tenait un instant plus tôt, percute les manifestants, qui reculent. La même chose se passe près de l’autre mur. Des cris outragés retentissent, et les manifestants reculent, brutalement trempés.
     — CHARGE ! hurle Sylvain.
     Les gendarmes s’élancent au pas de course. Combiné avec les jets d’eau, l’assaut est effectif : ils regagnent le terrain perdu en une poignée de secondes. Le soudain manque d’assurance, en face, leur redonne le courage de se tenir fermement face à la foule en colère. Les grenades continuent de pleuvoir à intervalles réguliers, les civils avancent à nouveau, puis reculent, tels une marée rugissante.
     Les minutes s’écoulent ainsi, au rythme des échanges de coups. Les hommes ont cessé de réfléchir depuis bien longtemps. Durant les rares périodes d’accalmie, ils se relaient pour se reposer, ne serait-ce que dix minutes. Alex voit ses collègues vaciller plus d’une fois au fur et à mesure que la journée avance. Certains tombent, un ou deux se prennent des pavés dans la poitrine ou la jambe, doivent prendre du recul, voire quitter les lieux. Les effectifs de la gendarmerie s’amenuisent, alors que ceux des manifestants demeurent constants, ou du moins, semblent se renouveler régulièrement.
     Lorsque les réverbères s’allument, Alex sent le découragement l’envahir. À côté de lui, Baptiste a essuyé un tir de pavé dans la cuisse, et il a beau dire que ce n’était pas sa faute, Alex se sent coupable. C’était son bouclier qui était trop à gauche. Mais Baptiste a refusé d’aller voir le soigneur :arrow: ça fait presque un peu rustique comme terme :lol: . Il ne veut pas abandonner ses collègues, non, hors de question. Alors, bon gré mal gré, il claudique, après avoir appliqué un peu de spray froid sur la blessure. Depuis, Alex le couve de son mieux.
     Parce que, sur les soixante-huit GM qui ont été déployés à partir de quatre heures du matin, il n’y en a plus que soixante-et-un. Et la différence pourrait ne pas sembler terrible, mais face à une foule de deux à trois cent personnes qui ne décolèrent pas, sept hommes en moins, c’est beaucoup trop. En plus, les CRS qui les soutenaient ces deux dernières heures ont été appelés ailleurs, à cause d’un hôtel en flammes.
     La nuit tombe, le gaz lacrymogène s’attarde près du sol, alourdit l’air et réduit la visibilité. Alex a la gorge irritée, malgré son casque et son masque. Il est plongé dans une transe passive, se contente d’encaisser, d’obéir à son chef de peloton. Ça fait plus de douze heures qu’il est sur place, maintenant, et la fatigue commence à prendre le dessus, malgré l’overdose de café infâme qui est distribué régulièrement. Il songe à ses enfants. Sa fille se trouve probablement à moins de trois kilomètres de là, debout en train de haranguer ses amis sur une barricade de lycéens. Il l’a vue en première page du journal, la veille, il lui a passé un savon. Elle s’est contentée de lui répondre que les manifestants ont raison et que lui et son bel insigne de flic peuvent aller se faire foutre, avant de s’enfermer dans sa chambre.
     Et, dans la lassitude et l’épuisement qui l’accablent, il se prend à songer qu’effectivement, les manifestants ne seraient peut-être pas autant en colère s’ils avaient tort. D’une certaine manière, s’ils se plaignent autant, c’est parce qu’ils se sentent vraiment délaissés.
     Jusque là, Alex ne s’est pas senti concerné par le mouvement, parce que pour lui, l’augmentation des coûts de l’essence n’impactera pas vraiment sa vie. Lui et sa femme se déplacent majoritairement en métro, la Mini garée en bas de leur immeuble leur sert à peine deux à trois fois par semaine, lorsqu’ils décident de faire une sortie en famille. Ils gagnent relativement bien leur vie. Certes, ils ne font pas partie des plus aisés, mais le fait est que cette hausse des prix qui soulève tant de cris ne les affectera pas tant que ça. Dans le pire des cas, ils s’étaient déjà tous les deux résignés à faire des heures sup.
     De toute façon, avec cette hystérie collective, il est déjà en train de faire bien plus que son service hebdomadaire. Pire, il n’y a pas de relève qui va venir. Tous ceux qui sont mobilisés sont déjà répartis dans l’ensemble de la ville, subissent le même cauchemar que lui. La seule chose qu’ils peuvent tous faire est tenir bon, refuser de reculer, malgré l’épuisement, malgré les coups, les insultes et la haine.
     Face à un nouvel assaut qu’ils voient se profiler, le chef d’escadron et ses quatre subordonnés directs se réunissent en urgence. Le calme qui est tombé ces quinze dernières minutes est un mauvais présage, après une journée entière de guérilla urbaine. Ils voudraient croire à un arrêt de la manifestation, mais ils savent que ce ne sera pas le cas. Leurs adversaires sont juste en train de se réorganiser.
     Et, malheureusement, avec la nuit qui commence à tomber, le visage de la masse change. Les travailleurs qui se disaient « pacifistes », même si à force, ils ont eux aussi commencé à lancer des pavés et renvoyer les grenades, reculent. Ils cèdent la place aux jeunes de milieux défavorisés, qui eux n’ont pas les mêmes desseins. La haine qui a motivé les mouvements quelques heures plus tôt n’est rien face à la déferlante de fureur qui attend les gendarmes.
