Bonjour à tous! J'espère que votre déconfinement se passe bien et que vos proches se portent bien. Je reviens aujourd'hui avec la partie 3 de ce long bonus. D'ailleurs, cette partie est la plus longue J'ai adoré l'écrire et j'espère que vous aurez autant de plaisir à la lire. J'ai été très contente de revoir d'anciennes lectrices sur le forum, votre retour nous fait à tous hyper plaisir !
Petit rappel : la partie 2 se terminait sur Regulus et Sirius dans la caverne. Ils s'étaient échappé du QG de l'Ordre pour effectuer la mission que Regulus s'était donné, à savoir s'emparer de l'Horcruxe et le détruire. Il venait de boire la potion sur l'île et des Inferi l'avaient emporté dans l'eau. (Mais rassure-toi Cochyo, il n'a pas défunté )
Bonne lecture !
ALERTE DEUX PARTIES (Perri tu peux être fière)
Partie 3: L'aurore du crépuscule
Le corps douloureux, Regulus émergea des ténèbres. Ou du moins en partie. Il n’arrivait pas à ouvrir les yeux, l’esprit brumeux et fatigué. La seule sensation qu’il percevait avec acuité était la douleur, particulièrement au niveau de son avant-bras. Il pensa à la Marque et un instant il fut persuadé que le Seigneur des Ténèbres l’avait retrouvé. Des centaines de
Doloris expliqueraient son état. Pourtant, les voix qui lui parvenaient n’étaient pas celles des mangemorts ni de leur maître. C’était celle de James Potter.
- … ne sais pas, Lily, disait-il. Ça va faire faire deux jours et il n’est toujours pas réveillé. La griffure d’Inferi a peut-être fait plus de dégât que Dumbledore ne le pense…
- Ne dis surtout pas ça en face de Sirius ou Marlène ! J’ai déjà eu autant de mal à les persuader d’aller dormir que si j’avais dû convaincre Slughorn de renoncer aux ananas confits. Et puis, trois jours ce n’est pas tant que ça, vu ce que son corps a enduré. Si ce que Sirius a raconté est vrai, il a besoin de repos.
- Quoi ? Tu crois que Sirius a menti ?
- Ne me regarde pas comme ça, je n’ai pas dit ça !
- Mais tu lui en veux toujours ? Devina Potter, agacé.
- Evidemment, James ! A quoi il pensait en partant comme ça ? En libérant Regulus ? C’était dangereux et irresponsable, par Merlin ! Tu imagines tout ce qui aurait pu mal tourné ? Et s’il s’était échappé, hum ? Qu’est-ce qu’on aurait dit à Maugrey et Dumbledore ?
Potter ne répondit pas immédiatement. Emprisonné dans sa douleur, Regulus se concentra pour entendre le reste de la conversation en espérant que son esprit serait distrait, même si ses yeux restaient résolument clos.
- L’interrogatoire qu’on lui a fait subir à lui et à Marlène suffit, grommela Potter. Ils se sont expliqués. (Il soupira). Comme si l’un des deux pouvait nous trahir.
- James… murmura Evans à voix basse. Je sais que tu ne veux pas l’entendre mais… On ne peut pas se voiler la face. Ça fait des mois que les mangemorts arrivent à obtenir des informations confidentielles sur nous…
- N’importe quoi, Sir…
- Je n’ai jamais dit que Sirius était impliqué ! Coupa-t-elle vertement. Ne me fais pas dire ce que je n’ai pas dit ! Je ne soupçonne pas plus Marlène. Regulus est peut-être une exception pour elle, mais pas la règle. Elle n’aurait jamais collaboré avec les forces du mal.
Si Regulus avait pu, il aurait ri. Evans se trompait légèrement. Il n’était pas une exception à tous les égards. Marlène ne l’aurait jamais aidé s’il n’avait pas tourné le dos au Seigneur des Ténèbres. Elle ne l’aurait jamais rejoint, ni n’aurait montré la moindre complaisance envers lui s’il ne lui avait pas exposé son repenti dans sa lettre.
- Tu arrives à le croire, toi ? Reprit finalement Potter d’un ton neutre. A sa rédemption ? A cette histoire de caverne et d’objet mystérieux dont Dumbledore refuse de nous parler ?
- C’est précisément parce que Dumbledore refuse de nous en parler et prend tout ça avec autant de sérieux que j’y crois, répondit-elle. Sirius ne t’a rien dit ? Je veux dire, il ne t’a dit de plus ?
Regulus ne le voyait pas, mais il supposait que Potter venait de secouer la tête.
- Non… Mais je crois que Dumbledore lui a jeté un sort de Langue-de-Plomb. Il devait savoir que… enfin…
- Que toi et Sirius êtes incapables de garder quelque chose pour vous sans le dire à l’autre ?
- Ouais sûrement… avoua-t-il, penaud. Mais ça doit vraiment être sérieux pour en arriver là…
- Je pense qu’il ne serait pas revenu dans cet état si ça ne l’était pas, oui, confirma Evans.
Au moment même où elle disait ça, le bras de Regulus fut traversé par un éclair de douleur. Il aurait voulu hurler tant la brûlure était profonde. Les voix de Potter et Evans s’évanouirent. Il dû en faire de même car il n’entendit pas la suite de leur conversation. Son esprit l’absorba et sa conscience dériva. Il avait presque l’impression de flotter, comme s’il était toujours dans le lac, au fond de la caverne. Peut-être que c’était le cas. Peut-être qu’il ne faisait qu’imaginer les voix de Potter et de Evans, peut-être que les cadavres aux yeux vides avaient réussi à l’entraîner avec eux.
A cette simple idée, sa respiration se bloqua. Il avait l’impression d’être plongé sous l’eau, qu’une masse le tirait inexorablement, et il ne savait plus distinguer le fond de la surface. Ses poumons étaient en feu, son corps était glacé. Il n’arrivait pas à respirer…
-
Reg ! Respire !
Son esprit bascula à nouveau, mais ce n’étaient pas Evans et Potter qu’il entendait cette fois-ci. C’était son frère. Tout lui paraissait embrouillé, comme s’il avait encore plus de mal à saisir ce qui se passait, et il comprit avec un temps de retard qu’il se souvenait.
***
-Reg ! Respire !
Regulus roula sur lui-même. La tête lui tournait violemment et il toussa, la gorge obstruée et un goût de vase dans la bouche. Il mit une seconde à réaliser qu’une douleur sourde pulsait au niveau de son avant-bras et il émit un bruit à mi-chemin entre cri étranglé et un gémissement désespéré.
- Calme-toi… ça va aller… Respire.
