The Debt (terminé) [Contemporain / Ado-YA]

Postez ici tous vos écrits qui se découpent en plusieurs parties !

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Zach
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Mark
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Lily Rose
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Jessica
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Dante
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Anthony
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Sofia
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Oliver
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Elena
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Nick
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Ashley
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louji

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Re: The Debt [Fiction "adolescent/jeune adulte"]

Message par louji »

15Lina15 a écrit :Salut !! ;)

Je suis contente que la relation entre Mark et Elena évolue ^^ J’aime bien le lien qu’il fait avec son ex femme qui est toujours là
Je comprend le besoin de Zach d’affirmer qui est son vrai père et je m’étonne de la naïveté de son père biologique qui avait l’air pourtant sensé.
Super cette journée au lac, ça fait du bien de voir les adolescents s’amuser… ou presque. Je suis tout à fait d’accord avec toi et j’adore l’idée que Zach puisse considérer cette femme comme sa mère et d’autant plus la façon dont tu l’amènes. Surtout que sa met encore plus en avant le côté fraternel avec Lily
Je trouve adorable que Zach est pensé à inviter Ashley sa cousine. Elle est bien introduit, sa mère aussi, mais je la trouve moyen crédible. Elle a des réflexions et une conversation que je ne trouve pas adapté non seulement par rapport à son âge mais aussi à son histoire. On ressent pas sa personnalité dans ces mots.
J’imagine déjà le dessin de Jess, c’est dans ces moments là que transparait la personnalité des personnages et que c’est beau !
J’avoue que je n’ai toujours pas compris pourquoi elle les a mis à l’eau, mais certainement que je ne connais pas encore bien le personnage, tout comme Zach ^^
Si elle veut vraiment construire leur relation, il faudrait qu’elle se force à s’expliquer ou que Zach la pousse à s’ouvrir. Certainement qu’il leur faudra du temps…

Bon et bien en attendant la suite :D ;) À bientôt !
B'jour !

Oui puis il était temps pour Mark aussi de tourner la page ^^
Pour Oliver... comme il le dit, il se doutait que Zach n'allait pas complètement entrer dans leur vie du jour au lendemain, mais l'espoir et l'impatience l'ont mené à s'imaginer les choses tout en rose alors que la vie n'est pas rose :?

Cool, j'avais peur que ce chapitre fasse trop gnan-gnan, mais, au final, ils s'amusent pas tant que ça, donc ça contrebalance :roll: Avec Sofia, il y a vraiment cette limite poreuse entre la Sofia-voisine-froide et la Sofia-mère-inquiète au fil de l'histoire... et qui méritait un petit éclaircissement :)
Alors pour le côté conversation, je comprends, et c'est sûrement à cause de la politesse de leurs échanges... Ashley rencontre les amis de Zach pour la 1e fois (sauf LR) donc elle est intimidée et pense surtout à se présenter... Donc pas franchement l'occasion de montrer sa personnalité :?
Elle les a mis à l'eau pour la simple (et bonne ?) raison qu'elle a réagi excessivement sous le coup de l'émotion car elle était touchée par les mots de Zach... C'est certainement le personnage le plus sanguin et instinctif de l'histoire :lol:

Merci beaucoup pour ton retour, c'est toujours aussi sympa :D
A plus !
louji

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Re: The Debt [Fiction "adolescent/jeune adulte"]

Message par louji »

Un peu en retard, désolée ! :?
Deux chapitres qui s'équilibrent plutôt bien... on est sur la dernière ligne droite de la 3e partie ;)




73
Oppression



« Tu es mort. »
Les mots, écrits à la craie rouge, ressortent sur mon casier comme une tache de sang sur un tissu blanc. Je ne sais pas quand ils ont été gribouillés grossièrement ; lundi et hier, ils n’y étaient pas. Quant à leur auteur, j’ai mes idées. Anthony, ou Nick. Peut-être Elliot. Avec son air innocent et ses sourires fugaces, difficile de le prendre pour un bourreau aussi lâche que mes fichus démons.
Avec un soupir fébrile, je passe un doigt sur les mots. Leur contact me fait presque mal. Bientôt deux mois depuis que Nick et Anthony m’ont roué de coups. Depuis qu’Anthony nous a agressés, Lily Rose et moi, dans les couloirs du lycée. Nous ne nous sommes pas revus depuis. Étonnant avec la poisse que j’ai. Mais je sens leur menace chaque jour, dès que je pose un pied dans l’enceinte du lycée ou ailleurs. Que ce soit à l’extérieur ou à l’intérieur, chez moi ou en salle de classe, seul ou accompagné, l’aura sombre de mes ennemis ne me quitte jamais.
Je me rappelle leurs yeux luisants de haine, leurs sourires féroces, leurs traits tirés par la sauvage violence dont ils font preuve à mon égard. Anthony est jaloux de moi, de la relation que nous entretenons avec Lily Rose, son ex petite-amie. Il a peur, aussi, peut-être. Après tout, je suis un meurtrier. Il ne cesse de me le rappeler, avec son dégoût et son mépris blessants. Quant à Nick, il me hait tout bonnement. J’ignore d’où vient cette aversion. Je ne lui ai rien fait de particulier. C’est sûrement Anthony qui lui a soufflé au creux de l’oreille à quel point j’étais inutile, méprisable et faible.
Et Nick n’aime pas les personnes inutiles, méprisables et faibles.

Après avoir récupéré un mouchoir dans mon sac, je l’humidifie avec un peu de salive puis nettoie les mots tracés à la craie. Leur puérilité m’agace. Me terrifie aussi. On n’écrit pas « Tu es mort » à un gars qu’on déteste cordialement sans être sérieux.
Les dernières traces rouges ont disparu quand quelque chose me plaque brutalement contre la porte de mon casier. Le souffle coupé, je peine à reprendre ma respiration.
– Coucou, petit con, siffle la voix de Nick dans mon dos. Alors, tu aimes ma déclaration d’amour ?
– Lâche-moi, grondé-je en sentant son pied s’enfoncer entre mes reins.
À ma grande surprise, il s’exécute. Pour m’agripper par l’épaule et me retourner. J’ai beau être grand d’un mètre quatre-vingt-cinq, Nick me dépasse de quelques centimètres. Sans compter sur ses cuisses de buffle, ses bras épais et ses épaules carrées.
– Nick, marmonné-je en refermant la main sur son poignet, lâche-moi.
D’un regard circulaire, il s’assure que nous sommes seuls. Il y a une minute, nous ne l’étions pas. Sa brusquerie a dû chasser les derniers élèves de la portion de couloir où nous nous trouvons. L’inquiétude m’étreint le cœur et compresse mes côtes.
Bon sang, il va me fracasser.
Un premier coup de poing dans l’estomac me plie en deux. La bile me remonte dans la gorge et des larmes de douleur me brûlent les yeux. Pourquoi ? Pourquoi, bordel ?
– Mon Zach, chuchote Nick d’une voix mielleuse en me forçant à rester baissé. Mon Zach, tu vas le payer cher.
Payer quoi ? ai-je envie de lui hurler à la figure.
– Cette… petite salope de Lily Rose nous a dénoncés.
Une vague gelée me descend dans le dos et fige chacune de mes vertèbres. L’angoisse et l’incompréhension me rendent muet.
– Elle est allée voir le directeur. Mr Harrys nous a convoqués, Anthony et moi. Il avait plusieurs témoignages : celui de cette connasse de Lily Rose, de ce pédé de Dante McKinney et de… ton père.
Il crache les derniers mots.
– C’est même pas ton père, en plus. Il est trop noir pour ça.
Une flamme de colère m’arrache un grognement étouffé. De quoi se mêle-t-il ? Je me fiche qu’il soit noir, blanc ou jaune. C’est l’homme qui m’a élevé, qui m’a montré le droit chemin et m’a donné envie de croire en l’avenir. C’est mon père, quoi qu’en dise l’ADN.
Soudain, la poigne de Nick se referme sur ma nuque pour me forcer à lever la tête. Ses yeux me dévisagent avec animosité. Un rictus nerveux tord sa bouche.
– Mais tu veux savoir le meilleur ? (Sans répondre, je le fusille du regard, les mâchoires serrées comme des étaux.) Elliot, à qui je pensais qu’on pouvait faire confiance, nous a aussi balancés.
Soudain, comme si j’incarnais son ancien ami, il me gifle assez violemment pour me déséquilibrer. Sonné par sa claque, je m’affaisse par terre avant de tenir ma joue brûlante, en colère et honteux.
– Cette petite balance de merde, gronde Nick en me dévisageant avec mépris. Si je le retrouve, je lui broie le crâne.
– T’es vraiment un malade, Nick, rétorqué-je d’un ton assuré. Un grand malade.
– La ferme ! crie-t-il en me donnant un coup de pied dans le ventre.
Je me recroqueville en étouffant un gémissement de douleur. Ma tête bourdonne, mes oreilles sifflent et je vois flou.
– On a été suspendus pendant deux semaines, avec Anthony.
Voilà ce qui explique en partie leur absence et pourquoi je ne les ai pas croisés dernièrement. D’un autre côté, j’étais tellement absorbé par mes autres problèmes que je les avais presque oubliés, ces foutus démons.
– Mais te réjouis pas trop, Zachary Gibson, reprend d’une voix susurrante Nick en se penchant vers moi. Tu n’as pas gagné. Rien du tout.
Soudain je vois un sourire lui déchirer les traits.
– Enfin, si : tu as gagné d’être notre victime.
Comme il se redresse de toute sa hauteur en me fixant avec condescendance, il crache :
– Après avoir été un meurtrier, un prédateur, tu vas comprendre ce que c’est d’être une proie.

Nick me laisse seul dans le couloir, affaissé contre le mur, perclus de douleurs. Pendant quelques semaines, j’ai fait l’erreur de croire que c’était terminé. Que le coup de sang qu’avait pris Anthony dans les couloirs un mois et demi plus tôt l’avait calmé, refroidi. Que révéler sa nature de sadique égoïste et manipulateur l’avait entaché assez pour qu’il fasse profil bas.
Oh, Zach, que tu es naïf.
Soudain, sans pouvoir les contrôler, les sanglots se jettent dans ma gorge. Avec un rire nerveux, apeuré, je remonte mes genoux contre ma poitrine douloureuse et enfouis la tête dedans. Mes épaules tremblent sous mes larmes, ces larmes que m’arrachent Nick et Anthony à coups de menaces, de violences, de haine et de mépris.
L’évidence me frappe comme une lame dans le cœur : Anthony a promis de pourrir ma vie. Il a réussi. Pire : il a juré de me l’ôter.
Va-t-il vraiment le faire ?
Oui. Oui, il le fera, chuchote une voix assourdie de peur au fond de mon esprit. Il va te tuer, Zach. Te tuer.




74
Tendresse



Mark passe le week-end chez Elena, à Denver. Veinard, celui-ci. L’étincelle qui a frémi entre eux s’est transformée en vrai courant. Au fond, je suis heureux et soulagé pour lui. J’espère qu’ils vont pouvoir se rapprocher un peu plus au cours de ces deux jours. Mark m’a dit qu’ils avaient déjà prévu un cinéma et un restaurant en tête-à-tête pour le samedi soir. Quant au dimanche, ils ont l’air de vouloir le passer paisiblement à l’appartement de la journaliste.
Comme il me laisse seul le week-end à la maison, Mark m’a annoncé que je pouvais inviter des amis si je le voulais. À vrai dire, j’ai plutôt envie d’inviter une seule personne, celle que j’ai le plus besoin de voir en ce moment. La fille avec qui j’ai noué un lien particulier qui a failli se déchirer du jour au lendemain. Celle avec qui j’ai envie de rattraper le temps perdu.

Il faut moins de cinq minutes à Jessica pour accepter mon invitation à dormir à la maison samedi soir. Puis, vingt minutes après, elle m’envoie un rapide SMS pour me prévenir qu’elle part de chez elle. C’est deux heures de l’après-midi.
Trois quarts d’heure plus tard – elle a dû venir à pied – elle sonne à l’entrée. Le baume au cœur, je lui ouvre et n’attends pas qu’elle ait dit « bonjour » pour la serrer dans mes bras. Son odeur personnelle en plus de son parfum à la rose m’emplissent les narines de calme. Avec douceur, elle passe une main dans mes cheveux puis se décolle légèrement pour me sourire. Elle s’est maquillée d’un mince trait d’eye-liner qui s’associe très bien au noisette de ses yeux et d’un rouge à lèvre mat. Ses cheveux sont lâches sur ses épaules, mais j’aperçois une tresse nouée d’un ruban noir à l’arrière de son crâne.
– Merci d’être venue, soufflé-je en la laissant enfin entrer dans la maison.
– Tu rigoles ? Merci à toi de m’avoir invitée, s’esclaffe-t-elle en se déchaussant de ses Doc Mertens bordeaux et de sa veste en jeans noire.
– Je t’offre à boire ?
– Si t’as du jus de fruits, je veux bien.
– Ça marche !
Soudain débordant d’enthousiasme, je me dirige vers la cuisine, sors deux verres et la bouteille de multifruit du frigo. Jessica me rejoint dans la pièce et nous nous installons pour nous désaltérer.
– Je suis impatiente que les cours finissent, déclare-t-elle au bout d’un petit moment de silence.
– Tu n’es pas la seule, avoué-je en souriant avec dépit. Au moins, Anthony et Nick ne pourront plus m’emmerder.
– D’ailleurs, Dante m’a dit ce matin qu’il avait témoigné avec Lily Rose devant le directeur concernant le harcèlement scolaire. Cet imbécile ne m’a même pas prévenue avant.
– Tu… aurais témoigné, autrement ?
– Bien sûr ! Après, contrairement à Dan et Lily, j’ai pas été témoin direct de ton harcèlement ou de celui de mon frère.
– C’est vrai…
J’hésite à lui parler de l’autre jour, quand Nick m’a gentiment et tendrement fait comprendre que ma vie, déjà pas des plus agréables, allait devenir un enfer. Jess est venue pour passer un bon moment, mais… je ne me sens pas de lui cacher ça.
– Jess, je… (Percevant le tremblement de ma voix, elle lève des yeux inquiets vers moi.) Nick m’a à moitié agressé l’autre jour.
– Quand ça ? s’exclame-t-elle avec nervosité.
– Mercredi. Il avait écrit – lui ou Anthony, je sais pas – « Tu vas mourir » sur mon casier.
– Quelle bande de cons, siffle-t-elle entre ses dents, ses poings serrés comme des enclumes sur la petite table de la cuisine.
– Et il m’a de nouveau frappé en m’expliquant qu’Anthony et lui avaient été suspendus deux semaines grâce au témoignage de ton frère et Lily Rose.
– Ils mériteraient de se faire virer, oui, gronde Jessica en écarquillant les yeux.
Face à son angoisse et sa colère palpables, une vague de culpabilité m’envahit. Ai-je vraiment bien fait de lui en parler ?
Oui, elle m’en aurait voulu si j’avais gardé les événements de l’autre jour cachés.
– Désolé de te plomber le moral avec ça, marmonné-je en prenant sa main sur le plateau de la table.
– Arrête de t’excuser. C’est normal. Et je suis contente que tu m’en parles, ajoute-t-elle en souriant.
– Et il y a quelque chose, aussi… Elliot, le dernier de la bande, a témoigné contre eux.
– Sérieux ? s’exclame Jessica en se penchant en avant, la bouche entrouverte. Ben merde, je m’y attendais pas.
– Moi non plus. Mais tant mieux. Et tant pis pour lui, car Nick et Anthony vont lui mener la vie dure.
– Mais Elliot, c’est le plus « sympa » des trois, non ?
– Oui, le moins confiant, surtout. (Je hausse les épaules, songeur.) Je crois pas qu’il ait mauvais fond. Il veut juste l’attention de deux gars qu’il admire. Il veut avoir des potes, être respecté, ce genre de trucs.
– Et rien de mieux que de s’associer aux deux brutes manipulatrices du lycée ?
– Apparemment, non, soupiré-je en posant le menton sur ma main.
J’observe le ciel par la porte-fenêtre qui donne sur le jardin arrière. Il est bas et gris sombre.
– Brrr, ça me donne envie de me blottir dans mon lit, ce temps, grommelle Jess en constatant la menace d’orage qui se profile à l’horizon.
Soudain, elle tourne des yeux brillants dans ma direction, une joie enfantine collée aux traits.
– Dis, on peut faire un feu ?
– Un feu ? m’étonné-je en ouvrant grand les yeux. Mais on est fin mai !
Elle joint les deux mains avec une moue suppliante.
– S’il te plaîîîît ?
– Jess…
– J’ai jamais eu de cheminée, mais j’adore. Allez ! Il va pleuvoir, en plus.
Malgré mon scepticisme, la perspective de passer la soirée sur le canapé avec Jessica et un petit feu ne me déplaît pas.
Avec un soupir, je me passe une main sur le visage en souriant. Je risque de me faire avoir très rapidement si je cède à chacune de ses demandes…
– Bon, d’accord ! Mais j’ai besoin d’aide pour aller chercher des bûches dehors. On en garde plus au garage depuis qu’il fait meilleur.
– Ça marche !
Sans plus attendre, elle bondit de sa chaise et va enfiler ses chaussures. Dès que j’ouvre la porte d’entrée, une rafale chargée d’humidité nous fouette et ébouriffe nos vêtements et cheveux.
Jessica lance un regard inquiet aux nuages anthracite qui roulent au-dessus de nos têtes.
– Faut qu’on se dépêche.
Légèrement courbé en avant pour contrer les bourrasques, je l’emmène sur le côté de la maison, là où Mark garde une petite réserve de bois. Je pose une bûche sur les bras tendus de Jess puis en prends une à mon tour.
– Ouh, il pleut, souffle Jess en levant le nez.
Une goutte vient s’écraser sur sa joue. Puis je sens leur caresse humide à mon tour sur mon visage. Une grimace involontaire me tire les traits.
– Cours !
Elle ne se fait pas prier. Nous arrivons sous le porche juste à temps pour éviter le déluge. Alors que nous refermons rapidement la porte derrière nous, j’envoie une pensée compatissante à Mark et Elena. Je ne sais pas quel temps il fait à Denver, mais c’est peut-être pas le temps idéal pour un rendez-vous galant.
Après avoir récupéré de vieux journaux et une allumette, j’allume la cheminée. Je fais attention à ne pas faire un gros feu, qui risquerait de faire monter la température de la maison. L’air est tiède, il n’y a pas besoin de le réchauffer.
– Quel temps de chien, soupire Jessica en se laissant choir sur le canapé.
– Tu l’as dit, soupiré-je en allant la rejoindre.
Nous restons simplement assis l’un à côté de l’autre, à regarder les flammes naissantes lécher timidement la bûche.
Hypnotisé par la danse envoûtante du feu, je commence à somnoler. Bientôt, une masse se cale contre mon épaule gauche. Jess. Je souris sans prendre la peine de tourner la tête. Je crois qu’elle s’est aussi endormie.

Une heure plus tard, Jessica me réveille en me touchant le bras. Avant que je n’ouvre les yeux, je sens sa bouche se poser sur mon cou. Aussitôt, je me redresse, électrisé.
– Pardon, mais je crois que j’ai trouvé un moyen efficace de te réveiller, s’esclaffe-t-elle avant d’indiquer l’horloge. Je voulais pas trop te laisser faire la sieste, tu pourras plus dormir ce soir.
– Pas faux, merci…
Comme il nous reste encore la fin d’après-midi à tuer, je propose à Jessica des jeux de société. Nous y passons deux bonnes heures, à faire le tour de ce que le bureau de Mark peut proposer. Je n’ai pas gagné beaucoup des jeux. Pour être honnête, un seul. Il se basait sur les grands événements historiques du monde. Je crois que Jess a été étonnée de ma culture à ce sujet. Un peu gêné, je lui ai expliqué que je faisais régulièrement des recherches complémentaires aux cours du lycée, car la matière me passionne.
Vers dix-neuf heures, nous attaquons ensemble la préparation du repas. Nous optons pour une salade de pâtes. Elle coupe les tomates et j’épluche des oignons. Contrairement à ses attentes, je ne pleure pas.
Nous laissons reposer la salade au frais pendant une demi-heure, que nous tuons à discuter de nos séries préférées. Puis nous dégustons notre repas sur le canapé, le tout entrecoupé de rires et d’anecdotes en tout genre. J’aime la présence de Jess. Son caractère est assez marqué, mais elle fait attention à ne pas écraser les autres. J’ai le sentiment, qu’avec elle, je peux être qui je souhaite. Juste un ado, qui n’a pas un passé de meurtrier. Un garçon un peu maladroit, mais attentionné. Un jeune homme qui aimerait enfin profiter des bons côtés de la vie après avoir tant souffert. Juste moi et mes déboires. Juste moi.
– Tu voudrais un dessert ? proposé-je à Jess en constatant que son assiette est terminée.
– Oh, je dis pas non, murmure-t-elle avec un petit sourire embarrassé.
Je trouve que la gêne ne lui va pas si mal. Elle couvre son regard d’un voile de timidité, ses lèvres d’un pli hésitant et ses pommettes d’une roseur à peine visible.
– Qu’est-ce que tu préfères ? J’ai des yaourts au fruit, des mousses au chocolat, des compotes…
– Tu prends quoi ?
– Jess, fais-toi plaisir avant tout, soupiré-je avec un sourire en coin.
– Oh… Bon, mousse au chocolat. S’il te plaît.
– Ça marche, je prends la même chose.
Deux minutes plus tard, nous dégustons avec plaisir les petites mousses. Ça a beau être industriel, c’est vraiment pas mauvais. Mais je me note quand même dans un coin de la tête d’en faire moi-même un jour. Et de les faire goûter à Jess.

Pour la soirée, je propose à Jessica de regarder un film sur mon ordinateur portable. Pour plus de confort, nous nous installons sur le lit double de Mark. L’ordi sur les oreillers et nous deux installés sur le ventre, je lance le long-métrage. Nous avons opté pour un film d’action, un blockbuster à la sauce Hollywood. Bref, rien de compliqué pour ne pas nous prendre la tête.
Je ne comprends que je me suis endormi seulement lorsque Jess me frotte gentiment les cheveux. Le générique défile sur l’écran. Tout ensommeillé, je me redresse, hagard. Plongée dans l’ombre, je ne distingue de Jess que des mèches de cheveux et son sourire amusé.
– Pardon, marmonné-je en me frottant le visage.
– Pas grave. Le film était cool, mais pas incroyable non plus.
Elle s’allonge sur le flanc et m’observe avant de tendre les doigts pour frôler ma joue.
– Tu… (J’entends son sourire dans le souffle de ses mots : ) Tu as l’air tellement vulnérable.
Ne sachant comment le prendre, je pique un fard, maussade. Comprenant qu’elle m’a vexé, Jess se redresse soudain.
– Ce que je veux dire, c’est que… Tu as un regard vraiment…
Visiblement incapable de trouver les mots justes, elle soupire, puis vient encore un peu plus près de moi. J’essaie de cacher mon embarras.
– T’as un regard doux, sincère, ouvert. Un sourire adorable. Une présence effacée et timide. (Elle glisse sa main sur ma nuque, l’air apaisé.) Je ne dis pas que tu es vulnérable, mais que tu as l’air de l’être. Un peu comme du verre, tu vois ? C’est une matière solide, mais qui peut se briser aussi assez facilement.
– Du verre, hein ? lâché-je avec un rire jaune.
– C’est juste une image !
Puis elle se penche vers moi. Nos nez se cognent et elle reste sans bouger, les paupières closes. Elle semble sereine. Avec un geste précautionneux, je tends le bras pour fermer l’écran de mon ordinateur. Puis je le passe autour de Jessica. Nous sommes plongés dans le noir et le silence. Je n’entends que mon cœur et nos respirations.
Détendu, je mets le nez dans les cheveux de Jessica. Ils sont épais et soyeux. Je la sens remonter sa main le long de mon flanc pour la poser dans mon dos. Avec précaution, elle presse délicatement sa bouche contre la mienne et murmure :
– Bonne nuit.
Je reste à l’observer quelques secondes, à essayer de deviner les courbes de son visage dans le noir. Puis, doucement, je m’écarte d’elle puis me lève.
– Zach ? Tu fais quoi ?
– Je vais me coucher dans mon lit.
– Mais…
Sa voix est un mélange de déception, de honte et de surprise.
– Jessica, je n’ai pas oublié.
Je me penche pour caresser sa joue. Elle est tiède et douce comme dans mon souvenir.
– Ce que ton ex t’a fait… Je ne veux pas que tu t’imagines qu’il puisse t’arriver la même chose avec moi, pas une seule seconde.
Face à mon explication, elle reste muette. Pendant l’espace d’un instant, j’ai peur de l’avoir froissée ou de lui rappeler de mauvais souvenirs.
– Je sais ce qu’il y a dans tes yeux, Zach, déclare-t-elle soudain avec gravité. Il y a ton amour des gens. Celui que tu n’arrives pas forcément à exprimer par les mots. Mais que tu hurles au quotidien, en silence. Par tes gestes, par tes yeux, par tes petites attentions.
Des froissements de draps puis ses mains sur mes épaules. Elle est à genoux sur le lit. Doucement, elle glisse les mains derrière ma nuque et m’embrasse. Moins pudiquement que tout à l’heure. Sans gêne, car je sais que son baiser relève entièrement d’elle, je lui réponds en agrippant doucement sa taille.
Nous finissons par nous séparer, le souffle court. Brièvement, elle presse son visage contre ma poitrine, au niveau de mon cœur, chuchote un « merci » à peine audible puis me lâche. Je ressens aussitôt comme un manque, mais la laisse aller.
Elle est comme le feu : libre, indomptable, imprévisible. Une lumière dans le noir, une chaleur dans le froid. Les mots m’échappent comme un charbon trop chaud des mains :
– Je t’aime.
Je peux presque l’entendre tressaillir sur le lit. Le silence accompagne ma déclaration. Une vague de peur s’engouffre dans ma poitrine, puis une douce tiédeur la remplace.
– Bonne nuit, je finis par murmurer avant de sortir de la pièce.
Avant de partir, je l’ai vue me sourire dans la pénombre. Il y a certaines choses qui peuvent être exprimées autrement que par des mots.
Dernière modification par louji le dim. 04 oct., 2020 11:46 am, modifié 1 fois.
louji

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Re: The Debt [Fiction "adolescent/jeune adulte"]

Message par louji »

Bonjour !
On attaque la dernière ligne droite avant la fin de la partie 3 :D
Ce ne sera (malheureusement) pas la fin de TD, puisqu'une dernière partie suit. Mais celle-ci n'est pas bien longue, la partie 3 étant celle qui contient le plus de chapitres :)
En attendant, j'espère que ces deux chapitres vous plairont ^^




75
Avenir



La fin des cours et le début de l’été approchent à toute allure. Lily Rose nous a déjà prévenus qu’elle organisait une fête pour célébrer tout ça, le 20 juin. C’est dans maintenant seize jours. Plus que deux semaines à tenir et ce sera les vacances. Je pourrai enfin respirer, apaiser la tension constante de mon être et profiter de mes amis.

Mon dernier cours de la journée porte sur l’histoire contemporaine des États-Unis d’Amérique, avec Mr Dalton. Comme je mets un peu de temps à ranger mes affaires, Dante me souffle qu’il doit y aller, tapote mon bras avec un sourire puis file. Sa spontanéité et sa légèreté me font du bien. Comme nous suivons plusieurs matières ensemble, nous avons souvent l’occasion d’être proches.
Au début, après avoir appris son homosexualité, j’étais incapable d’être complètement à l’aise à ses côtés lorsque nous étions seuls. Puis j’ai franchi une barrière, celle de la maturité et du non-jugement. Depuis, je peux rire, lui sourire, le laisser me passer un bras autour des épaules – ou de la taille, je suis bien plus grand que lui – par amitié et discuter seul avec lui sans arrières pensées ou craintes.
Ça fait du bien.

– Zachary ? souffle la voix de Mr Dalton dans mon dos.
Il porte sa sacoche sous un bras avec un sourire penaud. Sa longue journée a accentué ses cernes et plissé son visage de cinquantenaire.
– Oui ?
– Comment ça va ?
Sa question me prend au dépourvu. J’attends que le dernier élève soit sorti de la salle avant de répondre :
– Mieux qu’en début d’année, monsieur.
– Tant mieux. Et les cours ?
– Ça va aussi, le rassuré-je avec un sourire timide.
Remarquant ma gêne, il s’éclaircit la gorge puis fait un geste vers la porte.
– Désolé, je ne voulais pas t’ennuyer. Je ne te retiens pas plus, bonne soirée !
– Vous ne m’ennuyez pas, répliqué-je en prenant la sortie juste devant lui.
Le couloir est calme maintenant que la plupart des élèves a déserté le lycée. D’un pas tranquille, Mr Dalton et moi nous dirigeons vers la sortie.
– Tu as hâte de passer en terminale ? souffle-t-il en m’observant du coin de l’œil.
Pensif, je hausse les épaules. Hâte, peut-être pas. Personne n’a hâte de retourner à l’école alors que l’année en cours n’est même pas encore terminée. En revanche, j’espère que ce sera une année où je pourrai mieux faire connaissance de Dante et Jessica.
– Ça dépend, avoué-je au bout d’un moment. Si ça se passe comme pour ma première, si je me fais harceler par mes camarades, je n’ai pas très envie.
Il ralentit le pas, la bouche tordue sur un pli sévère.
– J’ai appris trop tard que Mlle Daniels, Mr McKinney et ton père témoignaient devant le directeur à propos du harcèlement physique et moral que te font subir Mr Greenlight et Mr Johnson. Autrement, j’aurais moi aussi témoigné.
Sa déclaration me touche et je hoche la tête, la gorge trop nouée pour parler.
– En même temps, je reprends une fois que ma boule d’émotion est passée, j’ai vraiment envie de profiter d’une vie d’ado normal avec mes amis.
– Je comprends tout à fait. (L’air complice, il m’adresse un regard brillant.) Surtout que les jumeaux McKinney ne te laissent pas de marbre, n’est-ce pas ?
Un peu gêné, je hoche de nouveau la tête. Il rit discrètement puis déclare :
– Je ferai plus attention à toi l’année prochaine, Zachary. Tu es sûrement l’un des élèves les plus passionnés que j’ai pu rencontrer et je n’ai pas envie de te perdre parce que des imbéciles veulent jouer les justiciers.
Il s’arrête pour me dévisager gravement.
– Je sais ce que tu as fait par le passé. Et je sais aussi que tu fais beaucoup d’efforts pour profiter de la deuxième chance qu’on t’a accordée. Alors, continue dans cette voie, mon garçon. Je ferai tout pour t’y encourager.
Ému, j’approuve de plusieurs mouvements secs de la tête. Les larmes me brûlent les yeux. Avec un petit sourire, Mr Dalton me tapote l’épaule.
– Autrement, tu as une idée de ce que tu souhaites faire après le lycée ?
Comme nous nous approchons de mon casier, je ralentis le pas. Ça me donne aussi une excuse pour réfléchir à ma réponse.
– Peut-être de l’histoire. (Devant le sourire radieux de mon professeur, je hausse les épaules.) Vous vous y attendiez, non ?
– Un peu. Mais je n’étais pas sûr non plus. Je te vois bien faire des études d’histoire, en tout cas.
– Je ne sais pas si j’y arriverai.
Mr Dalton me jette un regard sévère et, j’ai beau faire quelques centimètres de plus, j’ai soudain l’impression d’être minuscule.
– Tu vas y arriver, Zachary. Tu es intelligent, persévérant et passionné. Tu vas y arriver.
Sa foi en moi me laisse interdit. J’aimerais dire que je possède la même confiance en ma personne.
– Je dois récupérer des affaires, je finis par répondre en indiquant mon casier.
– Oh, oui, bien sûr. Sur ce, je te souhaite une bonne soirée.
– Merci, à vous aussi, Mr Dalton.
Je le regarde filer en sifflotant.
Avec un sourire, je dépose les affaires dont je n’ai pas besoin.

