Oh, merde, c'était terrible, mais beau.vampiredelivres a écrit :CHAPITRE 10
Un vent froid, chargé d’iode, vint chatouiller mon visage, soulevant au passage des mèches de cheveux noirs pour les entraîner vers l’arrière. Le rugissement de la mer emplissait mes oreilles, bourdon constant rythmé par le va-et-vient des vagues qui venaient s’écraser sur les rochers, tandis que derrière moi, le portail émettait un crépitement inaudible S'il est inaudible, comment peut-elle l'entendre ? . Mes bras nus étaient couverts de chair de poule, et c’était seulement par fierté que je ne claquais pas encore des dents. Je fis apparaître mon manteau en fourrure noire et cuir bouilli, l’enfilai en quatrième vitesse puis rabattis la capuche sur ma tête, avant de fouiller les poches à la recherche de mes gants.
J’étais déjà venue ici plusieurs fois, par principe, lors des cérémonies funéraires d’autres membres de la Confrérie, et la majeure partie du temps, il faisait plutôt beau. Mais pas aujourd’hui. Le ciel était couvert de nuages noirs, orageux et annonciateurs de pluie, et parfois, des grondements se faisaient entendre au loin. La mer semblait être faite d’acier liquide, sombre et agitée. Les vagues étaient hautes, et des gerbes d’écume fusaient à chaque fois que l’une d’entre elles était arrêtée par la roche. Je m’approchai encore davantage du bord, et un jet m’éclaboussa en plein visage. Je m’essuyai les yeux, fixai l’horizon encombré. J’avais toujours été spectatrice à ces cérémonies. Et j’avais toujours espéré ne pas devoir être celle qui allumerait la flamme. La description de la mer est super chouette, on a l'impression d'y être ^-^
Un bruissement de pneus se fit entendre dans mon dos. Je me retournai. Une voiture venait de passer le grand portail de téléportation, une trentaine de mètres plus loin, traînant derrière elle un chariot couvert d’une bâche. Elle fit quelques embardées sur les pierres inégales, faillit coincer une roue dans une large fissure, mais réussit plus ou moins à faire demi-tour, et à reculer jusqu’au bord de la rivière. Je m’approchai, aidai à enlever la bâche bleue, et fis tomber la rampe du chariot. Derrière moi, le silence équivoque témoignait à la fois du recueillement et du respect pour celui que nous allions laisser partir aujourd’hui. Je fermai les yeux brièvement, avec l’impression qu’on avait planté un couteau dans mon cœur et qu’on s’amusait maintenant à le retourner dans la plaie, tirai la barque mortuaire vers moi. Elle glissa avec légèreté sur le métal recouvert de plastique brillant, plongea dans l’eau glacée den m’aspergeant au passage. Je tressaillis à peine, gardant les mains serrées sur la corde pour la retenir dans le puissant courant, vérifiai que tout était là.
Une boîte en bois, avec un intérieur de velours, que je n’eus pas besoin – ni envie – d’ouvrir. Les Thor ne nous avaient restitué d’Ekrest que les cendres. Je me mordis les lèvres, continuai mon inspection. Une réplique de son épée favorite, ainsi que de son arc et de son carquois. Une armure en maille, quelques vêtements personnels retrouvés dans sa chambre. Un ordinateur portable et un téléphone – qui n’étaient pas les siens, mais laissés là pour la forme – et quelques lettres d’adieu venant d’amis proches. Pas la mienne. Je n’avais pas réussi. Damn Ekrest, t'auras su fissurer le cœur de notre chère Lilith. Mais est-ce que t'es vraiment mort ?
Il n’y avait qu’une trentaine de mètres, et la barque portée par courant de la rivière plongerait dans une mer déchaînée. Juste une petite trentaine de mètres, et il partirait définitivement.
Sauf que je n’arrivais pas à lâcher la corde. Je n’arrivais pas à lui dire adieu.
Dents serrées, poings crispés, souffrant comme si on m’éventrait, je repoussai furieusement les larmes. Son visage dansait devant mes paupières fermées, ses yeux turquoise me souriaient discrètement, partagés comme souvent entre sérieux et affection. Lâche prise, m’aurait-il dit.
Un bref instant, son odeur fauve sembla m’envelopper, charriée par le vent glacé. Elle disparut aussi vite qu’elle était venue, mais cela avait suffi. Le choc, la douleur, la tristesse, me firent ouvrir les doigts d’un seul coup. Les flots tumultueux happèrent la barque, l’emportèrent comme un fétu de paille. Je fis un pas. Un seul, pour courir à sa poursuite. Me mordis les lèvres, m’immobilisai, alors qu’elle filait vers le large.
Les premières larmes coulèrent, sans que je ne puisse plus les réprimer. J’observai sans bouger, alors que l’embarcation s’échappait à chaque instant un peu plus loin, s’enfonçait dans la mer glacée et, portée par le courant, s’éloignait vers le large.