- Sirius…
- Je suis là. Ils sont… ils sont parti. Kreattur a réussi à… invoquer un mur de feu. Ils sont retournés dans le lac.
Difficilement, Regulus se retourna mais, incapable de se redresser, il resta étendu sur le dos, le souffle court. Au ton de son frère, il devina qu’il était abasourdi par la puissance magique de l’elfe. Comme beaucoup de sorciers, dont leurs parents, il n’avait jamais dû se poser la question. Regulus lui-même ignorait l’étendu de la magie elfique, mais Kreattur l’avait surpris à plusieurs reprises.
Il prit soudain conscience que les cheveux de Sirius, d’ordinaire savamment coiffés, étaient plaqués contre son visage. Le noir ébène de ses mèches tranchait avec la pâleur de sa peau.
- Pourquoi… ?
- Kreattur a fait apparaître le feu… Je suis allé te chercher, expliqua-t-il, les lèvres tremblantes.
- Mais…
- Plus tard. Faut qu’on se tire d’ici.
Sans lui laisser le temps de protester, il le tira sur ses pieds. Regulus s’affaissa presque complètement contre lui, ses jambes incapables de supporter son poids, et il serra les mâchoires pour s’empêcher de crier à nouveau. Debout, il réalisa qu’ils étaient de l’autre côté de la rive. Ils avaient dû retraverser en bateau quand il était encore inconscient. Au milieu du lac, l’île se détachait à peine dans l’obscurité. La lumière verte qui émanait du bassin à leur arrivée avait désormais disparue.
- Le médaillon… ? Articula-t-il.
- Dans ma poche, le rassura Sirius. Kreattur ! Dès que tu peux nous faire transplaner hors d’ici, dis-le-nous.
- Le traître s’adresse à Kreattur…
- Le traître va t’envoyer rejoindre les créatures au fond du lac en t’attachant à une pierre si tu n’obéis pas !
- Sirius… protesta-t-il.
- Toi, garde tes forces. Pour une fois, si je dois revendiquer mon sang Black, je le ferai. Je suis encore l’héritier de cette foutue famille et il va m’obéir, ne serait-ce que pour te sauver la vie ! Tu m’entends ?
La panique mal contenue dans la voix de son frère se répercuta en Regulus. Trop fatigué, et obnubilé par sa douleur, il n’avait pas pensé à ce qu’il venait de vivre. Ni à quoi la scène avait dû ressembler de l’extérieur.
Il se souvenait vaguement des premières gorgées de la potion, puis des images terribles envahirent son esprit. Il retint un haut le cœur alors que Sirius le traînait pratiquement à ses côtés. Il se souvenait de ses entrailles en feu, de la sécheresse de sa gorge. De son reflet dans le lac. Il revoyait son visage : les traits tirés, le teint blafard, les yeux hantés, les cheveux noirs accrochés à son front. Il ressemblait à un mort, pas si différent de ceux qui étaient sortis des eaux. Plus que tout, il se souvenait des doigts glacés qui se reformaient sur lui et de sa chute dans le lac.
Un frisson violent le traversa au point de le déséquilibrer et Sirius passa un bras autour de ses épaules pour le soutenir et le faire avancer.
- Allez, encore un petit effort… L’arcade est juste là…
- Il nous faut du sang…
- Kreattur peut s’en charger, jeune maître, s’empressa de dire l’elfe. Le jeune maître n’est pas en état !
- Non… commença-t-il.
- Laisse-le faire.
De sa main libre, Sirius sortit le couteau en argent de sa poche et le tendit à Kreattur.
- Je peux m’occuper de l’entaille si tu ne t’en pas capable, proposa-t-il sur un ton de fausse mansuétude.
- Sirius !
- J’essaye d’être aimable…
Pas dupe, Regulus tenta de lui envoyer un regard noir de reproche, mais l’effet devait être loin de ce qu’il espérait. Au lieu de ça, Sirius raffermit sa prise autour de lui, et dès que Kreattur ouvrit l’arcade ; ils s’engouffrèrent hors de la caverne. Le claquement des vagues résonnait contre les parois en pierre.
A nouveau, une vive douleur irradia dans le bras de Regulus et il ne put réprimer le cri qui lui monta aux lèvres. Son corps s’effondra.
- Reg !
- Mon bras… Haleta-t-il.
Sirius pâlit.
- C’est la marque ? Il sait qu’on est là ?
- Non… Je ne crois pas. Il faudrait détruire l’Horcruxe pour qu’il s’en rende compte… C’est la créature, elle m’a agrippé par le bras…
A la mention des créatures, Kreattur s’agita, nerveux. Doucement, Sirius remonta sa manche pour évaluer les dégâts.
- Oh Merlin…
Regulus baissa les yeux vers son bras. Son estomac se retourna. Juste en dessous de la Marque des Ténèbres, sa peau violacée ressortait vivement. De profondes griffures formaient des traits sanguinolents en travers de son poignet, mais le sang s’était mêlé à l’eau, formant une tâche rougeâtre sur plusieurs centimètres. Les bords de la blessure semblaient se noircir, comme si la magie noire qui avait animé les cadavres s’infiltraient en lui.
- Sirius… s’étrangla-t-il, terrifié.
- Des Inferi… C’étaient des Inferi. Il faut qu’on t’emmène à Sainte-Mangouste !
- Non… non ! Ils vont me retrouver !
- Reg, est-ce que tu as vu… ?
- Je t’en prie, pas St-Mangouste !
Sirius parut déchiré plusieurs secondes et contempla la blessure avec horreur. Puis il se tourna vers Kreattur qui attendait toujours.
- Kreattur, ramène-nous à Square Grimmaurd. Maintenant.
L’elfe n’hésita pas. Il ne chercha même pas à protester l’ordre de Sirius. Il se saisit des deux frères et transplana. L’expérience fut la pire de sa vie. Il ne savait pas si c’était à cause de sa blessure, mais il ressentit le transplanage comme un écartèlement. Des points noirs et des éclats blancs dansèrent devant ses yeux, puis ils réapparurent dans le hall de Square Grimmaurd. Regulus se laissa tomber sur le parquet qui grinça sous son poids, épuisé. Son estomac se retourna une nouvelle fois et il rendit le petit déjeuner qu’il avait pris il y a plusieurs heures, le bras en feu. Il ne sentait même plus son poignet.
- Le jeune maître va mal ! Le jeune maître est mourant ! S’affola Kreattur. Kreattur a tué le jeune maître !
- Tais-toi ! Arrête de crier !
- Le traître crie sur Kreattur !
- Parce que tu cries aussi !
Regulus ne savait pas si se hurler dessus aidaient Kreattur et Sirius à ne pas sombrer dans la panique, mais leurs voix lui transperçaient le crâne et il gémit. Ils se turent immédiatement.
