« On se rencontre toujours deux fois. » Proverbe mexicain
Wizard
Mes Amis de l’au-delà
Histoire :
Les larmes purificatrices du Serpent à plumes m’inondaient ; mon corps entier s’y noyait.
Ses impitoyables rafales balayaient le ciel, fissuré d’estafilades, infernales. Le visage balafré par ces incessants soufflets, dont les déchirures ciselaient ma chair en lambeaux, je redressai le menton et levai lentement les bras, paumes ouvertes, étendant mes doigts, puis les resserrant en coupe, figure de mon offrande, gage de ma promesse et de ma foi éternelles, tentant de saisir un fragment de nuage noir. Aussi noir, ténébreux que le bijou incrusté de perles obsidienne ceignant mon front et ornant mon cœur enchaîné, dont les battements tumultueux s’harmonisaient avec la vive allure des grondements assourdissants d’Ehecatl.
Ses pleurs taris, riants, je sus que mon être terrestre aride et mon désir avide me condamnaient à veiller sur l’au-delà des morts, telle la camarde des aubes pluvieuses, le monde d’en-dessous la terre où les âmes demeurent prisonnières jusqu’à l’atteinte de leur Salut, prière mortuaire ininterrompue.
Autrefois le grand vent nocturne soufflant, âpre et cruel, je n’étais plus que le petit gardien tyrannique des mânes souffrants, éthers charnels que retenait Mictlantecuhtli. Squelette paré d’un collier de globes oculaires vitreux, aux os parsemés de taches sanglantes, Il me remit les accrocs de son sceptre doté de grelots et s’éclipsa, occulté, omniscient, déléguant sa main écorchée à ma carcasse déchue, dont la cage de tissus lacérés laissait entrevoir l’organe pulsant, que le Serpent à plumes aspirait à m’arracher.
N’était-il pas repu des tripes de mon compagnon, dont il étouffa les rugissements bestiaux, le réduisant au silence en transperçant sa gorge et son ventre au velours mordoré, piqueté de blanc et de cercles bruns, le peignant sauvagement de pourpre dans un tourbillon de plumes. Sa colonne vertébrale et ses membres se fracassèrent, ses muscles se rompirent, ses coussinets se percèrent et sa queue fièrement levée s’abaissa, sa tête ronde se balançant de droite à gauche, de gauche à droite, découvrant l’ouverture d’une plaie béante aux lèvres écartelées, jusqu’à ce qu’elle tombât et roulât non loin de son cadavre découronné, à l’estomac et au foie aérés, et aux boyaux sanguinolents déroulés, enchevêtrés sous sa dépouille pourrissant.
Lorsqu’il se fut étendu sur le sol, inerte, je m’écroulai à ses côtés et caressai ses flancs inanimés, le creux de ses oreilles et son museau glacé. Le jaguar, alors familier, s’était éteint, et je me délestai de mon nom, Tepeyollotl, faisant de moi le cœur de la montagne, que je n’incarnais plus sans l’animal. Yoalli m’avait chassé puis achevé en tant que Yaotl, souverain de la guerre devenu supplicié, le martyr de Tepeyollotl.
Lorsque le jaguar, mon jaguar, expira, je cessai de respirer à mon tour. J’étais pétrifié, statufié par la rapidité de la froideur et la rigidité contractant ses restes, d’ores et déjà en décomposition, gangrenés, une odeur fétide s’en dégageant. Il s’élevait alors dans l’air infecté le parfum pestilentiel des Enfers, et la partie de moi m’ayant quitté à l’instant où la bête émigra d’une réalité sphérique à une autre succomba, tandis que la seconde se chagrinait. Je n’étais pas triste, mais inconsolable. Je ne savais que penser, que faire, ainsi interdit, désarçonné de ma sûreté, mon ancre, le regard perdu dans l’immensité de couches épluchées et de soie vermeille rudement découpée, cisaillées sur toute la longueur. Ma vue s’embruma, un brouillard toxique obstruant mes sens, et la nébuleuse empoisonnée me cerna, enclave écumante. En transe, je me mouvais lentement, évoluant dans le tout, le rien, l’absurde, en proie aux affres que me causait ce trépas et à l’agonie sinueuse se faufilant et se gravant sous mon épiderme, Serpent rougeoyant plantant ses crocs jusque dans mes veines, qu’il asséchait. Amorphe, je réintégrais mon moi ébranlé, convulsant, gisant sur la terre avalant le défunt, à laquelle il revenait de droit, et la fureur m’aveugla.