Alors que les portes du lycée ne sont qu’à une trentaine de mètres de moi, j’entends des bruits de pas précipités et, avant d’avoir pu me retourner, quelqu’un me fait basculer en avant.
J’évite de me fracasser les dents sur le carrelage en me réceptionnant sur les coudes, mais ça n’empêche pas la chute d’être douloureuse.
– Je t’ai fait une promesse, Gibson.
La voix gelée et cruelle d’Anthony m’arrache des sueurs froides. Comme je sens la peur grandir en moi, j’essaie de me relever, mais le poids sur mon dos m’en empêche.
– Pas bouger, sale chien ! crache Nick d’un ton venimeux en enfonçant ses doigts puissants dans ma nuque.
– Bande de malades, grondé-je entre mes dents serrées. On est en plein milieu du lycée.
– Mais plus personne n’est là, rétorque Anthony d’une voix cajoleuse.
Terrifié par ce qu’ils s’apprêtent à accomplir, je ne peux retenir mes mains de trembler. Le remarquant, Anthony tire mon bras droit, m’oblige à l’aplatir le long du sol et écrase sans pitié mes doigts. Ça fait un mal de chien, alors je crie.
– Ta gueule, gronde Nick en plaquant une main sur ma bouche.
Comme j’ai la tête tournée, je peux voir l’expression de satisfaction sadique qui s’est peinte sur ses traits déformés par la rage. À quel moment Anthony a-t-il cessé d’être un garçon inquiet et amoureux de sa copine ? Quand est-il devenu un narcissique possessif et jalousement maladif ?
Je ferme les yeux lorsqu’Anthony écrase de nouveau ma main. J’ai l’impression que mes os s’enfoncent dans le carrelage, que ma peau s’effrite.
– Eh, mais regarde, siffle Nick avec une voix dégoulinante de mépris, il est en train de chialer.
– Quoi ?
Le pied d’Anthony cesse d’écraser ma main. Le soulagement est tel que je ne prête même pas attention à leurs rires moqueurs.
– Mais quelle tapette, raille Anthony avant de me donner un coup de pied dans les côtes qui finit de déloger les larmes qui s’accrochaient désespérément à mes cils.
J’aimerais vous y voir.
Soudain, Nick s’enlève de mon dos. J’inspire une grande bouffée d’air, aussitôt chassée par la pointe de la chaussure du joueur de football. La vision rendue floue par les larmes, je vois Anthony s’approcher. Sans douceur, il m’attrape par le devant de mon t-shirt et me force à me lever. J’ai beau être plus grand que lui, il me domine de sa présence vibrante et menaçante.
– Vous me faites mal, déclaré-je alors en observant dans les yeux mon tortionnaire.
Il ne semblait pas attendre cette réponse, car il éclate d’un rire incrédule avant de me gifler sèchement. Puis il recommence sur l’autre joue. Mon visage brûle.
– T’es une mauviette, Zachary. Une grosse mauviet…
J’abats mon poing sur son nez pour le faire taire. L’os craque sous mes jointures, mais je sais que je ne le lui ai pas cassé. Je n’en avais pas envie. Je voulais juste ne plus l’entendre me traiter de faible alors qu’il a passé ces derniers mois à me fracasser. À briser mes os et mon âme.
– Espèce de… commence Nick avant de se jeter sur moi.
J’esquive assez vite pour qu’il se contente de m’entraîner vers le mur. Comme mon crâne tape contre ce dernier, je suis désorienté pendant quelques secondes.
– Anthony, ça va ?
Mon démon ne répond pas tout de suite. Penché en avant, il se tient le visage. Je vois du sang couler entre ses doigts et, malgré moi, j’en ressens une pointe de satisfaction. Je ne rends jamais les coups, car c’est la Dette qui me l’impose. Néanmoins, la tentation est parfois trop grande. Et la douleur trop effrayante pour que je n’essaie pas de m’en sortir.
– Je vais le tuer.
Sa voix est tellement rauque qu’elle en est à peine audible.
– Je vais te tuer.
D’un mouvement raide, Anthony se redresse en écartant la main de son visage. Deux minces filets de sang s’écoulent depuis ses narines jusqu’à son menton.
– Je te l’ai déjà dit, Zachary.
Oh que oui. Une fois à l’hôpital, devant ses parents, Lily Rose, Mark et moi. Puis sur mon casier il n’y a pas si longtemps.
Anthony plonge la main dans sa poche, les yeux fous. Mon cœur fait un demi-tour dans ma poitrine. A-t-il une arme sur lui ?
– Qu’est-ce qui se passe, ici ? lance une voix depuis le couloir adjacent.
Un soulagement sans nom s’empare de moi. L’air préoccupé, Mr Dalton apparaît. Il doit revenir de la salle des professeurs, car il a un café à la main. Anthony, qui a toujours le poing dans la poche, plonge l’autre dans son pantalon. Ses talents de comédien m’irritent au plus haut point alors qu’il secoue la tête avec légèreté.
– Nick a commencé à s’en prendre à Zach, commence-t-il d’une voix débordante d’assurance. J’ai essayé d’intervenir, mais c’est rapidement parti en… cacahuète.
Vous étiez en train de me tabasser ! ai-je envie de hurler.
Mais le regarde meurtrier de Nick posé sur moi m’en retient.
– Au milieu de la dispute, Zach m’a mis un coup de poing, poursuit Anthony d’un ton tranquille en essuyant avec ses doigts le sang qui coule à la pointe de son menton. Rien de grave.
Mr Dalton me jette un coup d’œil. La façon dont il fronce les sourcils et observe avec consternation mes deux foutus démons me fait comprendre qu’il n’y croit pas.
– Dégagez d’ici, gronde soudain mon professeur en ouvrant de grands yeux colériques.
Je ne l’ai jamais entendu employer un tel langage ni hausser la voix. J’en ai des frissons.
– Sauf toi, ajoute Mr Dalton en plantant son regard brillant sur moi.
Raide comme un piquet, je hoche la tête. Avant de disparaître, Anthony et Nick m’adressent des regards empoisonnés.

Dès que les deux adolescents ont disparu, Mr Dalton s’approche de moi, un pli soucieux sur le front. Avec gentillesse, il pose une main sur mon épaule.
– Tu es blessé ?
– Pas au visage, je réponds en massant mes côtes douloureuses. Les blessures qui ne se voient pas les arrangent.
– Quelle bande… commence le professeur d’un ton étouffé de colère et d’impuissance. Bouge pas, je vais appeler le directeur.
– Attendez ! Je… Je veux bien que vous parliez de ce que vous venez de voir avec Mr Harrys, mais pas ce soir. (Je soupire lourdement.) Je suis trop fatigué pour en discuter.
L’hésitation qui danse dans les yeux du professeur m’amène à penser qu’il ne va pas accepter. Finalement, il réajuste sa sacoche sous son bras, finit son café d’une traite puis déclare gravement :
– D’accord. Mais, demain soir, je veux que nous discutions dans le bureau du directeur avec ton père, s’il est disponible.
– OK, accepté-je d’une petite voix.
Remarquant mon air abattu, il souffle :
– Tu habites à Lake Town ?
– Non, à Daree.
– Je te dépose chez toi, alors.
– Quoi ? Non ! Ne vous inquiétez pas, je peux renter seul…
– Je te dépose, insiste Mr Dalton en me coupant dans ma phrase.
Sans un mot de plus, il tourne les talons et se dirige vers la sortie. Gêné et honteux, je le suis jusqu’au parking des profs. Il a une petite Seat grise.
Nous nous y installons dans un silence embarrassé.

Quinze minutes plus tard, il s’arrête devant chez moi.
– Jolie maison, commente Mr Dalton en observant la maisonnette à deux étages, ses volets rouges et sa peinture dorée.
– Oui, soufflé-je d’un ton rendu sourd par les vagues de souvenirs douloureux qui surgissent. Merci beaucoup, Mr Dalton.
– Avec plaisir, mon garçon. J’étais inquiet à l’idée que tu rentres tout seul après t’être fait cogner.
J’hésite à lui avouer que j’ai l’habitude.
– Encore merci et bonne soirée.
– À demain !
En lui adressant un petit sourire penaud, j’ouvre la portière puis le regarde repartir. Une fois sa voiture au loin, je pousse le petit portillon, entre dans la maison vide et plongée dans la pénombre, puis monte directement dans ma chambre. Je retire mon t-shirt, observe avec une grimace les traces rouges qui ne vont pas tarder à se transformer en hématomes, puis me plonge sous la couette.
Je suis épuisé.




76
Fêtons l'été



La fin des cours arrive plus rapidement que prévu et, avec elle, la soirée de Lily Rose. Nous fêtons ce soir l’été, pas la saison que j’affectionne le plus, mais que j’apprécie tout même pour sa douceur et ses longs jours paisibles. Après tout, s’il m’arrive de m’ennuyer pendant les grandes vacances, je suis quand même à l’abri des coups et insultes d’Anthony et sa bande.
Comme Lily Rose réquisitionne la maison pour sa fête, Mark propose à Sofia et Philip de passer la nuit chez nous.
Alors que je tente de trouver une chemise potable dans ma commode, la sonnette retentit. Depuis ma chambre, j’entends les pas lourds de Mark puis sa voix profonde accueillir chaleureusement ses amis.
– Zach, les Daniels sont là, croit bon de préciser Mark en criant.
– J’ai entendu !
Avec un juron, j’enfile en catastrophe une vieille chemise blanche qui commence à dater. J’ai tout juste le temps d’attacher quelques boutons avant de percevoir les grincements caractéristiques de l’escalier.
– Bonsoir ! lance gaiement Philip en toquant à ma porte.
– B-Bonsoir, bredouillé-je en tirant sur mon vêtement pour tenter de cacher le désastre.
Mais c’est en vain : le tissu se tend dangereusement sur mes épaules, les manches m’arrivent au-dessus du poignet et les pans descendent à peine à mes hanches. Avec un petit sourire crispé, Phil me dévisage de la tête aux pieds avant de souffler avec amusement :
– Zach, tu voudrais pas mettre ta fierté de côté et demander à Mark de te prêter une chemise qui est à ta taille ?
Mon idiotie me faisant rougir, je fais mine de chasser une poussière de ma manche. Un craquement typique de tissu déchiré emplit la pièce. Mortifié, j’observe avec consternation le trou qui vient de se former sous mon aisselle.
– Oh, Zachary, lâche soudain une voix lasse à l’entrée de ma chambre.
Avec un sursaut, je me retourne vers Mark, qui a rejoint Phil. J’aperçois les cheveux roux de Sofia juste derrière. Les yeux sombres de mon père adoptif me toisent avec un mélange d’agacement, d’amusement et de surprise.
– Elle date de quand, cette chemise ? reprend-t-il en s’avançant dans la pièce.
– Tu-Tu me l’as offerte pour mes quatorze ans, je crois.
– Et tu as quel âge aujourd’hui ?
– Dix-sept, soufflé-je, sentant l’embarras monter en moi à la vitesse d’une flèche.
– Bien. Et tu as pris quoi ? Vingt centimètres entre temps ?
Sans délicatesse, il tire le tissu déjà malmené de ma vieille chemise.
– Et tu comptais vraiment rentrer là-dedans ?
Comme je n’ai pas de réponse adéquate à lui apporter, je hausse les épaules, la bouche plissée.
– Aller, arrête de bouder, et viens ici.
Sans attendre de réaction de ma part, il tourne les talons et sort. Sous les regards compatissants de Philip et Sofia, je traîne les pieds jusqu’à la chambre de Mark. Il est en train de farfouiller dans son armoire. Il finit par en sortir la belle chemise blanche qu’il m’avait prêtée le jour où l’on s’est rendu au cimetière pour commémorer l’anniversaire de la mort de sa famille.
– Ma chemise de bal de promo à la fac, souffle-t-il avec nostalgie avant de me la tendre. Ça fait un moment que je ne rentre plus dedans. Je ne voulais pas te la donner parce que j’y étais attaché, mais… (Il soupire bruyamment.) Il est temps de se rendre à l’évidence : je n’en ferais plus rien. Alors garde-la.
La gorge serrée par son geste, je prends délicatement la chemise entre mes doigts crispés. Ce n’est rien qu’un vêtement, mais il porte une telle valeur sentimentale pour Mark que j’ai l’impression d’hériter d’une partie de ses souvenirs.
– Merci, soufflé-je avec reconnaissance en observant la chemise.
– De rien. (Il reluque d’un air consterné l’actuel haut que je porte.) Aller, imbécile, dépêche-toi de te changer, tu vas être en retard.
Sans un mot de plus, il sort de la pièce et ferme derrière lui pour me laisser un peu d’intimité – bien que Sofia et lui m’aient déjà vu torse-nu plus d’une fois.

Debout devant le miroir de la salle de bains, je me demande que faire des boucles noires qui envahissent mes tempes, mes oreilles et ma nuque. Je ne suis pas allé chez le coiffeur depuis un moment, alors ma chevelure a pris le pouvoir. Si la grosse partie reste ondulée, les pointes bouclent librement, ce qui ne me plaît pas trop.
Avec un soupir, je finis par laisser tomber l’idée de leur donner une forme particulière. Penché au-dessus du lavabo, je me brosse les dents puis observe mon reflet dans le miroir. Je n’ai jamais vraiment prêté attention à mon physique. La Dette et ma vie chez Mark m’ont donné bien d’autres occupations. Mais je ne sais que penser de moi, de mon allure. Jess me trouve-t-elle attirant ? Dante a avoué qu’il me trouvait plutôt beau garçon, même si je n’étais « pas son genre ». Quant à Lily Rose, elle ne m’a jamais parlé de ça. Et moi, je ne sais que penser. Je trouve que mes cheveux sont trop bouclés, que ma peau est trop pâle, mon visage trop anguleux, mes yeux trop clairs. Mais on se trouve tous quelque chose de « trop », non ?
Je me redresse. Puis avec un rire désabusé, je me passe un peu d’eau sur le visage. Hier, mon physique ne me préoccupait pas. Tant que je me sens bien dans mon corps, il ne devrait pas le faire non plus aujourd’hui.
L’air est encore tiède lorsque je finis par sortir de la maison. Depuis la cuisine, où ils se sont installés pour boire une bière, Mark, Sofia et Philip me souhaitent une bonne soirée. Je leur retourne le vœu, puis m’engage vers le petit portillon. Son grincement m’arrache un sourire. Cet été, je proposerai à Mark de graisser les gonds.

Si j’ai accepté l’invitation de Lily Rose, moi qui n’aime pas les manifestations sociales, c’est parce qu’elle m’a assuré qu’elle n’a invité que son cercle d’amis proches. Moins d’une vingtaine de personnes. Je suis tout de même légèrement angoissé à l’idée de rencontrer des gens que je ne connais pas.
Le portail de Lily Rose est entrouvert alors je m’engage chez elle sans sonner. J’entends de la musique et des rires provenir du jardin. Je fais directement le tour pour rejoindre celui-ci, ma bouteille de jus de fruits sous le bras. Bien que notre amie nous ait assuré qu’elle a tout prévu pour les boissons et la nourriture, je ne me voyais pas venir les mains vides.
Les lanternes du jardin sont allumées en prévision de la nuit à venir. Quelques personnes sont déjà en maillot de bain dans la piscine. Deux gars font griller des saucisses au barbecue tandis qu’une fille que je connais de vue verse du thé glacé dans des verres en carton.
– Salut ! me lance-t-elle d’un ton enthousiaste en me voyant arriver. J’ai proposé à Lily Rose de m’occuper des boissons, alors tu peux poser ton jus de fruits sur la table.
– O-OK.
À peine ai-je déposé la bouteille en carton que la fille m’attrape par le bras.
– Au fait, je m’appelle Kat.
– Ah. Euh, salut Kat. (Comme elle m’observe en souriant, je me maudis silencieusement avant d’ajouter : ) Zachary.
– Oh, le fameux ! se contente-t-elle de répondre en retournant à sa tâche.
Embarrassé, je ne dis rien. « Le fameux » ? Qu’est-ce que c’est censé vouloir dire ?
Discrètement, je prends congé de la jeune fille et me dirige à l’intérieur. La musique me saute brutalement aux oreilles, me faisant ralentir légèrement. En plus, ce n’est pas comme si c’était du rock, mon genre préféré. Avec un soupir discret, je cherche Lily Rose à l’intérieur. Cinq personnes discutent en dansant à moitié. Parmi elles, je repère aussitôt Dante, en polo blanc et jeans noir, qui se déhanche librement. Figé par la vision de mon ami, je l’observe bouger, mouver ses bras et ses jambes avec grâce, déplacer ses pieds avec légèreté. Comment fait-il pour être aussi à l’aise devant ces inconnus ?
C’est définitif, je l’admire.

En bord de piste, je remarque un gars qui observe Dante avec, sûrement, la même admiration que moi dans les yeux. Je ne crois pas l’avoir déjà vu au lycée ; d’ailleurs, il a l’air plus âgé que nous. Sentant mon regard sur lui, il tourne la tête vers moi.
– Salut ! crie-t-il pour couvrir le volume de la musique. Si tu cherches Lily Rose, elle est à l’étage.
– Merci ! je réponds en m’approchant pour qu’il m’entende correctement. Euh… tu n’es pas au lycée privé de Lake Town, hein ?
– Non, effectivement ! Je suis un ami de Max, son frère, m’apprend le gars en continuant d’observer Dante danser sur la piste improvisée. On est devenus bons amis avec Lily, car on a fréquenté le même club de théâtre. (Il me tend la main, un sourire charmant aux lèvres.) Theo Discler.
– Zachary Gibson, le salué-je à mon tour en lui rendant sa poignée de main. Je… J’ai connu Lily Rose en emménageant juste à côté de chez elle.
– Haha, je sais qui tu es, réplique sans brusquerie Theo avec un clin d’œil sous ses mèches blondes tombantes.
Avec un coup de menton, il indique Dante du regard, que quatre filles regardent danser avec dépit et admiration.
– En revanche, je le connais pas, cet énergumène. Tu sais qui c’est, toi ?
– C’est Dante, me contenté-je de répondre avec un haussement d’épaules. Dante McKinney, il est arrivé avec sa sœur jumelle cette année au lycée. Ils sont de Lake Town.
– Je vois, souffle le gars avant de reposer son verre sur la table la plus proche. Je vais lui proposer un petit duel de danse.
Ne sachant quoi répondre, je le regarde partir en direction de la piste puis approcher Dante avec assurance. Mon ami l’écoute parler, un sourire aux lèvres, puis hoche la tête avec enthousiasme. Quelques secondes plus tard, Theo et Dante dansent face à face avec aisance, les yeux plongés dans ceux de l’autre.
Je n’ai jamais été doué pour ces choses, mais j’ai l’impression que mon ami a flashé dans l’esprit de Theo.

Après avoir rejoint l’étage, je trouve Lily Rose dans sa salle de bains. Dos à moi, je peux admirer le dos-nu de sa robe turquoise qui suit la finesse de sa taille jusqu’aux hanches puis s’épanouit en volants légers et aérés. Elle discute avec quelqu’un que je ne vois pas.
– Lily ? soufflé-je avec hésitation, gêné à l’idée de la déranger.
Comme elle ne m’a pas entendu arriver, elle se retourne brusquement en poussant un petit cri. J’aperçois derrière elle Jessica, assise sur le rebord de la baignoire. Mon cœur se fige pendant une demi-seconde. Elle s’est vêtue d’une robe rouge sombre près du corps, mais qui ne la moule pas. Deux bretelles larges retiennent le vêtement grâce à des boucles en argent qui font écho aux deux flocons argentés qui pendent aux oreilles de mon amie.
– Tu es magnifique.
Les mots roulent sur mes lèvres avant que j’aie pu réfléchir. Alors que Lily Rose se remet de ses émotions, Jessica pique du nez pour cacher ses joues rouges. Manifestement embarrassée, elle triture un bracelet gris-blanc à son poignet.
– Tu m’as fait peur, finit par avouer Lily Rose avec un rire léger. On finissait de se maquiller. Jess est plus douée que moi, alors je lui ai demandé de l’aide.
Et, en effet, je remarque du fard à paupières doré qui met en valeur les prunelles vertes de mon amie. Jess tient à la main un flacon de mascara, qu’elle fait rouler entre ses doigts habiles.
– Tu es très jolie, Lily, ajouté-je en réaccordant mon attention à l’hôtesse de la soirée.
– Merci, souffle-t-elle avant de venir redresser le col de ma chemise. Tu es très élégant, Zach, tu pourrais t’habiller comme ça plus souvent.
– Non, je me sens pas très à l’aise en chemise, marmonné-je en haussant les épaules.
– On dirait pas ! réplique gentiment Jessica en se relevant.
Sa robe se déroule le long de ses jambes jusqu’à mi-mollet. Elle a peut-être les jupons les plus longs de toutes les filles de la soirée, mais ça ne fait que souligner les courbes de sa silhouette.
Avec un pas félin qui me fiche une boule dans la gorge, elle vient poser les mains sur mes épaules. Elle s’est contentée d’un trait d’eye-liner et d’un rouge à lèvres mat. C’est sobre et ça lui va à ravir. Ses cheveux coiffés en chignon désordonné dégagent son visage serein et doux.
J’ai l’impression de lui trouver un petit quelque chose en plus à chaque fois que je la vois.

– Je crois que ton frère a une piste pour ce soir, annoncé-je pour m’occuper l’esprit à autre chose que de la dévorer des yeux.
– Ah bon ? lâche Jess en retirant ses mains de mes épaules. Comment tu sais ça ?
– J’ai parlé avec un gars, Theo, qui… regardait avec attention Dante danser.
– Oh, je veux voir ça de mes propres yeux, s’exclame soudain Jessica avant de sortir comme une furie.
Lily Rose la regarde filer avec un petit sourire. Je me rappelle soudain qu’elle n’a personne à qui tenir le bras pour danser. Dans d’autres circonstances, peut-être qu’elle serait en train de rire avec Anthony en ce moment-même.
– Merci de m’avoir invité. Ça me fait plaisir.
– Tu rigoles ? J’avais vraiment envie de passer un bon moment, parce que, cette année, ça…
Sa voix se casse sur un tremblement nerveux. J’ai l’impression de voir dans ses yeux sa séparation avec Anthony, la découverte de mon harcèlement, la pression des cours et des profs, les rumeurs et insultes qui ont circulé à notre sujet…
– Lily Rose, merci d’avoir été là pour moi depuis toutes ces années, murmuré-je en l’enlaçant maladroitement de mes bras.
Avec un drôle de bruit de gorge – peut-être un sanglot étouffé – elle me rend mon étreinte en enfouissant son front contre mon épaule.
– Mon propre frère n’a jamais été aussi attentionné et gentil avec moi, bredouille-t-elle au bout de quelques secondes. Toi, à chaque fois qu’on se voit, j’ai l’impression que tu es content de me voir. Tu es capable de me surprendre tous les jours. Même si c’est rare, tes marques d’affection sont toujours sincères.
Malgré ses bras fins, elle me compresse avec force la cage thoracique.
– Merci à toi aussi d’avoir été là, Zach. Je sais que tu veilles sur moi comme un frère sur sa sœur.
Aussi émus l’un que l’autre, on continue à s’étreindre encore quelques secondes avant de se séparer. J’essuie une larme solitaire qui a coulé au coin de son œil.
– On y va ?
– Oui, acquiesce-t-elle en inspirant un bon coup. J’ai hâte de poser des questions à Theo par rapport à Dante.
Elle glisse son bras sous le mien pour nous emmener vers les escaliers.
– Si on peut les caser ensemble, j’en serais plutôt contente !



Dernière modification par louji le mer. 07 oct., 2020 12:15 pm, modifié 2 fois.
15Lina15

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Re: The Debt [Fiction "adolescent/jeune adulte"]

Message par 15Lina15 »

Salut !!
Je viens de lire les 4 chapitres et j'ai adoré !! J'aime mieux l'évolution de Zach et Jess, on les sent se rapprocher doucement mais surement ;)
Les agresseurs de Zach qui continuent de le poursuivre sont de plus en plus violent… j'ai hâte qu'ils se fassent attraper et me demande comment cela va se finir. Comment Zach pourra s'en remettre ? Ce qui l'en restera. J'aime beaucoup le role de Elliott dans la dénonciation. Après, je trouve étrange que absolument tout le monde porte le même jugement sur Zach, que personne n'ai un avis autre que "je te hais pour ce que tu as fait" et "je te juge pour ce que tu as fait mais je te laisse le bénéfice du doute et une seconde chance", je trouve ça dommage qu'on ne puisse avoir plus d'opinions.
Je trouve un peu choquant que Sofia ne dise rien sur la vieille chemise de Zach, que Mark ne lui achète pas assez de vêtements ou qu'il devrait y faire plus attention.

J'adore cette soirée à l'américaine, on sent Zach rentrer enfin dans la cours des grands et c'est cool !! J'espère qu'il y aura d'autres occasions de ce genre pendant ses vacances, et surtout avec Jess… :lol:

Bon courage pour la suite, j'espère que tout va bien pour toi et que tu profites de tes vacances.
louji

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Re: The Debt [Fiction "adolescent/jeune adulte"]

Message par louji »

15Lina15 a écrit :Salut !!
Je viens de lire les 4 chapitres et j'ai adoré !! J'aime mieux l'évolution de Zach et Jess, on les sent se rapprocher doucement mais surement ;)
Les agresseurs de Zach qui continuent de le poursuivre sont de plus en plus violent… j'ai hâte qu'ils se fassent attraper et me demande comment cela va se finir. Comment Zach pourra s'en remettre ? Ce qui l'en restera. J'aime beaucoup le role de Elliott dans la dénonciation. Après, je trouve étrange que absolument tout le monde porte le même jugement sur Zach, que personne n'ai un avis autre que "je te hais pour ce que tu as fait" et "je te juge pour ce que tu as fait mais je te laisse le bénéfice du doute et une seconde chance", je trouve ça dommage qu'on ne puisse avoir plus d'opinions.
Je trouve un peu choquant que Sofia ne dise rien sur la vieille chemise de Zach, que Mark ne lui achète pas assez de vêtements ou qu'il devrait y faire plus attention.

J'adore cette soirée à l'américaine, on sent Zach rentrer enfin dans la cours des grands et c'est cool !! J'espère qu'il y aura d'autres occasions de ce genre pendant ses vacances, et surtout avec Jess… :lol:

Bon courage pour la suite, j'espère que tout va bien pour toi et que tu profites de tes vacances.
Hello ! :D

Oh, je suis très contente que tu aies aimé ces 4 chapitres, ça me fait bien plaisir ;) Et, oui, il était temps pour Jess et Zach ^^
Tu m'étonnes :lol: Même moi à la relecture j'ai envie de les baffer, Anthony et Nick :roll:
Et le jugement porté sur Zach... en soi, il a changé. C'est parti des à-priori que les gens avaient de lui suite à son erreur, puis Anthony a commencé à le mépriser par jalousie et incapacité à rendre Lily heureuse x')
Pour Sofia, c'est simplement qu'elle n'a rien trouvé à dire de plus que Phil et Mark, mais elle est tout aussi choquée, je te rassure XD Et concernant cette chemise, c'est surtout que Zach n'en met presque jamais, donc il pense pas à en acheter :roll:

Yes, soirée à l'américaine... mais pas trop :lol: Je déteste cordialement lorsqu'il y a des "soirées américaines" dans les bouquins ado, car il se passe souvent des choses prévisibles... je voulais essayer de sortir de ce schéma x)

Merci beaucoup pour ton retour et profite bien des vacances =D
louji

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Re: The Debt [Fiction "adolescent/jeune adulte"]

Message par louji »

Holà holà, j'espère que l'été se passe bien pour vous 0/
La suite de la fête est par ici et pas de tout repos :roll:




77
Fauteurs de trouble



La soirée se déroule dans une ambiance bonne enfant, rythmée par les pas frénétiques sur la piste de danse, par les voix enrouées de fatigue et de cri qui chantent par-dessus la musique, par les éclaboussures qui proviennent de la piscine et les éclats de rire.
Pour être certaine d’avoir le moins de problèmes possibles avec l’alcool, Lily Rose a demandé à l’un de ses amis, grand et musclé, de vérifier les poches de chaque invité. Si je suis passé à côté, c’est parce que le videur improvisé était en pause toilette. M’enfin, je n’aurais pas eu trop de soucis avec mon jus-de-fruit au bouchon scellé.
Pour ceux et celles qui voudraient quand même boire un peu, Lily Rose a supplié ses parents de lui laisser deux packs de bières. Douze canettes au total, pour un peu plus de vingt personnes. À moins qu’un invité s’enferme aux toilettes avec l’alcool, personne ne sera ivre ce soir.
Et même si certains sont déçus de cette perspective, on est tous un peu rassurés de savoir que l’un des principaux dangers en soirée est mis de côté.