- Kreattur, va me chercher toutes les fioles d’antidotes et les bocaux de plantes guérisseuses dans le laboratoire de ma mère… Maintenant !
L’ordre de Sirius claqua une fois de plus. Il devait être sacrément perturbé pour appeler Walburga « ma mère ». Kreattur s’exécuta tandis qu’il se baissait pour être à la hauteur de Regulus, toujours étendu sur l’antique parquet du hall.
- Dès que Kreattur revient, on transplane au QG, promit-il. Dumbledore va arranger ça…
- Non ! Paniqua-t-il. Pas de transplanage…
- Reg, tu commences à rendre la situation compliquée ! Arrête de protester, Merlin !
- Non, tu ne comprends pas… Le transplanage… la douleur…
Au fond de son esprit, il avait vaguement conscience de ne plus être cohérent, mais il voulait faire comprendre à Sirius la torture que représentait le transplanage. Il secoua la tête si fort qu’il s’en cogna contre le sol. Les mains de Sirius l’attrapèrent par les épaules pour l’immobiliser.
- Ca ne durera que quelques secondes, rassura-t-il. Calme-toi.
- Non ! Non ! Je t’en prie !
- Reg…
- Laisse-moi mourir ici…
- Ne dis pas ça, tu ne vas pas mourir. Arrête de bouger, bon sang ! Reg !
Mais la douleur paraissait maintenant se diffuser dans ses veines comme un poison. Alertés par ses cris, plusieurs tableaux s’agitaient dans leur cadre et commentaient le spectacle qu’ils devaient offrir, tous les deux prostrés sur le sol. La tante Belvina, avec ses lourdes boucles d’oreille en or en forme de serpent, s’exclama d’une voix haut perchée :
- Pauvre petit… J’ai toujours su que son frère finirait par le tuer…
- La ferme ! Rugit Sirius par-dessus son épaule.
- Quelle insolence, s’insurgea Arcturus premier du nom.
Regulus entendait à peine ce qu’ils disaient, le sang lui battant les oreilles dans un bourdonnement incessant. Mais une pensée s’imposa pourtant à lui à travers la douleur.
- Il ne faut pas qu’ils racontent… souffla-t-il. Sirius, fais-les jurer de ne rien dire…
- Ils ne m’obéiront pas !
- Tu es l’héritier…
- Et Orion est encore le Maître des lieux. Je ne fais pas le poids.
- S’ils rapportent ce qu’ils ont vu…
- On s’en occupera plus tard… Contente-toi de respirer, ça va aller. Kreattur ! Hurla-t-il brusquement, le faisant tressaillir. Dépêche-toi ! Tu transportes le chaudron avec toi ou quoi ?!
Aussitôt, l’elfe se matérialisa à côté d’eux. Il tenait un sac en toile noir dans ses bras et les fioles à l’intérieur tintèrent quand Sirius s’en saisit précipitamment.
- Très bien, on y va. Kreattur, tu restes ici et tu nettoies toutes les traces de notre passage. Tu n’as rien vu, rien entendu. Tu ne répètes rien à personne. C’est compris ?
- Oui…
L’absence de formule de politesse exagérée montrait que Kreattur répugnait à obéir, mais ne pouvait pas faire autrement.
- Merveilleux, ton enthousiasme me va droit au cœur, railla Sirius. Dernière chose : tu peux faire taire les tableaux aussi ?
- Kreattur peut faire de la magie sur les personnages des peintures, admit l’elfe. Mais la magie de Kreattur peut être altérée.
- Ça fera l’affaire pour l’instant. Réduis-les au silence, tous. Particulièrement elle, ajouta-t-il en désignant la tante Belvina qui eut un hoquet d’indignation. Et si tu peux les décrocher et tous les brûler, surtout ne t’en prive pas.
- Je t’interdis, répliqua immédiatement Regulus d’une voix faible en donnant un coup de pied tout aussi faible à son frère. Kreattur, si tu me préfères, alors je t’interdis.
Sirius laissa échapper un rire étouffé et le remit en position assise, le soutenant de tout son poids alors que son bras pendait contre lui, immobile. Il faisait preuve d’une douceur étonnante qui ne suffit pas à endiguer la pointe de douleur qui le traversa à nouveau.
- Evidemment qu’il te préfère, dit-il. Regulus, le petit dernier admiré de tous. Tu faisais fondre Andromeda bébé.
- J’ai toujours été plus beau que toi, c’est pour ça, affirma-t-il en roulant des yeux.
- Dans tes rêves… Attention, 3, 2, 1… Accroche-toi.
- Non…
Sa protestation, à peine un souffle, se perdit dans le vide. Il croisa une dernière fois le regard inquiet de Kreattur, puis la sensation familière d’écrasement et d’étouffement s’abattit sur lui. Il ne savait pas s’il criait tant le monde tourbillonnait, les couleurs se brouillant comme le sang, l’eau et l’encre s’étaient mêlés sur son bras. Puis son corps chuta brutalement. Il n’était plus sur le parquet de Square Grimmaurd, mais sur l’herbe fraîche de la campagne anglaise.
Il s’effondra.
- Reg ! Allez, encore un effort ! Le QG est là-bas !
- Je pense…
- Arrête, ça n’a jamais été ton fort ! Debout, viens !
-… que je vais mourir…
La phrase, à peine plus haute qu’un murmure, figea Sirius. Regulus lui-même n’avait pas vraiment conscience de l’avoir prononcé. Tout lui semblait flou, le monde tanguait autour de lui, et le poison s’infiltrait inexorablement dans ses veines. Il avait froid…
- Dis pas ça… Reg, dis pas ça. On a réussi. Allez.
Mais Sirius lui-même était épuisé. Il le sentait dans ses gestes désordonnés, dans son incapacité à se servir de la magie pour ne serait-ce que le faire léviter. Tous les deux écroulés dans l’herbe, à bout de force… ils devaient offrir le spectacle vivant de la déchéance des Black. Regulus sentit ses yeux devenir lourds et sa tête bascula en arrière.
- Reste éveillé, ordonna Sirius d’une voix sourde. Tu m’entends ? Reg ?
-
Sirius…
- Je suis là, je ne bouge pas. Je ne pars plus, Reg, plus jamais, tu m’entends ?
- Sirius… Ce que j’ai dit à Marlène dans la lettre…
- Aucune importance.
- J’ai écrit… j’ai dit… qu’à la fin, j’ai fait ce que tu aurais fait… Et c’est vrai…
Un bruit proche du sanglot s’arracha de la gorge de son frère. Il ne l’entendit que de loin. Puis, soudain, il le sentit se tendre et se redresser légèrement. Des bruits de pas précipités leur parvinrent, signe que l’Ordre avait enfin pris conscience de leur échouage sur leur pelouse.