Le Serpent à plumes était victorieux et alla se vanter de son infâme prouesse auprès de Mictlantecuhtli, le recevant malcontent. Mon rang d’œil brûlant m’avait été retiré et l’on m’enleva la seule créature que je possédais ; le Dieu faucheur ne pouvait y consentir, mais Ehecatl était irrépressible. Un jour, il redescendit voir son créateur et tenta de s’emparer des ossements des macchabées, afin d’engendrer une nouvelle race. Cependant, il les relâcha dans sa fuite et une caille les picora. Ils se retrouvèrent difformes et, lorsqu’Ehecatl désira les ramener à la vie, il les arrosa de son fluide incandescent, donnant naissance à des hominiens de tailles diverses, astreints de nouveau à la mort. Peu m’importaient ses exploits névrosés, pourvu que je le tailladasse, le déchiquetasse et le ravinasse, creusant et enfouissant sa sépulcre.
À présent, je ne détournai pas mes yeux emplis de gouttes écarlates, s’écoulant le long de l’armature de mon cou et de mes épaules raidies de la voûte céleste, abritant ma dernière lueur d’espoir de la noirceur des cotons tressés d’obscurs filaments, semblant suspendus à l’arc céruléen agité. Son foudre enflait, grossissait, crépitait, exaltait, tonitruant, fendant le néant et quêtant délibérément me blesser, me faire trembler de peur et courber l’échine devant lui, mais je ne cédais pas, pas encore, pas face à lui, le souvenir vivace du jaguar décousu s’emparant de moi et me happant dans les profondeurs des limbes de mon esprit tourmenté.
Brandissant mon miroir fumant, reflet de ma dévotion annihilée et unique rempart perdurant entre lui et moi, je créai quelque bourrasque, que j’orientai et manœuvrai dans sa direction ; foudre contre vent, eau contre terre. L’inlassable houle se heurtait à ses flots perpétuels, incendiant l’air d’un parfum de pluie et de cendre, d’onde et de poussière mêlés, se déversant dans le nid du lac du cóatl. Le soleil sibyllin que j’étais devenu obombrait ma grâce souillée, dont l’éclat se ternissait peu à peu, ainsi soumise au temps que le Serpent à plumes m’accordait, avant qu’il ne se décidât à abattre sur moi le feu du ciel.
Ma tristesse faisant écho à la sienne se mua en flamboyante colère teintée de sombre rancœur, dont l’ascendante puissance me tordit les entrailles. Je ne redoutais pas son talion, ne craignais plus son châtiment. Mon désespoir latent prit possession de moi, et l’impétueuse tempête s’opposa à l’ouragan destructeur. Je n’étais ni hardi ni courageux, mais impavide, fuyant l’abîme en y plongeant, considérant que le peu de valeur que j’avais ne suffirait pas à me sauver, me sauver de mon affront, de ma déchéance ; de mon destin tragique, baigné d’orgueil et de sang. J’étais humilié, indigne, vil ; une enveloppe corporelle scarifiée de part en part. Je n’échapperai pas à l’opprobre de mes actes dénués de raison, soit. Pourquoi ? Pourquoi avoir agi de la sorte ? Je ne le savais pas et ne le saurai sans doute jamais, réclamant seulement vengeance, ma revanche. Étais-je sciemment sous l’emprise de cette peur à laquelle je refusais ma reconnaissance, voilant mon regard dès lors embué et m’armant d’absurdes œillères ?
Je hurlai toute ma douleur et, essoufflé, confectionnai une lame aiguisée sur un typhon, avant de crever les yeux d’Ehecatl et de le poignarder en plein cœur. Une joie indicible m’envahit et je m’effondrai sur le sol gorgé de bleu et de rouge, ma couleur se languissant de la sienne, séchée. Un sourire tordu étira mes lèvres craquelées et mon miroir, que je tenais fermement, se brisa entre mes doigts à jamais maculés de mon ignominie.
Son masque chuta.
Le « joyau du vent » s’ébrécha.
Son chapeau à panache reposait à mes pieds.
Tranché était le crâne sacrificiel piqué d’orbes pâles éclatées.