Conformément à ce que l’on pressentait, Dante et Theo ne se lâchent plus d’une semelle. Ils ne se touchent pas non plus, à peine un effleurement des jambes ou une main frôlant celle de l’autre. Avec Jessica, assis l’un à côté de l’autre sur le grand canapé en cuir du salon, nous observons le jeu de séduction entre les garçons, émerveillés par leur finesse, agacés par leur lenteur. Tout est dans leurs regards, leurs sourires, leurs piques, leurs défis.
Non seulement Dante est bon danseur, mais il est aussi bon parleur. Theo, de quelques années notre aîné, a l’esprit aussi aiguisé qu’une lame et cherche la moindre faille chez son adversaire. Plutôt que de se laisser faire, Dante ouvre sa garde, attire Theo près de sa confiance, pour ensuite mieux l’attaquer.
Dire que Jess et moi nous sommes contentés de nous dévisager en secret, de nous tourner autour avant de finalement oser le grand pas. Dante et Theo sont des envoûteurs : ils se tâtent à coups de piques douces-amères, se découvrent en arrachant à l’autre des révélations douloureuses, se font confiance en s’ouvrant péniblement, mais sûrement, pour exposer autant leurs faiblesses que leurs forces.
Alors que leur petite mascarade dure depuis presque trois heures déjà, Theo agrippe finalement Dante par le bras pour l’entraîner sur la piste de danse improvisée. Cramoisi jusqu’aux tempes, notre ami se laisse dépasser par la musique avant de reprendre petit à petit son assurance.
Aux aguets, perchés derrière quelques convives qui les regardent danser, Jessica et moi attendons la fin de leur parade. Elle broie ma main dans la sienne en se mordillant les lèvres. Si je serais ravi que Dante trouve un gardien pour son cœur, je n’ose pas imaginer l’appréhension de sa sœur. Jess attend depuis des années que son jumeau déniche enfin la perle rare.
Soudain, une exclamation de la foule m’arrache à la contemplation de Jessica. Essoufflés, pantelants, Theo et Dante se tiennent debout face à face, les mains unies par la fin de la danse. Les cheveux châtains de notre ami se sont ébouriffés malgré le gel, ce qui n’échappe pas à son courtisan, qui les remet en place d’un mouvement leste.
Tout le monde retient son souffle.
– Aller, crétin de frère, marmonne Jess entre ses dents. Fais-le !
Avec une boule au ventre, j’observe Dante regarder autour de lui d’un air perdu, les joues rougies par l’effort, la honte et, peut-être, le désir. Je me mets à sa place et je n’aime pas du tout ce que je ressens alors.
– Pardon, lâché-je d’une voix forte en lâchant Jessica pour poser une main sur l’épaule du gars devant moi. Pardon. Pardon… désolé. Pardon, pardon.
Petit à petit, je m’insère jusqu’à la piste, où Dante me regarde venir avec des yeux de merlan fris. Avec un sourire que je veux rassurant, je m’approche de lui, l’attrape gentiment par le bras et l’entraîne loin de la piste. Du coin de l’œil, je vois Jessica et Theo nous suivre.
Sans prononcer une seule syllabe, notre petit groupe s’éloigne vers le fond du jardin, où le bruit et l’ambiance sont plus intimes. Dante a encore les pommettes roses.
– Merci, souffle-t-il en levant les yeux pour me regarder. Je m’en serais pas sorti tout seul.
– Je sais. C’est pour ça que je l’ai fait.
Soudain, il jette les bras autour de moi et étouffe un sanglot nerveux. Désemparé, je lui tapote le dos et demande :
– Dan, ça va ?
– Oui. Non. Je sais pas.
Inquiet pour lui, je jette un regard d’appel à l’aide à Jessica, mais elle s’est éloignée de quelques mètres avec Theo. Ils discutent vivement et je crois reconnaître l’inflexion particulière de la voix de mon amie lorsqu’elle en veut à quelqu’un.
Après quelques nouvelles secondes de discussion-dispute, Theo s’avance vers nous d’un pas décidé. Méfiant, je lui jette un regard lourd de sens. S’il approche, c’est seulement avec une bonne intention. Le cas contraire, je sors les griffes.
– Je voudrais te demander pardon, annonce-t-il d’une voix solennelle en s’arrêtant à distance respectueuse.
Hésitant, Dante se sépare de moi pour le dévisager.
– Je ne t’accuse de rien, Theo.
– Oui, mais je m’en veux quand même. J’ai aimé danser avec toi, mais je n’aurais pas dû nous exposer aux autres. (Il baisse le nez en faisant une moue coupable.) Tu me pardonnes ?
– Hein ? O-Oui, bien sûr !
D’un bond, Dante s’approche de Theo et le prend par la main. Je comprends au regard que me jette mon ami qu’il aimerait être seul avec sa nouvelle connaissance. Avec un dernier sourire à son égard, je rejoins Jess qui m’attend plus loin.
À peine l’ai-je rattrapée qu’un cri perce l’air chargé de musique. Avec un regard tendu, nous nous mettons d’accord pour en trouver la source. En approchant de la maison, nous remarquons qu’un groupe s’est formé dans l’allée qui mène au portail d’entrée. Les cris proviennent de là-bas.
D’un pas précipité, nous rejoignons l’amas d’invités. Sans peine, je reconnais la voix de Lily Rose hurler :
– Allez-vous-en ! Dégagez ! Si vous entrez, j’appelle la police.
Ces mots me glacent le sang. Sans plus réfléchir, je perce la foule de ma silhouette élancée et remonte jusqu’au portail. Une jambe de chaque côté, assis sur le montant de ce dernier, Anthony Greenlight vomit un flot d’injures à l’adresse de son ancienne petite-amie.
En m’apercevant, il se tait puis sourit largement.
– Coucou Zachounet ! Tu t’amuses bien avec cette salope et sa bande d’amis écervelés ?
Je réprime les frissons de peur qui s’emparent de mon corps et réponds avec le plus d’assurance possible :
– Anthony, va-t’en. Vite.
– Autrement quoi ? lance une voix moqueuse derrière le portail.
Je remarque alors, à travers les interstices, Nick, les bras croisés sur la poitrine. Il devait s’apprêter à grimper, lui aussi.
– Vous êtes malades ! crache Lily Rose d’une voix nerveuse, son téléphone à la main. J’appelle la police.
– Mais attends, ma puce, lance Anthony en faisant basculer son autre jambe par-dessus le portail. Je veux juste te faire un câlin d’adieu.
– M’approche pas, gémit Lily en reculant de quelques pas.
Le masque d’effroi sur son visage me brise le cœur. Je ne suis pas le seul à être terrifié par Anthony. Dans un stupide élan de courage, je me place devant mon amie et assène avec colère :
– Anthony, Nick, dégagez, vous n’êtes pas conviés.
– Ah bon ? raille le joueur de football avant d’éclater d’un rire mauvais. Zach, tu ferais mieux d’aller courir loin de nous. (Il agrippe soudain les montants du portail de ses deux mains puissantes.) Tu te rappelles que nous t’avons promis de te faire vivre l’enfer ?
Oui, je m’en rappelle, bande de malades.
– J’ai la police au téléphone ! lance soudain quelqu’un dans la foule. Je les préviens tout de suite. C’est quoi ton adresse, déjà, Lily Rose ?
Alors que mon amie s’apprête à lui répondre, Anthony beugle avec férocité :
– NON !
Et il se laisse tomber, court vers la foule, qui recule avec un cri, et arrache le portable de la main de son propriétaire. Avant que le gars ait pu faire quoi que ce soit, son téléphone vole en éclat au sol.
– Mais t’es complètement taré, mec ? hurle l’invité en empoignant Anthony par le col.
Je remarque alors qu’il a une carrure impressionnante. Est-ce le gars à qui Lily Rose a demandé de vérifier l’identité et les poches des invités ?
Sans ajouter un mot de plus, le videur improvisé de la soirée jette son adversaire au sol et lui plaque un bras dans le dos. Un gémissement de douleur s’échappe des lèvres d’Anthony. J’en éprouve une malsaine satisfaction. Pour une fois que c’est lui qui souffre.
– Lâche-moi, sale porc, gronde notre opposant en battant des pieds.
– Attends d’être dehors.
Avec une force surprenante, le videur improvisé redresse Anthony sur ses jambes, l’amène vers la haie qui borde le jardin des Daniels et le soulève au-dessus de sa tête avec un grondement. Les yeux écarquillés, je regarde la silhouette d’Anthony disparaître dans les buissons, dégringoler, puis s’affaisser de l’autre côté.
Un cri de joie monte de la foule, qui scande le prénom de notre sauveur. Jonas. Je prends soin de le retenir pour remercier personnellement le concerné plus tard.

– Vous allez nous le payer ! gronde Nick avant de nous adresser un doigt d’honneur, à Lily Rose puis à moi. Surtout toi, Gibson.
Une boule d’appréhension dans la gorge, je le regarde s’éloigner pour aller ramasser un Anthony à moitié assommé par terre. Sans un mot de plus, ils s’en vont bras-dessus bras-dessous.
Nerveux, je me tourne vers Lily Rose, dont les yeux verts pétrifiés de peur ne quittent plus le portail. Elle tremble doucement, légèrement penchée en avant.
– Lily… murmuré-je en tendant le bras vers elle.
Surprise, elle me jette un regard apeuré puis rentre en précipitation à l’intérieur. Je n’ose pas la suivre. Il y un raclement de talons à côté de moi puis la main calleuse de Jess qui se loge entre mes doigts. Je la serre franchement, les nerfs en pelote.
– On peut rentrer ? demandé-je à mon amie en me tournant vers elle, le souffle coincé dans la gorge par un reste d’angoisse noire et rouge.
– Bien sûr, murmure-t-elle avant de m’entraîner à l’intérieur.
Lily Rose a interdit l’accès à l’étage, mais nous nous y rendons quand même. J’ai besoin de calme et de silence pour reprendre mes esprits. Nous nous asseyons sur un petit divan installé en face d’une grande bibliothèque bourrée de livres de médecine et de droit. Sûrement les ouvrages personnels de Sofia et Philip.
Installée tout contre moi, Jessica caresse le dessus de ma main avec tendresse.
– Ça va mieux ? s’enquiert-elle au bout de cinq minutes de silence.
– Un peu. Mais je crois que j’ai besoin de m’isoler encore un moment.
– Bien sûr, je comprends.
Délicatement, elle lève ma main, presse les lèvres contre mes tendons et mes os saillants puis la pose sur sa cuisse. Le tissu de sa robe est doux.
– Tu as été courageux, Zach.
– Courageux ? répété-je avec dépit. J’ai rien fait du tout, Jessica.
– Non, je t’ai vu t’interposer. T’étais prêt à affronter Anthony, malgré tout ce qu’il t’a fait. T’étais prêt à prendre des coups, encore et toujours. (Elle tourne soudain des yeux brillants de larmes refoulées vers moi.) Zach, je sais que tu as voulu la protéger et faire bien, mais… parfois il ne suffit pas d’être courageux. Parfois, tu as aussi le droit de réfléchir, de faire attention à toi.
– Jess…
– Me coupe pas, m’intime-t-elle en secouant la tête. J’ai conscience que tu voulais simplement protéger Lily Rose, mais qui te protège toi ? Comme tu te fiches bien de ce qui peut t’arriver, tu te mets en danger.
Elle serre soudain les dents en tenant ma main fermement. Son menton tremblote.
– Moi, je m’inquiète pour toi. J’ai peur de ce qui peut t’arriver. (Avec douceur, elle pose ses doigts calleux sur ma joue.) Alors, Zach, s’il te plaît, fais plus attention à l’avenir.
– Je… j’essaierai, soufflé-je, perturbé par sa demande.
– J’espère bien.
Avec un sourire, elle pose son autre main pour attirer mon visage près du sien. Son baiser me semble d’une tendresse inouïe après les récents événements.




78
Prendre l’air



Lily Rose s’est enfermée dans sa chambre suite à l’interruption d’Anthony et Nick à la soirée. Après être restés au calme quelques temps, Jessica et moi allons toquer à sa porte.
– Lily ? souffle gentiment Jess, l’oreille collée au montant en bois. Comment tu te sens ?
Il y a quelques secondes de silence tendu avant que notre amie daigne répondre :
– Ça va un peu mieux.
– On peut entrer ?
Sûrement hésitante, Lily Rose laisse planer de nouveau un instant de silence.
– Tu es avec qui ?
– Zach.
Quelques secondes plus tard, le verrou tourne et nous nous retrouvons face au visage tiré de Lily Rose. Son maquillage a coulé sur ses joues en laissant des traces. Sans hésiter, Jessica va l’entourner de ses bras puis lui frotte les cheveux.
– Tu veux qu’on demande aux autres de partir ?
– Non, non ! s’exclame Lily Rose en se détachant de l’étreinte de Jess. Ça va mieux, je vais juste me nettoyer le visage.
– Je viens avec toi, répond aussitôt Jessica en lui prenant le bras.
Comprenant que je serais de trop, je serre brièvement le bras de mon amie puis leur indique que je redescends. Avec une petite boule dans la gorge, je rejoins le rez-de-chaussée, où l’ambiance fêtarde se réinstalle peu à peu.
Le gorge sèche, je vais me servir un verre d’eau à la cuisine. Un gars que je connais de vue du lycée est en train d’embrasser une brune qui m’est inconnue. Comme ils se trouvent dans l’angle de la pièce, je ne les avais pas vus en entrant. Gêné, je me dépêche de sortir de la cuisine pour les laisser tranquilles.
Dans le salon aussi, l’aura s’est réchauffée. Les mains sont liées, les regards accrochés, les sourires en écho, les rires à l’unisson. Sur la piste de danse improvisée, trois couples dansent un slow. S’il n’y avait eu personne d’autre dans la pièce, j’aurais peut-être demandé à Jess de m’apprendre à danser.

Pour être plus au calme, je m’isole sur la terrasse, allongé sur une chaise longue. La nuit est claire et étoilée. D’un rond presque parfait, la lune blonde nimbe le jardin d’une lumière blafarde. À quelques mètres, trois convives s’amusent encore dans la piscine. Quant au barbecue, personne n’est resté bien loin depuis le début de la soirée. L’odeur des saucisses et des légumes grillés embaume l’air.
Un petit groupe de cinq discute près de moi. Ils ont des bières à la main. Leur bonne humeur doit en partie provenir de là. Mais ils ne sont pas ivres.
– Zach ?
Surpris par la voix de Dante, je lève les yeux. Theo et lui, main dans la main, sont penchés au-dessus de moi. D’abord étonné de leur présence, je finis par retrouver mes esprits.
– Euh, oui ?
– Tu sais où sont Jess et Lily ? Je les ai pas vues depuis un moment, enchaîne Dante en se laissant choir sur la chaise longue à côté de la mienne.
Avec un bras autour de ses épaules, Theo s’installe calmement à côté de lui. Le rapprochement physique a été rapide.
– Elles devraient bientôt revenir. Lily Rose est allée s’isoler dans sa chambre après l’arrivée de Nick et Anthony. Jess est avec elle.
– Hein ? lâche mon ami en écarquillant les yeux. Comment ça, l’arrivée de Nick et Anthony ? Ils ont voulu entrer ?
– T’es pas au courant ? m’étonné-je en fronçant les sourcils.
L’air embarrassé, il jette un coup d’œil à Theo, qui le veille d’un regard soucieux.
– Je… on était en train de discuter au fond du jardin, alors on a rien entendu.
– Oh ! Eh bien… ils ont essayé d’entrer, mais le videur improvisé les a chassés.
– Tant mieux, lâche Dante d’un air soulagé avant de grimacer. Je m’en veux de pas avoir été là. J’aurais dû faire gaffe à ce qui se passait.
– T’inquiète pas, le rassuré-je aussitôt d’un ton bienveillant. Dan, on sait que… (Je jette un coup d’œil à Theo, qui me sourit en retour.) Pour une fois que tu peux passer du bon temps, on veut juste que tu en profites.
Manifestement gêné, il rougit puis se tord les mains. J’ai peur de l’avoir mis mal à l’aise avec mes mots. Ce n’est pas ce que je voulais.
Agacé par ma maladresse, je me penche pour toucher son bras. Il tressaille.
– Dante, je… je suis sincère. Enfin, je veux dire… On sait pas du tout comment ça va évoluer avec Theo, mais…
J’essaie d’ignorer les regards pesants des deux garçons.
– … Que ce soit Jessica, Lily Rose, ou moi, on serait vraiment heureux que tu te trouves quelqu’un.
Touché, il prend ma main et la serre. Il a de petites paumes douces. Les yeux brillants, il m’adresse un sourire qui lui fend le visage puis hoche doucement la tête.
– Merci, Zach, merci.
– Tu rigoles ? lâché-je avec un rire étranglé. Avec tout ce que tu as fait pour moi…
– C’est le principe de l’amitié, réplique-t-il d’une voix moqueuse.
– Je sais, je sais, soupiré-je avec un petit sourire.
Alors que Dante lâche gentiment ma main pour récupérer celle de Theo, je reçois une petite tape sur l’épaule. Étonné, je tourne la tête pour faire face à l’un des convives qui discutait près de moi.
– Une bière ? propose-t-il en tendant une cannette dans notre direction.
D’abord enclin à refuser, Theo me devance en lâchant :
– Oh, moi, je veux bien !
D’un air réjoui, le compagnon de Dante agrippe la cannette et la décapsule d’un geste habile. Comme il est plus âgé de quelques années, il a déjà dû boire de l’alcool. L’air appréciateur, il en avale quelques gorgées, avant d’en proposer à Dante. Dubitatif, mon ami accepte, goûte du bout des lèvres puis tire la grimace.
– Berk, pas bon.
Amusé par son expression, je m’esclaffe, vite suivi de Theo, qui récupère sa bière. Il me la tend en haussant un sourcil. Je refuse avec un sourire poli.

– Ah, tu es là ! s’exclame une voix féminine derrière moi.
Deux mains s’abattent sur mes épaules alors que je redresse la tête. Comme j’ai le menton levé vers elle, Jessica en profite pour presser ses lèvres contre les miennes. Mon cœur bondit contre ma poitrine : il y a tellement de monde autour de nous ! Malgré tout, si ce ne sont Dante et Theo, personne ne nous regarde. Après tout, nous ne sommes pas le seul couple de la soirée et loin d’être les premiers à s’embrasser.
– Alors, comment ça va ? s’enquiert Dante en jetant un regard préoccupé à sa sœur.
– Moi ça va, le rassure Jess en venant s’asseoir à côté de moi sur la chaise longue. Et Lily Rose… elle s’est aéré l’esprit puis est allée danser. Elle a dit que ça lui viderait la tête. (Soudain, Jess pousse une petite exclamation.) Theo, je peux te prendre une gorgée de bière ?
– Ah ? Oui, bien sûr !
Avec un sourire pendu aux lèvres, Jessica avale deux ou trois gorgées. Contrairement à son frère, elle semble bien apprécier.
– T’en veux ? me propose Jess en se tournant vers moi, les yeux brillants.
Leur légèreté me donne envie. Malgré la musique et les rires, je n’arrive pas complètement à me déconnecter. Les sourires mauvais d’Anthony et Nick ne cessent de hanter mon esprit. En dépit de la présence de mes amis, j’ai toujours une angoisse discrète au fond des tripes.
J’aimerais être comme eux, à cet instant : l’esprit léger, le baume au cœur, sans autres soucis que les lèvres de la personne que j’aime sur les miennes.
Alors j’accepte.
Et je sais que j’ai eu tort au moment où la boisson légèrement amère coule dans ma bouche. Avec un coup de poing en pleine face, je suis balancé cinq ans en arrière, sur le siège de la petite voiture grise de Mme Hudson, ma prof d’histoire au collège. Raylen est assis à ma droite, une bouteille de vodka chipée à son père à la main. Moi, je viens de finir ma bière. J’ai encore le goût d’un joint dans la bouche.
J’ai le sang en feu et l’esprit à l’air libre. On vient juste de voler la voiture en cassant la vitre. Raylen a démarré le moteur. Son père est garagiste : il sait bien s’y prendre en mécanique.
Quelques heures plus tard, après s’être familiarisés avec la conduite automobile, on prend la route. Sans trop savoir ce qu’on fait, trop ivres et défoncés, trop jeunes et paumés, on erre dans le crépuscule, à la recherche de nous-mêmes.
Raylen descend son paquet de cigarettes à une vitesse folle. Il a à peine douze ans. Déjà un regard de désespéré, la voix rauque d’un stade trois du cancer du poumon, la rage d’un condamné. J’ai douze ans, moi aussi. De sales envies. Un cerveau grillé par la drogue, une gorge abîmée par l’alcool, un cœur martelé de vide.
J’étais en train de m’endormir quand je les ai tuées.

L’esprit assailli de souvenirs destructeurs, je bondis de la chaise longue pour m’en aller le plus loin possible. J’ai renversé la cannette de bière par terre. Son liquide ambré se répand sur la terrasse. Effréné, mon cœur bat contre mes côtes à m’en faire mal. J’ai mal. Toujours en trottinant, je m’éloigne vers le fond du jardin. J’entends Jessica et Dante m’appeler.
Tu es vraiment trop con ! hurle un tas de voix en moi.
Et elles ont raison. Si je n’ai plus jamais fumé ou bu d’alcool depuis l’accident que j’ai provoqué, c’est qu’il y a une raison. De la même façon que la maison est imprégnée de l’odeur de Mark, de ses souvenirs, l’alcool est empreint de mes péchés, de mes erreurs.
À peine la boisson a-t-elle effleuré ma langue que mon cerveau se déclenchait à la recherche des souvenirs empoisonnés qui y sont liés.
Et les voilà : vidant leur sang, leur amertume, leur douleur, sur ma conscience meurtrie. Me rappelant sans cesse combien j’ai été stupide et inconscient.
Oh, Mark, pardon.

Réfugié au fond du jardin, je laisse de grosses larmes rouler sur mes joues, peinant à respirer. Je défais les premiers boutons de ma chemise, tente de calmer mon cœur furieux qui semble grossir dans ma poitrine. Mes mains tremblent, mes dents grincent entre elles, ma conscience s’effrite. Ma vision du jardin de Lily plongé dans le noir se confond à celle de la route mal éclairée que j’ai prise ce jour-là. Les convives de la fête, au loin, sont les silhouettes floues d’Alison et ses deux filles.
Avec l’impression d’étouffer, je me laisse choir par terre, me penche en avant, arrache l’herbe entre mes mains, suffoque de souvenirs.
Puis des pas font froisser les plantes. En levant les yeux, un soulagement sans nom s’empare de moi. Les bras tendus, j’appelle la silhouette qui s’approche.
– Zach… chuchote-t-elle en se laissant tomber à genoux près de moi.
L’odeur de Jessica, ses cheveux soyeux, son souffle tiède, sa voix grave et sensuelle, ses paumes calleuses, son corps chaud pressé contre le mien. Avec un sanglot, je la serre fort contre moi. Sans un mot, elle me caresse l’arrière du crâne.
– Jess, finis-je par murmurer avant d’enfouir le nez dans son cou.
Elle embrasse ma tempe et me berce contre elle. J’aimerais rester comme ça pour l’éternité.
– Ça va mieux ?
Quelques secondes – plus ? – se sont écoulées. Avec déception, je lâche Jessica, qui m’observe d’un air soucieux dans la pénombre.
– Je… oui, ça va un peu mieux.
Malgré tout, des tremblements infimes m’agitent encore. Même s’il a ralenti, mon cœur reste comme un marteau contre mes côtes.
– Je… vais faire un petit tour, je pense, finis-je par décider en jetant un regard au petit bois qui s’étend derrière le jardin de Lily Rose.
Je me redresse sur des jambes tremblantes, ce qui n’échappe pas à mon amie.
– Je t’accompagne ?
Pas cette fois, regrette mon cœur. Faut qu’on soit en tête-à-tête, ajoute mon esprit. Pour faire le point, conclut ma conscience avec fermeté.
– Non, ne t’inquiète pas, la rassuré-je en prenant ses mains. Merci d’être venue.
– Tu croyais quoi ? s’exclame Jessica en se rapprochant soudain de moi. Zach, t’es devenu tout pâle après avoir bu la bière. Puis tu l’as laissée tomber et tu t’es sauvé en courant. Évidemment que j’allais venir voir ce qui va pas !
Puis elle m’enlace en tremblant elle aussi. Débordant de culpabilité à l’idée de l’avoir angoissée, je lui frotte le dos.
– Reviens vite, ajoute Jessica avant de plaquer un baiser furtif sur mes lèvres. Idiot.
– Je fais vite, lui assuré-je avec un sourire.
Je la regarde partir puis disparaître dans la maison.
Avec une grande inspiration, je me tourne vers le sous-bois avant de m’y enfoncer.
J’ai besoin de calme et de solitude pour rappeler à mes tendres souvenirs qu’ils font partie du passé et que, la seule chose dont j’ai envie, c’est d’aller de l’avant. Pas de croupir dans une vie antérieure.


Dernière modification par louji le dim. 11 oct., 2020 8:28 pm, modifié 2 fois.
15Lina15

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Re: The Debt [Fiction "adolescent/jeune adulte"]

Message par 15Lina15 »

Salut !
:D Bonnes vacances à toi aussi

C'est mignon la façon dont Lily Rose s'assure qu'il n'y ai pas d'alcool pour éviter les débordements. Et pour le coup, son garde du corps était une très bonne idée/intuition !!
J'ai trouvé le rapprochement Dante/Theo distrayant sinon un peu longuet, après tout on savait comment ça allait finir, pourquoi y passer autant de temps à les observer ?
L'interruption des méchants pendant la soirée, un classique, mais vu avec la force et la virulence qu'ils se font repousser c'est très jubilatoire :lol:
Étrangement j'ai l'impression que dans la réaction de Zach quelque chose manque, ou alors c'est Jess qui ne s'inquiète pas assez, j'attends le moment où il va vraiment péter un cable…

Toute la scène sur la terrasse est du petit lait pour moi, entre le baiser de Jess, la discussion ou même les souvenirs qui frappent Zach dès qu'il touche à l'alcool pour le ramener sur le droit chemin, c'est un combiné qui résume ce que j'aime dans cette histoire ;)
J'aime beaucoup l'espace qu'accorde Jess à Zach, elle est vraiment compréhensive et ça c'est cool. Peut-être qu'ils feront un couple qui dure.

J'aime beaucoup ces deux derniers chapitres, je te souhaite une bonne continuation pour tes nouveaux projets !
louji

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Re: The Debt [Fiction "adolescent/jeune adulte"]

Message par louji »

15Lina15 a écrit :Salut !
:D Bonnes vacances à toi aussi

C'est mignon la façon dont Lily Rose s'assure qu'il n'y ai pas d'alcool pour éviter les débordements. Et pour le coup, son garde du corps était une très bonne idée/intuition !!
J'ai trouvé le rapprochement Dante/Theo distrayant sinon un peu longuet, après tout on savait comment ça allait finir, pourquoi y passer autant de temps à les observer ?
L'interruption des méchants pendant la soirée, un classique, mais vu avec la force et la virulence qu'ils se font repousser c'est très jubilatoire :lol:
Étrangement j'ai l'impression que dans la réaction de Zach quelque chose manque, ou alors c'est Jess qui ne s'inquiète pas assez, j'attends le moment où il va vraiment péter un cable…

Toute la scène sur la terrasse est du petit lait pour moi, entre le baiser de Jess, la discussion ou même les souvenirs qui frappent Zach dès qu'il touche à l'alcool pour le ramener sur le droit chemin, c'est un combiné qui résume ce que j'aime dans cette histoire ;)
J'aime beaucoup l'espace qu'accorde Jess à Zach, elle est vraiment compréhensive et ça c'est cool. Peut-être qu'ils feront un couple qui dure.