- On a besoin d’aide ! Cria Sirius. James ! Va chercher de l’aide !
Regulus ne vit pas si Potter avait obtempéré. A nouveau, les ténèbres l’engloutirent.
***
Quand il émergea cette fois-ci, il réussit à entrouvrir les yeux. Le plafond dansa dans son champ de vision un instant avant de se stabiliser. Sa gorge était toujours aussi sèche, comme s’il avait avalé du papier de verre. Il avait aussi toujours la nausée et l’impression qu’on avait entaillé son bras d’un coup de couteau sur toute la longueur, mais il était en vie. Rien que ce fait constituait un miracle.
Un son guttural et rauque lui échappa.
- Reg ? Fit une voix sur sa droite. Tu es réveillé ?
Lentement, il tourna la tête. Ce simple geste l’épuisa et il vit trouble une seconde avant que Marlène ne se dessine devant lui, les traits tirés. Elle avait l’air fatigué, comme si elle n’avait pas dormi une nuit complète depuis plusieurs jours, et même ses longs cheveux blonds paraissaient ternes sur ses épaules.
- De l’eau…
- Oui… attends, tiens.
D’un geste précipité, elle attrapa un verre d’eau posé sur la table de nuit et l’apporta à ses lèvres craquelées. Regulus releva la tête avec difficulté et avala avidement trois gorgées avant de retomber contre son oreiller. Il ferma les yeux une seconde avant de les rouvrir précipitamment de peur de sombrer à nouveau.
- Sirius ! S’exclama-t-il brusquement en tentant de s’asseoir. Où est-ce… ?
- Ne bouge pas ! S’écria Marlène. Il va bien, je te le jure. Rallonge-toi.
- Mais…
- Il est avec Alex pour manger un peu. Il a passé la nuit à ton chevet, il avait besoin d’une pause. Tout va bien. C’est toi qui nous as inquiété… ajouta-t-elle. Comment va ton bras ?
Regulus baissa le regard. Son avant-bras était entouré d’un épais bandage blanc qui embaumait l’air d’une odeur entêtante, sûrement une plante médicinale. Il se rappela vaguement que Sirius en avait ramené de Square Grimmaurd. Juste au-dessus du bandage, le haut de la Marque se détachait nettement, mais Marlène ne paraissait pas y accorder d’attention.
- Ça va, mentit-il.
Marlène pinça les lèvres en une parfaite imitation de McGonagall et il sut qu’elle n’était pas convaincue.
- Sirius a raconté ce qui vous était arrivé à Dumbledore, lui apprit-elle. Mais il n’a rien voulu nous dire à nous pour l’instant. Maugrey est furieux. Comme j’étais la seule au courant pour l’Horcruxe, j’ai juste eu le droit de savoir que vous aviez réussi à le récupérer.
Sa voix portait toute sa frustration et elle fit tourner sa baguette nerveusement entre ses doigts. Il se demanda où la sienne avait été emmenée.
- Alors ? Reprit Marlène avec impatience. Tu vas me dire où vous êtes allés ? Et ce qui s’est passé ?
Elle le toisait si lourdement que Regulus hésita. N’avait-elle pas mérité le droit de savoir ? Elle l’avait aidé à s’échapper après tout. Mais si Dumbledore lui-même avait décrété que personne ne devait rien savoir… Il avait beau ne pas aimer le vieux directeur, il devait avouer qu’il était un grand sorcier qui savait généralement ce qu’il faisait…
Au lieu de répondre, il tenta de détourner la conversation :
- Et toi ? Demanda-t-il. Qu’est-ce qui s’est passé quand on a transplané ?
Le froncement de sourcils de Marlène lui fit comprendre qu’il était tout sauf subtil, mais elle eut assez de tact pour ne pas le relever.
- Beaucoup de cris, dit-elle en grimaçant. Vous n’auriez même pas dû réussir à passer le périmètre de sécurité. Gideon avait jeté un sort vers Sirius et il l’aurait touché si James ne s’était pas interposé. Il lui est littéralement rentré dedans pour que sa baguette change de trajectoire. On a tellement l’habitude de travailler en équipe… ça a semé le chaos et une seconde plus tard vous n’étiez plus là. J’étais restée en arrière mais les autres me sont tombés dessus. Avec James, on a été ligotés sur une chaise tous les deux pour être interrogés. Lily n’a jamais autant juré.
- Quoi ? S’indigna Regulus.
Il remarqua alors les poignets de Marlène. Un cercle rouge marquait sa peau, signe que les liens magiques l’avaient entaillé profondément. Son ventre se contracta.
- Marlène…
- Ce n’est rien… rassura-t-elle. Un peu d’essence de dictame et on ne verra plus rien.
- Et… Qu’est-ce que vous avez dit… ?
- Ça a été dur de justifier nos actes. Fabian et Gideon étaient hors d’eux. Edgar Bones est revenu à ce moment-là. Il a enfumé toute la pièce tellement il tirait sur sa pipe de rage. J’ai expliqué que tu avais découvert une information importante dont tu nous avais parlé avec Sirius. Une information qui pouvait nous aider à vaincre Tu-Sais-Qui. Ils m’ont demandé comment je savais que tu ne mentais pas… Je me suis trouvée stupide parce que je n’avais aucune preuve à part la lettre que tu m’avais écrite.
- La lettre que tu as brûlé parce que je te l’avais demandé… compléta-t-il, la conscience lourde.
Marlène eut un sourire amer.
- L’ironie de la chose a beaucoup fait rire Gideon, commenta-t-elle. Il n’a pas hésité à me le faire savoir. Je refusais de trop en dire, je ne savais pas tout ce que je pouvais révéler. James ne savait rien alors ça a été moins dur pour lui. Il n’avait pas d’autre explication que « c’est Sirius, je lui fais confiance ». Ne fais pas cette tête ! L’admonestera-t-elle. James t’a défendu aussi.
- Non, protesta-t-il instinctivement.
Marlène roula des yeux, exaspérée.
- Si, insista-t-elle. Il a dit qu’il faisait confiance à Sirius s’il te faisait confiance. Que tu pouvais être quelqu’un de bien…
- Quelqu’un de bien, railla-t-il.
- Tu as risqué ta vie pour lutter contre Tu-Sais-Qui. J’appelle ça être quelqu’un de bien.
Regulus secoua obstinément la tête. Il commençait à être plus éveillé malgré sa faiblesse, même si son bras le faisait toujours souffrir, et son esprit s’éclaircissait à mesure de la conversation. La vision d’éternelle optimiste de Marlène l’agaça soudain.
