HO l'aurore des mondes [ Suspense Action Années 60 Fantastique ] ]

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Vanget

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HO l'aurore des mondes [ Suspense Action Années 60 Fantastique ] ]

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Mercredi 8 septembre 1965
Deuxième journée 14h30

La vieille quatre-chevaux Renault avançait avec peine sur la route étroite et sinueuse. Lorsqu’elle eut dépassé la briqueterie abandonnée, elle cahota en soubresauts successifs. Vincent donna trois coups d’accélérateur pour faire monter le régime, et quand celui-ci se stabilisa, il enclencha la deuxième.
Imperturbable, la voiture reprit son allure de sénateur. Vincent s’approcha du pare-brise et fronça les sourcils. Le ciel s’obscurcissait…
Venant de nulle part, de lourds nuages sombres, violets, noirs, se soudaient les uns aux autres, s’arc-boutant pour former une arche gigantesque qui enjamba soudain l’horizon.
Tout à coup, jaillissant de la terre, un immense éclair éclata en mille rameaux de lumière. En un instant, tout se figea, plus rien ne bougeait. Brusquement, un vacarme, assourdissant. Le tonnerre traversait le paysage d’ouest en est, avec la fulgurance d’une brutale bourrasque. Très vite, les premières grosses gouttes, énormes. Elles s’abattaient rageusement, sur la carrosserie, de part en part, avec insistance, comme si elles voulaient pénétrer pour chasser l’intrus !
Vincent fut pétrifié, ébahi, par tant de violence, par tant de puissance. Aucun son ne sortait de sa bouche. Il figurait au cœur de l’orage, fragile, comme un naufragé solitaire qui lutte contre la tempête, accroché à son frêle esquif. Inquiet, il tendit l’oreille... Et il finit par percevoir le bruit familier du moteur. La vieille Renault quelques instants plus tôt à l’agonie, presque moribonde, avançait sans heurts...
Vincent rétrograda en première et s’arrêta. Il ne distinguait plus rien. Les essuie-glaces essoufflés peinaient sous les trombes d’eau. Continuer impliquait de grands risques. La route étroite serpentait, bordée de profonds fossés. Il le savait. Il avait parcouru ces lieux au cours de son enfance avec ses deux inséparables amis : Nino l’italien déjà habité, et Josélin, le plus fort, mais le plus sensible, le plus écorché, le plus à vif.
Ses souvenirs finissaient là, à cette époque trop lointaine.
Que réalisait-il là ? et qui était-il devenu ?
Pour l’heure, il devait prendre une décision, il se trouvait en danger au milieu de la route. Un kilomètre après la briqueterie, il y avait un virage à droite, surmonté par un talus qui épousait la courbe, et en suivant, un dégagement stabilisé où jadis les poids lourds de l’usine se garaient. Il n’était sans doute plus très loin...
Mais avait-il seulement dépassé l'édifice ? Et depuis combien de temps conduisait-il ? Sa mémoire immédiate ne s’imprimait plus...
Depuis un mois, il n’était plus le même homme...
La fébrilité l’envahissait, le plaquant dans la culpabilité, le remords, le laissant figé, hagard, égaré, désespéré... Lui, l’ancien, béret vert !
Il frissonna de tout son corps... Le doute l’écrasait. Il se recueillit dans un effort intense de concentration pour remonter le fil du temps. Rien... Aucune image, aucun lien. Son passé demeurait suspendu, inaccessible, il n’existait plus. Seul le choc sourd de l’averse résonnait dans sa tête, comme si chaque goutte pénétrait une à une dans son crâne...