     Mais en attendant l’assaut, et parce qu’ils savent que si c’est eux qui initient le mouvement agressif, les journaux vont les faire passer pour les connards de service, les gendarmes patientent, alternent pour se reposer ne serait-ce que quelques minutes. Il est quasiment dix-sept heures, l’obscurité finit de s’installer, et pour la plupart, ils se sont levés à trois heures du matin pour être déployés à quatre heures trente au plus tard. Donc même les dix minutes de demi-sommeil qu’ils peuvent se permettre, à moitié avachis dans le fourgon, ils en profitent au maximum.
     Alex fait maintenant partie de la seconde ligne. C’est la quatrième fois, depuis qu’il est là, qu’il échange son rôle de porteur de bouclier avec l’un de ses collègues, Mathieu, pour soulager un peu ses bras. Maintenant, il est armé d’une matraque, mais pour le moment, la tient en position de repos. La rue s’est calmée, les manifestants ont reculé. Le no man's land entre eux et les troupes nationales mesure désormais une quinzaine de mètres. Avec les volutes de gaz irrégulièrement éclairées par les belvédères, les lieux prennent une ambiance étrange, presque mystique. Et assoupissante. Alex bâille, échange un regard avec Baptiste, qui se tient à sa gauche. Malgré le reflet de la lumière sur la visière du casque, il parvient à deviner ses sourcils plissés par la douleur, la grimace qui déforme son visage.
     — Mec, ça va ?
     L’autre lui répond d’un hochement de tête, sans parler. Alex regarde instinctivement la plaie sur sa cuisse. Un peu de sang a coulé, a taché de noir le pantalon bleu sombre, mais pas assez pour que Sylvain, leur chef de peloton, oblige Baptiste à aller se faire soigner. Et le gendarme blessé en profite. Il tient à rester dans les rangs, malgré ce qu’il a subi.
     — À BAS LES POULETS !
     — MORT AUX FLICS !
     Les hurlements retentissent de l’autre côté. Les gendarmes se figent, échangent des regards soudain nerveux, resserrent instinctivement les rangs. L’air devient irrespirable, la tension palpable, alors qu’ils fixent le brouillard blanchâtre en essayant de deviner les mouvements des manifestants. Derrière, les commandants des sous-unités, qui forment l’élément d’appui, agrippent leurs armes de service, se tournent vers le chef de l’escadron, le seul à pouvoir donner l’ordre d’user des armes à feu.
     Ils ont déjà dû s’en servir un peu plus tôt, raison pour laquelle la rue était un peu plus calme. Mais c’étaient des tirs avec des balles en caoutchouc, et les manifestants n’étaient pas aussi virulents. Là en revanche, les jeunes voix portent une rage rarement entendue, une détermination effarante.
     À droite, dans la ruelle adjacente qui a été totalement dégagée avec l’aide des CRS, les caméras s’amassent, les flashs crépitent. Les journalistes sont les seuls à pouvoir franchir le barrage, pour le moment, et eux aussi ont entendu les menaces proférées par les manifestants. L’un d’entre eux, caméra en main, a le courage de se détacher du groupe, pour filer voir le chef d’escadron. Sa voix est claire, malgré les harangues qui continuent de se faire entendre du côté civil.
     — Commandant, qu’est-ce que vous comptez faire s’ils se montrent agressifs ?
     Le CDU hésite à répondre. Il sait que, quoi qu’il dise, si la situation tourne mal, on interprètera ses mots de travers, et il sera tenu pour responsable. S’il y a des morts, ce sera sous ses ordres.
     — Tout dépend de la situation, biaise-t-il finalement, avant de se détourner.
     Le reporter n’insiste pas, mais demeure non loin. De toute manière, les gendarmes ne se préoccupent plus de lui. Car, de l’autre côté, dans le brouillard, les silhouettes se sont mises en mouvement.
     Alex a un instant de satisfaction égoïste à l’idée de ne pas être en ligne d’arrêt, mais en ligne de soutien, de ne pas avoir pour une fois à faire face aux coups. Mais, très vite, la réalité le rattrape, il lève sa matraque, serre et desserre les doigts sur les poignées une ou deux fois. À côté, Baptiste fait de même. Ils retiennent tous leur souffle, prient pour ne pas avoir à faire face à ce qu’ils pressentent. Leurs pouls s’accélèrent, la sueur coule dans leurs nuques malgré la froideur de la nuit.
     Soudain, un long trait noir jaillit de la brume, juste en face d’Alex. Mathieu a un réflexe instinctif, celui de relever son bouclier devant son visage. La barre de fer, projetée comme un javelot, s’écrase sur le plastique, si brutalement qu’elle le déforme. Sous l’impact, Mathieu recule, bute contre Alex, qui a toutes les peines du monde à rester debout.
     Comme si ce petit pas en arrière était le symbole du recul de l’autorité, les casseurs s’élancent. Ils jaillissent de la brume lacrymogène en une nuée agressive, armés de haches, de bouteilles à moitié remplies, qu’ils balancent aux pieds des gendarmes, qui s’enflamment à l’instant où elles se brisent. Cocktails Molotov, a tout juste le temps de penser Alex, catastrophé, avant que la masse ne s’écrase à nouveau sur les boucliers, pour la millième fois de la journée. L’impact fait trembler l’ensemble du cordon policier, qui peine à rester debout face aux haches, aux couteaux et aux barres métalliques aiguisées, qui cherchent la moindre faille dans la rangée de boucliers. Alex met un instant à réellement comprendre à ce qu’il voit.