- J’ai fait des choses horribles, McKinnon. J’ai tué des gens. Un acte ne répare pas toutes les erreurs.
- Non… Peut-être pas, admit-elle. Mais je pense que faire demi-tour est mieux que de s’enfoncer ou se remettre en question. Parfois, il vaut mieux nager que de se laisser couler, même si c’est plus difficile.
Le choix de ses mots n’échappa pas à Regulus. Brusquement, il se revit basculer dans le lac. Il avait beau se débattre, la prise des Inferi était trop forte et il n’arrivait plus à respirer. Le fond et la surface se confondaient. L’eau emplissait sa bouche, le froid le paralysait…
- Regulus ! Reg ! Eh !
La voix de Marlène l’ancra à la réalité et il inspira une grande goulée d’air. Il ne s’était pas aperçu qu’il avait arrêté de respirer.
- Merlin, souffla-t-elle d’une voix blanche. Qu’est-ce qui t’es arrivé là-bas ?
Regulus secoua à nouveau la tête. Il ne voulait pas en parler. Il ne voulait même pas se souvenir. Il n’aurait même pas dû en ressortir vivant…
- Je serais mort si Sirius n’avait pas été là, dit-il en plantant ses yeux dans ceux de Marlène. J’aurais dû mourir… j’aurais dû mourir en emportant l’Horcruxe avec moi.
- Tu t’entends ? Rétorqua-t-elle. On a envoyé Sirius avec toi précisément pour que tu t’en sortes. Tu n’avais pas à mourir pour atteindre la rédemption, Reg. Jamais.
- Mais…
Il ne termina pas sa phrase. Il ne savait même pas ce qu’il allait dire de toute façon. Marlène s’était levée si brutalement que la chaise sur laquelle elle était assise manqua de tomber à la renverse. Les traits marqués par la colère et l’incrédulité, elle se mit à faire les cent pas en se passant une main agitée dans les cheveux pour écarter les mèches qui lui revenaient dans les yeux.
- Tu as tout juste dix-huit ans ! S’indigna-t-elle.
Dix-huit ans, Regulus ! Ce n’est pas un âge pour mourir. Ta vie n’est pas terminée, elle vient de commencer. Tu as une famille et des amis qui ne comprendront peut-être pas tes choix, mais ils sont là. Si tu peux renouer avec Sirius, tu peux faire tant de choses. Être capturé par l’Ordre est la meilleure chose qui pouvait t’arriver, crois-moi.
Regulus lutta contre les larmes qui lui montaient aux yeux. Il tenta de se détourner, mais Marlène ne le regardait pas. Elle avait traversé la pièce pour se poster près de la fenêtre et se calmer. Il savait qu’elle avait en partie raison, mais ça ne l’empêchait pas d’être terrifié. En se donnant cette mission, il savait qu’il en mourrait très certainement. Il n’avait rien eu à perdre en signant de son nom le mot placé au cœur du médaillon car il savait qu’il ne reviendrait pas vivant. Plus que tout, il l’avait choisi. Se rendre dans cette caverne et affronter ce qui s’y trouvait pour affaiblir le Seigneur des Ténèbres avait été son seul choix depuis deux ans. S’il ne pouvait pas leur échapper, il mourrait au moins en ses propres termes.
Il se garda pourtant de dire tout cela à voix haute. Marlène était suffisamment énervée. Elle contemplait toujours au-dehors en silence quand la porte de la chambre s’ouvrit en grinçant sur ses gonds. Sirius entra avec Alexia Cassidy. Il repéra d’abord Marlène, appuyée contre la vitre, puis il le vit. Il se figea.
- Reg !
- Lui-même et vivant, répondit-il avec effronterie. Déçu ?
Remis de sa surprise en un éclair, une lueur amusée et soulagée brilla dans le regard de son frère.
- Effondré, affirma-t-il. Tu crois que si je t’étouffe avec un oreiller maintenant quelqu’un le remarquera ?
- Marlène portera plainte pour moi à titre posthume.
- Ah oui Marlène… ton plus grand soutien dans cette maison, pas vrai ?
Si la phrase se voulait innocente, le ton sur lequel la prononça Sirius était plus que suggestif et Regulus sentit son visage s’enflammer. A l’autre bout de la pièce, Marlène lui décocha un regard agacé qui ne parut pas l’atteindre tandis que Cassidy lui donnait un coup de coude. Ce fut elle qui tira ensuite Sirius par la main pour le faire avancer.
- Enfin réveillé, claironna-t-elle d’un ton un peu trop joyeux même s’il lui était reconnaissant pour ce changement de sujet. Comment tu te sens ?
- Bien, mentit-il encore une fois.
- Il a mal au bras, indiqua Marlène au même moment.
Cassidy acquiesça.
- C’était à prévoir… Je peux aller voir Lily pour lui demander un autre sédatif ?
- Non ! Refusa-t-il si fort qu’elle eut un mouvement de recul. Je veux dire… Non, ça ira. Je préfère rester conscient maintenant…
- Comme tu veux. Mais si la douleur devient trop forte, dis-le-nous. Dumbledore a dit que ta blessure nécessitait des soins si on ne voulait pas qu’elle s’infecte.
A sa façon de parler et au regard curieux qu’elle portait sur son bandage, Regulus devina qu’elle ne savait pas plus que Marlène ce qu’il avait affronté. L’air grave, Sirius paraissait plus inquiet.
Il n’y connaissait rien en blessures d’Inferi, mais elles devaient être plus sérieuses qu’il ne le pensait. Ses créatures n’étaient rien d’autre que des marionnettes emplies de magie noire. Si cette magie mortelle entrait dans un corps vivant… Autant dire que la rencontre ne devait pas être recommandée par les médicomages.
- On devrait peut-être le prévenir que tu es réveillé… Il voulait te parler.
- Maintenant ? Paniqua-t-il.
Cassidy se mordit la lèvre et coula un regard incertain vers Sirius.
- C’étaient les ordres, avoua-t-elle. Mais je suppose que je peux te laisser un peu de temps avant de passer un coup de cheminette ?
Elle lui adressa un léger sourire, visiblement partagée quant à l’attitude qu’elle devait avoir à son égard, mais Regulus acquiesça, reconnaissant. Il n’avait pas envie de se confronter à Albus Dumbledore dans cet état.
- Combien de temps est-ce que j’ai dormi ? Demanda-t-il soudain en réalisant que le soleil était haut dans le ciel.
- Trois jours, répondit Cassidy et son cœur loupa littéralement un battement. Les premières heures, on se relayait tous pour s’occuper de toi. Tu te mettais à hurler, ta fièvre ne baissait pas et la plaie de ton bras ne voulait pas se refermer… Tu nous as fait une belle peur.