Selvigia se glissa derrière moi, me tendit un arc avec une flèche déjà encochée. Je le pris presque automatiquement, sans réfléchir, approchai la pointe épaisse, enduite d’huile, de la flamme que ma sœur avait créée entre ses mains. La pointe s’embrasa immédiatement, je bandai mon arc, fermai encore une fois les yeux, doutant soudain d’en être capable. Mes mains tremblotaient au rythme de mes battements de cœur erratiques, j’avais le souffle court. Mais c’était à moi de le faire. C’était lui qui m’avait aidée, c’était de moi dont il avait été le plus proche. C’était grâce à lui que j’étais devenue celle que j’étais aujourd’hui. Je lui devais tout ; je n’avais pas le droit de le laisser tomber maintenant.
Malgré les larmes qui dévalaient mes joues et la douleur aigue qui me vrillait la poitrine, je me forçai à stabiliser ma respiration. Que les autres me voient ainsi n’avait plus d’importance. Je me mordis les lèvres, exhalai un souffle haché, tremblant. Reculai encore un peu plus mon bras, jusqu’à ce que l’arc sportif paraisse sur le point de se briser. Levai, visai.
Lâche prise.
La flèche dessina une parabole orangée dans le ciel gris, et se planta au centre de la barque. Les flammes prirent presque instantanément, gagnèrent l’ensemble de la structure en une fraction de secondes. Je lâchai l’arc presque sans m’en rendre compte, observant le feu consumer ce qu’il restait de mon mentor. Brièvement, dans la fumée, je crus voir la silhouette familière se dresser sur le pont, me fixer droit dans les yeux. Mais elle disparut aussi vite qu’elle était venue lorsqu’une langue de feu s’éleva à cet endroit, haute et claire. C'est très beau. On sent que tu as bien travaillé ce chapitre... Ça me donne pas spécialement envie de pleurer, mais je ressens comme un vide au cœur !
Instinctivement, sans même songer à la cérémonie, je me métamorphosai en corbeau. La quinzaine de personnes qui était venue assister avec moi au départ d’Ekrest d’Aube-Court suivit le mouvement, et ce fut un vol d’oiseaux noirs qui vint tournoyer autour de la barque, accompagnant son départ alors qu’elle se consumait lentement. Durant ces quelques heures où je m’éloignai de la rive, portée par les courants d’air, je m’abandonnai à ma forme animale comme jamais auparavant. Les émotions humaines s’estompaient, être corbeau m’empêchait de ressentir autant, de souffrir autant. Je me laissais entraîner par la horde, par mes réflexes d’oiseau, par la peine diffuse qui accompagnait chacun de mes battements d’aile.
La nuit tomba et les autres partirent avant que les dernières flammes ne s’éteignent. Je fus la dernière à rester, la dernière à rejoindre la berge pour observer ce petit point lumineux qui semblait vouloir défier les étoiles. À nouveau, les larmes coulèrent, mais silencieuses, sans hoquets, sans tremblements. Il n’y avait plus personne, à part un portail ouvert qui attendait mon retour. J’étais debout sur un rocher en marge du monde, seule.
Ekrest était parti.
Je reniflai, essuyai mon nez dans ma manche sans aucune grâce, m’allongeai sur le sol rocheux et humide. Dans cette région éloignée de tout, aucune pollution n’obscurcissait le ciel. Au travers des trouées dans les nuages, les étoiles scintillaient comme des diamants, froides et distantes.
Une faible secousse ébranla brièvement le sol, à peine perceptible. Je cillai, regard tourné vers la voûte céleste, guettant le moindre signe d’une présence fantôme. Est-ce que mon père me voyait, malgré son emprisonnement ? J’aurais voulu qu’il soit là, qu’il me dise ce qu’il pensait réellement de moi. Étais-je juste un pion ? Ekrest l’avait-il été aussi ? N’étions nous que des figurines dans une partie d’échecs géante, sur laquelle nous n’avions aucune prise ?
Je formulai mes questions à voix basse, dans un souffle rauque. Pas en silence, mais presque.
Bien sûr, personne ne me répondit.
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Un peu plus court que d'habitude, peut-être, assez déprimant (mon état d'esprit à l'approche des exas, peut-être ? ), transition avant la ligne droite vers la partie II (bordel j'ai hâte XD)
J'ai vraiment beaucoup aimé la façon dont tu as traité cette cérémonie et dont tu l'as fait ressortir par les yeux de Lilith. On n'a jamais connu Ekrest, mais c'est vraiment tout comme. Il est pas mort, hein ? J'aimerais vraiment le connaître ! Ce serait vraiment dommage de mettre à la trappe un personnage que tu as tant travaillé, qui semble... veiller de loin (oui, je me fais des idées, mais je sais que t'apprécies ça XD)
Chapitre plus court, certes, mais tout aussi intense et bien écrit que les autres !
A bientôt