J'aime beaucoup ces deux derniers chapitres, je te souhaite une bonne continuation pour tes nouveaux projets !
Hello ! =)

Oui, puis question de sécurité avant tout... Elle détesterait l'idée de quelqu'un d'alcoolisé chez elle :?
Effectivement, à la relecture, j'ai trouvé le passage un peu longuet, moi aussi ! Je vais voir si je le réduis pas un peu ^^
Voui, pas très original, mais, au moins, ils font plus de peur que de mal :lol:
Y'a le côté un peu hébété pour Zach, qui réalise pas forcément et est un peu atterré par les agissements d'Anthony & co :? Quant à Jess... Elle fait de son mieux pour pas criser et refiler son angoisse aux autres :c

Oh merci beaucoup, j'aime bien cette scène aussi ! :D J'avais peur que ça fasse too-much l'histoire des souvenirs, mais si ça passe bien j'en suis ravie ;)
Oula oui, c'est clairement pas le genre de fille à s'accrocher à son mec ou à le coller, surtout quand il va pas bien x')
"Peut-être qu'ils feront un couple qui dure." :arrow: J'espère pour eux :lol: :lol: :lol:

Merci beaucoup, ton retour m'a fait très plaisir ! :mrgreen:
Courage de ton côté pour la fin de Syn ;)
louji

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Re: The Debt [Fiction "adolescent/jeune adulte"]

Message par louji »

Bonjour, j'espère que vous allez bien :)
Voici donc la fin de la partie 3 (enfin :lol: ) avec les 3 derniers chapitres (j'en mets 3 d'un coup, car je trouvais bête de n'en mettre que 2 puis 1... :roll: ). Je vous rassure : ce n'est pas la fin-fin de TD, il reste la partie 4, loin d'être aussi conséquente que la partie 3, mais qui clôture plus... sainement l'histoire :roll:




79
L’éclat de la lune



Un portillon permet d’accéder au petit bois derrière le jardin de Lily Rose. Lorsque nous étions plus jeunes, elle et moi y jouions souvent, alternant cache-cache et chasse au trésor. J’ai l’impression d’entendre son rire de l’époque, clair et enfantin, à mon oreille.
Si les parents de Lily Rose n’ont pas changé d’habitude, l’une des clefs qui ouvre le portillon est cachée sous un pot de tulipes. Après avoir soulevé celui-ci, j’aperçois avec soulagement le fameux petit objet. Je dois forcer sur la serrure du portillon, qui n’est pas souvent utilisé. Après avoir donné un petit coup sec contre le montant, je peux enfin sortir du jardin.
Encore un peu nerveux, je glisse la clef dans ma poche puis m’éloigne entre les troncs, impatient de m’aérer l’esprit.
L’obscurité du sous-bois, son silence de nuit, son calme mystérieux, chassent les bribes de souvenirs sanglants qui s’accrochent encore à mes yeux, à mes oreilles, à mon nez et à mes tripes.
Je m’en veux. Je m’en suis voulu toute ma vie. Maintenant que ça commençait à aller un peu mieux, je fais de nouveau une bourde. Tout ça pour me fondre dans le moule, pour suivre le groupe. La même erreur qu’avec Raylen : parce que j’avais peur de le perdre, je l’ai suivi dans toutes ses conneries.
Pourtant, j’ai grandi, mûri. Je devrais savoir que Jessica, Lily Rose et Dante se fichent parfaitement que j’aie les mêmes envies qu’eux. Alors je n’aurais jamais dû avaler cette gorgée de bière simplement pour leur ressembler. Ils doivent s’en vouloir, eux aussi. Surtout Jessica : elle sait ma peur de l’alcool, de la drogue et de la conduite. Pourtant, elle m’a proposé la boisson, sûrement par politesse. Je crois qu’elle a oublié, sur le moment, mon sombre passé. J’ai du mal à lui en vouloir : c’est moi le responsable, pas eux. Ce sont les maîtres de leurs actes, pas des miens.
Et j’ai vraiment besoin d’air pour éviter de ne pas m’étrangler de ma propre bêtise.
Avec un soupir, je me laisse choir contre le tronc d’un chêne avant de lever la tête. La lune se balade dans le ciel, océan d’étoiles et de noir. J’entends un ruisseau vers ma droite. On y a pique-niqué plus d’une fois, avec Lily Rose.
L’air est paisible, immobile, envahi par le brouhaha lointain de la fête et par le chant des insectes. Doucement, agréablement, mon cœur se calme et mon souffle ralentit. Le nœud d’angoisse dans ma poitrine se dissipe.
Jusqu’à ce que j’entende des froissements et des éclats de voix.
Avec un sursaut, je bondis sur mes appuis. Qui peut bien se balader en pleine nuit dans le sous-bois qui borde l’arrière du jardin des Daniels ? D’autres jeunes, des convives ayant pris l’air comme moi ?
Puis un rire goguenard envoie mille frissons dans mon dos. Cette voix suave, cette intonation cruelle, ne me mentent pas.
Anthony.

Pétrifié, angoissé à l’idée de les voir apparaître d’une seconde à l’autre, je reste sur place sans bouger, l’oreille tendue. Je reconnais aussi les exclamations bourrues de Nick. Puis une voix plus fluette et craintive : Elliot.
– Je peux pas faire ça, gémit l’intéressé.
– T’as pas le choix, le rabroue sèchement Nick. Tu nous as balancés au directeur, alors tu ferais bien de te rattraper.
– Mais… Anthony, c’est pas un peu trop dangereux ?
– C’est maintenant ou jamais, siffle mon démon d’une voix mauvaise. Le cadre parfait : une soirée entre ados sans adultes, de l’alcool, des disputes… Personne ne se rendra compte de rien et, nous, on sera gagnants.
Mortifié, je recule derrière un tronc proche lorsque je les vois débouler sur ma gauche. De quoi parlent-ils ? Que font-ils ici ? Pourquoi Elliot les suit-il alors qu’il les a trahis ? Sûrement cherche-t-il à se racheter. Mais par quel moyen ?
– Le portillon se trouve juste ici, lance Nick en s’avançant vers la barrière qui délimite le jardin. Il suffit de passer par-dessus.
– Exactement, renchérit Anthony avant de lâcher d’un ton où l’impatience se mêle à la colère et à un soupçon de soulagement : je vais enfin me venger de ce fils de pute.
– Anthony, c’est complètement dingue, trouve le courage d’ajouter Elliot en lui prenant le bras.
– Lâche-moi ! hurle l’adolescent en faisant un brusque mouvement d’épaule.
Déséquilibré, Elliot se retrouve les fesses par terre. D’un geste menaçant, Anthony lui intime de se taire. Pourtant, l’ado chétif ajoute avec détresse :
– Imagine qu’on se fasse choper ? Tout le monde sait que vous avez une dent contre Zach.
– Il suffit qu’on se fasse pas choper, le raille Nick d’un ton méprisant.
Un seau d’eau glacé se vide sur ma tête. Ils me cherchent. Pourquoi ? Que me veulent-ils ?
Te tuer, me rappelle une voix.
Soudain, je fais un pas en avant. Si c’est moi qu’ils cherchent, pas la peine de les laisser gâcher la fête. Je ne veux pas qu’ils blessent Lily Rose, Dante, Jessica ou quelqu’un d’autre.
Je n’ai pas non plus envie qu’ils me blessent, mais je n’ai pas d’autre choix.
– Je suis là, lancé-je d’une voix forte en m’avançant.
Médusés, les trois adolescents tournent la tête dans ma direction. Leurs visages sont étonnés, agacés, soulagés. Pourtant, ils se reprennent vite : Anthony et Nick bondissent dans ma direction en hurlant :
– Tu étais là, sale con ?
Surpris par leur précipitation, je recule, mais pas assez vite. En quelques secondes, ils sont sur moi, m’agrippant les bras.
– Elliot, viens nous aider ! beugle Nick d’une voix sauvage.
Son haleine pue l’alcool. Ses yeux brillent de haine. J’ai soudain peur de revoir la vie en noir et rouge. En ténèbres et en sang. En terreur et en douleur.
Hésitant, Elliot se redresse lentement pendant que ses deux acolytes me plient les bras douloureusement dans le dos. Ils ne sont pas tendres. Jamais.
Un coup de poing dans le plexus de la part de Nick me coupe le souffle et fait monter les larmes à mes yeux. La tête baissée, je n’entends que les pas d’Elliot, les souffles saccadés et alcoolisés de mes deux démons et leur conspiration. Jusqu’à quand comptent-ils me briser ?
Jusqu’à la fin.

Elliot a un visage de marbre, une goutte de sueur à la tempe. Les lèvres pincées, les yeux vides, il s’approche de moi. Puis me saisit le bras, prenant la place d’Anthony. Comme Elliot a une prise moins assurée, Nick me maintient en place encore plus rudement.
Que vont-ils faire ? Me passer à tabac alors que je suis incapable de me défendre ? Comme toujours, leur courage est palpable.
Soudain, le monde bascule. Chavire. M’emmène aux portes de la mort.
Dans la main d’Anthony, il y a un éclat. L’éclat de la lune.
La lame est polie, grise, parfaite. Le couteau brille comme un joyau dans la main de mon démon. Mes yeux restent plantés sur l’arme, mon cœur s’est figé, mon souffle s’est bloqué. Je n’arrive pas à le croire.
Il est armé. Il a un couteau.
Je vais te tuer, je vais te tuer, je vais te tuer.
Les mots d’Anthony, déformés par la jalousie, par la peur, par la colère, me martèlent le crâne.
Un mouvement vif, un scintillement argenté, et le noir commence.
S’ensuit le rouge. Douleur, suffocation, incompréhension. Le feu dans mon ventre, la glace dans mon sang. Un cri d’Elliot, un grognement de Nick, un geignement d’Anthony. Un silence de ma part.
Le rouge revient, une deuxième fois. Plus assuré, moins précipité. Plus profond, plus intense, plus sombre. Je suffoque, estomaqué, le ventre troué.
Avec un sanglot étouffé, Elliot lâche mon bras puis prend les jambes à son cou. J’aimerais faire pareil. Mais mes appuis me lâchent, la douleur m’inonde aussi bien le corps que l’esprit.
Pourquoi ?
Pourquoi moi, le garçon qui n’avait rien ? Pourquoi moi, l’ado qui ne demande rien ? Pourquoi moi, l’adulte qui n’a plus rien ?

Anthony halète, le regard fou. Il tient le couteau, l’éclat de la lune, de deux mains tremblantes. Je remarque qu’un liquide sombre, épais, lui tache les doigts. Mon rouge, mon sang.
Je suis dans le noir, le vide, la terreur. Je n’entends plus le chant des insectes, seulement l’écoulement de ma vie. Je ne vois plus mes anciens camarades, juste deux démons assoiffés d’envie, de colère, de reconnaissance. Je ne sens plus la terre tiède, les arbres paisibles, mais la peur, moite et collante.
Puis vient le tomber de rideau, le dernier éclat, plus brillant que les deux précédents, plus précis, plus mortel.
La lame tombe au sol, libérée des mains tremblantes d’Anthony. Blême, il jette un regard à Nick, qui est l’unique raison pour laquelle je ne m’affaisse pas. Sans un mot, le joueur de foot me lâche, ramasse l’arme alors que je m’écroule, vidé d’énergie. Le visage fermé, grave, il prend Anthony par le bras, lui murmure quelques paroles, puis l’entraîne loin.

Je suis noir et rouge. Tout et rien. Vide et plein. Peur et terreur. Sang. Sang.
Sang.
Loin.
Je suis loin.




80
Je regrette



Je suis en train de mourir.
L’évidence me laisse plus pantois que jamais. Pourtant, j’aurais dû m’en rendre compte bien avant : j’étais déjà mort lorsque ma mère m’a abandonné. Déjà mort lorsque j’ai tué la famille de Mark. Déjà mort quand Anthony a juré de me faire payer mes erreurs en me prenant la vie. Au moins, il a tenu sa promesse : trois coups de couteaux.
Trois. Qui aurait cru que ce nombre signifie ma fin ? Trois. Elles étaient trois, les personnes que j’ai tuées ce soir-là. L’épouse et les filles de Mark. Alison, Jade et Holly. Un coup de couteau pour chacune d’entre elles ? Ou une simple coïncidence ?
Avachi sur le flanc, la tête sur une plaque de mousse, les mains crispées contre mon ventre, j’attends. Je l’attends, cette impasse qui me guette depuis toujours. Impasse dans laquelle j’ai failli tomber, plus d’une fois. Mon abandon, mon accident, ma tentative de suicide…
La mort. Ma mort.
Pour de bon, cette fois ?

Je me demande si je regrette. À mon âge, n’importe qui aurait des regrets : ne pas avoir dit « je t’aime » à ses proches, ne pas avoir terminé un livre pour en connaître la fin, ne pas avoir eu la meilleure note dans sa matière préférée, ne pas être sorti avec ses amis ce fameux jour où l’on était malade, ne pas avoir embrassé la personne qu’on aime…
J’ai beau chercher, je ne regrette pas. J’ai dit à Mark que je l’aimais, j’ai terminé tous les livres que j’ai commencés et j’ai les meilleures notes de ma classe en histoire. Quant à mes amis, je n’ai jamais raté les rares sorties qu’ils m’ont proposées. Et j’ai encore sur les lèvres le dernier baiser de Jess.
C’est même le contraire : quelque part, l’éternel coupable en moi exulte. Car il va enfin payer contribution pour ses actes. Payer pour ses crimes. Rembourser sa Dette.
Mourir pour rendre justice à trois innocentes.

L’air frais de la nuit tombe sur moi. Le froid m’envahit. Pourtant, mes doigts sont tièdes, mon ventre brûle. Le liquide qui glisse le long de mes phalanges est chaud. Chaud comme le soleil le matin sur mon visage, chaud comme les baisers de Jess, chaud comme la paume de Mark dans mon dos, chaud comme le rire de Lily et chaud comme le sourire de Dante.
Chaud. Pourtant, il me tue. D’une main tremblante, je remonte les doigts sous mes yeux. Mon sang est sombre, épais, odorant. L’odeur de fer était aussi prégnante quand j’ai eu mon accident. Le sang de Raylen s’était répandu partout dans l’habitacle de la voiture : une vraie pluie vermeille. Là, c’est plutôt un écoulement.
Ça ne s’arrête pas. Ce n’est pas comme lorsqu’Anthony et ses toutous me tabassent. Mon nez tuméfié, mes lèvres fendues, mes entailles… tout finit par faire des croûtes. À présent, ça coule, coule, coule.
Avec un hoquet de douleur, je presse plus fort les doigts contre mon ventre. J’ai mal. Horriblement mal. Je suis en même temps assourdi par le feu gelé qui s’est emparé de mon abdomen. J’ai l’impression d’avoir un tison brûlant qui me traverse du nombril aux reins.

Il faut que je fasse quelque chose. Je ne vais pas rester ici à me vider de mon sang, hein ?
Zach, bouge.
Il faut que je fasse quelque chose, hein ?
Zach, bouge, tu vas pas crever ici.
Il faut que je fasse quelque chose ?
Zach, fais quelque chose !
Il faut ?
Oui ! Te laisse pas mourir.
Je le mérite… ?
Ils t’attendent. Mark, Lily Rose, Sofia et Philip, Jessica, Dante, Elena, Mr Dalton, Oliver et Sharon, Ashley.

Avec un grognement, j’essaie de tirer mon portable de la poche de mon jeans. Il glisse sous mes doigts humides de sang. Jurant tout bas, je les essuie puis agrippe mon téléphone. Lorsqu’il sort enfin de mon pantalon, il tombe au sol.
Avant de le récupérer, je prends soin de bien essuyer ma main droite. La luminosité de l’appareil m’agresse les rétines lorsque je le déverrouille. Le premier contact qui me vient en tête est Mark, mais ce n’est pas la personne la plus à même de m’aider à cet instant.
J’ai l’impression que mon cœur est coincé contre ma glotte lorsque j’enclenche l’appel. La sonnerie semble résonner bruyamment dans le sous-bois. Quatre… cinq…
– Allô ? lâche Jess d’une voix étonnée.
Que lui dire ? Comment ? Par où commencer ?
Suis-je au moins capable de parler ?
– J-Jess, croassé-je d’une voix étranglée par la douleur.
– Ça va, Zach ? enchaîne-t-elle aussitôt d’un ton angoissé.
– Non, pas vraiment. (J’inspire une gorgée d’air fébrile.) Tu peux… venir ?
– Oui ! Tu es encore dans le sous-bois ?
La gorge comprimée, je grogne un « oui » à peine audible avant d’ajouter faiblement :
– Fais vite, s’il te plaît.
Je ne sais pas combien de temps s’écoule jusqu’à ce que j’entende la voix de mes amis. Peut-être seulement deux minutes. Un laps de temps infime. Un enfer à vivre lorsqu’on se vide de son sang.
Ils me repèrent assez rapidement à l’aide des lumières de leurs téléphones. Dante crie en premier, vite suivi par Jessica. Les jumeaux courent dans ma direction, les traits tordus de peur et d’incompréhension.
– Zach, bordel, ça va ? s’exclame Dante en se laissant tomber près de moi.
Sans douceur, Jessica s’agenouille juste à côté, avant de baisser les yeux vers mon ventre.
Son visage se décompose. Son cerveau compose. Elle comprend, anticipe.
– Il faut appeler une ambulance.
– Oh non, gémit Dante lorsqu’il aperçoit enfin mes mains ensanglantées. Je vais chercher Lily.
Sans attendre de réponse, mon ami bondit sur ses jambes et s’en va en courant. Son départ me fait mal au cœur. J’ai l’impression qu’il m’abandonne. Je sais qu’il n’en est rien, qu’il va simplement chercher de l’aide. Pourtant, j’ai le sentiment que je suis en train de tout perdre.
– Zach, je suis là, souffle soudain Jess en posant une main sur ma joue.
Son contact, tiède, me fait tressaillir dans la fraîcheur des ténèbres.
– Pars pas, la supplié-je en levant les yeux pour observer son visage grave.
Je n’aime pas cette lueur d’horreur dans ses yeux, ce pli angoissé sur ses lèvres, la ride d’impuissance qui fracture son front. Je la préfère sûre d’elle, déterminée, confiante.
Avec délicatesse, elle se penche, jusqu’à ce que je sente son souffle contre mon oreille.
– Je suis là, Zach.
Elle presse gentiment les lèvres contre ma mâchoire, ce qui me fait gémir de frustration et de reconnaissance. Je m’imagine à sa place, obligé de regarder l’être que j’aime se vider de son sang. Je serais sûrement beaucoup moins calme qu’elle ne l’est.

Encore bien trop longtemps plus tard, Dante revient avec Lily Rose. Ils halètent, inspirent bruyamment l’air de la nuit. Mon amie tient son portable à la main, l’écran est encore allumé.
– J’ai appelé une ambulance et mes parents, déclare-t-elle en s’approchant à pas rapides de Jess et moi. Ils se dépêchent de venir. Ma mère va t’aider, Zach.
Incapable de garder son sang-froid plus longtemps, Lily se penche sur mon épaule et fond en larmes. Sofia est urgentiste, elle saura m’aider. Bien que Philip et elle se trouvent juste en face de la maison de Lily, j’ai peur qu’ils n’arrivent pas à temps.
Je ne suis pas dupe, je connais la sensation de la mort. Le froid, la perte de sensations, la douleur sourde, les sens étouffés, l’odeur, les couleurs qui disparaissent. Le vide.
Quand je sens les larmes glisser sur mes joues, j’agrippe les mains de Jessica. Elle me jette un regard terrifié. Je me déteste de la faire souffrir. Je me déteste de les angoisser.
Je me déteste d’être lâche. Si seulement j’avais empêché ces fous de m’attaquer. Si seulement j’avais agi bien avant pour éviter d’être leur bouc émissaire. Si seulement j’avais eu le courage de m’opposer à Anthony avant qu’il ne m’achève.
Si seulement… si seulement.
Quel hypocrite je fais ; il y a quelques minutes à peine, j’affirmais ne rien regretter.
C’est tellement faux.

– Je regrette, chuchoté-je en attirant les mains de Jess vers mon cœur.
Je remarque à peine qu’elle a les doigts ensanglantés par ma faute. Et que mon sang s’écoule plus vite de ma blessure maintenant que je ne maintiens plus de pression dessus. Néanmoins, Dante a l’intelligence de plaquer sa veste contre mon abdomen. Je ne sens plus rien entre mes épaules et mes hanches.
– Pourquoi ? me répond Jessica en me veillant du regard.
Son visage est tout proche du mien. Il vaut mieux ainsi : ma voix porte à peine tant je me sens faible. Je dois faire peur à voir, pourtant Jess reste penchée sur ma bouche. J’ai envie de l’embrasser. Mais je doute qu’elle apprécierait le goût du sang sur ses lèvres.
– Pour tout, trouvé-je la force de répondre. Pour vous : toi, Lily, Dante. Pour Mark.
Soudain, une voix masculine s’écrie :
– Lily Rose, tu es où, ma puce ?
Le ton inquiet de Philip me serre le cœur. En quelques secondes, les adultes nous rejoignent. Philip aide Sofia à transporter son matériel médical. Mark a une veste jetée sur les épaules.
Dès qu’il me voit allongé au sol, entouré de mes amis, il se précipite dans ma direction. Il repousse sans brusquerie Lily Rose pour m’envelopper de la veste qu’il a apportée. Elle porte son odeur et la chaleur de notre foyer.
– Mon garçon, murmure-t-il au-dessus de moi. Qu’est-ce qu’ils t’ont fait ?
Comme je n’ai pas la force de répondre, je secoue la tête.
Avec des paroles fermes, mais bienveillantes, Sofia demande aux jumeaux et à sa fille de s’éloigner. Philip leur conseille d’attendre devant la maison, car les secours vont bientôt arriver. La mort dans l’âme, je les vois partir. Après avoir caressé ma joue, Jess retire ses mains des miennes. J’ai envie de hurler.
En tendant le bras, j’essaie de la retenir, mais Mark saisit délicatement ma main.
– Non, Zach. C’est dur pour elle, n’empire pas les choses.
Il a raison, il a toujours raison. J’ai envie de le haïr pour ça, mais j’en suis incapable.
Alors, la vision brouillée par les larmes et la douleur, je les regarde s’en aller. Leurs épaules sont tombantes, ils se tiennent par les bras, comme pour être sûrs qu’ils ne vont pas s’effondrer au prochain pas. Mes amis, mes confidents, mes gardiens.
Je donnerais cher pour me tenir avec eux plutôt que de les observer s’éloigner au loin, pareils à des fantômes. Avec une déchirure à l’âme, je prends conscience que ce sera peut-être bientôt moi, le fantôme. Terrifié, je me recroqueville, tente de garder la vie en moi, ferme les yeux.




81
Reste



Les traits tirés d’angoisse, Sofia fouille sa mallette à la recherche de compresses. Pourtant, plus j’observe son visage, ses gestes, sa posture, plus je comprends que c’est fichu.
Sofia est une urgentiste chevronnée : elle sait reconnaître les cas désespérés de ceux qui ont encore une chance de s’en sortir. Et la façon dont elle appuie les compresses contre mon ventre en évitant mon regard et ceux de Mark et Philip me dit tout.
La gorge serrée par les sanglots qui crèvent d’envie de s’échapper, j’observe le ciel étoilé à travers le branchage du sous-bois.
– Je vais mourir, hein ? finis-je par lâcher avec nervosité en agrippant le poignet de Sofia.
En ouvrant grand les yeux de surprise, elle relâche la pression contre mon abdomen. Mes doigts laissent des traces rouges sur sa peau pâle. Un moment de silence s’écoule avant qu’elle ne daigne répondre du bout des lèvres :
– Les secours devraient vite arriver. Ils auront de quoi stopper ton hémorragie et stabiliser ton état. Donc tu n’as pas à…
– Arrête, la coupé-je d’un ton sec en affermissant ma prise sur son bras.
Elle pâlit un peu plus dans la pénombre, ce qui accentue la gravité de son visage. Quant à Mark et Phil, je les sens tendus comme des piquets.
– Je perdais pas autant de sang même lorsque j’ai eu l’accident de voiture, ajouté-je faiblement en lâchant son bras pour toucher le tissu trempé de ma chemise.
La belle chemise blanche de Mark, celle qu’il avait portée pour sa fête de fin d’études. Qu’il a accepté de me prêter. Et qui est maintenant imbibée de sang.
– Zachary… chuchote Philip en posant une main sur mon épaule.
Pour éviter d’être confronté à son regard larmoyant, je tourne la tête de côté. Je me sens affreusement mal, entouré de ces trois adultes qui savent bien que ça ne va pas bien.
– Tu vas t’en sortir.
Les mots, durs et péremptoires, de Mark me font presque sursauter. Il y a tant de conviction dans sa voix grave que j’ai presque envie d’y croire. Son ton sec ne me laisse pas le choix. Pourtant… pourtant, cette fois, je ne vais pas pouvoir lui obéir. Pour la première fois depuis cinq ans, je vais sûrement le trahir.
Avec des doigts tremblants, je cherche la main de Mark. Je finis par la trouver à tâtons. L’agrippant comme une bouée de secours, je profite de ce contact pour plonger le regard dans celui de Mark. Ses traits sont aussi durs que d’habitude. Mais une lueur de peur vient éclairer ses yeux sombres. Une lueur qui ne m’est pas familière.
– Mark, commencé-je d’une voix ferme en serrant fort sa main. Mark, j’y suis enfin arrivé.
– Arrivé à quoi ? s’enquiert-il d’un ton pincé.
– À rembourser ma dette.
Cette fois, je ne peux plus les retenir. Comme une digue qui cède, les larmes jaillissent de mes yeux, s’écoulent sur mes joues et finissent dans mon cou. Sofia augmente la pression sur mon abdomen, qui saigne plus abondamment à cause de mes sanglots. Tout en paniquant à moitié, Philip commence à me caresser les cheveux. Mark, quant à lui, se raidit un peu plus.
– Qu’est-ce que tu veux dire ?
– Tu sais très bien, marmonné-je en attirant sa main près de mon cœur, qui est à la fois plein de vie et proche de la mort.
– Tu espères rembourser ta dette en mourant ? intervient sèchement Sofia en me jetant un regard sévère.
Son agacement est un quatrième coup de couteau dans mon ventre. Pourquoi ne comprend-t-elle pas ? Pourquoi ne comprennent-ils pas ?
– C’est ce qui devait arriver depuis le début, insisté-je en fouillant le regard de Mark à la recherche de son approbation. Tu le sais.
– Je sais quoi ? marmonne Mark en se rapprochant de moi pour bien m’entendre.
– Que je dois payer pour mes actes. Disparaître pour rendre justice.
Avant que Sofia ou Phillip n’aient pu ouvrir la bouche, Mark me saisit brusquement par les bras pour m’appuyer contre son épaule.
– Zachary, tu épuises tes forces à raconter des bêtises.
Son visage fermé et son regard tourné vers la maison des Daniels ne laissent supposer aucune discussion. Pourtant, ce n’est pas ce que je veux. Pas alors que je meure.
– Mark, bon sang, m’énervé-je en agrippant sa chemise. Écoute-moi, regarde-moi !
À contrecœur, il m’accorde son attention.
– Laisse-moi finir avant de me couper, je reprends d’un ton las en serrant son bras autour de moi pour être sûr qu’il ne me lâche pas.
Pendant que je lui parle, Sofia coupe ma chemise pour examiner ma blessure. Un pic gelé me troue la gorge lorsque j’aperçois les entailles aux bords déchirés et gorgées de sang sombre. J’ai le ventre qui dégouline jusqu’à mon pantalon.
À mesure que Sofia m’examine, son visage se décompose. Elle n’a pas besoin de dire quoi que ce soit. Par son silence, elle fait l’approbation de ce que je m’apprête à faire : dire adieu à mon père.

– Je… J’espère que ça terminera de rembourser ma dette, chuchoté-je à l’adresse de Mark.
– Ta mort ? (Soudain, il me redresse pour que nos visages ne soient plus qu’à quelques centimètres d’écart.) C’est à toi de m’écouter, Zachary Gibson. En quoi ta disparition me fera-t-elle oublier que j’ai perdu ma femme et mes filles ? En quoi ton absence me soulagera-t-elle ? En quoi ta mort pourrait-elle te pardonner ?
– Mais c’est ce que je mérite depuis toujours.
– Tu te trompes et tu le sais, rétorque-t-il avec colère en secouant la tête. Bordel, Zach, je croyais que nous étions d’accord sur ce point ; que toi et moi, on était tout ce qu’on avait l’un et l’autre. Que mon foyer, c’était toi, et que le tien, c’était moi. Est-ce que je me suis trompé ?
– N-Non, sangloté-je en appuyant ma tête sur son épaule solide. Je suis désolé, Mark. Tellement désolé.
Il ne répond pas tout de suite, les yeux posés sur mon visage. On dirait qu’il va pleurer, lui aussi. Je me sens misérable de lui causer tant de mal. Et je me sens misérable tout court : les sensations commencent à disparaître de mes jambes et un froid mordant remonte dans mes os.
– Reste, mon garçon, murmure-t-il soudainement avant de me serrer contre lui en enfouissant le menton dans mon cou. Me fais pas ça, fiston. J’ai déjà perdu ma femme et mes petites filles. Me quitte pas alors que j’ai retrouvé goût à la vie. Plus rien n’aurait de sens sans toi. Je t’en voudrais toujours, mais tu es celui qui m’a sauvé, Zach. Alors, me laisse pas tout seul, bordel de merde.
J’entends Phil gémir de chagrin à côté de nous. Fidèle à elle-même, Sofia reste silencieuse à l’écart. Elle a conscience qu’il n’y a plus rien à faire.
– Tu m’entends, Zach ?
De plus en plus affaibli, je fais quand même l’effort de hocher la tête en serrant plus fort son bras. Il a beau être brut et distant, sa chaleur est réconfortante et son étreinte, possessive.
– T’es tout ce qu’il me reste, mon garçon.
Ses larmes coulent dans mon cou. Mon sang doit tacher ses vêtements, maintenant qu’il me tient aussi près de lui. En cinq ans, je ne crois pas que l’on se soit rapprochés aussi intimement. Les rares câlins qu’il m’a accordés n’ont jamais duré plus de quelques secondes. Et voilà que je suis blotti contre lui comme si j’avais cinq et demi.
– Reste, chuchoté-je à mon tour en passant les bras dans son dos imposant. Reste, papa.
Pareil à une bulle d’air qui éclate, le mot s’échappe de mes lèvres sans que j’aie le temps de le retenir. Le corps de Mark se tend comme si je venais de le frapper.
– Je suis là. (Il glisse une main à l’arrière de mon crâne pour me soutenir tandis que les forces me quittent.) Je suis là, Zach. Je suis là.
Il ne dit rien, mais commence à effectuer un mouvement de nervosité en basculant sur ses appuis. On pourrait croire qu’il me berce.
– Prends soin de toi, chuchoté-je à son oreille en fermant les yeux.
Ses bras se renforcent autour de moi alors que je m’affaisse contre lui, proche de l’évanouissement. Il me l’avait promis, de veiller sur moi, de toujours être à mes côtés dans les moments difficiles. Et il a tenu son engagement. Contrairement à sa femme et à ses filles, qu’il n’a pas pu soutenir avant la mort, il va pouvoir m’accompagner sur le chemin du retour.
– Me fais pas ça.
Sa voix déborde de sanglots étouffés. Lui, homme pourtant si fier et endurci, se recroqueville sur mon corps ramolli, comme pour m’empêcher de partir.
– J’ai déjà perdu ma famille, finit-il par crier en levant le nez au ciel. Pourquoi lui ? Pourquoi moi ? Pourquoi nous ?
Cédant enfin à la peur et à la tristesse, il fond en larmes en m’écrasant contre son torse large.
– Mon Dieu, par pitié, laissez-moi le garçon. Laissez-le vivre, laissez-moi…
– Mark.
Sofia vient de poser une main sur son épaule. Il tremble et pleure. Pleure et tremble. Mark. Mark le fier, Mark l’ombrageux, Mark le déterminé. Tant de fois brisé, mais jamais abattu.
– Tu vas t’en sortir, soufflé-je d’une voix à peine audible à l’adresse de l’homme qui m’a élevé. Pour Alison, Jade et Holly.
Plutôt que d’acquiescer, il agrippe mes cheveux en plongeant un regard implacable dans le mien.
– Non, Zachary, c’est toi qui vas t’en sortir. Ne te laisse pas abattre, résiste.
En sentant mon menton trembler de faiblesse, je secoue la tête, ce qui fait glisser mes larmes sur le côté.
– Nan, Mark, j’y arrive pas.
Gentiment, il pose une main sur ma joue. Sa paume, bien que rugueuse, est tiède.
– Si, tu vas y arriver. Je suis là, Zach. Tout va bien se passer.
Il me parle d’un ton confiant et réconfortant. Comme à un enfant.
Mais je suis son enfant. Et il s’apprête à me perdre. Alors comment lui en vouloir ?
– Pardon.
J’ai parlé tellement faiblement que je ne suis même pas certain qu’il m’ait entendu.
– Je t’ai déjà pardonné, chuchote-t-il en venant presser ses lèvres sur ma joue. Je t’aime fort, Zach. Reste avec moi, reste.
Je crève d’envie de rester à ses côtés. Mais je suis trop fatigué.
Trop épuisé.
Achevé.
Avec la chaleur de Mark dans le cœur, je laisse le froid s’emparer de ma vie.