Une boule dans la gorge, Regulus tenta de se souvenir, mais il avait dû être profondément inconscient car rien ne lui revint. Un doute s’immisça pourtant dans son esprit.
- Je hurlais ? Répéta-t-il.
A nouveau, Cassidy parut hésiter et regarda Sirius puis Marlène qui venaient de pâlir brusquement. Il se demanda ce qu’ils avaient dû ressentir.
- Peu importe, éluda-t-elle finalement. Tu vas mieux, c’est l’important.
- Trois jours… On ne va pas finir par se demander où je suis ?
- Les mangemorts tu veux dire ?
Regulus secoua la tête, embarrassé.
- Non, je ne les voyais pas tous les jours… Ils mettront un moment avant de remarquer ma disparition, même Bella. Je pensais plus à mes parents.
- La Harpie n’a pas encore retourné le Chemin de Traverse en te cherchant, railla Sirius avec nonchalance. C’est un bon signe. On s’inquiétera de ça plus tard. Kreattur a dû les convaincre que tu étais parti quelque part.
Regulus doutait que le silence de ses parents soit si simple, mais il n’avait pas la force d’y réfléchir maintenant. Comme l’avait dit Sirius, il s’en inquiétera plus tard. Il allait retomber contre son oreiller, épuisé par cette courte conversation, quand la porte s’ouvrit à nouveau.
- Merlin… jura-t-il.
- Non, j’ai bien peur que ça ne soit que moi, répondit Dumbledore sur un ton affable.
- Oh professeur… J’allais vous prévenir d’ici une heure, le temps qu’il se remette…
- C’est très aimable à vous, miss Cassidy, mais comme vous le voyez je passais par le QG pour voir Alastor. Je suis ravi que notre invité soit réveillé. Comment vous sentez-vous, monsieur Black ?
Comme quelqu’un qui vient de se faire griffer par un Inferi et qui a failli mourir de noyade, songea-t-il ironiquement. Il se garda pourtant bien de lancer sa pique à voix haute, même si le regard que porta sur lui son ancien directeur lui fit comprendre qu’il avait deviné ce qu’il pensait. Mal à l’aise, il haussa les épaules. Ce simple mouvement lui arracha presque un grognement de douleur.
- Son bras… commença Sirius, tendu.
-… mettra du temps à guérir, convint Dumbledore. Les plantes que vous avez ramené de Square Grimmaurd sont précieuses et il faudra changer les bandages régulièrement. Rien d’irréversible, mais rien qui n’est à prendre à la légère non plus.
- A ce propos, intervint Marlène, on pourrait enfin savoir ce qui s’est passé, professeur ?
Regulus tressaillit. Malgré son ton neutre et poli, il percevait la colère sous-jacente qui l’habitait encore. Il comprenait sa frustration. Elle avait dû rester derrière pendant qu’il fuyait avec Sirius et s’expliquer auprès de l’Ordre. Elle avait placé toute sa confiance en lui, mais ne recevait rien en retour, maintenue dans l’ombre. Lui aussi serait énervé s’il était à sa place.
- Croyez-moi, je comprends votre frustration, assura Dumbledore d’un ton apaisant. Mais ce qui se joue en ce moment nous dépasse tous, je le crains. Moins le secret que Regulus Black a découvert s’ébruitera, mieux nous arriverons à y voir clair.
- Mais…
- L’esprit d’initiative dont vous avez fait preuve en prenant conscience de l’importance des révélations qui vous ont été faites est remarquable, miss McKinnon. Sans votre aide, cette histoire aurait sans doute suivi une route bien différente. (Il marqua une pause, l’air grave). Mais nous n’en avons pas terminé et je dois maintenant m’entretenir avec Regulus et Sirius. Je vous promets que vous serez tenue au courant le moment venu.
Regulus devait reconnaître une chose à Dumbledore : il savait parler. Son aura et son charisme imposaient l’autorité et même si Marlène n’était visiblement pas satisfaite, elle se contenta de hocher la tête, la mâchoire contractée.
- Bien professeur, dit-elle d’un ton néanmoins contrarié.
- On sera en bas si vous avez besoin, ajouta Cassidy. Regulus… Tu veux quelque chose à manger ?
Rien qu’à l’idée, son estomac protesta et il secoua la tête avec véhémence.
- Au moins c’est clair, commenta-t-elle avec ironie. Tu viens, Marlène ?
Elle dut poser une main sur le bras de son amie et la diriger doucement vers la porte pour que Marlène sorte de la pièce avec réticence, non sans avoir jeter un ultime regard dans sa direction. Regulus ne la quitta pas des yeux avant que le battant ne se referme dans son dos, une sensation étrange aux creux de la poitrine.
Quand il se détourna enfin pour faire face à Dumbledore, il vit le sourire goguenard de Sirius qui se tenait à ses côtés. Il fusilla son frère du regard.
- Elle va revenir, t’en fais pas Reg, se moqua-t-il.
-
Sirius !
Evidemment, il eut l’audace d’éclater de rire. Regulus attrapa son oreiller et tenta de lui envoyer à la figure. Trop faible, le projectile n’atteignit cependant pas sa cible et retomba piteusement au pied du lit, ce qui redoubla l’hilarité de son frère. Regulus jura.
Dumbledore les observa un instant, un sourire énigmatique aux lèvres, avant de s’avancer pour récupérer l’oreiller malheureux et le remettre à sa place. Regulus attendit avec appréhension qu’il reprenne la parole.
- Ah les affres de la jeunesse ! Soupira-t-il avec légèreté. Mais allons, nous avons des affaires plus pressantes, n’est-ce pas ? (Il se tourna vers Regulus et son sourire disparut). Je dois reconnaître, monsieur Black, que je ne m’attendais pas à vous revoir en de pareilles circonstances.
- Moi non plus, professeur, avoua-t-il honnêtement.
- Vous vous doutez que votre cas suscite les plus vives réactions au sein de l’Ordre. Certains sont persuadés que je devrais vous livrer au Ministère et aux Détraqueurs, d’autres que nous devrions vous forcer à boire du veritaserum pour obtenir des informations sur le camp adverse, et d’autres encore suggèrent de vous laisser le bénéfice du doute.
Regulus déglutit. Le visage de Dumbledore, strié de rides mais alerte, était redevenu mortellement sérieux.
- Et vous, professeur ? Quel est votre avis ?