Il suffoqua, l’angoisse le paralysait peu à peu. Il la sentait monter lentement du fond de ses entrailles...
La crise commençait toujours de la même façon... Quel drame dans sa vie l’avait anéanti ?
Vincent inspira profondément, puis relâcha l’air, très doucement, dans un souffle ténu. Cette simple action estompait son trouble intense sans pour autant l’effacer... Un réflexe de guerrier.
Sa pensée se clarifia. Il pouvait réfléchir maintenant. Avec précaution, il se pencha vers la portière droite et baissa la vitre, une gerbe d’eau glacée inonda son visage. Cette fraîcheur soudaine le vivifia, et il put distinguer à travers le rideau de pluie, la fin du talus qui surplombait le fossé : c’était là.
Il vira en douceur, stoppa, serra le frein à main et laissa tourner le moteur au ralenti. Le ronronnement familier le rassurait. Il recula le siège, alluma le poste radio et se détendit en allongeant les jambes.
Il suffisait d’attendre, sa position à l’écart de la route le maintenait à l’abri du danger... Du moins le croyait-il !
Aucun son ne sortait des haut-parleurs. L’orage perturbait sans doute les ondes hertziennes. Vincent augmenta le volume.
Pour pallier l’absence de musique, il siffla l’air de la reine de la nuit par Mozart. Dès les premières notes, les paroles en allemand lui revenaient sans effort, naturellement. Il se souvint alors que depuis l’enfance il apprenait par cœur les textes des chansons dont le sens le touchait. C’était un bon début... Cet effort de mémoire musical pourrait peut-être extirper de l’enclave sa vie antérieure enfouie !
Tout à coup, la voix du speaker se fit entendre fort et clair.
Bienvenue à tous ! 14 h 50, mercredi 8 septembre 1965, avant le flash de 15 h, pour vous, amis auditeurs, de Georges Brassens : MES DEUX ONCLES !
Vincent sourit... Il l’avait apprise par cœur, dès sa sortie en 1964 ! Il s’emporta en levant le poing au huitième quatrain.
La vi’, comme dit l’autre, a repris tous ses droits.
Elles ne font plus beaucoup d’ombre, vos deux croix,
Et, petit à petit, vous voilà devenus,
L’arc de triomphe en moins, des soldats inconnus.
Implacable ! tout est dit ! Les quinze quatrains d’alexandrins ciselés, tranchants, reflétaient parfaitement son état d’âme du moment.
Oui, la guerre est un fléau inévitable ! Voltaire l’exprimait très bien dans son dictionnaire philosophique et dans Candide, dès le dix-huitième siècle !
Quatre notes de musique, jouées par un saxophone alto, annoncèrent les informations. Vincent sortit de sa méditation et tendit l’oreille.
Le flash de 15h, bonjour à tous les auditeurs !
Au nord-ouest de Toulouse, le quartier des Sept Deniers est en émoi !
Deux enfants et leur instituteur ont disparu de l’école primaire, depuis hier, mardi 7 septembre vers 18h. Le garçon Robin a 9 ans. Il porte un tricot bleu marine avec des rayures blanches horizontales, un blue-jean et un anorak blanc. Sa sœur Maria à 8 ans est vêtue d’une jupe verte écossaise, d’un pull rouge et d’un blouson noir. Le secteur et les alentours sont bouclés. Toute personne...
Vincent éteignit le poste. Il se cala dans le siège, livide, hébété, il ne bougeait plus. La respiration bloquée par l’image brutale qui s’ouvrait devant ses yeux.
La veille, dans une grande pièce, les enfants près de lui jouaient, et il les connaissait trop bien !
Il comprenait maintenant depuis quand, et pourquoi, il errait seul !