Dernière modification par louji le sam. 17 oct., 2020 11:50 am, modifié 3 fois.
15Lina15

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Re: The Debt [Fiction "adolescent/jeune adulte"]

Message par 15Lina15 »

/!\ SPOIL /!\ /!\ SPOIL /!\ /!\ SPOIL /!\

:o :cry: :shock: TU M'AS BRISÉ LE CŒUR !!! :lol:

Je ne m'y attendais pas du tout, tu m'as fait pleurer c'était déchirant comme adieux !!!
Je ne veux aucun indice sur la suite (en espérant qu'elle arrive prochainement bien sûr). Je commenterai vraiment quand je m'en serai remise :lol: :lol:

Bonne soirée et chapeau bas pour ces trois chapitres ;)
15Lina15

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Re: The Debt [Fiction "adolescent/jeune adulte"]

Message par 15Lina15 »

louji a écrit :Bonjour, j'espère que vous allez bien :)
Voici donc la fin de la partie 3 (enfin :lol: ) avec les 3 derniers chapitres (j'en mets 3 d'un coup, car je trouvais bête de n'en mettre que 2 puis 1... :roll: ). Je vous rassure : ce n'est pas la fin-fin de TD, il reste la partie 4, loin d'être aussi conséquente que la partie 3, mais qui clôture plus... sainement l'histoire :roll:




79
L’éclat de la lune



Un portillon permet d’accéder au petit bois derrière le jardin de Lily Rose. Lorsque nous étions plus jeunes, elle et moi y jouions souvent, alternant cache-cache et chasse au trésor. J’ai l’impression d’entendre son rire de l’époque, clair et enfantin, à mon oreille.
Si les parents de Lily Rose n’ont pas changé d’habitude, l’une des clefs qui ouvre le portillon est cachée sous un pot de tulipes. Après avoir soulevé celui-ci, j’aperçois avec soulagement le fameux petit objet. Je dois forcer sur la serrure du portillon, qui n’est pas souvent utilisé. Après avoir donné un petit coup sec contre le montant, je peux enfin sortir du jardin.
Encore un peu nerveux, je glisse la clef dans ma poche puis m’éloigne entre les troncs, impatient de m’aérer l’esprit.

L’obscurité du sous-bois, son silence de nuit, son calme mystérieux, chassent les bribes de souvenirs sanglants qui s’accrochent encore à mes yeux, à mes oreilles, à mon nez et à mes tripes.
Je m’en veux. Je m’en suis voulu toute ma vie. Maintenant que ça commençait à aller, je ne sais pas, un peu mieux, je refais une bourde.
:arrow: Je trouve la formulation un peu tordue


Tout ça pour me fondre dans le moule, pour suivre le groupe. La même erreur qu’avec Raylen : parce que j’avais peur de le perdre, je l’ai suivi dans toutes ses conneries.
Pourtant, j’ai grandi, mûri. Je devrais savoir que Jessica, Lily Rose et Dante se fichent parfaitement que j’aie les mêmes envies qu’eux. Alors je n’aurais jamais dû avaler cette gorgée de bière simplement pour leur ressembler. Ils doivent s’en vouloir, eux aussi. Surtout Jessica : elle sait ma peur de l’alcool, de la drogue et de la conduite. Pourtant, elle m’a proposé la boisson, sûrement par politesse. Je crois qu’elle a oublié, sur le moment, mon sombre passé. J’ai du mal à lui en vouloir : c’est moi le responsable, pas eux. Ce sont les maîtres de leurs actes, pas des miens.
Et j’ai vraiment besoin d’air pour éviter de ne pas m’étrangler de ma propre bêtise.

Avec un soupir, je me laisse choir contre le tronc d’un chêne avant de lever la tête. La lune se balade dans le ciel, océan d’étoiles et de noir. J’entends un ruisseau vers ma droite. Il me semble qu’on faisait des courses de bateaux là-bas, avec Lily Rose.
:?: Ça m'étonne qu'ils aient joué à ça ensemble, je pensais qu'il était plus âgé en arrivant chez Mark et surtout qu'au début il devait avoir du mal à communiquer avec les autres et donc qu'il avait déjà un peu grandi avant de connaître Lily.

L’air est paisible, immobile, envahi par le brouhaha lointain de la fête et par le chant des insectes. Doucement, agréablement, mon cœur se calme et mon souffle ralentit. Le nœud d’angoisse dans ma poitrine se dissipe.
Jusqu’à ce que j’entende des froissements et des éclats de voix.
Avec un sursaut, je bondis sur mes appuis. Qui peut bien se balader en pleine nuit dans le sous-bois qui borde l’arrière du jardin des Daniels ? D’autres jeunes, des convives ayant pris l’air comme moi ?
Puis un rire goguenard envoie mille frissons dans mon dos. Cette voix suave, cette intonation cruelle, ne me mentent pas.
Anthony.

Pétrifié, angoissé à l’idée de les voir apparaître d’une seconde à l’autre, je reste sur place sans bouger, l’oreille tendue. Je reconnais aussi les exclamations bourrues de Nick. Puis une voix plus fluette et craintive : Elliot.
– Je peux pas faire ça, gémit l’intéressé.
– T’as pas le choix, le rabroue sèchement Nick. Tu nous as balancés au directeur, alors tu ferais bien de te rattraper.
– Mais… Anthony, c’est pas un peu trop dangereux ?
– C’est maintenant ou jamais, siffle mon démon d’une voix mauvaise. Le cadre parfait : une soirée entre ados sans adultes, de l’alcool, des disputes… Personne ne se rendra compte de rien et, nous, on sera gagnants.
Mortifié, je recule derrière un tronc proche lorsque je les vois débouler sur ma gauche. De quoi parlent-ils ? Que font-ils ici ? Pourquoi Elliot les suit-il alors qu’il les a trahis ? Sûrement cherche-t-il à se racheter. Mais par quel moyen ?

– Le portillon se trouve juste ici, lance Nick en s’avançant vers la barrière qui délimite le jardin. Il suffit de passer par-dessus.
– Exactement, renchérit Anthony avant de lâcher d’un ton où l’impatience se mêle à la colère et à un soupçon de soulagement : je vais enfin me venger de ce fils de pute.
– Anthony, c’est complètement dingue, trouve le courage d’ajouter Elliot en lui prenant le bras.
– Lâche-moi ! hurle l’adolescent en faisant un brusque mouvement d’épaule.
Déséquilibré, Elliot se retrouve les fesses par terre. D’un geste menaçant, Anthony lui intime de se taire. Pourtant, l’ado chétif ajoute avec détresse :
– Imagine qu’on se fasse choper ? Tout le monde sait que vous avez une dent contre Zach.
– Il suffit qu’on se fasse pas choper, le raille Nick d’un ton méprisant.
Un seau d’eau glacé se vide sur ma tête. Ils me cherchent. Pourquoi ? Que me veulent-ils ?
Te tuer, me rappelle une voix.
Soudain, je fais un pas en avant. Si c’est moi qu’ils cherchent, pas la peine de les laisser gâcher la fête. Je ne veux pas qu’ils blessent Lily Rose, Dante, Jessica ou quelqu’un d’autre.
Je n’ai pas non plus envie qu’ils me blessent, mais je n’ai pas d’autre choix.
– Je suis là, lancé-je d’une voix forte en m’avançant.
Médusés, les trois adolescents tournent la tête dans ma direction. Leurs visages sont étonnés, agacés, soulagés. Pourtant, ils se reprennent vite : Anthony et Nick bondissent dans ma direction en hurlant :
– Tu étais là, sale con ?
Surpris par leur précipitation, je recule, mais pas assez vite. En quelques secondes, ils sont sur moi, m’agrippant les bras.
– Elliot, viens nous aider ! beugle Nick d’une voix sauvage.
Son haleine pue l’alcool. Ses yeux brillent de haine. J’ai soudain peur de revoir la vie en noir et rouge. En ténèbres et en sang. En terreur et en douleur.
Hésitant, Elliot se redresse lentement pendant que ses deux acolytes me plient les bras douloureusement dans le dos. Ils ne sont pas tendres. Jamais.
Un coup de poing dans le plexus de la part de Nick me coupe le souffle et fait monter les larmes à mes yeux. La tête baissée, je n’entends que les pas d’Elliot, les souffles saccadés et alcoolisés de mes deux démons et leur conspiration. Jusqu’à quand comptent-ils me briser ?
Jusqu’à la fin.

Elliot a un visage de marbre, une goutte de sueur à la tempe. Les lèvres pincées, les yeux vides, il s’approche de moi. Puis me saisit le bras, prenant la place d’Anthony. Comme Elliot a une prise moins assurée, Nick me maintient en place encore plus rudement.
Que vont-ils faire ? Me passer à tabac alors que je suis incapable de me défendre ? Comme toujours, leur courage est palpable.
Soudain, le monde bascule. Chavire. M’emmène aux portes de la mort.
Dans la main d’Anthony, il y a un éclat. L’éclat de la lune.

La lame est polie, grise, parfaite. Le couteau brille comme un joyau dans la main de mon démon. Mes yeux restent plantés sur l’arme, mon cœur s’est figé, mon souffle s’est bloqué. Je n’arrive pas à le croire.
Il est armé. Il a un couteau.
Je vais te tuer, je vais te tuer, je vais te tuer.
Les mots d’Anthony, déformés par la jalousie, par la peur, par la colère, me martèlent le crâne.
Un mouvement vif, un scintillement argenté, et le noir commence.
S’ensuit le rouge. Douleur, suffocation, incompréhension. Le feu dans mon ventre, la glace dans mon sang. Un cri d’Elliot, un grognement de Nick, un geignement d’Anthony. Un silence de ma part.
:arrow: J'avoue ne pas avoir compris tout de suite qu'il se faisait déjà poignarder.


Le rouge revient, une deuxième fois. Plus assuré, moins précipité. Plus profond, plus intense, plus sombre. Je suffoque, estomaqué, le ventre troué.
Avec un sanglot étouffé, Elliot lâche mon bras puis prend les jambes à son cou. J’aimerais faire pareil. Mais mes jambes me lâchent, la douleur m’inonde aussi bien le corps que l’esprit.
Pourquoi ?
Pourquoi moi, le garçon qui n’avait rien ? Pourquoi moi, l’ado qui ne demande rien ? Pourquoi moi, l’adulte qui n’a plus rien ?
:arrow: :shock: Magnifique, j'aime trop ^^


Anthony halète, le regard fou. Il tient le couteau, l’éclat de la lune, de deux mains tremblantes. Je remarque qu’un liquide, sombre, épais, lui tache les doigts. Mon rouge, mon sang.
Je suis dans le noir, le vide, la terreur. Je n’entends plus le chant des insectes, seulement l’écoulement de ma vie. Je ne vois plus mes anciens camarades, juste deux démons assoiffés d’envie, de colère, de reconnaissance. Je ne sens plus la terre tiède, les arbres paisibles, mais la peur, moite et collante.
Puis vient le tomber de rideau, le dernier éclat, plus brillant que les deux précédents, plus précis, plus mortel.
La lame tombe au sol, libérée des mains tremblantes d’Anthony. Blême, il jette un regard à Nick, qui est l’unique raison pour laquelle je ne m’affaisse pas. Sans un mot, le joueur de foot me lâche, ramasse l’arme alors que je m’écroule, vidé d’énergie. Le visage fermé, grave, il prend Anthony par le bras, lui murmure quelques paroles, puis l’entraîne loin.

Je suis noir et rouge. Tout et rien. Vide et plein. Peur et terreur. Sang. Sang.
Sang.
Loin.
Je suis loin.

:arrow: Plutôt poétique :D




80
Je regrette



Je suis en train de mourir.
L’évidence me laisse plus pantois que jamais. Pourtant, j’aurais dû m’en rendre compte bien avant : j’étais déjà mort lorsque ma mère m’a abandonné. Déjà mort lorsque j’ai tué la famille de Mark. Déjà mort quand Anthony a juré de me faire payer mes erreurs en me prenant la vie. Au moins, il a tenu sa promesse : trois coups de couteaux.
Trois. Qui aurait cru que ce nombre signifie ma fin ? Trois. Elles étaient trois, les personnes que j’ai tuées ce soir-là. L’épouse et les filles de Mark. Alison, Jade et Holly. Un coup de couteau pour chacune d’entre elles ? Ou une simple coïncidence ?

Avachi sur le flanc, la tête sur une plaque de mousse, les mains crispées contre mon ventre, j’attends. Je l’attends, cette impasse qui me guette depuis toujours. Impasse dans laquelle j’ai failli tomber, plus d’une fois. Mon abandon, mon accident, ma tentative de suicide…
La mort. Ma mort.
Pour de bon, cette fois ?

Je me demande si je regrette. À mon âge, n’importe qui aurait des regrets : ne pas avoir dit « je t’aime » à ses proches, ne pas avoir terminé un livre pour en connaître la fin, ne pas avoir eu la meilleure note dans sa matière préférée, ne pas être sorti avec ses amis ce fameux jour où l’on était malade, ne pas avoir embrassé la personne qu’on aime…
J’ai beau chercher, je ne regrette pas. J’ai dit à Mark que je l’aimais, j’ai terminé tous les livres que j’ai commencés, j’ai les meilleures notes de ma classe en histoire, je n’ai jamais raté les rares sorties que mes amis m’ont proposées et mon dernier baiser remonte à quelques minutes.
:arrow: Un peu lourd et répétitif, non ? :roll:

C’est même le contraire : quelque part, l’éternel coupable en moi exulte. Car il va enfin payer contribution pour ses actes. Payer pour ses crimes. Rembourser sa Dette.
Mourir pour rendre justice à trois innocentes.

L’air frais de la nuit tombe sur moi. Le froid m’envahit. Pourtant, mes doigts sont tièdes, mon ventre brûle. Le liquide qui glisse le long de mes phalanges est chaud. Chaud comme le soleil le matin sur mon visage, chaud comme les baisers de Jess, chaud comme la paume de Mark dans mon dos, chaud comme le rire de Lily et chaud comme le sourire de Dante.
Chaud. Pourtant, il me tue. D’une main tremblante, je remonte les doigts sous mes yeux. Mon sang est sombre, épais, odorant. L’odeur de fer était aussi prégnante quand j’ai eu mon accident. Le sang de Raylen s’était répandu partout dans l’habitacle de la voiture : une vraie pluie vermeille. Là, c’est plutôt un écoulement.
Ça ne s’arrête pas. Ce n’est pas comme lorsqu’Anthony et ses toutous me tabassent. Mon nez tuméfié, mes lèvres fendues, mes entailles… tout finit par faire des croûtes. À présent, ça coule, coule, coule.
Avec un hoquet de douleur, je presse plus fort les doigts contre mon ventre. J’ai mal. Horriblement mal. Je suis en même temps assourdi par le feu gelé qui s’est emparé de mon abdomen. J’ai l’impression d’avoir un tison brûlant qui me traverse du nombril aux reins.

Il faut que je fasse quelque chose. Je ne vais pas rester ici à me vider de mon sang, hein ?
Zach, bouge.
Il faut que je fasse quelque chose, hein ?
Zach, bouge, tu vas pas crever ici.
Il faut que je fasse quelque chose ?
Zach, fais quelque chose !
Il faut ?
Oui ! Te laisse pas mourir.
Je le mérite… ?
Ils t’attendent. Mark, Lily Rose, Sofia et Philip, Jessica, Dante, Elena, Mr Dalton, Oliver et Sharon, Ashley.

Avec un grognement, j’essaie de tirer mon portable de la poche de mon jeans. Il glisse sous mes doigts humides de sang. Jurant tout bas, je les essuie puis agrippe mon téléphone. Lorsqu’il sort enfin de mon pantalon, il tombe au sol.
Avant de le récupérer, je prends soin de bien essuyer ma main droite. La luminosité de l’appareil m’agresse les rétines lorsque je le déverrouille. Le premier contact qui me vient en tête est Mark, mais ce n’est pas la personne la plus à même de m’aider à cet instant.
J’ai l’impression que mon cœur est coincé contre ma glotte lorsque j’enclenche l’appel. La sonnerie semble résonner bruyamment dans le sous-bois. Quatre… cinq…
– Allô ? lâche Jess d’une voix étonnée.
Que lui dire ? Comment ? Par où commencer ?
Suis-je au moins capable de parler ?
– J-Jess, croassé-je d’une voix étranglée par la douleur.
– Ça va, Zach ? enchaîne-t-elle aussitôt d’un ton angoissé.
– Non, pas vraiment. (J’inspire une gorgée d’air fébrile.) Tu peux… venir ?
– Oui ! Tu es encore dans le sous-bois ?
La gorge comprimée, je grogne un « oui » à peine audible avant d’ajouter faiblement :
– Fais vite, s’il te plaît.

Je ne sais pas combien de temps s’écoule jusqu’à ce que j’entende la voix de mes amis. Peut-être seulement deux minutes. Un laps de temps infime. Un enfer à vivre lorsqu’on se vide de son sang.
Ils me repèrent assez rapidement à l’aide des lumières de leurs téléphones. Dante crie en premier, vite suivi par Jessica. Les jumeaux courent dans ma direction, les traits tordus de peur et d’incompréhension.
– Zach, bordel, ça va ? s’exclame Dante en se laissant tomber près de moi.
Sans douceur, Jessica s’agenouille juste à côté, avant de baisser les yeux vers mon ventre.
Son visage se décompose. Son cerveau compose. Elle comprend, anticipe.
– Il faut appeler une ambulance.
– Oh non, gémit Dante lorsqu’il aperçoit enfin mes mains ensanglantées. Je vais chercher Lily.
Sans attendre de réponse, mon ami bondit sur ses jambes et s’en va en courant. Son départ me fait mal au cœur. J’ai l’impression qu’il m’abandonne. Je sais qu’il n’en est rien, qu’il va simplement chercher de l’aide. Pourtant, j’ai le sentiment que je suis en train de tout perdre.
– Zach, je suis là, souffle soudain Jess en posant une main sur ma joue.
Son contact, tiède, me fait tressaillir dans la fraîcheur des ténèbres.
– Pars pas, la supplié-je en levant les yeux pour observer son visage grave.
Je n’aime pas cette lueur d’horreur dans ses yeux, ce pli angoissé sur ses lèvres, la ride d’impuissance qui fracture son front. Je la préfère sûre d’elle, déterminée, confiante.
Avec délicatesse, elle se penche, jusqu’à ce que je sente son souffle contre mon oreille.
– Je suis là, Zach.
Elle presse gentiment les lèvres contre ma mâchoire, ce qui me fait gémir de frustration et de reconnaissance. Je m’imagine à sa place, obligé de regarder l’être que j’aime se vider de son sang. Je serais sûrement beaucoup moins calme qu’elle ne l’est.

Encore bien trop longtemps plus tard, Dante revient avec Lily Rose. Ils halètent, inspirent bruyamment l’air de la nuit. Mon amie tient son portable à la main, l’écran est encore allumé.
– J’ai appelé une ambulance et mes parents, déclare-t-elle en s’approchant à pas rapides de Jess et moi. Ils se dépêchent de venir. Ma mère va t’aider, Zach.
Incapable de garder son sang-froid plus longtemps, Lily se penche sur mon épaule et fond en larmes. Sofia est urgentiste, elle saura m’aider. Bien que Philip et elle se trouvent juste en face de la maison de Lily, j’ai peur qu’ils n’arrivent pas à temps.
Je ne suis pas dupe, je connais la sensation de la mort. Le froid, la perte de sensations, la douleur sourde, les sens étouffés, l’odeur, les couleurs qui disparaissent. Le vide.
Quand je sens les larmes glisser sur mes joues, j’agrippe les mains de Jessica. Elle me jette un regard terrifié. Je me déteste de la faire souffrir. Je me déteste de les angoisser.
Je me déteste d’être lâche. Si seulement j’avais empêché ces fous de m’attaquer. Si seulement j’avais agi bien avant, pour éviter d’être leur bouc émissaire. Si seulement j’avais eu le courage de m’opposer à Anthony avant qu’il ne m’achève.
Si seulement… si seulement.
Quel hypocrite je fais ; il y a quelques minutes à peine, j’affirmais ne rien regretter.
C’est tellement faux.

– Je regrette, chuchoté-je en attirant les mains de Jess vers mon cœur.
Je remarque à peine qu’elle a les doigts ensanglantés par ma faute. Et que mon sang s’écoule plus vite de ma blessure maintenant que je ne maintiens plus de pression dessus. Néanmoins, Dante a l’intelligence de plaquer sa veste contre mon abdomen. Je ne sens plus rien entre mes épaules et mes hanches.
– Pourquoi ? me répond Jessica en me veillant du regard.
Son visage est tout proche du mien. Il vaut mieux ainsi : ma voix porte à peine tant je me sens faible. Je dois faire peur à voir, pourtant Jess reste penchée sur ma bouche. J’ai envie de l’embrasser. Mais je doute qu’elle apprécierait le goût du sang sur ses lèvres.
– Pour tout, trouvé-je la force de répondre. Pour vous, toi, Lily, Dante. Pour Mark.
Soudain, une voix masculine s’écrie :
– Lily Rose, tu es où, ma puce ?
Le ton inquiet de Philip me serre le cœur. En quelques secondes, les adultes nous rejoignent. Philip aide Sofia à transporter son matériel médical. Mark a une veste jetée sur les épaules.
Dès qu’il me voit allongé au sol, entouré de mes amis, il se précipite dans ma direction. Il repousse sans brusquerie Lily Rose pour m’envelopper de la veste qu’il a apportée. Elle porte son odeur et la chaleur de notre foyer.
– Mon garçon, murmure-t-il au-dessus de moi. Qu’est-ce qu’ils t’ont fait ?
Comme je n’ai pas la force de répondre, je secoue la tête.
Avec des paroles fermes, mais bienveillantes, Sofia demande aux jumeaux et à sa fille de s’éloigner. Philip leur conseille d’attendre devant la maison, car les secours vont bientôt arriver. La mort dans l’âme, je les vois partir. Après avoir caressé ma joue, Jess retire ses mains des miennes. J’ai envie de hurler.
En tendant le bras, j’essaie de la retenir, mais Mark saisit délicatement ma main.
– Non, Zach. C’est dur pour elle, n’empire pas les choses.
Il a raison, il a toujours raison. J’ai envie de le haïr pour ça, mais j’en suis incapable.
Alors, la vision brouillée par les larmes et la douleur, je les regarde s’en aller. Leurs épaules sont tombantes, ils se tiennent par les bras, comme pour être sûrs qu’ils ne vont pas s’effondrer au prochain pas. Mes amis, mes confidents, mes gardiens.
Je donnerais cher pour me tenir avec eux plutôt que de les observer s’éloigner au loin, pareils à des fantômes. Avec une déchirure à l’âme, je prends conscience que ce sera peut-être bientôt moi, le fantôme. Terrifié, je me recroqueville, tente de garder la vie en moi, ferme les yeux.




81
Reste



Les traits tirés d’angoisse, Sofia fouille sa mallette à la recherche de compresses. Pourtant, plus j’observe son visage, ses gestes, sa posture, plus je comprends que c’est fichu.
Sofia est une urgentiste chevronnée : elle sait reconnaître les cas désespérés que :arrow: de? ceux qui ont encore une chance de s’en sortir. Et la façon dont elle appuie les compresses contre mon ventre en évitant mon regard et ceux de Mark et Philip me dit tout.
La gorge serrée par les sanglots qui crèvent d’envie de s’échapper, j’observe le ciel étoilé à travers le branchage du sous-bois.
– Je vais mourir, hein ? finis-je par lâcher avec nervosité en agrippant le poignet de Sofia.
En ouvrant grand les yeux de surprise, elle relâche la pression contre mon abdomen. Mes doigts laissent des traces rouges sur sa peau pâle. Un moment de silence s’écoule avant qu’elle ne daigne répondre du bout des lèvres :
– Les secours devraient vite arriver. Ils auront de quoi stopper ton hémorragie et stabiliser ton état. Donc tu n’as pas à…
– Arrête, la coupé-je d’un ton sec en affermissant ma prise sur son bras.
Elle pâlit un peu plus dans la pénombre, ce qui accentue la gravité de son visage. Quant à Mark et Phil, je le :arrow: les? sens tendus comme des piquets.
– Je perdais pas autant de sang même lorsque j’ai eu l’accident de voiture, ajouté-je faiblement en lâchant son bras pour toucher le tissu trempé de ma chemise.
La belle chemise blanche de Mark, celle qu’il avait portée pour sa fête de fin d’études. Qu’il a accepté de me prêter. Et qui est maintenant imbibée de sang.
– Zachary… chuchote Philip en posant une main sur mon épaule.
Pour éviter d’être confronté à son regard larmoyant, je tourne la tête de côté. Je me sens affreusement mal, entouré de ces trois adultes qui savent bien que ça ne va pas bien.
– Tu vas t’en sortir.
Les mots, durs et péremptoires, de Mark me font presque sursauter. Il y a tant de conviction dans sa voix grave que j’ai presque envie d’y croire. Son ton sec ne me laisse pas le choix. Pourtant… pourtant, cette fois, je ne vais pas pouvoir lui obéir. Pour la première fois depuis cinq ans, je vais sûrement le trahir.

Avec des doigts tremblants, je cherche la main de Mark. Je finis par la trouver à tâtons. L’agrippant comme une bouée de secours, je profite de ce contact pour plonger le regard dans celui de Mark. Ses traits sont aussi durs que d’habitude. Mais une lueur de peur vient éclairer ses yeux sombres. Une lueur qui ne m’est pas familière.
– Mark, commencé-je d’une voix ferme en serrant fort sa main. Mark, j’y suis enfin arrivé.
– Arrivé à quoi ? s’enquiert-il d’un ton pincé.
– À rembourser ma dette.
Cette fois, je ne peux plus les retenir. Comme une digue qui cède, les larmes jaillissent de mes yeux, s’écoulent sur mes joues et finissent dans mon cou. Sofia augmente la pression sur mon abdomen, qui saigne plus abondamment à cause de mes sanglots. Tout en paniquant à moitié, Philip commence à me caresser les cheveux. Mark, quant à lui, se raidit un peu plus.
– Qu’est-ce que tu veux dire ?
– Tu sais très bien, marmonné-je en attirant sa main près de mon cœur, qui est à la fois plein de vie et proche de la mort.
– Tu espères rembourser ta dette en mourant ? intervient sèchement Sofia en me jetant un regard sévère.
Son agacement est un quatrième coup de couteau dans mon ventre. Pourquoi ne comprend-t-elle pas ? Pourquoi ne comprennent-ils pas ?
– C’est ce qui devait arriver depuis le début, insisté-je en fouillant le regard de Mark à la recherche de son approbation. Tu le sais.
– Je sais quoi ? marmonne Mark en se rapprochant de moi pour bien m’entendre.
– Que je dois payer pour mes actes. Disparaître pour rendre justice.
Avant que Sofia ou Phillip n’aient pu ouvrir la bouche, Mark me saisit brusquement par les bras pour m’appuyer contre son épaule.
– Zachary, tu épuises tes forces à raconter des bêtises.
Son visage fermé et son regard tourné vers la maison des Daniels ne laissent supposer aucune discussion. Pourtant, ce n’est pas ce que je veux. Pas alors que je meure.
– Mark, bon sang, m’énervé-je en agrippant sa chemise. Écoute-toi :arrow: c'est bien 'toi' et pas 'moi' que tu voulais dire ?, regarde-moi !
À contrecœur, il m’accorde son attention.
– Laisse-moi finir avant de me couper, je reprends d’un ton las en serrant son bras autour de moi pour être sûr qu’il ne me lâche pas.
Pendant que je lui parle, Sofia coupe ma chemise pour examiner ma blessure. Un pic gelé me troue la gorge lorsque j’aperçois les entailles aux bords déchirés et gorgées de sang sombre. J’ai le ventre qui dégouline jusqu’à mon pantalon.
À mesure que Sofia m’examine, son visage se décompose. Elle n’a pas besoin de dire quoi que ce soit. Par son silence, elle fait l’approbation de ce que je m’apprête à faire : dire adieu à mon père.

