15Lina15 a écrit :Chapitre 14 : Une Sorte De Puce
Une trentenaire avec un style de banquière regarde son portable d’un air inquiet. Elle est avec d’autres gens, qui doivent l’avoir emmené ici. Cela se voit qu’elle n’a pas l’habitude de se déconnecter, ces terminaux n’ont aucune chance de fonctionner. Nous sommes dans une cage de Faraday, c’est-à-dire qu’une fois passée la porte de ce café, les ondes de toutes sortes rebondissent et ne peuvent nous atteindre.
— T’es difficile en affaire, plaisante Gabrielle.
Idris et elle ont repris du mouvement. Ils ont laissé parler le garçon, guettant le verdict, sachant qu’ils ne lui serviraient à rien. Ce dernier a allumé sa tablette et écrit quelque chose à une rapidité impressionnante. Il murmure en réfléchissant. Si ma vue et mon ouïe n’étaient pas connectées, je n’entendrai pas les pauvres bribes de mot qui s’échappent dans le bruit ambiant.
— C’est une tablette appartenant à l’organisation, dit Rangsei.
— Ah, dis-je.
Je n’ai rien demandé. Il est manifestement le seul à l’utiliser, je ne vois pas à quoi elle lui sert.
— Pour nous suivre, tu vas devoir abandonner toutes tes affaires par précautions.
Ça, c’était pas dans le deal, je commence à en avoir marre de leurs manières de faire. Pour cette fois, ça va, j’espère juste que ça va s’arrêter. Après, je suis libre, il a dit que je pouvais partir quand je le voulais. On va dire qu’il était honnête sur ce point, pour éviter de commencer à trop stresser.
— C’est pas grave, je m’en fiche, dis-je en posant mon sac sur la table.
Rangsei et sa copine mettent de côté les verres pour faire de la place. Ce dernier se lève et demande à commander. Le serveur arrive et le jeune aux cheveux court liste des sandwichs différents pour nous cinq. Puis il ouvre mon sac.
Idris se retourne, peut-être inquiet que l'on se fasse trop remarquer. Toujours cette menace, elle est tellement floue que cela en devient ridicule. Je ne peux pas me méfier de ce que je ne connais pas, pour ce que j'en sais, ce pourrait être leur invention.
Il ne reste pas grand chose dans mon sac : ma couette, des bonbons et de la nourriture longue conservation, l'album imagé, une gourde connectée qui affiche mon temps d'autonomie en fonction de la quantité d'eau qu'elle a.
— La couverture semble faite main donc ça ira… Le livre est connecté, la gourde…, réfléchit-il à voix haute en passant d'un objet à l'autre. Ton sac est étonnamment résistant et a priori… Pas du puce. Il est connecté ?
— Non, je l'ai acheté exprès pour. Je ne comprends pas cette mode des objets connectés, je n'aime pas qu'on puisse me tracer. Surtout avec mon pèr…
Je m'arrête trop tard. Cela ne les concerne pas, après ils vont vouloir en savoir plus. Je passe ma main dans mes cheveux, ils ont vraiment poussé, l'image dans le miroir n'était pas faussée. Je n'ai plus de repères pour me calmer. Là, l'enchaînement des phrases, des idées, est un peu chaotique ^^
— Si j'ai une tablette, c'est avant tout parce que j'aide à créer des systèmes plus performants et optimisés. Nous développons en parallèle une agriculture pure entièrement autonome. J'ai un doctorat en biologie organique, ajoute-t-il dans un sourire timide.
Je suis impressionnée. Je le sentais intelligent, mais pas à ce point.
— Ouhaa, et t'as quel âge ?
— Quinze ans. Cependant, avoir un doctorat, ne veut pas dire que je suis doué en tout.
J'aperçois un roulement d'yeux de Gabrielle et Idris.
— Ça c'est sûr, et tant mieux. C'est pour cette raison que je t'aime, fait-elle en l'enlaçant avant de déposer un bisou sur sa joue.
Un tic de dégoût m'échappe, je n'ai pas été suffisamment rapide pour détourner le regard. Quand je retourne sur eux, il a l'air étrangement gêné.
— Il faut qu'on range tout ce bazar avant que les plats n'arrivent. Je vais devoir jeter ton livre, ta nourri…
— Non, pas mon livre.
J’y tiens beaucoup, tellement de temps passé à regarder les gifs en espérant visiter tout ces paysages atypiques. Ce livre est ce qui m’a donné envie de voyager, c’est grâce ou à cause à lui que j’ai cette âme insatiable de découvertes.
— Tu ne peux pas le garder, il est très facilement traçable et puis, tu ne pourras pas le recharger, il n’a pas de batterie solaire comme ma tablette.
Je regarde ses mains manipuler mon objet le plus précieux en pensant que je n’ai pas le choix.
— D’accord.
— Ce n’est pas pour être méchant, intervient Gabrielle, ce sont les règles.
— Oui, oui, c’est pas grave.