- Moi ? Oh, moi je pense que toute cette affaire est bien plus complexe qu’un mangemort qui aurait tourné le dos à son maître et aurait convaincu son frère de l’aider. Voyez-vous, monsieur Black, je pense pouvoir me flatter d’être plus intelligent que la moyenne des sorciers, dirons-nous, et pourtant vous avez découvert une horrible vérité à laquelle je n’aurais jamais pu penser avant aujourd’hui.
Être complimenté par son ancien directeur était bien la dernière chose à laquelle il s’attendait et il lança un regard surpris à Sirius qui se tenait les bras croisés derrière lui. Il se contenta de hausser les épaules.
- J’aimerais toutefois entendre votre récit. Sirius et Marlène m’ont raconté ce qu’ils savaient, mais plusieurs éléments m’intriguent. Accepteriez-vous de me parler ?
- Je ne sais pas…
- Reg !
- Où est l’Horcruxe ? Demanda-t-il en ignorant l’intervention agacée de son frère. Il faut qu’il soit détruit et…
- Je le sais bien, coupa Dumbledore avec une touche d’impatience dans la voix. Et nous le ferons. Mais il est essentiel pour cela que vous me racontiez votre histoire.
Regulus serra le poing contre ses couvertures à en faire blanchir ses jointures. Il ne voyait pas où voulait en venir Dumbledore. L’important n’était clairement pas lui, mais l’Horcruxe et la part d’âme de Voldemort qu’il contenait. Ils perdaient du temps. Plus que tout, il avait l’impression que sous ses airs avenants et ses demandes mesurées, Dumbledore ne lui laissait pas le choix. Or, il commençait à en avoir assez de ne pas avoir le choix. Descendre dans cette caverne et dérober l’Horcruxe avaient été son dernier choix, un choix que personne ne pouvait lui enlever ou ne lui avait dicté.
- Qu’est-ce que vous voulez savoir… ? Il n’y a rien à dire… J’ai découvert pour l’Horcruxe grâce à Kreattur, j’ai voulu le détruire…
- Kreattur, votre elfe, c’est bien cela ?
- Oui mais…
- A-t-il lui-même prononcé le mot ? Voldemort lui avait-il révélé ce qu’il avait créé ?
Rien que l’idée du Seigneur des Ténèbres confiant une chose si importante à un elfe était risible et Dumbledore le savait parfaitement. Regulus secoua la tête, impatient.
- Non, évidemment, je l’ai plus deviné, explicita-t-il. Enfin, ça m’a pris du temps. Quand Kreattur est revenu cette nuit-là, il se tordait de douleur et ne cessait de répéter que le Seigneur des Ténèbres avait fait de la « mauvaise magie ». Je n’étais pas naïf, je savais depuis longtemps qu’il expérimentait avec de la magie noire, mais là… Les mots qu’employaient Kreattur n’étaient pas anodins. Ça allait au-delà de tout ce que je connaissais…
- Comment ça ? Intervint Sirius.
- Il disait qu’il avait senti une magie humaine dans le médaillon, précisa-t-il. Au début, j’ai cru qu’il hallucinait. La trace magique des objets et des sorciers est différente, toutes les personnes qui étudient les sortilèges le savent. Un objet n’est jamais magique en soi, un sorcier l’a toujours ensorcelé, mais l’enchantement a une durée limitée dans le temps en fonction de sa puissance. Certains objets pourront restés enchantés des siècles et d’autres à peine un an.
- C’est exact, confirma Dumbledore d’un ton docte. Il est évident que le Choixpeau, dont l’enchantement perdure maintenant depuis près de dix siècles, et une amulette farceuse de chez Zonko ne relèvent pas du même type de magie.
- Voilà ! Mais Kreattur affirmait que le médaillon était magique. En lui-même, je veux dire.
Maintenant qu’il avait commencé, Regulus n’arrivait plus à s’arrêter. Il avait besoin de savoir que Dumbledore et Sirius le croyaient, qu’il n’avait pas rêvé tout ce qui s’était passé et surtout qu’il avait fait ce qu’il fallait.
- La magie elfique est très sensible et infiniment riche, abonda Dumbledore avec révérence. Continuez, monsieur Black, je vous prie.
- Je ne comprenais pas pourquoi il avait ressenti ça… Alors j’ai cherché. Beaucoup de livres parlaient de magie noire, très noire même, mais aucun ne mentionnait comment l’essence magique d’un sorcier pouvait littéralement être séparée en partie de lui pour être placée dans un objet. Et puis, ça n’aurait eu aucun sens. Finalement, après plusieurs jours, je suis tombée sur un mot… Horcruxe.
- Simplement le mot ?
- Non, avoua-t-il. C’était un vieux livre qui n’est plus édité depuis longtemps, mais qui se trouvait dans la bibliothèque de Square Grimmaurd : Secrets les plus sombres des forces du Mal.
- Evidemment qu’il était là… commenta Sirius dans sa barbe.
- Tout concordait. La puissance de l’objet, les maléfices placés autour pour sa protection, la magie noire que Kreattur avait ressenti. Ce n’était pas la trace d’un acte ou d’une essence magique… C’était un fragment d’âme. Je me suis rappelé que le Seigneur des Ténèbres s’était vanté d’avoir repoussé les frontières de ce qu’on croyait possible, il avait dit que…
Il s’interrompit en réalisant à qui il parlait, mais Dumbledore le regarda intensément par-dessus ses lunettes en demi-lune. Il eut un mouvement de main décontracté, comme s’il l’encourageait à poursuivre.
- Oui ? Dit-il.
- Il avait dit que « même cet idiot de Dumbledore n’aurait jamais pu atteindre ce qu’il avait accompli ». Ce sont ses mots, pas les miens, ajouta-t-il presque défensivement.
Dumbledore sourit avec indulgence.
- Oh je n’en doute pas. Même après toutes ces années, Voldemort n’a toujours pas compris une chose essentielle : ce qu’il a accompli ne m’intéresse guère. Il y a des formes de magie bien plus puissantes et bien plus anciennes, mais il est incapable de le comprendre.
Regulus aurait aimé demandé au directeur ce qu’il entendait par là. Il ne voyait pas ce qui pouvait être plus puissant comme magie que celle qui donnait accès à l’immortalité.
- Vous comprendrez un jour, monsieur Black, assura Dumbledore comme s’il percevait son scepticisme. Quand vous serez aussi vieux et aussi sénile que moi, vous comprendrez. Mais passons. Vous avez donc trouvé vos informations dans ce livre ?
- Euh oui… celui-là et dans divers documents…
- Qu’entendez-vous par « documents » ?
Regulus hésita.
- Des carnets, des journaux… répondit-il évasivement.
Mais évidemment Sirius tiqua. Il le fixa un instant et Regulus vit presque l’illumination s’allumer dans ses yeux.