Rien n’est gratuit, tout se paie et tout a un prix. Il n’y a pas de chose dans ce monde, si infime soit-elle, sans aucune valeur, et dont on peut disposer comme bon nous semble sans contrepartie, peu importe laquelle. Chaque choix, chaque acte, chaque parole donnent lieu à des conséquences, et il faut être prêt à les assumer, ces conséquences qui sont le coût de ce qu’on a dit ou fait. On n’agit pas librement, dans le sens où le libre-arbitre est réel et on est libre de faire nos choix et prendre nos décisions en notre âme et conscience, mais on n’échappe pas aux lois de l’univers, qui maintiennent son équilibre. Cet équilibre repose sur la dualité : une chose et son contraire existent et ne peuvent pas exister l’une sans l’autre, tels que le bien et le mal ou la lumière et les ténèbres. Il n’y a pas de bien sans mal ni de lumière sans ténèbres et inversement. On ne donne pas sans prendre et on ne prend pas sans donner : si on donne ou prend une chose, on en prend ou donne une autre et ainsi la balance ne penche pas. L’équilibre est maintenu et nous autres, sorciers vaudous, veillons à ce qu’il le demeure : c’est notre rôle.
Le vaudou est une des plus anciennes formes de magie sur Terre, dont le berceau est l’Afrique de l’Ouest, plus précisément le Dahomey, qu’on appelle aujourd’hui le Bénin, pays du continent africain. Cette magie ancestrale est un mélange de sorcellerie, de rituels et de pratiques religieuses, particulièrement du culte catholique, qui a migré sur le continent américain lorsqu’a débuté la traite des esclaves. Ce qui était le vaudou ou le « Culte des Esprits » s’est enraciné dans les Caraïbes et est devenu le Vaudou Haïtien, qui mêle les divinités africaines d’origine Yoruba, prénommées Orixhas, et les Saints de l’Église catholique. Ce vaudou est né de l’oppression des colons et de la lutte des esclaves pour conserver leur attachement à leurs pratiques religieuses et se révèle être une religion à Haïti. Néanmoins, ce n’est pas exactement une religion, mais plutôt un culte mystique, qui résulte de la fusion de plusieurs religions et a quantité de rites. Cependant, il reste une religion pour la majorité de la population haïtienne, qui s’est étendue au-delà de l’île, jusque les autres à proximité et le continent, en Amérique centrale, après que les esclaves d’Haïti ont été libérés. Puis, on la retrouve dans des communautés généralement africaines dans le monde entier, notamment au sud des États-Unis, en Louisiane, aux Antilles, à Cuba, à Trinité, au Brésil et enfin au Mexique.
Le vaudou est donc une magie, un culte et une sorte de religion, qui se fonde sur une conception duale de l’univers : elle admet que toute chose et tout phénomène naturel possèdent une nature à la fois matérielle, qui est de l’ordre de l’humain, et spirituelle, qui renvoie à des forces invisibles, et permet aux hommes d’entrer en relation avec elles. Présentes partout et en toute chose, ces forces gèrent le monde et forment dans leur ensemble l’être suprême constitué d’une paire de divinités, Lissa-Mawu, ou Mawu seulement, Dieu dans le vaudou, qui se traduit par « Ce que nul ne peut atteindre » ou l’Inaccessible ». Cette entité définit l’origine et la fin de l’existence et, autour d’elle, gravitent des Esprits, des génies divins, des esprits ancestraux et des défunts. Dévoués à la Nature, ils incarnent les puissances sous-jacente à l’existence, dans les arbres, l’air, l’eau, la terre… Ce sont les
Voduns, ou les Esprits. Par ailleurs, le terme vaudou vient de « Vodun », qui signifie « Esprit » dans le dialecte parlé au Bénin, le fon, montrant que la magie vaudou est la magie connectée aux esprits. Ces
Voduns, conduits par Mawu, servent d’intermédiaire entre les hommes et le monde divin. Ils habitent chaque chose, et on les invoque afin de solliciter leur protection ou leur intervention.