Arrête de trembler, enfouis tes sentiments jusqu’à les perdre me dit une petite voix. Ça mériterait d'être en italique =D
Les plats sont arrivés : des sandwichs chauds que le génie en biologie répartis sans demander notre avis. Il me donne mon préféré, et je me demande comment il fait pour deviner et tomber dans le juste, à chaque fois, les goûts de chacun ; surtout moi qu’il ne connaît pas encore.
Nous finissons en vitesse de manger et laissons sur la table mes affaires qu’on ne peut pas emmener. Je jette un dernier regard nostalgique vers mon gros livre laissé à côté de mon assiette avant d’accélérer le pas.
Il m’a comme même laissé mon sac. Quand même, pas comme même. Et quelques bonbons.
En fermant la porte, je vois Gabrielle qui est sur une machine. Elle sort de son sac une sorte de puce, différente de ma G-9, d’une autre couleur. Elle l’insère et paie nos consommations avec. Je suis étonnée et m’approche pour la regarder de plus près.
— Je n’ai jamais vu cette génération de puce.
— C’est normal, elle vient de nos labos. Avec ça, on peut voyager dans n’importe quel pays et tout le monde nous comprend. Son fonctionnement ressemble un peu à la tienne, elle a le mode traductor, sauf que nous après, on peut l’enlever, ajoute-t-elle en souriant.
La trace que la puce a laissé sur sa tempe est encore visible. C’est plus vilain sur un visage comme le sien. Je sens encore le pansement que Rangsei m’a fait.
Il a dit que je devrais passer une évaluation. Selon lui, je ne suis pas assez entraînée, il veut voir mon niveau pour construire ensuite avec les autres, un plan d'entraînement.
Je me demande ce qu'il va me faire faire, j'ai hâte. Je veux me rattraper, après m’être autant ridiculisée sur cette Tour. Là, ta ponctuation est pas forcément très pertinente et tu coupes le rythme de tes phrases et annule presque leur sens
Nous avons installé un nouveau camp, quelque part, plus près des montagnes. Rangsei a insisté pour checker mes muscles et articulations, mis sous haute tension pendant l'escalade de la matinée. Il déclare que je suis trop fatiguée pour passer les premiers exercices demain. Je proteste, puis il pose lourdement sa main sans prévenir sur ma cheville. Je tressaille et un petit bruit de douleur m'échappe.
Je n'ai pas le choix, son intelligence commence à me taper sur le système. Il fait son timide, mais réussi toujours à trouver un moyen de gagner.
Je suis dans une clairière, le sol est plus pur et l’herbe proliférante. Cela fait deux jours que j’attends avec impatience. C’est enfin arrivé, Idris se tient en face de moi. Je pensais que Rangsei me ferait passer lui-même ces « tests », je me suis trompée.
Il tient un crayon et une plaquette en bois, sur laquelle il penche. Je m’entends respirer.
— Tu vas faire le maximum de pompes à froid, maintenant.
Sa voix n’a pas d’inflexion, il ne veut pas discuter.
J’obéis bêtement pose mes mains sur l’herbe sèche. Le malaise rend la première maladroite, puis l’habitude reprend sa place et mon rythme devient régulier. Le souffle régulier, les bras légers, je commence à trouver l’exercice facile. Je ne compte pas et me laisse emporter.
Je relève la tête et entraperçois son regard perçant, suivant consciencieusement mes mouvements. Je crois qu’il compte.
J’arrive au moment où je finis normalement ma série. Il ne me demande pas de m’arrêter, je vais devoir aller jusqu’au bout de mes forces. Mes bras ralentissent, ma concentration accrue et la respiration plus complexe. Je trouve un autre rythme.
Puis la chaleur dans mes bras atteint son maximum, le muscle se tend et mes bras tremblent. J’ai mal un peu partout, mais surtout dans le biceps. Mon corps commence à se tordre et une goutte qui coule dans le bas du dos me dérange.
Ce que je fais ne ressemble guère à une pompe, je descends puis remonte un siècle après, avec la sensation d’avoir soulevé 200kg. Je force, repousse mes limites puis abandonne et me fixe un court décompte.
À zéro, je m’écroule sur mes poignets, la tête négligemment posée, le corps brûlant tout entier. La respiration hachée, je récupère très lentement. Je vais avoir des courbatures demain. Un grand sourire apparaît sur mon visage, je crois que j’ai battu mon record. À froid, qui plus est. C’est la fierté tout du long qui m’a poussée, je voulais leur montrer qu’il ne fallait pas me prendre à la légère, et j’ai réussi.
— Cinquante, bof, ça va.
Un rire d’euphorie s’échappe dans l’air, puis l’information monte au cerveau. La colère, un sentiment d’outrage, puis la déception. Il n’est pas du tout impressionné, c’est plutôt l’inverse, il a l’air désabusé.
Et les épreuves s’enchaînent.
Un cross de 8km, un parcours sportif chronométré, des exercices d’agilité, d’adresse et d’équilibre. Qui, après toutes ces épreuves de force, paraissent intenables.