- Non… Tu as osé… ? S’exclama-t-il, un immense sourire aux lèvres. Reg, tu t’es découvert une âme de rebelle par Merlin !
-
Sirius !
- Pardonnez mon ignorance, intervint Dumbledore avec légèreté, mais je crois que la conversation m’échappe…
- Ce n’est rien, professeur, juste des carnets de famille…
- Les carnets de la vieille tante Elladora oui ! Ils sont dans la bibliothèque privée de Orion, nos parents nous ont interdit d’y toucher. Même pour les Black, les recherches et les notes d’Elladora étaient considérées comme une magie très noire… Rien d’étonnant quand on sait qu’elle a instauré comme tradition qu’on coupe les têtes des elfes de maison !
- Je vois… Et cette tante Elladora mentionnait les Horcruxes ?
- Elle n’en a jamais fait elle-même, s’empressa de préciser Regulus. Mais elle connaissait le principe. C’est en croisant ses recherches avec les Secrets les plus sombres des forces du Mal que j’ai fini par être sûr de moi.
Vidé de ses forces, sa voix s’éteignit sur ce constat. Il regarda tour à tour son frère et son ancien directeur. Si l’expression du premier reflétait l’horreur et l’inquiétude que lui inspiraient la situation, le vieux sorcier était plongé dans ses pensées et Regulus avait l’impression qu’il le regardait sans le voir, comme si son esprit était en train d’avancer un pion durant une partie d’échec. Il se demanda un instant s’il était ce pion. Un pion à la solde de Voldemort qui s’était retourné contre lui. Il était passé du noir au blanc sur l’échiquier. De l’encre obscure de la marque aux flammes aveuglantes du phénix. Des ténèbres de la caverne à l’espoir lumineux de de la résistance… Il avait déséquilibré le jeu.
- Remarquable, approuva finalement Dumbledore. Cette découverte va s’avérer fondamentale… Il faut que j’y réfléchisse bien évidemment, mais vous nous avez ouvert une voie inattendue monsieur Black.
- Ravi, dit-il laconiquement, fatigué par les discours grandiloquents. Mais vous allez le détruire, n’est-ce pas ? L’Horcruxe ?
- Ça ne sera pas évident, mais bien entendu. J’ai peur qu’une magie ordinaire ne puisse cependant rien face à un objet d’une telle puissance.
- Il faut que l’Horcruxe soit exposé à une source de magie tellement destructrice qu’il ne pourra pas se reconstituer de lui-même… Enfin, c’est ce que disait Elladora.
- Je vois… répéta Dumbledore. Cela réduit les possibilités.
Regulus se redressa à nouveau.
- Vous avez des idées, professeur ?
- Des idées ? Toujours. Les plus évidentes qui me viennent à l’esprit sont des sortilèges puissants et destructeurs mais dangereux comme le Feudeymon. Le venin de certaines créatures magiques pourrait aussi faire l’affaire… Les crochets d’un basilic ou le dard d’un manticore. Le souffle du Nundu est aussi mortel, mais il serait sans doute difficile de « capturer » un souffle.
A ses côtés, Sirius paraissait sceptique et il dévisagea leur ancien directeur, bras croisé et sourcils froncés. Visiblement, il n’était pas d’humeur à se voir réciter l’intégralité de
Vie et Habitat des Animaux Fantastiques par Norbert Dragonneau.
- Sans vouloir jouer le Détraqueur qui casse l’ambiance, dit-il, tout ce que vous venez de citer est assez rare, voire impossible à se procurer non ? Et pour le Feudeymon, c’est un sort noir très puissant qui pourrait vite dégénérer…
- Finement observé, monsieur Black. Mais heureusement pour nous, nous ne manquons ni de contacts sur le marché noir ni de sorciers brillants. Maintenant, si vous voulez m’excusez, il me semble que j’ai fort à faire.
Incrédule, Regulus mis une seconde à réaliser que la conversation était terminée. Dumbledore lui adressa simplement un sourire énigmatique et un hochement de tête reconnaissant avant de se diriger vers la porte. Sa robe pourpre parsemée d’étoile bruissa en douceur sur le vieux parquet tandis qu’il s’éloignait. Regulus le regarda avec une pointe d’appréhension, comme si toute cette affaire lui échappait soudainement pour reposer désormais entre les mains du directeur de Poudlard. Rationnellement, il savait qu’il était plus amène que lui de s’occuper de l’Horcruxe, mais il se retrouva étrangement démuni en réalisant qu’il avait mené à bien la tâche qu’il s’était fixé.
Pourtant, avant de franchir le seuil de la chambre, Dumbledore se retourna. Regulus sentit ses yeux bleus le traverser par-dessus ses lunettes en demi-lune et il frissonna.
- Une dernière chose, dit-il d’une voix solennelle. J’ai conscience que tout cela doit être perturbant pour vous, mais sachez une chose monsieur Black : ce que vous avez fait n’est que le début de ce qui mènera Voldemort à sa perte. Et vous n’auriez pu montrer un plus grand courage, ni un esprit plus brillant.
Sur ces mots, la porte se referma derrière lui et le silence tomba lourdement. Regulus resta un long moment à contempler l’endroit où s’était tenu le directeur, une boule chauffée à blanc au creux de la gorge. Il n’avait jamais estimé l’opinion que Dumbledore pouvait avoir de lui, ils n’avaient jamais même véritablement parlé, mais sa reconnaissance aujourd’hui l’atteignait plus qu’il ne voulait bien l’admettre.
Epuisé, il s’affaissa une dernière fois contre son oreiller. La douleur au niveau de son avant-bras se réveilla et tout son corps se crispa, endolori. Il fit malgré tout l’effort de tourner la tête vers Sirius qui l’observait depuis le pied du lit, inexpressif.
- Quoi ? Murmura-t-il.
- Rien… Tu devrais dormir maintenant.
- Je ne suis pas fatigué, rétorqua-t-il par réflexe.
- C’est ça… Et moi je vais me marier avec Kreattur.
- Cassidy sera ravie.
Sirius eut un vague sourire et roula des yeux. D’un pas silencieux, il se rapprocha jusqu’à être à sa hauteur et se pencha en avant. De près, Regulus pouvait voir ses traits tirés, mais aussi les émotions qui valsaient dans les yeux de son frère. Il lutta pour ne pas s’endormir, mais la tête lui tourna brusquement et il se sentit dériver.
Il était presque endormi lorsque la main de Sirius vint lui ébouriffer doucement les cheveux, comme il l’avait fait à onze ans, perché sur le marchepied du train avant de partir pour Poudlard.
- Dors bien, Reg, souffla-t-il.
Et les ténèbres l’engloutirent à nouveau.
[Suite en-dessous]