     Et soudain, la terreur fait bouillir son sang, l’adrénaline déferle dans ses veines. Toute la fatigue accumulée durant ces heures à contenir une foule en colère se mue brutalement en fureur destructrice. Le cri de guerre des assaillants, pour la plupart de jeunes adultes de banlieues défavorisées, résonne dans ses oreilles, lui fait perdre toute contenance.
     — CRÈVE, SALE S.S. ! gueule un gamin devant lui.
     Alex profite d’une ouverture, réplique par un violent coup de matraque dans la poitrine. Ses collègues lui jettent un petit regard surpris lorsque, abandonnant toute retenue, il hurle en retour :
     — SEULEMENT SI TU CRÈVES AVEC MOI !
     Son cri fuse au-dessus des rangs, provoque un petit moment de flottement, mais très vite, les échanges de coups reprennent. Entre deux impacts, Mathieu lui demande :
     — T’es sûr que tu vas bien ?
     — J’en ai marre. Je suis pas de la chair à canon, rétorque-t-il. Ça fait treize heures qu’on est là, qu’ils aillent se faire foutre.
     Sa réponse trouve écho dans les esprits des autres. Au lieu de lui enjoindre de se calmer, ils hochent la tête. La colère qu’ils partagent fait étinceler leurs regards, leurs visages las, figés, s’animent soudain. Ils ne remarquent pas les caméras qui s’approchent pour filmer leur riposte.
     — Charlie, Delta, charge à trois ! lance soudain le commandant d’escadron, qui a senti le changement de mentalité.
     — Un ! crie Baptiste, le sous-officier adjoint du peloton Charlie, pour coordonner le mouvement. Deux ! Trois !
     Comme un seul homme, les gendarmes s’avancent au pas de course. Leurs adversaires n’ont pas le temps de réaliser. Ils ne sont qu’une soixantaine à avoir osé se porter au corps à corps avec les forces de l’ordre, jusque là passives. Face à la fureur à peine maîtrisée de gendarmes qui se comportent soudain comme une meute de loups aux abois, ils reculent précipitamment. Ça ne les empêche pas de continuer à frapper, mais l’agressivité soudaine qu’ils obtiennent en retour, résultat d’heures passées à encaisser sans mot dire, rend leurs coups presque inopérants.
     Une grande partie recule, soudain terrifiée, se replie dans la brume. Ceux qui restent se retrouvent submergés, et malheur à ceux qui tombent. Les lignes d’arrêt et de soutien les contournent, mais les gendarmes qui sont à l’arrière, en réserve, les obligent très vite à s’agenouiller au sol, mains sur la tête.
     Mais, parmi ceux qui sont en train de se faire arrêter, un type profite d’un moment de distraction du sous-officier qui le surveille, porte la main à sa veste. La caméra d’un journaliste, qui retransmet en direct, se braque sur le casseur alors qu’il agrippe le pistolet, tire une volée de coups de feu droit en direction de la ligne de gendarmes qui lui tournent le dos.
     Les détonations dont tressaillir tout le monde. Trois gendarmes vacillent, l’un d’entre eux hurle alors que la balle s’enfonce dans sa chair, malgré le gilet en kevlar qui protège son dos. Baptiste.
     Alex lâche sa matraque par réflexe, porte la main à son Sig Pro. Il ne réfléchit pas. Son tir part en même temps que celui du civil armé. Les deux touchent leur cible. Alex a tout juste le temps de réaliser que c’était le gamin qui le traitait de S.S. avant qu’une violente douleur n’irradie dans son cou. Il lève la main pour la porter à sa blessure, mais ses genoux flanchent. Il s’effondre, face contre les pavés qu’on a projetés sur lui quelques heures plus tôt. Il n’entend pas les cris de ses collègues, ne voit pas la caméra qui n’a pas eu le temps de se détourner pour éviter un double homicide en direct. Un bruit aigu, continu, résonne dans ses oreilles, un voile noir masque sa vue. Le sang, son sang, gicle sur le trottoir. Son corps est secoué de soubresauts, il hoquette alors que le liquide visqueux glisse dans ses poumons.
     Une douzaine de secondes plus tard, il ne bouge plus, inconscient. Le journaliste, choqué, ne parvient pas à se détourner de la scène ; sa caméra reste braquée sur le corps inerte alors que trois des gendarmes de réserve se précipitent. L’un file en direction du fourgon pour sortir le kit médical, les deux autres foncent retourner le corps pour le mettre en PLS et faire pression sur la plaie ouverte. Le commandant d’escadron, lui, saisit son téléphone pour appeler une ambulance. Dans la petite ruelle adjacente, les flashs crépitent, les autres reporters bravent l’interdit, se précipitent pour avoir une image nette.
     Moins de trois kilomètres plus loin, une adolescente qui suivait le direct avec un mélange de fierté et d’appréhension, pousse un hurlement d’horreur pure lorsqu’on soulève la visière du blessé pour faciliter sa respiration, dévoilant ainsi le visage de son père.