– Je… J’espère que ça terminera de rembourser ma dette, chuchoté-je à l’adresse de Mark.
– Ta mort ? (Soudain, il me redresse pour que nos visages ne soient plus qu’à quelques centimètres d’écart.) C’est à toi de m’écouter, Zachary Gibson. En quoi ta disparition me fera-t-elle oublier que j’ai perdu ma femme et mes filles ? En quoi ton absence me soulagera-t-elle ? En quoi ta mort pourrait-elle te pardonner ?
– Mais c’est ce que je mérite depuis toujours.
– Tu te trompes, et tu le sais, rétorque-t-il avec colère en secouant la tête. Bordel, Zach, je croyais que nous étions d’accord sur ce point ; que toi et moi, on était tout ce qu’on avait l’un et l’autre. Que mon foyer, c’était toi, et que le tien, c’était moi. Est-ce que je me suis trompé ?
– N-Non, sangloté-je en appuyant ma tête sur son épaule solide. Je suis désolé, Mark. Tellement désolé.
Il ne répond pas tout de suite, les yeux posés sur mon visage. On dirait qu’il va pleurer, lui aussi. Je me sens misérable de lui causer tant de mal. Et je me sens misérable tout court : les sensations commencent à disparaître de mes jambes et un froid mordant remonte dans mes os.
– Reste, mon garçon, murmure-t-il soudainement avant de me serrer contre lui en enfouissant le menton dans mon cou. Me fais pas ça, fiston. J’ai déjà perdu ma femme et mes petites filles. Me quitte pas alors que j’ai retrouvé goût à la vie. Plus rien n’aurait de sens sans toi. Je t’en voudrais toujours, mais tu es celui qui m’a sauvé, Zach. Alors, me laisse pas tout seul, bordel de merde.
J’entends Phil gémir de chagrin à côté de nous. Fidèle à elle-même, Sofia reste silencieuse à l’écart. Elle a conscience qu’il n’y a plus rien à faire.
– Tu m’entends, Zach ?
De plus en plus affaibli, je fais quand même l’effort de hocher la tête en serrant plus fort son bras. Il a beau être brut et distant, sa chaleur est réconfortante et son étreinte, possessive.
– T’es tout ce qu’il me reste, mon garçon.
Ses larmes coulent dans mon cou. Mon sang doit tacher ses vêtements, maintenant qu’il me tient aussi près de lui. En cinq ans, je ne crois pas que l’on se soit rapprochés aussi intimement. Les râles :arrow: faute de circonstance pour le coup :roll: câlins qu’il m’a accordés n’ont jamais duré plus de quelques secondes. Et voilà que je suis blotti contre lui comme si j’avais cinq et demi.
– Reste, chuchoté-je à mon tour en passant les bras dans son dos imposant. Reste, papa.
Pareil à une bulle d’air qui éclate, le mot s’échappe de mes lèvres sans que j’aie le temps de le retenir. Le corps de Mark se tend comme si je venais de le frapper.
– Je suis là. (Il glisse une main à l’arrière de mon crâne pour me soutenir tandis que les forces me quittent.) Je suis là, Zach. Je suis là.
Il ne dit rien, mais commence à effectuer un mouvement de nervosité en basculant sur ses appuis. On pourrait croire qu’il me berce.
– Prends soin de toi, chuchoté-je à son oreille en fermant les yeux.
Ses bras se renforcent autour de moi alors que je m’affaisse contre lui, proche de l’évanouissement. Il me l’avait promis, de veiller sur moi, de toujours être à mes côtés dans les moments difficiles. Et il a tenu son engagement. Contrairement à sa femme et à ses filles, qu’il n’a pas pu soutenir avant la mort, il va pouvoir m’accompagner sur le chemin du retour.
– Me fais pas ça.
Sa voix déborde de sanglots étouffés. Lui, homme pourtant si fier et endurci, se recroqueville sur mon corps ramolli, comme pour m’empêcher de partir.
– J’ai déjà perdu ma famille, finit-il par crier en levant le nez au ciel. Pourquoi lui ? Pourquoi moi ? Pourquoi nous ?
Cédant enfin à la peur et à la tristesse, il fond en larmes en m’écrasant contre son torse large.
– Mon Dieu, par pitié, laissez-moi le garçon. Laissez-le vivre, laissez-moi…
– Mark.
Sofia vient de poser une main sur son épaule. Il tremble et pleure. Pleure et tremble. Mark. Mark le fier, Mark l’ombrageux, Mark le déterminé. Tant de fois brisé, mais jamais abattu.
– Tu vas t’en sortir, soufflé-je d’une voix à peine audible à l’adresse de l’homme qui m’a élevé. Pour Alison, Jade et Holly.
Plutôt que d’acquiescer, il agrippe mes cheveux en plongeant un regard implacable dans le mien.
– Non, Zachary, c’est toi qui vas t’en sortir. Ne te laisse pas abattre, résiste.
En sentant mon menton trembler de faiblesse, je secoue la tête, ce qui fait glisser mes larmes sur le côté.
– Nan, Mark, j’y arrive pas.
Gentiment, il pose une main sur ma joue. Sa paume, bien que rugueuse, est tiède.
– Si, tu vas y arriver. Je suis là, Zach. Tout va bien se passer.
Il me parle d’un ton confiant et réconfortant. Comme à un enfant.
Mais je suis son enfant. Et il s’apprête à me perdre. Alors comment lui en vouloir ?
– Pardon.
J’ai parlé tellement faiblement que je ne suis même pas certain qu’il m’ait entendu.
– Je t’ai déjà pardonné, chuchote-t-il en venant presser ses lèvres sur ma joue. Je t’aime fort, Zach. Reste avec moi, reste.
Je crève d’envie de rester à ses côtés. Mais je suis trop fatigué.
Trop épuisé.
Achevé.

Avec la chaleur de Mark dans le cœur, je laisse le froid s’emparer de ma vie.
C'est vraiment bien écrit. Je ne sais pas comment tu as fait, si tu t'es un peu renseigné sur les sensations ou si tu as tout créé/imaginé mais c'est magnifique et on y croit à fond !!
Merci beaucoup, j'avoue que je ne m'y attendais pas du tout et que j'aime pas mal les morts imprévues de ce genre :roll: :lol: Le chapitre 81 est presque parfait, c'est pour moi un des meilleurs que tu ai écrit en terme de personnage, de construction et de sentiments.
J'attends tout de même la suite pour être certaine qu'il est vraiment mort (surtout s'il y a une 4e partie…), sait-on jamais.
Comme d'habitude, hâte de lire la suite, à bientôt !!
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Re: The Debt [Fiction "adolescent/jeune adulte"]

Message par louji »

15Lina15 a écrit :
/!\ SPOIL /!\ /!\ SPOIL /!\ /!\ SPOIL /!\

:o :cry: :shock: TU M'AS BRISÉ LE CŒUR !!! :lol:

Je ne m'y attendais pas du tout, tu m'as fait pleurer c'était déchirant comme adieux !!!
Je ne veux aucun indice sur la suite (en espérant qu'elle arrive prochainement bien sûr). Je commenterai vraiment quand je m'en serai remise :lol: :lol:

Bonne soirée et chapeau bas pour ces trois chapitres ;)
DÉSOLÉE :lol: J'ai longtemps hésité sur cette partie de l'intrigue, en me demandant si j'en faisais pas trop :geek: Autant j'avais vraiment les idées claires pour les parties 1 et 2, autant les parties 3 et 4 m'ont demandé bien plus de temps de réflexion et d'écriture... et j'avoue ne pas être complètement satisfaite, car de nombreux chapitres seraient à revoir et certains passages sont trop redondants à mon goût... M'enfin, il m'a presque fallu 4 ans pour terminer TD, je vais pas me coller à la correction de suite :lol:

Je pensais qu'on allait s'en douter, quand même ! :o Parce que ça fait un moment que la violence d'Anthony & co est croissante et qu'ils sont de plus en plus sérieux dans leurs menaces... Mais le passage à l'acte a un effet traumatisant c'est vrai :geek:
Je ne dis rien pour la suite, promis :mrgreen: (elle arrive au même rythme de 2 chapitres le vendredi une semaine sur deux ;) )

Mais merci beaucoup à toi pour ton retour et ton enthousiasme ! :D


15Lina15 a écrit :
louji a écrit :Bonjour, j'espère que vous allez bien :)
Voici donc la fin de la partie 3 (enfin :lol: ) avec les 3 derniers chapitres (j'en mets 3 d'un coup, car je trouvais bête de n'en mettre que 2 puis 1... :roll: ). Je vous rassure : ce n'est pas la fin-fin de TD, il reste la partie 4, loin d'être aussi conséquente que la partie 3, mais qui clôture plus... sainement l'histoire :roll:




79
L’éclat de la lune




L’obscurité du sous-bois, son silence de nuit, son calme mystérieux, chassent les bribes de souvenirs sanglants qui s’accrochent encore à mes yeux, à mes oreilles, à mon nez et à mes tripes.
Je m’en veux. Je m’en suis voulu toute ma vie. Maintenant que ça commençait à aller, je ne sais pas, un peu mieux, je refais une bourde.
:arrow: Je trouve la formulation un peu tordue :arrow: Je change, merci ;)

Avec un soupir, je me laisse choir contre le tronc d’un chêne avant de lever la tête. La lune se balade dans le ciel, océan d’étoiles et de noir. J’entends un ruisseau vers ma droite. Il me semble qu’on faisait des courses de bateaux là-bas, avec Lily Rose.
:?: Ça m'étonne qu'ils aient joué à ça ensemble, je pensais qu'il était plus âgé en arrivant chez Mark et surtout qu'au début il devait avoir du mal à communiquer avec les autres et donc qu'il avait déjà un peu grandi avant de connaître Lily. :arrow: Effectivement, c'est un peu enfantin comme activité... je vais réfléchir à autre chose ^^


La lame est polie, grise, parfaite. Le couteau brille comme un joyau dans la main de mon démon. Mes yeux restent plantés sur l’arme, mon cœur s’est figé, mon souffle s’est bloqué. Je n’arrive pas à le croire.
Il est armé. Il a un couteau.
Je vais te tuer, je vais te tuer, je vais te tuer.
Les mots d’Anthony, déformés par la jalousie, par la peur, par la colère, me martèlent le crâne.
Un mouvement vif, un scintillement argenté, et le noir commence.
S’ensuit le rouge. Douleur, suffocation, incompréhension. Le feu dans mon ventre, la glace dans mon sang. Un cri d’Elliot, un grognement de Nick, un geignement d’Anthony. Un silence de ma part.
:arrow: J'avoue ne pas avoir compris tout de suite qu'il se faisait déjà poignarder.
:arrow: C'était bien le but ! :mrgreen: C'est un peu pour faire écho à l'incompréhension totale de Zach et son hébétude... Il met du temps à nommer l'objet comme un couteau et pas une seule fois il ne dit réellement qu'il se fait poignarder... Le doute est voulu ;)

Le rouge revient, une deuxième fois. Plus assuré, moins précipité. Plus profond, plus intense, plus sombre. Je suffoque, estomaqué, le ventre troué.
Avec un sanglot étouffé, Elliot lâche mon bras puis prend les jambes à son cou. J’aimerais faire pareil. Mais mes jambes me lâchent, la douleur m’inonde aussi bien le corps que l’esprit.
Pourquoi ?
Pourquoi moi, le garçon qui n’avait rien ? Pourquoi moi, l’ado qui ne demande rien ? Pourquoi moi, l’adulte qui n’a plus rien ?
:arrow: :shock: Magnifique, j'aime trop ^^
:arrow: Merci ! :D




80
Je regrette





Je me demande si je regrette. À mon âge, n’importe qui aurait des regrets : ne pas avoir dit « je t’aime » à ses proches, ne pas avoir terminé un livre pour en connaître la fin, ne pas avoir eu la meilleure note dans sa matière préférée, ne pas être sorti avec ses amis ce fameux jour où l’on était malade, ne pas avoir embrassé la personne qu’on aime…
J’ai beau chercher, je ne regrette pas. J’ai dit à Mark que je l’aimais, j’ai terminé tous les livres que j’ai commencés, j’ai les meilleures notes de ma classe en histoire, je n’ai jamais raté les rares sorties que mes amis m’ont proposées et mon dernier baiser remonte à quelques minutes.
:arrow: Un peu lourd et répétitif, non ? :roll:
:arrow: La phrase est lourde, oui... Peut-être que je vais la séparer ^^
C’est même le contraire : quelque part, l’éternel coupable en moi exulte. Car il va enfin payer contribution pour ses actes. Payer pour ses crimes. Rembourser sa Dette.
Mourir pour rendre justice à trois innocentes.




81
Reste



Les traits tirés d’angoisse, Sofia fouille sa mallette à la recherche de compresses. Pourtant, plus j’observe son visage, ses gestes, sa posture, plus je comprends que c’est fichu.
Sofia est une urgentiste chevronnée : elle sait reconnaître les cas désespérés que :arrow: de? :arrow: Ouh, oui, merci :lol: ceux qui ont encore une chance de s’en sortir. Et la façon dont elle appuie les compresses contre mon ventre en évitant mon regard et ceux de Mark et Philip me dit tout.
La gorge serrée par les sanglots qui crèvent d’envie de s’échapper, j’observe le ciel étoilé à travers le branchage du sous-bois.
– Je vais mourir, hein ? finis-je par lâcher avec nervosité en agrippant le poignet de Sofia.
En ouvrant grand les yeux de surprise, elle relâche la pression contre mon abdomen. Mes doigts laissent des traces rouges sur sa peau pâle. Un moment de silence s’écoule avant qu’elle ne daigne répondre du bout des lèvres :
– Les secours devraient vite arriver. Ils auront de quoi stopper ton hémorragie et stabiliser ton état. Donc tu n’as pas à…
– Arrête, la coupé-je d’un ton sec en affermissant ma prise sur son bras.
Elle pâlit un peu plus dans la pénombre, ce qui accentue la gravité de son visage. Quant à Mark et Phil, je le :arrow: les? :arrow: Ouip ! :) sens tendus comme des piquets.
– Je perdais pas autant de sang même lorsque j’ai eu l’accident de voiture, ajouté-je faiblement en lâchant son bras pour toucher le tissu trempé de ma chemise.
La belle chemise blanche de Mark, celle qu’il avait portée pour sa fête de fin d’études. Qu’il a accepté de me prêter. Et qui est maintenant imbibée de sang.
– Zachary… chuchote Philip en posant une main sur mon épaule.
Pour éviter d’être confronté à son regard larmoyant, je tourne la tête de côté. Je me sens affreusement mal, entouré de ces trois adultes qui savent bien que ça ne va pas bien.
– Tu vas t’en sortir.
Les mots, durs et péremptoires, de Mark me font presque sursauter. Il y a tant de conviction dans sa voix grave que j’ai presque envie d’y croire. Son ton sec ne me laisse pas le choix. Pourtant… pourtant, cette fois, je ne vais pas pouvoir lui obéir. Pour la première fois depuis cinq ans, je vais sûrement le trahir.

Avec des doigts tremblants, je cherche la main de Mark. Je finis par la trouver à tâtons. L’agrippant comme une bouée de secours, je profite de ce contact pour plonger le regard dans celui de Mark. Ses traits sont aussi durs que d’habitude. Mais une lueur de peur vient éclairer ses yeux sombres. Une lueur qui ne m’est pas familière.
– Mark, commencé-je d’une voix ferme en serrant fort sa main. Mark, j’y suis enfin arrivé.
– Arrivé à quoi ? s’enquiert-il d’un ton pincé.
– À rembourser ma dette.
Cette fois, je ne peux plus les retenir. Comme une digue qui cède, les larmes jaillissent de mes yeux, s’écoulent sur mes joues et finissent dans mon cou. Sofia augmente la pression sur mon abdomen, qui saigne plus abondamment à cause de mes sanglots. Tout en paniquant à moitié, Philip commence à me caresser les cheveux. Mark, quant à lui, se raidit un peu plus.
– Qu’est-ce que tu veux dire ?
– Tu sais très bien, marmonné-je en attirant sa main près de mon cœur, qui est à la fois plein de vie et proche de la mort.
– Tu espères rembourser ta dette en mourant ? intervient sèchement Sofia en me jetant un regard sévère.
Son agacement est un quatrième coup de couteau dans mon ventre. Pourquoi ne comprend-t-elle pas ? Pourquoi ne comprennent-ils pas ?
– C’est ce qui devait arriver depuis le début, insisté-je en fouillant le regard de Mark à la recherche de son approbation. Tu le sais.
– Je sais quoi ? marmonne Mark en se rapprochant de moi pour bien m’entendre.
– Que je dois payer pour mes actes. Disparaître pour rendre justice.
Avant que Sofia ou Phillip n’aient pu ouvrir la bouche, Mark me saisit brusquement par les bras pour m’appuyer contre son épaule.
– Zachary, tu épuises tes forces à raconter des bêtises.
Son visage fermé et son regard tourné vers la maison des Daniels ne laissent supposer aucune discussion. Pourtant, ce n’est pas ce que je veux. Pas alors que je meure.
– Mark, bon sang, m’énervé-je en agrippant sa chemise. Écoute-toi :arrow: c'est bien 'toi' et pas 'moi' que tu voulais dire ? :arrow: Ah non, c'était bien "moi" que je voulais mettre, merci !, regarde-moi !
À contrecœur, il m’accorde son attention.
– Laisse-moi finir avant de me couper, je reprends d’un ton las en serrant son bras autour de moi pour être sûr qu’il ne me lâche pas.
Pendant que je lui parle, Sofia coupe ma chemise pour examiner ma blessure. Un pic gelé me troue la gorge lorsque j’aperçois les entailles aux bords déchirés et gorgées de sang sombre. J’ai le ventre qui dégouline jusqu’à mon pantalon.
À mesure que Sofia m’examine, son visage se décompose. Elle n’a pas besoin de dire quoi que ce soit. Par son silence, elle fait l’approbation de ce que je m’apprête à faire : dire adieu à mon père.

– Je… J’espère que ça terminera de rembourser ma dette, chuchoté-je à l’adresse de Mark.
– Ta mort ? (Soudain, il me redresse pour que nos visages ne soient plus qu’à quelques centimètres d’écart.) C’est à toi de m’écouter, Zachary Gibson. En quoi ta disparition me fera-t-elle oublier que j’ai perdu ma femme et mes filles ? En quoi ton absence me soulagera-t-elle ? En quoi ta mort pourrait-elle te pardonner ?
– Mais c’est ce que je mérite depuis toujours.
– Tu te trompes, et tu le sais, rétorque-t-il avec colère en secouant la tête. Bordel, Zach, je croyais que nous étions d’accord sur ce point ; que toi et moi, on était tout ce qu’on avait l’un et l’autre. Que mon foyer, c’était toi, et que le tien, c’était moi. Est-ce que je me suis trompé ?
– N-Non, sangloté-je en appuyant ma tête sur son épaule solide. Je suis désolé, Mark. Tellement désolé.
Il ne répond pas tout de suite, les yeux posés sur mon visage. On dirait qu’il va pleurer, lui aussi. Je me sens misérable de lui causer tant de mal. Et je me sens misérable tout court : les sensations commencent à disparaître de mes jambes et un froid mordant remonte dans mes os.
– Reste, mon garçon, murmure-t-il soudainement avant de me serrer contre lui en enfouissant le menton dans mon cou. Me fais pas ça, fiston. J’ai déjà perdu ma femme et mes petites filles. Me quitte pas alors que j’ai retrouvé goût à la vie. Plus rien n’aurait de sens sans toi. Je t’en voudrais toujours, mais tu es celui qui m’a sauvé, Zach. Alors, me laisse pas tout seul, bordel de merde.
J’entends Phil gémir de chagrin à côté de nous. Fidèle à elle-même, Sofia reste silencieuse à l’écart. Elle a conscience qu’il n’y a plus rien à faire.
– Tu m’entends, Zach ?
De plus en plus affaibli, je fais quand même l’effort de hocher la tête en serrant plus fort son bras. Il a beau être brut et distant, sa chaleur est réconfortante et son étreinte, possessive.
– T’es tout ce qu’il me reste, mon garçon.
Ses larmes coulent dans mon cou. Mon sang doit tacher ses vêtements, maintenant qu’il me tient aussi près de lui. En cinq ans, je ne crois pas que l’on se soit rapprochés aussi intimement. Les râles :arrow: faute de circonstance pour le coup :roll: :arrow: Oskur merci :lol: câlins qu’il m’a accordés n’ont jamais duré plus de quelques secondes. Et voilà que je suis blotti contre lui comme si j’avais cinq et demi.
C'est vraiment bien écrit. Je ne sais pas comment tu as fait, si tu t'es un peu renseigné sur les sensations ou si tu as tout créé/imaginé mais c'est magnifique et on y croit à fond !!
Merci beaucoup, j'avoue que je ne m'y attendais pas du tout et que j'aime pas mal les morts imprévues de ce genre :roll: :lol: Le chapitre 81 est presque parfait, c'est pour moi un des meilleurs que tu ai écrit en terme de personnage, de construction et de sentiments.
J'attends tout de même la suite pour être certaine qu'il est vraiment mort (surtout s'il y a une 4e partie…), sait-on jamais.
Comme d'habitude, hâte de lire la suite, à bientôt !!
Merci beaucoup ! C'est vrai que ces 3 chapitres avaient été particuliers à écrire, mais j'y avais mis mon coeur ! :D
Je me suis pas du tout renseigné, j'ai juste écrit en essayant de me mettre à la place de chacun des personnages... Tant mieux si ça paraît réaliste ;)
Héhé, je suis contente que ça t'ait surprise, car je pensais avoir laissé assez d'indices pour rendre la chose probable :mrgreen:
Voui, je te laisse voir ça dans la partie 4, les 2 premiers chapitres arrivent vendredi pro ;)

Encore un GRAND merci pour ton commentaire, ça me fait super plaisir que tu suives jusqu'au bout ! :D
louji

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Re: The Debt [Young Adult]

Message par louji »

Aller, c'est parti pour la 4e partie (petite rime :lol: ) !
Il s'agit d'une partie un peu spéciale, qui vous surprendra peut-être en raison des PDV adoptés ^^




Quatrième partie : The beginning

Juin 2015
Colorado, États-Unis d’Amérique
Daree, à une cinquantaine de kilomètres de Denver




82
Philip



Ils patientent dans un silence de terreur. Sofia est debout, près de la clôture, prête à donner ses directives dès que les secours seront là. Le ventre noué d’effroi, Phil observe sa femme. Elle a toujours eu ces qualités essentielles : le calme et la réflexion en période de crise, la capacité à diriger les autres…
– Zach… gémit une voix derrière lui.
Avec un sursaut, Philip se retourne. Recroquevillé sur le corps inerte de l’adolescent, Mark sanglote. Geint, prie, maudit, marmonne. Avec des gestes fébriles, nerveux, ils chassent les boucles sombres du front pâle du jeune homme, caresse ses joues creuses, effleure ses lèvres bleutées.
– Mark, il faut qu’on se prépare à accueillir les secours.
Malgré sa voix claire, il ne l’a pas entendu. Le cœur gelé de peur, Phil réitère sa demande. Cette fois, son ami lève les yeux. Ils ressemblent à deux pierres d’obsidiennes fissurées et plongées dans une rivière de sang.
– Je suis désolé, lâche bêtement Philip en se rapprochant de lui.
Il pose une main sur l’épaule solide de Mark. D’habitude, c’est lui le costaud. L’imperturbable. L’endurci. Ils se sont rencontrés sur les bancs de la fac, sans savoir qu’ils seraient plus tard les témoins de leurs mariages, les voisins de leur allée, les frères de leurs cœurs.
La dernière fois que Philip a vu son ami ainsi brisé remonte à quelques années. Pour être honnête, il ne pensait pas revoir l’homme dans un tel état. Mais le voilà en train de hurler au ciel. Parce qu’on lui arrache sa famille de nouveau. D’abord sa femme et ses filles, maintenant son fils.
Avec un gémissement étouffé, Phil se penche en avant pour presser son front contre l’épaule de Mark. Les dents serrées pour ne pas crier, il glisse des mains protectrices autour du cou de son ami et le broie contre son torse. Ce n’est pas parce qu’on semble fait de roc que notre cœur n’est pas de chair.
Il y a bien longtemps que Phil n’avait pas associé cette pensée à son ami.

– Il va s’en sortir, chuchote Philip à l’oreille de son ami. Mark, tu m’entends ? Il va s’en sortir.
L’avocat a conscience qu’il essaie de se persuader lui-même par la même occasion. Néanmoins, envisager la mort de Zachary le terrifie. Ce serait trop pour lui : il ne veut plus voir son ami brisé, il ne veut plus le savoir seul chez lui, dans la froideur d’un foyer détruit. Depuis quelques mois, il se réjouissait de voir Mark plus souriant et serein. Il était ravi que Zach ait réussi à atteindre le cœur de son ami, pourtant entouré d’une forteresse de pragmatisme et de chagrin.
Et le voilà qui perd sa dernière ancre.
– Les secours arrivent ! s’exclame soudain Sofia d’une voix puissante en se tournant vers eux.
D’un pas déterminé, elle s’approche des deux hommes. Phil lui laisse aussitôt la place, sans lâcher le bras de Mark pour autant.
– Mon ami, murmure l’avocat en raffermissant sa prise. Il faut laisser Sofia et les urgentistes s’en occuper.
Malgré les propos conciliants de Philip et le regard encourageant de Sofia, Mark ne lâche le corps inerte de l’adolescent. Zach a beau faire la même taille que son père adoptif, il n’a l’air que d’un enfant entre les bras puissants de l’homme.
– Mark, laisse-moi m’occuper de lui, souffle gentiment Sofia en posant une main réconfortante sur le bras crispé de son ami.
– Je ne peux pas le laisser partir, marmonne Mark d’un ton étouffé de douleur. J’ai laissé partir Aly et les filles. J’abandonnerai pas Zach, je laisserai pas tomber mon garçon.
– Tu ne l’abandonnes pas, le rassure Sofia d’une voix assurée. Tu me le confies, Mark. Je te le rends juste après. (Elle glisse les doigts sur le visage blême de l’adolescent.) Mark, tu ne peux pas le sauver à la seule force de ta volonté.
Tendrement, elle se penche vers son visage pour lui baiser la joue.
– Laisse-nous prendre soin de lui comme on l’a fait ces dernières années. C’est un peu notre fils, à nous aussi.
Des éclats de voix et des bruits de pas jaillissent derrière eux. Munie de lampes, de trousses de secours et d’un brancard, une équipe de trois personne déboule dans le sous-bois. Aussitôt, Sofia se lève et commence à leur donner des directives.
– Mark.
Cette fois, la voix de Philip a été ferme. Avec un pic de douleur dans le cœur, il tire son ami en arrière. À contrecœur, Mark se laisse basculer, une expression déchirante sur le visage. Sa chemise, ses mains, son menton, sont barbouillés de sang. Peut-être pas le sien, mais tout aussi important.

Avec précaution, les secouristes installent l’adolescent sur la civière. Des compresses propres serrées contre l’abdomen, ils lui fixent un masque à oxygène sur le visage. Phil garde les mains posées sur les épaules de Mark. Il a le sentiment que, s’il le lâche, l’homme va s’effondrer.
– Attendez ! s’exclame soudain Mark en se levant abruptement.
Il échappe à la poigne de son ami et accourt vers le brancard, transporté par les trois secouristes. Sofia jette un regard inquiet à l’homme : ils ont déjà pris du retard, il ne faut pas attendre trop longtemps avant la prise en charge médicale de l’adolescent.
– Je lui dis juste au revoir, souffle Mark en se penchant sur son fils.
Avec précaution, il lui embrasse le front et murmure quelques mots à son oreille. Phil n’est pas assez proche pour l’entendre, mais il n’a pas de doutes sur leur nature.
Le brancard repart avec Sofia. Mark tremble, gémit de manière presque inaudible.
– Je peux partir avec eux ? demande-t-il soudain à brûle-pourpoint en se tournant vers Phil.
– J’en… j’en sais rien.
– Je peux pas le laisser tout seul, reprend Mark en s’engageant derrière la civière. Pardon, Phil, mais je dois rester avec lui.
Dans le jardin, les adolescents sont déconfits. Lily Rose, Jessica et Dante les tiennent à distance des secouristes. Philip lance un regard peiné à sa fille. Dire qu’elle fêtait simplement la fin de son année de lycée…
– Pars avec ton fils, lance soudain Phil à l’adresse de Mark en s’arrêtant au milieu du jardin. Accompagne-le, je reste ici avec les enfants.
Il pose les yeux sur sa fille. Elle va avoir besoin de lui.
– Je vais essayer de calmer la situation comme je peux.
Avec un regard à fendre le cœur, Mark lui adresse un hochement de tête reconnaissant puis s’en va en courant rejoindre son fils inconscient.




83
Lily Rose



Les convives se sont réunis près du portail d’entrée, murmurant, se questionnant, s’effrayant les uns les autres. Avec l’impression d’avoir de l’acide dans la gorge et du plomb dans l’estomac, Lily Rose les amène tous devant chez elle. Avec ce qui s’est passé, elle ne veut pas continuer la soirée. Ses amis doivent rentrer, se mettre en sécurité. L’agresseur de Zach peut encore rôder dans les parages.
– Lily Rose.
La voix de son père fait sursauter l’adolescente, qui se retourne vivement. Phil lui adresse un sourire embarrassé avant de poser une main rassurante sur son épaule.
– Comment tu te sens ?
– Mal, répond-t-elle sans hésiter avant de souffler d’une voix tremblante : Papa, est-ce que Zach…
– Il va s’en sortir, lui assure son père en l’attirant contre lui. Il n’a pas d’autre choix de toute façon, cet imbécile.
– J’ai dit à mes amis d’appeler leurs parents et de ne surtout pas rentrer à pieds ou seul.
Hochant la tête pour approuver sa décision, Philip embrasse son crâne.
– Je suis fier de toi, ma chérie, murmure-t-il en plongeant les yeux dans ceux de sa fille.
– P-Pourquoi ? bredouille Lily Rose en agrippant les mains de son père, confuse.
– Pour ton sang-froid et ta prise en main de la situation. (Il adresse un sourire lumineux à la jeune fille.) Tu tiens bien de ta mère.
Gênée, Lily Rose hoche la tête avant de se retourner vers la quinzaine de convives qui patientent devant la maison. Ils sont perplexes, inquiets ou furieux. Pour certains, si Zach était un parfait inconnu, il est pour d’autres un camarade de classe familier.