Mercredi 8 septembre 1965
Deuxième journée 15h30

Recroquevillé au fond du siège, les yeux ouverts, Vincent ne cillait plus. Son destin meurtri le paralysait.
L’orage perdait de sa vigueur. Au-dehors, un brouillard de vapeur d’eau l’entourait. La route, le talus fumaient, l’isolant encore un peu plus.
Un léger répit avant qu’il ne fût amené !
Brusquement, un choc, un visage contre la vitre latérale. La portière arrière s’ouvrit, une ombre glissa à l’intérieur.
Sans un mot, l’homme tendit sa main gantée, et d’un geste intima l’ordre d’avancer. Ébahi par cette irruption violente, Vincent s’exécuta. Il enclencha la première et s'engagea sur la route.
Avec des mouvements calmes, son instinct de guerrier reprenait le dessus. Les sens en éveil maxima, il gardait son sang-froid.
Derrière lui, la silhouette longiligne restait immobile. Ses vêtements sombres ruisselaient.
Un chapeau de feutre noir descendait bas sur son front, cachant ses yeux. Un nez aquilin, des lèvres minces, une face exsangue !
Une présence écrasante !
« Qui êtes-vous ? Questionna Vincent ».
L’homme répondit par le même geste impératif, sans une seule parole. Cette sobriété accentuait le mystère.
Vincent n’insista pas. Il se concentra à nouveau sur la route. Il voulait gagner du temps et attendre le bon moment pour agir.
Trente minutes s’écoulèrent et ils n’avaient croisé aucun véhicule. Pourtant l’endroit était fréquenté. Sans doute, les barrages filtrants de la police...
La pluie s’arrêta net, comme si elle se suspendait dans l’air, retenue par un rideau invisible. Vers l’horizon, de lourds nuages obscurs couraient les uns après les autres, s’enfuyant, ouvrant le ciel. Le paysage se dessinait peu à peu. La route luisante s’allongeait, laissant apparaître une large étendue d’eau encore prisonnière de l’asphalte.
Avec précaution, Vincent freina doucement. Il venait de stopper, quand tout à coup un craquement sinistre déchira l’air. Un grand chêne-liège, un instant plus tôt foudroyé, s’écroula en travers de la voie, dans un crépitement de bois éclaté ! Il se partagea en deux, et s’immobilisa près de la voiture.
« Quelques mètres de plus et... »
Vincent se retourna vivement et fut saisi de stupeurs.
L’homme avait disparu !
Il descendit, ouvrit la portière arrière, toucha les tissus encore mouillés, et découvrit que la silhouette filiforme imprégnait toujours le siège. Il sortit pour scruter les alentours. Rien... Il était seul !
Il eut alors l’impression d’être l’unique survivant d’une terrible bataille. Il frissonna. L’humidité, l’effroi le tétanisaient.
Il devait agir. Trouver une solution. Il décida de remonter la route à pied vers la briqueterie, pour chercher une issue, un chemin praticable.
Il venait de parcourir une cinquantaine de mètres quand, soudain, il s’arrêta net. Ses sens en éveil l’avaient mis en garde : il était observé !
Il se retourna. L’étrange personnage se tenait là ! Au-dessus de l’arbre éclaté. En un éclair, sa silhouette sombre se transforma en lumière ! Elle irradiait très vive, sans qu’il en fût ébloui. L’homme tendit son bras gauche, il ouvrit la main et elle libéra une boule de feu qui fila droit sur Vincent...
Elle s’immobilisa à trente centimètres de son visage et se déplia en un parchemin très ancien. Une à une, des lettres apparurent, à l’encre noire, dans un style gothique.

Prends garde à toi !
Tu es en grand danger !
Reprends le combat
Redeviens le guerrier !
Que tu fus jadis
Va jusqu’au terme de ta mission !
N’obéis qu’à ton seul instinct !
Je ne serais pas toujours là !
Tu devras puiser dans tes dernières Ressources !
Et aller au bout de toi- même !

Le parchemin se replia en boule de feu. En un éclair, elle fila vers la silhouette lumineuse qui disparut aussitôt en laissant derrière elle, un halo de brume qui se façonna en deux lettres géantes, distinctes, argentées :

H O

Sous l’emprise de cet orage féerique, d’une beauté irréelle, Vincent semblait figé dans une autre dimension...
Il sentit une étrange chaleur partir de la plante de ses pieds, pour monter en cercles concentriques le long de son corps. Lorsqu’elle atteignit le sommet du crâne, il aperçut une ombre sortir, toute noire comme son chagrin, comme son mal, comme sa vie.
Sa vie, elle s’imbriquait maintenant dans son cerveau. Chaque évènement revenait à sa place. Tout le fil se déroulait...
Comme un écho dans sa tête, des mots rebondissaient, s’entrechoquaient à l’infini : tu es en grand danger ! reprends le combat !
La brusque réalité le frappait à nouveau. Il était seul. Traqué, recherché. Pour agir librement il devait trouver un endroit sûr.
En se retournant, Vincent repéra, vers la droite, un chemin de terre qui s’enfonçait dans le sous-bois au bord du fleuve. Il décida d’y engager la quatre-chevaux et il la dissimula sous les frondaisons.
En contrebas de la route, le lieu, peu fréquenté, inextricable et envahi par les ronces, la nature sauvage, offrait un repaire idéal.
Vincent retrouva le calme. Son angoisse se dissipa. Ses gestes redevenaient fluides, rapides, précis. Il agissait en capitaine de commandos de marine. En guerrier d’élite ! L’ombre qui libéra son crâne avait aspiré ses liens, ses entraves, ses chaines, le laissant déterminé. Plus rien ne l’arrêtera !
« Presque 17h, je dois le voir... Lui seul peut m’aider ! »
La veille, le mardi 7 septembre, dès le matin, il recevait la lettre de son ami d’enfance, Nino. Il la portait sur lui, dans la poche arrière de son jean. Il la déplia pour la relire.
Mon ami, mon frère.
Te souviens-tu ? C’est ainsi que nous nous saluions, toi, Josélin et moi. Nous restions inséparables, en plein cœur de notre jeune vie, et notre amitié forgeait en nous les adultes de demain. Pas une ombre... Jusqu’au terrible jour du 20 mai 1947 ! Nous avions 15 ans et lui 12...
Te souviens-tu ? Ce soir-là, la folie des hommes arracha Josélin à notre tendre insouciance. Des blouses blanches l’ont emporté loin, dans un monde clos, empli de vacarmes, de cris, de douleurs... Nous sommes devenus orphelins de cœur !
Te souviens-tu ? Nous fêtions nos anniversaires au château... Le 28 mai dernier, il a eu 30 ans... seul ! Comme les 18 années d’enfermement qu’il vient de subir dans les hôpitaux psychiatriques ! Un univers qui est régi par la folie, les délires, la violence, la souffrance !
Personne ne peut sortir indemne de cet endroit !
Avec toi, je n’ai pu l’imaginer autrement qu’un combattant valeureux, résistant, courageux, employant mille ruses, pour rester un peu plus lui-même, chaque jour, chaque heure, chaque seconde.