︻╦╤─ || ─╤╦︻
Je oui-non.

Alors... je ne sais pas si mon avis aurait été différent durant les manifestations, mais là j'ai clairement replongé dans l'horreur, c'était déstabilisant !

Sur la question du fond, j'ai bien aimé le parti-pris du gendarme blasé et gouverné par son devoir, mais qui étouffe ses propres sentiments et impressions sur le sujet... Parce que c'est un PDV très difficile à aborder et qui nécessite beaucoup de justesse et de réflexion ^^ Donc déjà bravo pour ce choix scénaristique !
Quant à la politisation... tout est politique, comme on dit ;) Et, de mémoire, les manifestants témoignaient plus que les forces armées, donc c'est aussi intéressant d'avoir une vision dans leur angle à eux, que l'on soit d'un côté ou d'un autre.
Comme dit Daniel, j'ai vraiment ressenti les manifestants comme des êtres de fureur et ça m'a semblé plus pertinent que jamais... Peut-être est-ce mon sang froid mais je ne vois pas comment on peut en venir à une telle violence à l'égard des représentants d'une entité que l'on déteste... Enfin, c'est mon avis, des bavures ont été faites de tous les côtés et l'exaspération mêlé à la fatigue mène à des situations dramatiques comme la fin de ta nouvelle en témoigne très bien...