Le fondement de la croyance vaudou réside dans une certaine vision du monde et de l’être humain, dont l’existence est régie par ces doubles forces naturelles et surnaturelles, qui interagissent en permanence, conditionnant le quotidien comme les événements marquants. Cette croyance enseigne comment entrer en contact avec ce côté invisible de l’existence et comment y trouver de l’aide ou s’en protéger. Chacun s’attache à un
Vodun et entre effectivement en contact avec lui, fusionne avec lui et devient lui, soit l’« épouse du
Vodun ». La personne possédée manifeste alors la divinité du
Vodun et ceux qui ont des pouvoirs magiques voient leur magie se renforcer considérablement lorsque le
Vodun est en eux. Par la suite, on peut manifester d’autres
Voduns, mais on n’est pas pour autant attaché à eux, car on s’attache à un unique
Vodun au cours d’un rituel spécifique. La famille Mixtle s’est originellement attachée à Fa, le
Vodun de la divination, qui apporte toutes les réponses, mais une de ses branches s’est attachée à Legba, le
Vodun de l’imprévisible, de l’intelligence et de la ruse, gardien des portes de l’invisible, un génie contradictoire, protecteur, mais aussi coléreux, qui est malfaisant à partir de minuit et sème la discorde et le chaos.
Il s’agit de la branche à laquelle j’appartiens, mais ce n’est pas parce que les parents sont attachés à un
Vodun que les enfants doivent s’attacher au même, et je ne me suis pas attaché à Legba. C’est à soi que revient ce choix et je me suis attaché à Fa, renouant avec l’attachement de mes ancêtres lorsque j’en ai eu l’âge. J’ai vu le jour le 22 juillet 1867 dans une petite ville côtière du Mexique et suis le quatrième enfant d’une fratrie de six, derrière deux filles et un garçon et devant une fille et un autre garçon. L’équilibre était maintenu jusque dans ma famille, car il y avait trois filles et trois garçons, soit quatre femmes et quatre hommes à la maison, et nous étions tous proches et soudés, unis. Mes frères, mes sœurs et moi étions tous les six des sorciers puisque nos parents étaient eux-mêmes des sorciers, notre père un sorcier mexicain et notre mère une sorcière espagnole. Ils nous ont offert une double nationalité, une double culture et un double héritage. Nous avons hérité de la magie vaudou de notre père, issu d’une lignée de sorciers vaudous qui descendraient de Tezcatlipoca le « Miroir fumant », le dieu aztèque. Je tiens mon prénom de lui, Acatl, un nom aztèque, et mon deuxième prénom, Nemesio, est espagnol, en l’honneur du pays natal de notre mère, car nous avions tous un premier prénom aztèque et un second espagnol.
Tezcatlipoca est désigné par des noms aztèques qui réfèrent à plusieurs facettes de sa divinité : Titlacauan, « Nous sommes ses esclaves », Ipalnemoani, « Celui par qui nous vivons », Necocyaotl, « Ennemi des deux côtés », Tloque Nahuaque, « Seigneur du proche et du lointain », Yohualli Ehecatl, « Nuit, Vent », ou encore Ome acatl, « Deux roseaux ». Acatl signifie « roseau » en aztèque et nos parents ont rendu hommage à ce dieu en faisant d’un de ces mots un prénom pour chacun d’entre nous : ma première sœur était Yohualli, ma deuxième sœur Ehecatl, mon premier frère Ipalnemoani, ma dernière sœur Titlacauan et mon dernier frère Nahuaque. Tezcatlipoca est donc associé à la nuit, la discorde, la guerre, la chasse, la royauté, le temps, la providence, la mémoire et les sorciers. On raconte que chez les Aztèques, les sorciers aztèques étaient des enfants de Tezcatlipoca, et notre père était un des descendants de ces « enfants » du dieu châtié par Quetzalcóatl, le Serpent à plumes. Par conséquent, la famille de notre père s’est dévouée à Legba, pour sa ressemblance avec Tezcatlipoca, mais les autres lui ont préféré Fa. C’est pourquoi, dès notre naissance, notre héritage pesait sur nos frêles épaules, celui de la magie, du vaudou et de la divinité, et nos parents nous ont élevés dans le culte du vaudou et sa pratique. Nous avons grandi dans une lourde atmosphère, empreinte de secrets et de mystère, mais aussi sereine et apaisante, épaisse.