– Les enfants ! lance soudain Philip en s’avançant vers les adolescents. Assurez-vous de rentrer chez vous accompagné et évitez la marche à pieds. On ne sait pas où est l’agresseur, alors soyez prudents.
De moins en moins rassurés, les derniers récalcitrants appellent leurs parents pour leur demander de venir les chercher.
Avisant les jumeaux près de la boîte aux lettres, Lily Rose les rejoint d’un pas vif. Dante a l’air d’avoir vu un fantôme et le mascara de Jessica lui a coulé sur les joues. Sans leurs beaux vêtements de soirée, on pourrait les croire prêts à rejoindre une fête d’Halloween.
– Nos parents répondent pas, souffle Jess en agitant son portable. Ils doivent dormir.
– Mince, marmonne Lily Rose en fronçant les sourcils.
Elle observe ses amis tour à tour puis leur propose gentiment :
– Vous voudriez rester dormir ? C’est peut-être ce qui vaut mieux.
Les jumeaux échangent un regard, semblent passer un accord tacite puis hochent la tête.
– Si ça ne dérange pas tes parents, alors… ça nous arrangerait, répond Jessica avec un sourire dépité.
Lily distingue au fond de ses yeux une lueur de peur et de désespoir. Que doit-elle ressentir en voyant le garçon dont elle tombe amoureuse le ventre troué de trois coups de couteau ? Un frisson agite Lily Rose. À l’époque où elle était encore avec Anthony, elle aurait sûrement implosé de vivre une telle chose. Elle ne serait pas restée aussi calme que Jessica.
Avec un pincement au cœur, elle enlace le cou de son amie. Désemparée, Jess laisse passer quelques secondes avant de lui rendre son étreinte.
– Pardon, chuchote-t-elle d’une voix tremblante.
– Ne t’excuse pas, réplique doucement Lily Rose en la broyant contre elle.
– J’arrive pas à y croire. Il disparaît cinq minutes et on le retrouve poignardé. Comment c’est possible ?
– Je ne sais pas, avoue Lily en reniflant contre l’épaule de son amie. Je m’en veux. J’aurais dû faire attention à lui.
– Tu rigoles ? s’exclame Jessica en repoussant gentiment Lily Rose pour la tenir par les épaules. C’est moi qui étais avec lui en dernier. (Jess fait une grimace de douleur.) C’est même moi qui lui ai proposé de prendre l’air. Je sentais qu’il allait pas bien, qu’il avait besoin de reprendre son calme tout seul.
Avec dépit, Jess retire ses mains pour les serrer contre son ventre.
– J’aurais dû y aller avec lui.
Avant que Lily Rose reprenne la parole, Dante s’avance vers elles et lâche avec fermeté :
– Arrêtez, toutes les deux. Ce n’est la faute de personne si ce n’est de son agresseur. (Il agrippe la main de Lily.) Toi, tu as l’impression d’être responsable du monde entier, mais tu ne peux pas t’occuper du monde entier. Lily, tu t’imposes de trop grandes responsabilités… ce qui s’est passé, tu ne pouvais pas l’empêcher.
De son autre bras, il saisit la main de sa sœur. Jessica tressaille.
– Jess, tu dois être celle qui se sent le plus coupable. Mais ce n’est pas ta faute. Et j’insiste. Tu voulais juste aider Zach.
– Et je l’ai conduit à la mort, conclut-elle d’une voix gelée.
Lily Rose se tend, comme piquée par un insecte. La fatalité des mots de Jessica jette un océan de glace et de feu dans son être.
– Il n’est pas mort ? demande-t-elle dans un souffle à peine audible.
– Quoi ? Bien sûr que non ! crie Dante d’un air déterminé.
Comprenant que ses amies ne peuvent être seulement consolées par des mots, il place un bras autour du cou de chacune d’entre elle pour les attirer contre lui. Il les dépasse à peine.
– Il faut qu’on soit forts, chuchote-t-il d’un ton peiné. Pour Zach et pour nous.


Dernière modification par louji le jeu. 22 oct., 2020 12:06 pm, modifié 2 fois.
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Re: The Debt [Young Adult]

Message par louji »

Hello !
Désolée pour le décalage dans la parution des chapitres, j'ai déménagé et me suis retrouvée sans Internet, alors j'avais un peu la flemme de faire un partage de co pour poster :roll: M'enfin, les voilà maintenant !




84
Elena



Elena court, le souffle rapide, ses boucles noires fouettant son front et ses joues. La chaleur du début d’après-midi la fait suer et suffoquer. Le soleil brille sur les vitres des immeubles de Denver. Les sommets des montagnes Rocheuses, au loin, luisent des dernières neiges tenaces.
À pas précipités, elle grimpe les marches qui mènent au petit immeuble d’Oliver. La journaliste a reçu un appel de Mark une demi-heure plus tôt. Elle a juste eu le temps d’envoyer un SMS à son frère pour le prévenir de son passage.
Oliver doit l’avoir entendue grimper les escaliers à toute vitesse, car sa porte est déjà ouverte lorsque la journaliste atteint son palier. Sans hésiter, elle s’approche de son frère et le serre dans ses bras. Désemparé, l’ingénieur lui rend son étreinte maladroitement.
– Elena ? souffle-t-il avec inquiétude en chassant les cheveux qui collent à son visage. Qu’est-ce qui t’arrive ? Tu m’as fichu une frousse bleue avec ton message.
– Oly, halète la journaliste en lui jetant un regard anxieux, il faut qu’on parte à Lake Town.
– Lake Town ? Pour quoi faire ?
– Pour Zach. Il s’est fait agresser, il est à l’hôpital.
Il faut quelques secondes à l’homme pour percuter. Finalement, il dévisage Elena, fronce les sourcils puis recule dans son appartement.
– Agresser ? Mais par qui ? Pourquoi ? Quand ça ?
L’air désolé, Elena secoue la tête.
– J’aimerais te répondre, mais je n’ai aucune information. C’est Mark qui m’a prévenue. Ça te dérange pas si on y va ensemble ?
– Bien sûr que non ! (Il observe un moment le mur à sa droite, l’air hagard, puis se jette sur sa sacoche et ses chaussures.) On prend ma voiture.
Elena hoche la tête puis le suit dans les escaliers. Ils manquent se briser les chevilles en se précipitant. Après être montés dans la petite citadine d’Oliver, ils prennent la direction de l’autoroute qui mène à la banlieue.
– C’est arrivé quand ? ose demander Oliver quinze minutes après leur départ. Comment va Zach ?
– Mark m’en a pas dit beaucoup, avoue Elena en croisant et décroisant les jambes de nervosité. Il m’a appelée trente minutes avant que je passe te voir.
– Mais… reprend l’homme, perturbé et anxieux, il ne t’a vraiment rien dit ?
– Il m’a juste dit que c’était arrivé hier soir. Zach était à une fête avec des amis. Il a été agressé pendant qu’il se baladait à l’arrière du jardin. Il s’est pris trois coups de couteau.
– Mais c’est pas possible, souffle Oliver en écarquillant les yeux, couvrant sa bouche de sa main libre. Bordel. Bordel, bordel.
Elena grimace à son tour. Elle peine à y croire, elle aussi. Un tel barbarisme la laisse stupéfaite. Trois coups de couteau. Pourquoi ? Des jeunes alcoolisés ? Un énorme dérapage, une bagarre qui a mal tourné ou une vengeance ? Mark lui en a révélé si peu… Il faut dire qu’il semblait tout juste avoir atterri. Il est resté toute la nuit et la matinée auprès de Zach. Tout ce que sait Elena, c’est que son neveu est vivant.
Pour l’instant.

Les Dent ont repris leur calme lorsqu’ils se garent devant l’hôpital de Lake Town. La boule au ventre, Elena descend de la voiture puis s’engage vers l’entrée. La présence de son frère la rassure. Même si la douleur reste présente, c’est toujours réconfortant de savoir que d’autres traversent la même épreuve.
On leur indique les soins intensifs et un numéro de chambre. Le frère et la sœur s’y dirigent à pas rapides, préférant les escaliers vides aux ascenseurs occupés, se fiant à leur instinct plutôt qu’aux plans complexes affichés sur les murs. Ils parviennent, heureusement, assez rapidement à la chambre 402.
Une odeur de désinfectant aux agrumes emplit la pièce. Mais aussi une odeur de peur, d’angoisse. Une odeur de mort. L’unique fenêtre de la pièce est cachée par de vieux rideaux blancs. Les nombreuses machines qui entourent le lit simple ronronnent, clignotent et bipent. Affalé sur une chaise, seul, Mark ne les a pas entendus entrer, trop concentré sur la respiration faible qui soulève régulièrement la poitrine de Zach. L’adolescent est pâle, branché à de nombreuses machines : pompe à oxygène, distributeurs de liquide physiologique et de nutriments, poche de sang, électrodes pour surveiller l’activité cardiaque et cérébrale…
– Mark, souffle Elena en s’approchant de l’homme.
Il lui jette un regard de fantôme en se tournant. Des valises ont élu domicile sous ses yeux et ses lèvres sont craquelées de déshydratation. Il a l’air absent.
Le cœur pincé, Elena glisse une main réconfortante sur l’épaule solide de l’homme. Après quelques secondes d’hésitation, Mark lui saisit doucement les doigts. Oliver adresse un regard appuyé à Elena. Il faudra qu’elle lui explique. Les sourires échangés dans la fumée des cafés, les anecdotes familiales racontées près de la cheminée, les rares dîners qu’ils ont pu partager. Mais plus tard, à une autre occasion, dans un moment plus propice.

– Qu’est-ce qui s’est passé ? finit par demander Oliver en s’approchant lentement de l’adolescent, comme effrayé par la possibilité de le réveiller.
– Je ne sais pas, lâche Mark d’une voix atone. Il était à une soirée chez mes voisins. Je les avais invités pour que leur fille ait la maison. C’est elle qui nous a appelés pour nous prévenir que Zach avait été agressé et était blessé. Quand on est arrivés, il y avait juste ses amis.
Il marque une pause, comme pour rassembler son courage avant de prononcer la suite :
– On lui a assené trois coups de couteau. (Même s’ils connaissent déjà les dégâts qu’a subis Zach, Elena et son frère grimacent.) Le temps qu’on arrive sur place, Zach s’était vidé de son sang. Il est resté conscient quelques minutes puis il a perdu connaissance.
Les yeux dans le vague, Mark observe ses paumes. Il s’est lavé les mains plusieurs fois, pourtant il a encore des traces de sang sous les ongles.
– Mais… reprend Oliver, avide d’explications, les secours ont pu le prendre à temps, non ?
Doucement, il pose une main sur le bras inerte de son fils. Elena remarque le tressaillement discret d’un muscle de ses joues : le signe qu’il retient ses larmes. Derrière ses yeux sombres pensifs et sa grande silhouette, Oliver cache une fine sensibilité et une grande empathie.
– Oui, ils ont pu le stabiliser et lui éviter la mort.
Les mots de Mark sont gelés. Elena broie sa main dans la sienne. Comment se sent-il après avoir vu son fils se vider de son sang entre ses bras, échappant à la mort de peu ?
– Mais il est dans le coma, finit par ajouter Mark d’un ton morne.
Il fait un vague mouvement de bras pour désigner la chambre d’hôpital.
– Sans toutes ces machines, on ne sait même pas s’il resterait en vie.
– Bon sang, marmonne Oliver en en prenant la main de Zach dans la sienne.
– Pourquoi ? chuchote sa sœur d’une voix étouffée. Pourquoi ils lui ont fait ça ? Une telle violence… C’est pas possible.
– Ce n’est qu’un enfant, ajoute Oliver dans un souffle, le visage décomposé.
– Je sais bien, répond Mark en les observant tour à tour.
Il arrête son regard sur Elena, qui sent son ventre se nouer. Elle a le sentiment que ce qui est arrivé à Zach risque de briser le début de leur relation. Ou de la renforcer pour de bon.
Tirant une chaise près de celle de Mark, elle s’installe à côté de lui, leurs mains toujours liées. Du mieux qu’elle peut, elle essaie de lui transmettre son affection. Elle a le sentiment de le connaître intimement et, pourtant, de ne rien savoir de lui.
– Merci d’être venus, murmure Mark d’une voix éraillée en les observant d’un regard reconnaissant et vulnérable.
– C’est normal, lui assure Elena en posant la joue contre son épaule. Je serai là aussi longtemps que nécessaire.
Oliver les observe en silence un instant avant de souffler avec conviction :
– Si on peut être utiles à quoi que ce soit… Je me sens assez impuissant, pour être tout à fait honnête. Et perdu.
– Merci pour votre soutien, murmure Mark en dévisageant gravement Oliver.
– Je ne prétends pas avoir la capacité de faire quoi que ce soit, lâche ce dernier, interdit. Mais Zach représente déjà énormément de choses pour moi, bien au-delà de notre lien de sang. Alors, si je peux aider d’une manière ou d’une autre… je le ferai.
Elena esquisse un demi-sourire. Son frère a prononcé ces mots comme s’ils étaient d’une parfaite évidence. Il n’a pas conscience de l’ouverture d’esprit, de l’humanité, dont il a fait preuve en entrant dans la vie de Zach.
– Merci, finit simplement par souffler Mark en fermant les paupières.
Les yeux piquant, Elena remonte la main de l’homme contre son cœur et se blottit contre lui. Elle va tout faire pour les aider, Zach et lui. Parce que ces deux imbéciles au grand cœur le méritent.




85
Dante



Mark Grace et Elena Dent sont déjà présents lorsqu’ils arrivent dans la chambre de Zach. Après que Lily Rose les ait rejoints chez eux, les jumeaux et leur amie se sont rendus à l’hôpital. Il ne se trouve qu’à quinze minutes à pieds de leur immeuble.
– Pardon de vous déranger, souffle Lily Rose en remarquant les mains liées de Mark et de la journaliste.
Zach les avait prévenus du rapprochement entre les deux adultes. Même s’il ne connaît le père de son ami qu’à travers les dires de celui-ci, l’adolescent se sent sincèrement heureux que l’homme ait trouvé bonne compagnie.
– Pas de soucis, murmure Elena Dent, avant de faire un geste vers son compagnon.
Le menton sur la poitrine, l’homme s’est endormi. Lily esquisse un sourire bienveillant puis va déposer le bouquet de fleurs que les trois amis ont acheté ensemble.
Soudain, alors que Dante s’apprête à s’avancer vers le lit, Jessica lui agrippe brusquement la main. Grimaçant sous sa poigne féroce, Dante lui jette un regard désemparé. Sa sœur fixe en silence leur ami inconscient, les yeux écarquillés de peur, les lèvres plissées de douleur.
– Zach, chuchote-t-elle d’une voix à peine audible. Zach…
Son menton se met à trembler, ses paupières à cligner furieusement. Le cœur serré, Dante l’observe sans savoir quoi dire. L’agression de Zach le touche évidemment, mais il a conscience que sa sœur en souffre bien plus. Après tout, un lien puissant a commencé à les unir.
– Jess, souffle-t-il en passant un bras autour des épaules de sa jumelle.
Sans plus attendre, elle commence à pleurer. Percevant ses sanglots, Lily Rose se tourne brusquement vers eux puis grimace. Son empathie et sa propre douleur résonnent : des larmes viennent troubler ses yeux verts.
Dante, quant à lui, repousse au fond de sa poitrine la vague de chagrin qui monte, les sanglots qui s’accrochent à sa gorge. Même s’il parle comme un moulin, gesticule beaucoup, il s’exprime, en réalité, assez peu. Un paradoxe que son entourage n’a pas toujours saisi.

Jessica et Lily Rose se tiennent mutuellement soutien, un bras autour de la taille de chacune d’entre elles, observant leur ami inconscient dans un silence gelé. Il n’y a pas grand-chose à dire face à la brusquerie, à l’absurdité, à la violence de l’agression. Tout s’est passé trop vite. Les coups de couteau – ils n’ont toujours pas retrouvé l’arme, d’après Elena – le sang – Zach en a perdu trop alors il est tombé dans le coma – l’hôpital – il a été emmené aux urgences de Lake Town avant d’être installé dans une chambre individuelle.
Les machines bourdonnent, les souffles se mêlent dans un même cri muet de douleur. Zach semble aux portes de la mort, avec sa peau livide, ses paupières bleues, ses lèvres inertes. Tous savent que seuls les appareils médicaux le maintiennent en vie.
Ils n’ont pas encore reçu l’avis d’un médecin. Elena a avoué aux ados que Mark et elle attendaient l’arrivée d’un spécialiste. Ils ont besoin de savoir comment va se dérouler l’hospitalisation, les soins à apporter à un jeune homme dans le coma, s’il faut espérer le voir se réveiller bientôt… ou jamais.

Vers dix-neuf heures trente, Jessica et Lily Rose, qui ont envie de prendre l’air, se proposent d’aller acheter à manger. Mark choisit de les accompagner, ayant aussi besoin de souffler un moment. Quant à Elena, elle est partie trente minutes plus tôt prendre un train pour Denver. Oliver Dent, que les trois adolescents ont manqué de peu, est parti vers la fin d’après-midi rejoindre son épouse.
Pendant que ses amies et Mark partent acheter à manger, Dante s’installe près du lit de Zach, les épaules basses. Avec un sourire dépité, il lui prend gentiment la main.
– Je sais pas trop ce que les autres s’imaginent. Ton père… tes pères ont l’air morts de trouille. Ta tante aussi. Lily Rose n’a pas dit grand-chose, mais elle est pas très douée pour cacher ce qu’elle ressent. Quant à Jess… sa souffrance est tellement palpable que j’en ai mal aux tripes.
Dante jette un coup d’œil par la fenêtre, plissant les yeux face aux lumières des habitations avoisinantes. Des dizaines de famille se mettent à table, sans savoir ce qui se trame dans cette chambre d’hôpital.
– Je sais pas ce qu’ils s’imaginent, reprend Dante d’une voix distante. Moi, j’pense à rien, Zach. Je pense pas à ton agression, je pense pas à ton séjour à l’hôpital, je pense pas à ton réveil. J’arrive plus à penser. (Dante grimace lorsqu’il sent les larmes lui monter aux yeux. Il retient ces traitresses depuis des heures. À présent, il n’en peut plus.) Je sais pas ce qu’ils s’imaginent, sur moi, sur mon impassibilité. Ils doivent me prendre pour un monstre.
Avec un reniflement, Dante observe le visage immobile de son ami. De sa main libre, il chasse quelques mèches noires du front pâle de l’adolescent.
– Peut-être qu’ils se disent que je suis moins affecté. Mark et Oliver sont tes parents, alors c’est normal qu’ils s’inquiètent. Elena, les Daniels … Même Lily Rose, tu la connais depuis tant d’années, vous êtes si complices, tous les deux. Et Jess… c’est évident que tout ça la fait souffrir. C’est ta copine. (Il lâche un rire nerveux.) Au milieu de tout ça, j’ai l’air d’un imposteur. Je suis l’ami en second plan, le gars un peu cool avec qui tu t’amuses, que les parents apprécient pour sa spontanéité, mais… mais qu’on oublie vite, parce que…
L’adolescent fait un geste vague vers lui-même.
– Parce que je suis diffus, fantomatique. Parce que je manque de présence. De charisme.
Avec tendresse, Dante fait glisser sa main sur la joue de Zach. Il esquisse un demi-sourire en y sentant une barbe naissante. Dire que lui n’a que quelques poils au menton.
– Tu sais que c’est faux, hein, Zach ? Je suis plus que ça. Vieux, je donnerai ma vie pour toi. J’déconne pas. Sans toi…
Il secoue la tête, faisant glisser ses larmes sur le côté.
– Sans toi, je serais pas ici. Sans toi, je saurais pas qui je suis. Peut-être même que je saurais pas que je suis gay !
Devant sa propre révélation, Dante s’esclaffe.
– Tu le savais, hein ? Quand je t’ai parlé du garçon, au collège, qui m’avait amené à me poser des questions. Ce jour-là, quand je t’en ai parlé, à la cantine, tu as fait mine de ne pas comprendre. Mais j’ai vu cette lueur, dans tes yeux. Je savais que tu avais compris.
Avec un soupir, Dante se lève et presse les lèvres sur le front de son ami.
– Zach, contrairement aux autres, je te demanderai pas de te battre. C’est con, en plus, on sait même pas si tu nous entends vraiment. Mais… vieux, fais comme bon te semble. Je sais que t’en as vraiment bavé avec la vie. Alors, si en plus tu dois affronter la mort… Laisse-la te cueillir si c’est trop dur. (Dante se laisse lourdement choir sur sa chaise, comme vidé.) Je t’aime. Ouais, ajoute-t-il en sentant sa voix s’effriter comme du papier mouillé, je t’aime. Et je t’aimerai toujours, pour ton altruisme et ta simplicité.
Avec un regard protecteur pour son ami, Dante lui serre fort la main avant de la lâcher.
– T’as fait de ton mieux, ces dernières années. Tu t’es largement rattrapé. Tu as redonné goût à Mark Grace, tu lui as rappelé qu’être heureux était possible. T’as fait ton job, Zach, alors tu peux partir l’esprit léger. Si c’est ça qui te retient. (L’air grave, Dante ajoute finalement : ) Mais si t’as envie de revenir, de serrer les dents pour goûter encore à cette mégère qu’est la vie, je suis là. Si on doit te porter pour te réapprendre à marcher, on le fera. Si on doit écrire sur du papier pour communiquer, on le fera. Si… on s’en fout, on le fera.
Dante laisse son regard divaguer dans le vide, sourire triste aux lèvres.
– Je suis peut-être pas la personne qui t’aime le plus, ni celle qui te connait le mieux, ni celle en qui tu as le plus confiance… Mais je suis la personne qui te soutiendra quelle que soit ta décision, Zach./size]


Dernière modification par louji le dim. 25 oct., 2020 8:23 pm, modifié 2 fois.
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Re: The Debt [Young Adult]

Message par 15Lina15 »

Salut ! Ça va ?

J'ai bien lu les derniers chapitres, j'attendais juste de voir la suite pour une vision plus globale, déso :roll: :)

J'avoue avoir du mal avec les nouveaux points de vue. Voir Mark dans cet état est vraiment touchant et apporte un côté plus humain au personnage !
J'ai du mal à croire aux conversations des proches sur le lit d'hôpital ou encore la course en voiture d'Elena. La partie avec Dante (bien que je sois pas sûre de tout), je trouve le fond très bon et fais voir l'événement sous tous les points de vue et un en particulier vraiment pertinent pour le coup !!

J'attends de voir la suite en espérant revoir Zach ou peut-être une Jess plus expressive…? :roll:
Bon courage et à bientôt !!
louji

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Re: The Debt [Young Adult]

Message par louji »

15Lina15 a écrit :Salut ! Ça va ?

J'ai bien lu les derniers chapitres, j'attendais juste de voir la suite pour une vision plus globale, déso :roll: :)

J'avoue avoir du mal avec les nouveaux points de vue. Voir Mark dans cet état est vraiment touchant et apporte un côté plus humain au personnage !
J'ai du mal à croire aux conversations des proches sur le lit d'hôpital ou encore la course en voiture d'Elena. La partie avec Dante (bien que je sois pas sûre de tout), je trouve le fond très bon et fais voir l'événement sous tous les points de vue et un en particulier vraiment pertinent pour le coup !!

J'attends de voir la suite en espérant revoir Zach ou peut-être une Jess plus expressive…? :roll:
Bon courage et à bientôt !!
Hello ! Ça va et toi ? ;) Contente de ta reprise en philo ? ^^

Pas de soucis, je comprends le besoin de lire plus pour se faire un meilleur avis ! :)

Ouais, c'est ce dont j'avais peur, la transition PDV interne 1e personne à un PDV interne 3e personne... Et, oui, voir Mark d'un autre PDV que celui de Zach va aussi en révéler long sur lui :)
La conversation qu'ils ont lorsque Elena et Oliver arrivent, c'est bien ça ? (Et celle qu'il y a dans la voiture ?) :geek: Je peux revoir les dialogues, effectivement... Qu'est-ce qui a fait que ça ne te semblait pas crédible ? :) Le manque d'émotions/de réactions des personnages ? Je voulais vraiment mettre en scène l'état de choc et le "j'arrive pas à y croire", mais je peux aussi insister sur l'épouvante des persos :geek:
Pour Dante, contente que tu aies accroché à son PDV, il fait partie de ceux qui me faisaient le plus hésiter :roll:

Merci beaucoup pour ton retour honnête !!

A bientôt ;)
louji

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Re: The Debt [Young Adult]

Message par louji »

Hello !
Voilà la suite de la partie 3, avec deux nouveaux personnages mis à l'honneur... J'espère que ça vous plaira ^^




86
Ashley



Ce n’est que six jours après l’agression de Zach qu’Ashley peut enfin pousser la porte de la chambre d’hôpital.
Sa mère sur les talons – Molly a refusé de la laisser y aller seule – l’adolescente pénètre dans la pièce avec hésitation, appréhendant ce qu’elle va y trouver. Elle aperçoit d’abord le dos large de Mark, ses épaules affaissées, puis la silhouette pâle et inerte de Zach.
– Mark… murmure l’adolescente en s’approchant de lui, presque tétanisée.
Son oncle se retourne avec surprise, ne les ayant pas entendues arriver. Il dévisage d’abord Ashley puis sa sœur. Ils échangent un long regard, chargé de tension.
– Bonjour Mark, lâche Molly d’une voix froide en réajustant son sac à main.
L’homme ne répond pas tout de suite, mortifié. La présence de sa nièce lui rappelle qu’il n’est pas seul. Celle de sa sœur lui donne le sentiment inverse.
– Molly, souffle-t-il du bout des lèvres avant de tendre la main vers sa nièce. Ashley…
L’adolescente se précipite pour le serrer dans ses bras, horrifiée par l’expression avide et triste qu’elle lit sur le visage de son oncle. Il la broie contre lui de ses bras puissants.
– Mark, chuchote-t-elle à son oreille d’une voix qui se veut réconfortante, je suis désolée…
Alors qu’elle se redresse, la gorge serrée, sa mère s’avance vers le lit. Avec un regard inquisiteur, elle demande :
– Qu’est-ce qui s’est passé, exactement ?
Mark attend d’avoir repris ses états avant de répondre :
– On ne sait pas. Tout ce qu’on sait, c’est que quelqu’un lui a administré trois coups de couteau avant de s’enfuir. Il devait avoir un ou plusieurs complices, car Zach a été maintenu en place de force ; il a des bleus sur les bras.
– Allons bon.
Le ton de Molly, un peu sec, fait lever les yeux à Mark. Ashley les observe se défier en silence, craignant que l’orage explose. Ce ne serait vraiment pas le moment…
– Alors, il est dans le coma ? chuchote Ashley d’une petite voix pour détourner l’attention des adultes. Est-ce qu’il va se réveiller bientôt ?
– Oui, il est dans le coma, répond son oncle d’une voix lointaine. Il avait perdu trop de sang. Quant à son réveil… Les médecins nous ont dit que c’était très difficile à prévoir. Son activité cérébrale est présente et stable, ce qui est un très bon signe, mais c’est impossible d’estimer une date.
Quelques secondes s’écoulent avant qu’il n’agrippe les montants du lit à s’en faire blanchir les jointures. Malgré ses lèvres pincées, Ashley l’entend gémir sourdement. Sans hésiter, elle se poste à côté de sa chaise pour appuyer la tête contre son épaule.
– Mark…
– Pardon, lâche-t-il entre ses dents serrées en passant un bras autour des épaules de sa nièce. C’est juste que… c’est dur. (Il déglutit péniblement.) Très dur. Je… j’ai l’impression d’être retourné cinq ans en arrière, quand on m’a annoncé la mort de ma famille.
Avant qu’Ashley ait le temps de répondre, sa mère lâche avec véhémence :
– Ça n’a rien à voir ! (Mark et sa nièce lèvent la tête dans sa direction, ahuris.) Il y a cinq ans, tu as perdu ta famille, Mark. Ta femme et tes filles. Là, c’est différent. Radicalement différent.
– Et en quoi ? grince-t-il en se redressant, piqué à vif.
– Parce que ce garçon n’est pas ta famille. Ce n’est pas ton fils.
– Maman !
– Ashley, n’interviens pas, je t’en prie, ordonne sa mère avec lassitude.
– Molly, reprend calmement Mark en essayant manifestement de contrôler sa colère. Je conçois que ma relation avec Zachary t’échappe. Après tout, tu ne comprends que les liens du sang, hein ? Encore que, avec moi, ça ne t’a pas empêchée de me rayer de ta vie. (Avant que sa sœur n’intervienne, il enchaîne : ) Mais c’est mon fils, Molly. Ma famille, la seule qui me reste avec Ashley.
Il lève les yeux vers sa sœur comme pour la défier. Ils se dévisagent en chiens de faïence.
– Je me fiche de ce que tu peux penser de lui, je l’aime. Et j’ai l’impression de perdre un enfant pour la deuxième fois.
– C’est ridicule, Mark. Et tu es ridicule à te mettre dans un état pareil pour un meurtrier.
Ashley se tend avant même que son oncle ne hausse la voix :
Ridicule ? Je suis ridicule d’avoir choisi la vie plutôt que la mort ? Ridicule d’avoir été plus raisonnable que la vengeance, plus réfléchi que la justice ? Ridicule de nous avoir offert une deuxième chance, à ce garçon et à moi ? C’est ça, que tu es en train de me dire, Molly ? Que je suis ridicule d’aimer plutôt que de haïr ?
Décontenancée par les propos de son frère, la femme ne répond pas tout de suite. Finalement, elle secoue la tête, grimace puis marmonne :
– Toi et moi ne serons jamais d’accord sur ce sujet. À mes yeux, ce garçon méritait d’aller en prison pour ce qu’il avait fait. Tu as choisi de lui pardonner et de l’accueillir chez toi. Eh bien, grand bien te fasse ! Tu ne viendras pas pleurer lorsqu’il te détruira à nouveau.
– Il m’a reconstruit, Molly. Sans lui, je n’aurais pas pu. Le seul moyen qu’il a de me faire souffrir, c’est de mourir. (Il lâche un rire nerveux.) Mais je ne compte plus sur toi pour faire preuve d’empathie, tu n’en as jamais été capable.
Un éclair de douleur traverse les yeux sombres de Molly. Un nouveau pic de souffrance vient s’enfoncer dans le cœur d’Ashley. Elle ne sait plus sur quel pied danser ; les deux parties lui semblent aussi sincères l’une que l’autre…
– Tu sais que c’est faux, murmure la femme d’un ton blessé en détournant le visage.
Mark prend alors conscience de ses propos, se crispe, puis baisse les yeux.
– Le seul conseil que je peux te donner, Mark, c’est de ne pas te laisser aller. De faire le point, de prendre du recul sur la situation. Il y a cinq ans, tu avais toutes les raisons d’être au bout du rouleau. Aujourd’hui, tu as l’opportunité de voir la boucle bouclée, de te sentir vengé en constatant que l’assassin de ta famille est mort.
Pâlissant à vue d’œil, Mark ne répond rien alors que Molly fait un geste vers les machines qui entourent Zach. Ashley écarquille les yeux d’horreur en comprenant ce que sa mère s’apprête à dire.
– Débranche-le, Mark. Fais-en la demande. En tant que responsable légal, tu peux. On ne sait pas s’il se réveillera un jour, autant abréger les choses.
Mark, trop mortifié pour réagir, remarque à peine Ashley qui passe à côté de lui en furie.
– Espèce de monstre ! hurle l’adolescente à l’adresse de sa mère, les yeux brillant de larmes furieuses. Nan mais tu t’entends ? Laisser mourir un enfant ? Mais tu vas pas bien ?!
– Ce n’est pas un enfant, crache Molly en la fusillant du regard. C’est un meurtrier.
– Non, c’est un ado comme les autres ! (Avec colère, elle agrippe les bras de sa mère.) Tu ne sais rien de lui, maman. Moi, j’ai appris à le connaître. Il n’en faut pas beaucoup pour comprendre qui il est vraiment. Et, crois-moi, il mérite de vivre. Il mérite d’être heureux.
Dépitée, Molly secoue la tête en la dévisageant sévèrement. Elle assène enfin :
– Ma pauvre fille, tu vis dans une utopie.
Autant blessée que sa mère peut être indignée, Ashley plisse les yeux et susurre :
– Depuis toute petite, je t’ai écoutée, je t’ai obéie, en étant persuadée que tu voulais mon bien, que tu voulais m’aider à grandir… Mais, aujourd’hui, je ne vois plus qu’une femme aigrie qui ne pense qu’à faire payer aux autres ce qu’elle n’a jamais eu. (Molly écarquille les yeux face à l’effronterie de sa fille.) Maman, il est peut-être temps que tu acceptes le passé, les décisions de Mark… et que tu l’encourages.
Ashley prend soin de reculer pendant que sa mère rassemble ses esprits pour lui répondre. L’adolescente a peur que ça passe aussi par une gifle.
– Espèce de petite impertinente, siffle sa mère d’une voix rauque. Pour qui tu te prends ? Tu n’as aucune idée des différends qui existent entre Mark et la famille. Ça remonte à bien avant la mort de sa femme et ses filles.
– Et ça te tuerait de le soutenir ? murmure sa fille d’un ton abattu, dépité.
Un silence embarrassé lui répond. Avec un lourd soupir, Mark pose une main sur l’épaule de l’adolescente.
– Ashley, ne t’en fais pas pour ça. Je n’ai pas envie de t’impliquer dans ces histoires.
– Mais ça me concerne ! réplique-t-elle avec irritation. Tu es mon oncle et c’est mon cousin !
Sa mère ouvre de grands yeux ébahis devant la façon dont elle nomme Zach. Avec un rictus provocateur, sa fille la toise en silence, prête à en découdre.
– Ashley… (Avec un soupir résigné, Molly secoue la tête puis se dirige vers la porte.) Bornée comme tu es, tu ne m’écouteras jamais. Alors fais donc comme tu veux. Si tu as envie de perdre du temps à soutenir un homme à côté de la plaque et un meurtrier dans le coma, libre à toi.
Sans un regard pour son frère ou pour sa fille, Molly sort de la pièce.
– Je suis désolée, chuchote Ashley en se tordant les mains. J’aurais peut-être pas dû lui parler comme ça.
– Tu as dit ce qui te pesait sur le cœur, et je pense que c’est important, la rassure Mark en déposant un bisou sur son crâne. Et merci d’être là, ça compte beaucoup pour moi.
– Tu rigoles ? C’est normal. C’est… évident.
Le ventre noué d’angoisse après cette confrontation familiale, Ashley s’approche doucement de Zach pour lui toucher la main. Elle tressaille en constatant sa froideur.
– Alors, même si on ne peut pas prévoir de date, il reste une chance qu’il se réveille ?
– Oui, c’est possible.
Du coin de l’œil, l’adolescente observe son oncle. Il a encore pris des années. Des rides qui ne creusaient pas son visage lorsqu’elle l’a revu quelques mois plus tôt. Il ne ment pas lorsqu’il affirme qu’il aime Zach. Qu’il est devenu sa famille.
– Je lui parlerai, murmure Ashley en se tournant vers son oncle. À ma mère. Elle n’est pas méchante. Je suis sûre qu’elle veut ton bien.
– Je n’en doute pas non plus, soupire Mark en se pinçant l’arête du nez. C’est simplement qu’elle est obstinée. J’ai depuis longtemps laissé tomber l’idée de la faire changer d’avis.
– J’essaierai quand même, insiste sa nièce en lui prenant la main. Parce que j’aimerais que le plus grand nombre de personnes possible te soutienne.
– Merci, ma puce, souffle Mark en lui jetant un regard reconnaissant. Je crois que je vais avoir besoin de soutien, en effet..