Question forme... peut-être qu'une petite relecture corrigerait quelques passages à la ponctuation étrange et des tournures des phrases à alléger, mais... c'est absolument nickel autrement :mrgreen:
Tu maîtrises très bien les champs lexicaux en variant le vocabulaire pour nous ensevelir sous la tension, la colère, la haine, l'épuisement physique et moral, l'incompréhension, la léthargie... Quant aux ressentis d'Alex, tu les décris très bien, on s'attache à lui et même à Baptiste, que l'on voit pourtant brièvement.
On sent que t'as écrit cette nouvelle d'une traite ou presque (je me trompe maybe), parce que ça reste bien linéaire et c'est agréable ^-^

Encore désolée pour avoir complètement zappé... :oops:

A bientôt ! ^^
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Re: Vox populi [Réaliste]

Message par vampiredelivres »

louji a écrit :AH MAIS Meaow ??
JE PENSAIS ETRE PASSEE LIRE MAIS QUE NENNI J'étais pas prête à te voir ici non plus :lol:
Ouh ben désolée du retard :v Bah, ce n'est que quelques mois après tout :lol:
vampiredelivres a écrit :
︻╦╤─ | VOX POPULI | ─╤╦︻


     Dans les rangs, Alex a cessé de réfléchir. L’épuisement, mêlé à une douloureuse sensation d’injustice qui vrille sa poitrine, ont :arrow: puisque ta proposition est entre virgules, le verbe s'accorde à "épuisement" seulement non ? :geek: Possible, ouais :) anesthésié le reste de ses sensations, paralysé ses réflexions. Il sait qu’il a signé pour ça, qu’il s’est engagé pour agir dans ce genre de situations, mais actuellement, ses idéaux de justice et de droit sont violemment ébranlés par le cauchemar qu’il vit.
     Il ferme les yeux un instant, pousse un long soupir qui se répercute dans son casque. Le bouclier à son bras pèse son poids, sans même parler de l’équipement tactique qu’il porte depuis qu’il a pris son service. La seule chose positive, c’est qu’avec ces couches de vêtements, il n’a pas aussi froid que les manifestants en face. Eux frissonnent régulièrement, mais ça ne diminue pas leur virulence. Bien au contraire, ils semblent en tirer de la motivation, ils se soutiennent mutuellement.
     Le paradoxe des deux groupes, face à face, est frappant. D’un côté, les gendarmes nationaux, peu nombreux, figés, stoïque :arrow: manque un s ^^ Merki !. De l’autre, la foule nombreuse et colérique, bruyante, en mouvement perpétuel.