J’ai harcelé les institutions publiques pendant des années pour obtenir sa libération. J’ai enfin réussi ! Il sortira bientôt. J’ai adressé une lettre à l’hôtel qui lui a été réservé. Il viendra nous rejoindre.
J’ai bénéficié d’une mutation et d’un nouveau poste dans notre quartier, les Sept Deniers, tu liras mes coordonnées au dos.

Nous n’avons cessé de nous écrire, toi et moi, nous savons tout l’un de l’autre. Moi j’ai suivi ma vocation, toi tu es devenu un guerrier d’élite, et lui un petit ange devant ses bourreaux ! Je souffre en silence du drame qui t’a frappé un soir d’été. Tous les jours à la même heure, je me recueille, pour envoyer à ANGIE l’énergie nécessaire à son ultime combat.
J’ai hâte de vous retrouver ! Viens vite ! Il aura besoin de nous !
Vois-tu, je ne vous ai jamais oublié. Quand j’avais mal à ma vie, quand le doute me paralysait, quand le désespoir noircissait mon cœur, j'imaginais vos deux visages si doux, si rayonnants, irradiant cette lumière, qui éveille sans éblouir, alors, je puisais dans cette pureté pour me rafraîchir de courages et de vigueurs !
Bien à toi,
Ton ami, ton frère.
Nino.

Les yeux embués de larmes, Vincent replia la lettre avec précaution, comme s’il voulait ne pas l’abîmer. En la remettant dans la poche, il laissa la main dessus un long moment...
Elle contenait toute la délicatesse de son ami, toute sa fragilité, toute sa peine, et aussi son extraordinaire combativité !
Il n’était plus seul maintenant, et cela changeait radicalement la donne ! Il décida d’attendre la nuit pour aller à pied vers la ville.
Dans le lointain, l’écho de l’orage rebondissait en ricochant sur l’eau, puis il s’estompa dans le murmure du fleuve.
Pas un souffle, pas un nuage, la nature apaisée respirait calmement. Dans le sous-bois, un faisceau de lumière illuminait les gouttelettes qui prisonnières des feuilles, tombaient une à une, presque sans bruit, clouant chaque seconde.
Vincent s’allongea dans l’herbe fraîche en reposant sa tête contre un vieux cèdre déchiqueté par la tempête, mais toujours debout, bravant une fois de plus le ciel de toute sa hauteur. Blessé, il offrait encore ses ramures meurtries aux futures bourrasques déchaînées... Oui, il sera le dernier, l’ultime et le farouche messager du courage !

En regardant autour de lui, Vincent esquissa un léger sourire : il s’imaginait comme le dormeur du val, le poème d’Arthur Rimbaud.

Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme.
Nature, berce-le chaudement : il a froid.

Les parfums ne font plus frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.


Ses deux trous rouges à lui :
Sa vie passée, et son combat à venir !

À suivre...
Gérard Taverne (Vanget)
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