Cela ne suffit jamais, il n’est toujours pas satisfait. Je n’en peux plus. Il me fait tenir sur un pied et viser des cibles avec des cailloux. Je ne comprends plus rien et, fatiguée d’obéir, fatiguée tout court, j’ouvre la main et laisse tomber la pierre avant de m’écrouler par terre.
Mes jambes m’ont lâchée. Mon corps entier m’a abandonné, il ne m’appartient plus. Je ne suis plus qu’une immense douleur. Je crois l’avoir entendu partir, je n’ai pas la volonté de creuser l’affaire.
Je ne peux m’empêcher de trembler, je suis lourde.
Ce n’est pas très propice, pourtant, je crois que je vais dormir là, face contre sol. De toute manière, je suis incapable de remuer le moindre poil. Ma vision s’assombrit.
Un petit bruit me réveille. On pose quelque chose à côté de moi avec délicatesse. Je ne m’en préoccupe pas.
Je sors du noir. J’ai la sensation d’avoir dormi une heure, dans le coaltar. La lumière est différente, plus orange. Je tourne la tête, essaie de m’orienter, un blocage dans le cou. Qu’est-ce que je fais là ? C’est vrai, je ne suis pas seule.
Je bouge les doigts, descends les mains et remonte les genoux. Les multiples courbatures me font durement grimacer et certaines m’extirpent des râles. Les pieds ancrés au sol, le dos à peu près droit, je marche. Je cherche les autres. Quand je me retourne pour regarder l’endroit où j’étais, je remarque un tas de vêtements. Dans le doux soleil, j’essaie de vérifier l’état des miens. Il y a des trous, et ils puent le rat creuvé. Je ramasse le tas et aperçois enfin, à l’ouïe, le reste du groupe.
— …Une petite plante avec des tiges, un peu comme celles du palmier, et… Ah tu es réveillée, s’interrompt Rangsei en se retournant.
— Ouahh, t’as réussi à dormir, affalée comme ça. À un moment, j’ai cru que t’étais morte, rigole-t-elle.
Génial, elle n’a pas l’air du tout inquiète. Gabrielle s’approche en souriant, compatissante, je lui tends ce que je crois être ses vêtements que j’ai ramassés.
— Non, c’est pour toi, je te les donne, tu en as plus besoin que moi.
— Merci c’est très gentil, la remercie-je, les joues rouges.
— Faut que tu te laves avant, tu seras plus à l’aise, je t’ai chauffé de l’eau, elle devrait être tiède.
— Ça ira, c’est déjà trop, merci beaucoup.
Je suis touchée, je n’ai pas l’habitude qu’on prenne soin de moi, qu’on fasse attention à ce genre de détails.
Je passe à côté des garçons, récupère, comme je peux avec mes courbatures, le seau et pars en direction d’un reste de mur, peut-être une maison détruite, pas bien loin. J’avance à une lenteur qui m’exaspère et le poids du seau est presque trop lourd.
Pendant que je me débrouille pour me déshabiller, je repense à mon livre. La vitesse et la facilité à laquelle je m’en suis séparée m’effraient. Cette capacité que j’aie de me détacher avec une telle force et évidence de mes sentiments. J’ai grandi avec, il m’a accompagné de nombreuses années, a fait mûrir cette impulsion de voyage et de curiosité. Je me raccrochais à lui, à l’Internat, dans les moments difficiles. On m’a demandé de m’en débarrasser et sans négocier, j’obéis.
J’ai enfilé mes nouveaux vêtements, je revis. Pratiques, ils sont souples, je peux m’étirer autant qu’il me plaît. Avec la finesse du tissu, je ne risque pas d’avoir chaud, il laisse respirer le corps, je ne vais pas sentir des gouttes de sueur me coller à la peau.
Je les découvre en train de se passer à manger, Gabrielle me passe mon sac et propose que je range mes affaires dedans. Je ne vais pas garder mes vêtements, même s’ils sont de ma taille, ils sont détruits, je vais les jeter. En les abandonnant là, un satellite les repérera et enverra une patrouille de nettoyage ; ils ne pourront pas me retrouver, je suis tranquille.
Rangsei récupère les notes qu’a prises Idris puisque celui-ci ne semble pas enclin à parler.
— Tu as beaucoup de souplesse, c’est indéniable, Idris devrait en prendre des cours d’ailleurs.
Ce dernier réagit à peine, mais reste avec nous.
— Pour le reste, tu as du boulot. Nous ne sommes qu’au 1er jour de test alors je ne peux pas être catégorique…
Crache le morceau !
— Tu as la plus mauvaise condition physique qu’aucun d’entre nous à notre arrivée dans l’organisation.
Un poids s’abat. J’avale ma salive, la gorge nouée.
— On est tous en formation, Gabrielle est la plus proche de son éveil final, pourtant elle en est encore loin. Il lui faudrait au moins quatre ou cinq ans de plus.
J’essaie de contrôler la descente de ma mâchoire.
— Pour toi, dans une version optimiste, il te faudra une quinzaine d’années pour arriver à maîtriser parfaitement tes sens.