     Lorsque les réverbères s’allument, Alex sent le découragement l’envahir. À côté de lui, Baptiste a essuyé un tir de pavé dans la cuisse, et il a beau dire que ce n’était pas sa faute, Alex se sent coupable. C’était son bouclier qui était trop à gauche. Mais Baptiste a refusé d’aller voir le soigneur :arrow: ça fait presque un peu rustique comme terme :lol: Pourquoi j'ai mis ça, moi ? :lol: (Je crois que ça venait d'un témoignage de CRS que j'avais lu et qui avait employé ce terme…). Il ne veut pas abandonner ses collègues, non, hors de question. Alors, bon gré mal gré, il claudique, après avoir appliqué un peu de spray froid sur la blessure. Depuis, Alex le couve de son mieux.

︻╦╤─ || ─╤╦︻
Je oui-non.

Alors... je ne sais pas si mon avis aurait été différent durant les manifestations, mais là j'ai clairement replongé dans l'horreur, c'était déstabilisant !

Sur la question du fond, j'ai bien aimé le parti-pris du gendarme blasé et gouverné par son devoir, mais qui étouffe ses propres sentiments et impressions sur le sujet... Parce que c'est un PDV très difficile à aborder et qui nécessite beaucoup de justesse et de réflexion ^^ Donc déjà bravo pour ce choix scénaristique !
Quant à la politisation... tout est politique, comme on dit ;) Et, de mémoire, les manifestants témoignaient plus que les forces armées, donc c'est aussi intéressant d'avoir une vision dans leur angle à eux, que l'on soit d'un côté ou d'un autre.
Comme dit Daniel, j'ai vraiment ressenti les manifestants comme des êtres de fureur et ça m'a semblé plus pertinent que jamais... Peut-être est-ce mon sang froid mais je ne vois pas comment on peut en venir à une telle violence à l'égard des représentants d'une entité que l'on déteste... Enfin, c'est mon avis, des bavures ont été faites de tous les côtés et l'exaspération mêlé à la fatigue mène à des situations dramatiques comme la fin de ta nouvelle en témoigne très bien...

Question forme... peut-être qu'une petite relecture corrigerait quelques passages à la ponctuation étrange et des tournures des phrases à alléger, mais... c'est absolument nickel autrement :mrgreen:
Tu maîtrises très bien les champs lexicaux en variant le vocabulaire pour nous ensevelir sous la tension, la colère, la haine, l'épuisement physique et moral, l'incompréhension, la léthargie... Quant aux ressentis d'Alex, tu les décris très bien, on s'attache à lui et même à Baptiste, que l'on voit pourtant brièvement.
On sent que t'as écrit cette nouvelle d'une traite ou presque (je me trompe maybe), parce que ça reste bien linéaire et c'est agréable ^-^

Encore désolée pour avoir complètement zappé... :oops:

A bientôt ! ^^
"Je oui-non", c'est tellement caractéristique de tes entrées en la matière :D

C'est toujours une question du moment où on le lit, je pense… en période tranquille, il passera plutôt bien, en période un peu moins tranquille, ça soulèvera des commentaires. ^-^

Tu sais que j'adore les PDV tordus XD Merci !
Yep, c'est toujours les manifestants opprimés qui sont pris en sympathie, mais au fond, dans les deux camps, ils restent humains, et c'est toujours si compliqué de compatir avec l'autre quand on n'aime pas l'idéologie qu'il représente qu'il devient difficile d'imaginer qu'il ressent quelque chose. Ça n'empêche pas qu'il y a des trucs qui dérapent d'un côté et de l'autre, mais on a toujours tendance à accentuer les erreurs des forces de l'ordre, j'ai l'impression.
En fait, je me suis pas mal inspirée des images choc de Paris acte III, de témoignages de CRS de ce jour-là (rares, par rapport au reste des témoignages de manifestants, on ne va pas se mentir) et de vidéos tournées en amateur. Par exemple, l'anecdote des CRS qui sont appelés vers un hôtel en flammes, c'est du véridique (mais ça se finit pas là, c'était un piège tendu par une bande de casseurs qui leur ont ensuite balancé des barres de fer à la figure).