Elle était épaisse, car nous sentions le souffle des esprits autour de nous, mais il n’était pas malfaisant. Les esprits ne le sont pas tant qu’on les ignore ou les traite avec égard et, depuis notre plus jeune âge, nous apprenions à contrôler notre magie et voir les esprits grâce à nos parents, qui nous ont ensuite appris tous les sorts et rituels vaudous qu’ils connaissaient, tels que l’envoûtement et le dés-envoûtement, la séduction, la guérison, la chance ou la vengeance, l’usage de la magie blanche, noire ou rouge, et les sacrifices d’animaux et les rites d’incorporation. Néanmoins, à chaque fois qu’on se sert de notre magie, qu’on jette un sort ou effectue un rituel, il y a un prix à payer et il faut en avoir conscience, le garder à l’esprit et toujours se préparer à le faire, auquel cas, les
Voduns se retournent contre soi. Jamais mes frères, mes sœurs et moi ne faisions usage de notre magie sans en payer le prix, n’oubliant pas que les
Voduns, qui ne sont ni avec ni contre nous, pouvaient se mettre en colère et qu’être maudit par un
Vodun revenait à mourir, alors nous respections scrupuleusement les règles imposées par nos parents et personne ne les a transgressées. Nos parents nous entraînaient rigoureusement et, arrivés à nos sept ans, l’âge de raison dans la religion catholique, nous devions choisir notre
Vodun et l’équilibre demeura maintenu. Trois d’entre nous choisirent Legba, suivant nos parents, et les trois autres choisirent Fa. J’ai donc choisi Fa à sept ans et sais que le
Vodun m’accompagnera jusqu’à la fin de ma vie, ce qui est rassurant.
Nos parents continuèrent à nous entraîner, et nous apprenions toujours et nous exercions avec la plus grande assiduité. Nous n’allions pas à l’école, c’est nos parents qui nous ont enseigné tout ce que nous savions, sur la magie, le vaudou et le monde surnaturel. Ils nous ont également appris à lire, écrire et compter et nous connaissions par cœur l’histoire de la magie vaudou, de l’empire aztèque, du Mexique, de l’Europe et de l’Afrique, que nous pouvions réciter sans difficulté. Ils nous ont enseigné la maîtrise de la langue anglaise et notre père voulait qu’on sache parler la langue aztèque, alors il nous l’a apprise même si c’est une langue morte, et nous étions tous trilingues avec l’espagnol, notre langue maternelle. À côté, nos parents tenaient une échoppe et nous vivions de leur commerce, car ils avaient une fidèle clientèle. De temps en temps, ils avaient des clients qui ne venaient qu’une fois ou deux en tout et pour tout, et leur achetaient ce dont ils avaient besoin avant de repartir et ne plus jamais revenir. Les autres, qui étaient des surnaturels, connaissaient nos parents, les seuls sorciers vaudous de la ville, et requéraient souvent leurs services. L’échoppe n’était pas qu’une simple échoppe : aux yeux des humains, c’était une échoppe exiguë où on trouvait pourtant un peu de tout, mais, pour les surnaturels, elle était large et abritait toute sorte d’objets magiques.
Les clients ne payaient pas forcément nos parents avec de l’argent, car le prix n’était pas nécessairement de l’argent, mais il fallait payer : il y avait une contrepartie pour chaque chose que nos parents remettaient à leurs clients et ces derniers ne pouvaient ignorer son prix. Nous les aidions de temps à autre, mais nous nous concentrions sur notre apprentissage de la magie et nous étions tranquilles, lorsque vint l’année 1876, qui bouleversa le pays entier. Le général Porfirio Diaz fit un coup d’État et se proclama Président de la République, et cela a inquiété nos parents et beaucoup de Mexicains, mais ils pensaient que cela ne durerait pas, excepté que ce fut le cas, car le général se fit réélire en 1888, après avoir réformé la Constitution dans ce but. En 1884, quatre ans avant sa « réélection », j’avais dix-sept ans et nos parents étaient si angoissés, qu’ils ont demandé à Fa et non à Legba ce qui allait se passer, et Fa leur a dit que le général se ferait réélire. Nos parents ont donc décidé de déménager. Nous sommes partis loin de Mexico, la capitale, pour ne pas être directement affectés par les prises de décision du pouvoir illégitime en place, et nous sommes installés dans un village fondé par des sorciers, un lieu magique, où la magie est omniprésente. Nous avons découvert que ce village est hors du temps, dans une bulle, c’est-à-dire que le temps n’a pas d’emprise sur lui. En réalité, il y existe et il y a les secondes, les minutes, les heures, mais il n’y a plus de jour ni de date, car les gens qui y habitent ne vieillissent pas.