Ouais, je l'ai posté sans réelle relecture, après une matinée de recherches et une aprem d'écriture, donc clairement, une correction approfondie s'imposera à l'occasion. Je prends note de tes remarques, merci beaucoup :)

Un immense merci pour avoir rattrapé malgré tout !
À bientôt !
louji

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Re: Vox populi [Réaliste]

Message par louji »

vampiredelivres a écrit :
"Je oui-non", c'est tellement caractéristique de tes entrées en la matière :D

C'est toujours une question du moment où on le lit, je pense… en période tranquille, il passera plutôt bien, en période un peu moins tranquille, ça soulèvera des commentaires. ^-^

Tu sais que j'adore les PDV tordus XD Merci !
Yep, c'est toujours les manifestants opprimés qui sont pris en sympathie, mais au fond, dans les deux camps, ils restent humains, et c'est toujours si compliqué de compatir avec l'autre quand on n'aime pas l'idéologie qu'il représente qu'il devient difficile d'imaginer qu'il ressent quelque chose. Ça n'empêche pas qu'il y a des trucs qui dérapent d'un côté et de l'autre, mais on a toujours tendance à accentuer les erreurs des forces de l'ordre, j'ai l'impression.
En fait, je me suis pas mal inspirée des images choc de Paris acte III, de témoignages de CRS de ce jour-là (rares, par rapport au reste des témoignages de manifestants, on ne va pas se mentir) et de vidéos tournées en amateur. Par exemple, l'anecdote des CRS qui sont appelés vers un hôtel en flammes, c'est du véridique (mais ça se finit pas là, c'était un piège tendu par une bande de casseurs qui leur ont ensuite balancé des barres de fer à la figure).

Ouais, je l'ai posté sans réelle relecture, après une matinée de recherches et une aprem d'écriture, donc clairement, une correction approfondie s'imposera à l'occasion. Je prends note de tes remarques, merci beaucoup :)

Un immense merci pour avoir rattrapé malgré tout !
À bientôt !
C'est vrai que j'ai souvent des bugs de ce genre :lol:

Oui je sais bien :D Et ça m'étonne donc pas du tout que tu aies choisi un angle aussi compliqué ^^

C'est tout à fait vrai...
Je vois ! On sentait que certains éléments placés dans le texte pouvaient effectivement relever des anecdotes et ça rend les choses encore plus réelles et immersives :)

Je t'en prie, y'a quand même pas grand chose à corriger ;)
Fatima44

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Re: Vox populi [Réaliste]

Message par Fatima44 »

Frappant , fascinant, terrible et très humain. J'admire ton travail. C'est très surprenant de te lire, très visuel. On vit en même temps que les policiers cette manifestation. Si j'avais été à ta place, j'aurais rapetissé certaines scènes pour qu'elles soient plus marquantes encore. Que dire de plus ? Sinon te remercier pour le partage, ta grande générosité. Bravo. Je réitère mon admiration pour cette manif si bien vivante, ancrée dans notre présent.
vampiredelivres

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Re: Vox populi [Réaliste]

Message par vampiredelivres »

Fatima44 a écrit :Frappant , fascinant, terrible et très humain. J'admire ton travail. C'est très surprenant de te lire, très visuel. On vit en même temps que les policiers cette manifestation. Si j'avais été à ta place, j'aurais rapetissé certaines scènes pour qu'elles soient plus marquantes encore. Que dire de plus ? Sinon te remercier pour le partage, ta grande générosité. Bravo. Je réitère mon admiration pour cette manif si bien vivante, ancrée dans notre présent.
Coucou !
Désolée pour le délai de réponse, ça fait une éternité que je ne suis pas venue dans cette section. Merci beaucoup pour ton retour super positif, ça fait vraiment plaisir de voir que ça t'a plu. Je prends note de tes remarques dans le cas d'une future correction :)
Merci encore à toi, et au plaisir de te recroiser !
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