Ils ne sont pas immortels, mais ne vieillissent plus et certains de ses habitants sont plusieurs fois centenaires. Puisqu’ils ne vieillissent pas, savoir quel jour de quel mois et en quelle année nous sommes est inutile et tout le monde vit sans se soucier du temps. Les sorciers qui ont fondé le village l’ont scellé et les personnes qui y entrent cessent de vieillir, quand bien même elles ne sont que de passage. Il n’y a que les surnaturels qui peuvent y accéder, le village n’étant pas visible aux humains, et il est figé depuis toujours, avec toujours les mêmes personnes qui y habitent, car personne ne meurt. Une fois qu’on sort du village, on recommence à vieillir et ce normalement, on ne vieillit pas d’un coup. Être dans ce village est pareil que faire une pause. J’ai posé le pied dans le village à dix-sept ans et ai arrêté de vieillir, comme le reste de ma famille, et j’ai gardé mon apparence de jeune homme de dix-sept ans alors que j’en ai cent cinquante-et-un aujourd’hui. Cela signifie que mes frères, mes sœurs et moi avons eu plus de cent ans pour perfectionner notre usage du vaudou, et nous aidions de plus en plus nos parents à l’échoppe, jusqu’à avoir notre propre clientèle. Chaque objet, service ou simple demande exigent une contrepartie et nous n’hésitions pas à nous servir de notre magie lorsque le client ne nous payait pas, mais il y en avait très peu qui osaient défier les
Voduns.
Rapidement, nous fûmes considérés comme les marabouts du village et on s’en remettait à nous, lorsque le village fut attaqué. Un matin, des nécromanciens sont arrivés et ont demandé l’asile, et le village a fait le choix de les protéger et ma famille et moi avons nous-mêmes décidé de leur accorder notre protection, leur magie étant proche de la nôtre, mais le Haut Conseil les a rattrapés et a mis le village à feu et à sang dans le but de les dénicher. Le petit groupe de nécromanciens a subi de lourdes pertes, mais ce qu’il en restait a réussi à fuir, sauf qu’ils ne furent pas les seuls à avoir perdu. Toute ma famille est morte. J’en suis l’unique survivant et, si cela me cause une profonde souffrance, je sais qu’ils ont fait leur choix et l’ont payé. À la différence d’eux, j’ai aussi fait le choix de les protéger, mais j’ai survécu et ne comprends pas pourquoi. C’est la première fois que je ne comprends pas les conséquences d’un choix que je fais et j’en suis troublé. Il faut que je demande à Fa la raison de ma survie et, malgré la mort des êtres que j’aime le plus au monde, je peux les revoir et les invoquer à l’aide de ma magie. Je ne sais pas non plus pourquoi est-ce que les membres du Haut Conseil responsables de cette tragédie m’ont pris avec eux et m’ont emmené en Angleterre, mais ils l’ont fait avant de me placer dans une école nommée Ravenswood. J’ignore quels sont leurs desseins, mais je ne les suivrai pas et attends que l’univers leur fasse payer pour chaque vie qu’ils ont prise.
Caractère :
Étant un sorcier vaudou de cent cinquante-et-un ans, je parais détaché de tout, mais je ne le suis pas, simplement, je relativise. Je suis quelqu’un d’inexpressif, calme, posé et réfléchi, et surtout pragmatique, avec ma propre vision du monde. Il y a deux mondes, chaque chose existe dans l’un et l’autre, elles sont liées entre elles et je les vois, maintenant l’équilibre. Elles ont un prix et, s’il est question de bienfaisance et de malveillance dans le vaudou, il n’est pas question de bien et de mal : lorsqu’on me requérait un service, même si ce dernier était de tuer une personne, je le faisais sans ciller en échange d’une contrepartie. Je suis intransigeant, ne fais aucune exception et suis franc : je ne mens pas ni ne déguise la vérité, disant les choses à mes clients et laissant le choix aux gens.
Autres :
Acatl fume.
Sa magie est contenue dans des bijoux en argent et des artefacts qu’il porte sur lui.
Il use principalement de sa magie pour la divination.
Il a une âme d’artiste : il adore la peinture et la photographie.
Physique :
Je mesure un mètre quatre-vingt et suis assez fin, mais légèrement musclé. Ma peau est blanche, mes cheveux châtain clair indisciplinés, mes yeux verts, mes joues creusées et ma bouche charnue.