87
Mr Dalton



Lewis Dalton soupire en parcourant les couloirs aseptisés de l’hôpital. Deux semaines. Il n’a pas eu le temps de se libérer avant. Pourtant, il a été horrifié d’apprendre ce qui était arrivé à l’un de ses élèves.
Le professeur d’histoire pousse un nouveau soupir en débarquant devant la chambre 402. Poussant la porte avec appréhension, il s’engage dans la pièce la gorge serrée. Les gonds grincent derrière lui lorsque la battant se referme.
– Bonjour, souffle le professeur avec hésitation en constatant que la chambre est déjà occupée.
Un homme d’une quarantaine d’années aux traits épuisés et aux joues couvertes de chaume se tourne vers lui. Il lui adresse un regard inquisiteur.
– Je m’appelle Lewis Dalton, se présente celui-ci en s’avançant pour serrer la main à l’homme.
– Mark Grace, répond-t-il laconiquement en lui rendant sa poigne.
Mr Dalton s’étonne de la force de sa main malgré la lassitude palpable qui se dégage de lui.
– Et vous êtes ?
– Oh, pardon, s’empresse d’ajouter Lewis avec un sourire contrit, je suis le professeur d’histoire de Zachary.
– Le fameux, murmure Mark Grace avec un regard où amusement et dépit se mêlent. Zach me parle beaucoup de vous, de vos cours. Il adore l’histoire, vous savez ?
– Vous êtes son père, c’est exact ? s’enquiert le professeur avec un hochement de tête grave.
– Son père adoptif, oui.
– Il parlait de vous comme d’un père de cœur, lui apprend Lewis avec un clin d’œil.
Mark Grace se rembrunit, comme embarrassé. Soudain plus à l’aise, Mr Dalton va poser le livre qu’il tient à la main depuis quelques minutes. Poussant légèrement de côté un pot de fleurs blanches, il le dépose sur la table de chevet puis se tourne vers son élève.
– Je t’ai apporté un manuel d’histoire de terminale. Je sais que la rentrée est encore loin, mais, te connaissant, je me suis dit que ça te ferait plaisir de découvrir le programme.
Avec un sourire las, Mr Dalton tapote la couverture du livre.
– Tu es l’un de mes meilleurs élèves et un passionné comme je n’en ai pas croisé depuis un moment. J’aimerais te revoir en cours à la rentrée.
Lewis soupire de nouveau puis lève les yeux vers Mark Grace, qui l’observe en silence depuis tout à l’heure.
– Vous venez le voir tous les jours ?
– Oui, j’essaie. Je passe le soir, après les cours.
– Les cours ? (Lewis sent un sourire tirer involontairement ses lèvres.) Vous êtes aussi professeur ?
Un petit rictus de connivence plisse la bouche de Mark et réveille la lueur au fond de ses yeux.
– Oui, à l’université. J’enseigne le droit.
– Le droit, murmure Mr Dalton d’un ton pensif en faisant le tour du lit pour rejoindre une chaise, sur laquelle il se laisse choir. Le droit et l’histoire ont toujours été liés.
– En effet.
Mark Grace s’adosse au mur, les bras croisés sur la poitrine, les yeux rivés sur son fils.
– Il m’a raconté, vous savez, reprend Lewis d’une voix calme, ce qu’il a fait à votre famille.
– Ah bon ? s’étonne Mark en lui jetant un regard perplexe. Je pensais qu’il avait tout gardé pour lui.
– Eh bien… un jour, je l’ai retrouvé en larmes dans ma classe. Ça devait être quelques mois après sa rentrée en seconde. Il s’était réfugié là en pensant être seul, mais je suis venu en avance corriger des copies. (Lewis soupire puis observe ses doigts rendus calleux par des années d’écriture.) Quand je l’ai vu dans un état pareil, je suis lui ai demandé ce qui n’allait pas. Je ne sais pas si c’est parce qu’il m’apprécie bien, mais il a accepté de m’ouvrir son cœur et il m’a tout dit.
Mark baisse les yeux, le visage fermé. Se sentant tout d’un coup honteux, Lewis se redresse.
– Enfin, ce n’est pas le sujet, pardonnez-moi de vous avoir rappelé des souvenirs douloureux.
– Il n’y a pas de problèmes, le rassure Mark avec un sourire crispé. Je suis quand même soulagé d’apprendre que Zachary s’est confié à un autre adulte concernant son passé. L’une de mes craintes était qu’il finisse par s’empoisonner à force de garder tous ses remords pour lui sans jamais les exprimer.
– C’est un garçon réservé, murmure Lewis en serrant ses mains ensemble. Mais attentionné et intelligent.
– Je sais.
Lewis observe Mark Grace un instant puis déclare :
– Mais il ne serait pas celui qu’il est sans vous. (Le professeur de droit lui jette un regard surpris.) Ce que vous avez fait… c’était d’un courage inouï. Peu de personnes auraient la force de se sacrifier ainsi.
– Ça n’a pas été facile, reconnaît l’homme avec humilité.
– Vous avez fait de Zachary un jeune homme passionné et rempli de belles valeurs. Vous pouvez être fier de ce que vous avez accompli pour lui.
– Merci, chuchote Mark, visiblement touché. C’est… c’est assez rare que quelqu’un ne me traite pas de fou furieux en apprenant ce que j’ai fait.
– C’était assez osé, reconnaît Lewis avec un éclat de rire. Mais aussi d’une grande générosité.
– Il y avait aussi beaucoup d’égoïsme, nuance Mark Grace d’un ton ferme.
– Alors votre égoïsme a reconstruit deux hommes, réplique gentiment Mr Dalton avec un sourire.
Ne trouvant rien à redire, Mark Grace lui adresse un petit sourire – mais sincère – puis retourne à la contemplation de son fils inconscient.

Mr Dalton, après avoir observé le visage immobile de son élève, se redresse.
– Mr Grace, il y a quelque chose dont je dois vous parler.
Percevant le ton rauque de Lewis, le professeur de droit lui accorde toute son attention.
– Je pense que vous êtes déjà au courant, mais Zachary était victime de harcèlement moral et physique au lycée.
– Oui, souffle Mark Grace du bout des lèvres.
– Je pense qu’on devrait peut-être s’interroger sur ses harceleurs. La police enquête, mais elle n’a trouvé aucunes preuves, pour l’instant.
– C’est exact, approuve Mark d’un ton sec. Alors, vous pensez qu’il a peut-être été victime des mêmes personnes qui le harcelaient au lycée ?
– C’est une possibilité à envisager. Je suis déjà sûr de l’identité de deux lycéens : Anthony Greenlight et Nick Johnson.
Lewis Dalton fronce les sourcils en voyant le visage de Mark se crisper.
– Vous les connaissez ?
– Je connais Anthony de vue, car c’est l’ex-petit-ami de la meilleure amie de Zach.
– Lily Rose Daniels, devine Mr Dalton avec un hochement de tête. Leur séparation a fait le tour du lycée.
– Oui, Zach m’en a parlé… Mais il m’a aussi avoué, un soir après que je sois allé le récupérer en bordure de route parce qu’il s’était fait passer à tabac, le nom de ses agresseurs. Et il s’agissait aussi de Nick et Anthony. De plus, lorsque j’ai témoigné auprès du directeur concernant le harcèlement de Zach, plusieurs élèves ont confirmé l’identité de ces deux garçons.
Ils échangent un long regard. Un accord commun se passe entre les deux hommes.
– Nous devrions les interroger, propose Mr Dalton d’un ton mesuré.
– Et on va le faire, approuve Mark Grace dans un grondement. La police n’a rien trouvé. Je ne compte pas attendre qu’un miracle arrive pour que l’enquête avance. C’est mon fils qui attend entre la vie et la mort. Je ne laisserai pas les enfoirés qui lui ont fait ça impunis.
Alors que le professeur attrape brutalement sa veste pour sortir de la chambre, Lewis Dalton profite de se retrouver seul pour s’approcher de son élève.
– On va trouver qui t’a fait ça, Zachary. Je te le promets. (Son professeur lui adresse un clin d’œil et un sourire.) Comme ça, tu reviendras me voir à la rentrée.


Dernière modification par louji le mer. 28 oct., 2020 8:38 pm, modifié 3 fois.
15Lina15

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Re: The Debt [Young Adult]

Message par 15Lina15 »

louji a écrit :
Hello ! Ça va et toi ? ;) Contente de ta reprise en philo ? ^^

Pas de soucis, je comprends le besoin de lire plus pour se faire un meilleur avis ! :)

Ouais, c'est ce dont j'avais peur, la transition PDV interne 1e personne à un PDV interne 3e personne... Et, oui, voir Mark d'un autre PDV que celui de Zach va aussi en révéler long sur lui :)
La conversation qu'ils ont lorsque Elena et Oliver arrivent, c'est bien ça ? (Et celle qu'il y a dans la voiture ?) :geek: Je peux revoir les dialogues, effectivement... Qu'est-ce qui a fait que ça ne te semblait pas crédible ? :) Le manque d'émotions/de réactions des personnages ? Je voulais vraiment mettre en scène l'état de choc et le "j'arrive pas à y croire", mais je peux aussi insister sur l'épouvante des persos :geek:
Pour Dante, contente que tu aies accroché à son PDV, il fait partie de ceux qui me faisaient le plus hésiter :roll:

Merci beaucoup pour ton retour honnête !!

A bientôt ;)
Salut !! Très bien merci ^_^ et toi ? Tu te plais cette année ? (j'ai oublié tu fais une licence pro ? :roll: )

Oui je trouve que ça fait un peu surfait, la révélation comme quoi il affirme s'inquiéter pour Zach, qu'il le considère comme un fils. Peut-Être que ça manque de sentiments quand il le dit ? Peut-Être que c'était trop prévisible ? Peut-Être que c'est pas le bon moment ? Je sens que toutes les scènes entre Elena et Olivier, il manque quelque chose :roll: :?:
Et c'est vrai que tu as insisté sur les sentiments des personnes sur ces deux chapitres mais perso, j'avais du mal à y croire, ça faisait 'surfait', comme la réaction de Jess qui arrive en dernier et qui est la plus traumatisée. Alors sûrement que ce sont des scènes obligatoirement prévisibles mais, il manque quelque chose j'ai l'impression, pour se sentir concerné et touché.
Oui, pour Dante c'était vraiment intéressant de le voir se révéler comme ça, et ça changeait de la réaction des autres.

Je vais lire les 2chap que tu as sorti avec attention ;)

P.S. : un smiley s'est glissé dans ton texte :arrow: :arrow:
– T’as fait de ton mieux, ces dernières années. Tu t’es largement rattrapé. Tu as redonné goût à Mark Grace, tu lui as rappelé qu’être heureux était possible. T’as fait ton job, Zach, alors tu peux partir l’esprit léger. Si c’est ça qui te retient. (L’air grave, Dante ajoute finalement :) Mais si t’as envie de revenir, de serrer les dents pour goûter encore à cette mégère qu’est la vie, je suis là. Si on doit te porter pour te réapprendre à marcher, on le fera. Si on doit écrire sur du papier pour communiquer, on le fera. Si… on s’en fout, on le fera.
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Re: The Debt [Young Adult]

Message par 15Lina15 »

De retour, après la lecture des 2 nouveaux chapitres ;)

Et… c'était vraiment cool !! Particulièrement le 1er chapitre, c'est intense et j'ai vraiment été prise par les personnages et leurs sentiments, c'était beau. Même si le 2e chapitre était moins fort, c'était agréable de revoir le prof et ça permet du coup de parler de qui l'a agressé.
J'ai bien aimé ce retour "à la normale" si je peux dire, où les esprits sont un peu apaisés et c'est plus la folie. D'autant plus que sur la fin, on sent de l'action se profiler (j'espère que Mark ira voir personnellement ces enfoirés, jouer au petit détective tout ça… :lol: ).

Bonne continuation, ça donne envie de savoir la suite :o :D
louji

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Re: The Debt [Young Adult]

Message par louji »

15Lina15 a écrit : Salut !! Très bien merci ^_^ et toi ? Tu te plais cette année ? (j'ai oublié tu fais une licence pro ? :roll: )

Oui je trouve que ça fait un peu surfait, la révélation comme quoi il affirme s'inquiéter pour Zach, qu'il le considère comme un fils. Peut-Être que ça manque de sentiments quand il le dit ? Peut-Être que c'était trop prévisible ? Peut-Être que c'est pas le bon moment ? Je sens que toutes les scènes entre Elena et Olivier, il manque quelque chose :roll: :?:
Et c'est vrai que tu as insisté sur les sentiments des personnes sur ces deux chapitres mais perso, j'avais du mal à y croire, ça faisait 'surfait', comme la réaction de Jess qui arrive en dernier et qui est la plus traumatisée. Alors sûrement que ce sont des scènes obligatoirement prévisibles mais, il manque quelque chose j'ai l'impression, pour se sentir concerné et touché.
Oui, pour Dante c'était vraiment intéressant de le voir se révéler comme ça, et ça changeait de la réaction des autres.

Je vais lire les 2chap que tu as sorti avec attention ;)

P.S. : un smiley s'est glissé dans ton texte :arrow: :arrow:
Contente que ça te plaise, j'espère que tu te sentiras mieux dans cette voie ;) Nope, je suis partie en L3 classique, dans l'idée de poursuivre en master :)

Je vois très bien ce que tu veux dire ! Les paroles sonnent peut-être assez creuses et "surfaites" ? Et j'ai peut-être été trop dans le descriptif et pas assez dans l'immersif... Je vais retravailler ces chapitres-là ;) Merci pour tes conseils et ton ressenti ! :D

Oh merci pour le smiley ! :lol:

15Lina15 a écrit :De retour, après la lecture des 2 nouveaux chapitres ;)

Et… c'était vraiment cool !! Particulièrement le 1er chapitre, c'est intense et j'ai vraiment été prise par les personnages et leurs sentiments, c'était beau. Même si le 2e chapitre était moins fort, c'était agréable de revoir le prof et ça permet du coup de parler de qui l'a agressé.
J'ai bien aimé ce retour "à la normale" si je peux dire, où les esprits sont un peu apaisés et c'est plus la folie. D'autant plus que sur la fin, on sent de l'action se profiler (j'espère que Mark ira voir personnellement ces enfoirés, jouer au petit détective tout ça… :lol: ).

Bonne continuation, ça donne envie de savoir la suite :o :D
Bon, je suis contente que ces deux chapitres t'aient plus convaincue :D J'ai revu celui d'Elena, j'ai ajouté quelques détails, changé des bouts de phrase... J'espère que ça passera mieux ^^
Merci beaucoup en tout cas, celui d'Ashley était assez intense en émotions, j'avais peur que ça fasse too-much :?
Oui, ils vont enfin se mettre à la recherche des agresseurs... 8-)

Encore un grand merci et bon dimanche ;)
louji

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Re: The Debt [Young Adult]

Message par louji »

Holà !
J'espère qu'octobre se passe bien pour vous :) Le temps passe tellement vite x') D'ailleurs, on approche à vitesse grand V de la fin de The Debt... dans 8 semaines, j'aurais posté tous les chapitres manquants et l'épilogue :D Et si j'arrive à reprendre mon rythme d'écriture, j'en profiterais pour poster une nouvelle histoire sur le forum ;)
D'ici, bon week-end !




88
Elliot



Les cours sont enfin terminés. C’est la seule pensée qui occupe l’esprit d’Elliot alors que, étalé sur son lit, il prolonge sa grasse matinée. Les cours sont terminés, alors il peut enfin souffler. Finies les leçons où il doit se forcer à rigoler aux blagues graveleuses de Nick ou écouter Anthony râler à propos de leurs camarades. Terminés ces regards mauvais qu’il doit jeter aux autres pour conserver son image, ces messes basses qu’il doit sans cesse chuchoter pour s’assurer une position.
Il n’a pas assez d’intelligence, de capacités physiques, de charisme ou de popularité pour se construire seul. Alors il a vite appris à s’approcher des bonnes personnes pour profiter de leur influence. Anthony a la popularité et le charisme ; Nick le protège.

Elliot soupire en enfonçant sa tête dans l’oreiller. Deux semaines et demie depuis l’agression de Zach. Depuis que Nick et Anthony ont débarqué chez lui un beau soir en exigeant qu’il les accompagne jusqu’à la maison de sa voisine. Elliot n’était pas au courant de la fête de Lily Rose. Au début, il était ravi de la visite de ses compagnons. Après tout, Nick et Anthony ne lui adressaient plus la parole depuis qu’il les avait dénoncés auprès du directeur.
C’était arrivé un soir, lorsqu’il avait surpris Lily Rose Daniels devant le bureau de Mr Harrys avec Dante McKinney et un homme qu’une quarantaine d’années. Après les avoir questionnés, il avait appris qu’ils s’apprêtaient à témoigner concernant le harcèlement que subissait Zach. Elliot, brûlant de honte et de l’envie de se racheter, s’était jeté dans l’ouverture qui s’était offerte à lui : il s’était désigné lui-même comme étant l’un des harceleurs de Zachary et avait proposé de dénoncer ses compagnons. En échange, le directeur avait accepté de réduire ses punissions. Il avait dû assister à des heures de cours supplémentaires, réalisé des travaux de rénovation dans le lycée et suivi un accompagnement dans un centre social pour mineurs.
Toutefois, si Elliot s’était senti plus léger après avoir discuté avec le directeur, il avait dû porter un nouveau poids : celui de la trahison. Nick et Anthony n’avaient pas tardé à apprendre qu’il avait cafté et ils lui avaient vite fait comprendre en le mettant de côté et en le poussant dans les couloirs. En réalité, ils avaient été relativement cléments avec lui. Ils auraient pu le passer à tabac, le couvrir de ridicule devant le lycée, le menacer de réduire sa vie en miettes… Comme ils l’avaient fait pour Zachary.
Peut-être, qu’au fond, Nick et Anthony s’étaient attachés à lui. Peut-être que c’était la raison pour laquelle ils lui avaient accordé une seconde chance. Peut-être étaient-ils capables d’apprécier leurs proches. Peut-être.

Pourtant, lorsque Nick et Anthony l’avaient entraîné au beau milieu de la nuit dans les rues silencieuses de Daree, Elliot s’était interrogé. Ses amis semblaient hors d’eux. Ils juraient entre leurs dents serrées, jetaient des coups d’œil nerveux par-dessus leurs épaules, marchaient d’un pas énergique. Trop heureux de partir en escapade avec eux, Elliot s’était laissé embarqué.
Et lorsqu’il avait réalisé ce qui allait se passer, c’était trop tard.
Un pincement aigu traverse la poitrine d’Elliot lorsqu’il se remémore la façon dont Zachary a tressailli sous sa poigne quand Anthony l’a poignardé pour la première fois. Il se rappelle ses yeux clairs horrifiés, sa bouche entrouverte de douleur, la musique sourde qui provenait de la fête. Il se rappelle la satisfaction morbide dans le rictus de Nick, la haine brûlante dans les gestes brusques d’Anthony.
Il se rappelle le sang épais et sombre qui s’est épanoui sur le chemise blanche de Zach. Ses traits décomposés alors qu’il prenait conscience de la situation.

Les mains crispées sur les bords de son oreiller, Elliot y enfonce le front afin de contrer les larmes qui lui montent aux yeux.
Pourquoi ? Pourquoi a-t-il accepté de les suivre ? Pourquoi ne les a-t-il pas arrêtés à temps ? Pourquoi a-t-il participé à l’agression de Zach ?
Parce que tu crevais d’envie de te racheter à leurs yeux. Parce que tu lâche et faible. Parce que tu es peut-être, toi aussi, un monstre.
Les réponses qui surgissent dans son esprit lui donnent envie de hurler. C’est Zach le monstre. Elliot pince les lèvres. Oui, c’est lui le monstre : il a tué une femme et feux fillettes innocentes.
Le sourire réservé et le regard vulnérable de son camarade de classe lui reviennent en tête avec brusquerie. Son air pensif et sa silhouette dégingandée.
C’est pas lui le monstre, le corrige une voix moqueuse. C’est toi. C’est Nick et Anthony. Contrairement à vous, il n’a jamais cherché à blesser, à faire le mal. C’est même le contraire.
Elliot aimerait répliquer, hurler à sa conscience que Zach est quelqu’un de mauvais. Mais il sait qu’il a tort. Il a rencontré le père adoptif de Zach, Mark Grace. L’homme faisait partie des témoins qui ont discuté avec le directeur du harcèlement de Zachary. Et Mr Grace était d’une sincérité déconcertante lorsqu’il a expliqué à quel point son fils était un garçon sérieux et bienveillant. Qu’il faisait tout pour ne pas rendre les coups, que Mark se battait pour faire de lui un jeune homme responsable. Qu’il ne méritait pas les accusations qu’on portait sur lui ; qu’il ne méritait pas les coups qu’on faisait pleuvoir sur lui.
Qu’il n’était pas un monstre. Que c’était eux les monstres.

La sonnerie de la maison l’arrache à ses mauvais souvenirs. Elliot se claque les joues pour reprendre ses esprits puis se dirige vers l’entrée. Comme sa chambre se trouve juste à côté, son visiteur n’a pas à attendre longtemps. Peut-être est-ce Nick ou Anthony. Ils ont dit qu’ils le tiendraient au courant par rapport à Zach.
– Bonjour, Elliot.
L’adolescent se fige sur place en reconnaissant son professeur d’histoire.
– Mr Dalton ?
– J’espère que je ne te dérange pas trop…
– Mes parents ne sont pas là.
– C’est toi que je suis venu noir, l’informe Mr Dalton avec un sourire crispé.
– Moi ?
– Oui, toi, Elliot.
La peur remonte sa colonne vertébrale comme un insecte grouillant et répugnant. Un prof ne vient pas voir un élève pendant les vacances sans une bonne raison.
– Je… c’est mes notes ? bredouille Elliot en baissant les yeux.
Son cœur bat tellement fort contre ses côtes qu’il en a du mal à respirer. Est-ce que Mr Dalton perçoit les battements frénétiques de son palpitant ?
– Non, non, tu passes en dernière année de lycée, ne t’inquiète pas.
– Euh…
– Je suis venu te demander ce que tu faisais la nuit du 20 au 21 juin dernier.
Un coup de poignard perce violemment le ventre de l’adolescent. Il se force à paraître serein, mais les yeux soudain assombris de son professeur disent tout. Mr Dalton n’est pas dupe.
– Je me rappelle pas exactement… commence Elliot en faisant mine de réfléchir. C’était une nuit comme les autres, non ?
– Pas pour certains de tes camarades, souffle Mr Dalton d’un ton cassant. Lily Rose Daniels, qui habite pas loin de chez toi, a organisé une fête.
– J’étais pas au courant…
– Et Zachary Gibson a été agressé pendant cette fête.
Même si Elliot a été acteur de cette agression, il n’éprouve aucunes difficultés à paraître horrifié. Il l’est sincèrement.
– Par l’un des invités ?
– C’est ce qu’on cherche à savoir. Vraisemblablement, non. Tous les invités ont un alibi. On suppose donc que les agresseurs n’étaient pas présents à la fête.
– Les agresseurs ? Comment savez-vous qu’il y en avait plusieurs ? s’enquiert Elliot d’une voix hésitante.
– Il a des bleus sur les bras, comme si on l’avait maintenu en place pendant qu’une tierce personne le poignardait.
Sentant l’horreur monter en lui, Elliot ne répond rien. Il espère que son silence passe pour de la stupéfaction.
– Ma question, Elliot, est la suivante : sais-tu qui a pu faire ça à Zach ? Ou étais-tu présent lorsque son agression a eu lieu ?
– Non et non ! se dépêche de crier l’adolescent, le visage crispé par l’angoisse.
Les traits de son professeur se tirent.
– Calme-toi, Elliot. Réfléchis bien.
– Je ne sais pas, monsieur.
– Elliot. (Mr Dalton pousse un lourd soupir en fermant brièvement les yeux.) Je sais que tu fréquentes Nick et Anthony. (L’ado tressaille, ce qui n’échappe à son prof.) Mon garçon, si tu sais quoi que ce soit, il faut que tu me le dises. Il vaut mieux que ce soit moi que la police, non ?
Pétrifié par l’appréhension et la honte, Elliot se contente de dévisager son professeur sans rien dire.
– Tu as témoigné auprès de Mr Harrys concernant le harcèlement de Zach. Tu sais que Nick et Anthony ont une dent contre lui. Qui plus est, les invités de Lily Rose ont indiqué qu’ils avaient tenté de s’introduire dans la fête. Ils ont ensuite disparu. La police les a interrogés ; Nick et Anthony affirment être restés dehors cette fameuse nuit. Mais personne ne peut indiquer où ils étaient à partir de minuit jusqu’au lendemain matin. Est-ce que tu les as vus ?
Sans savoir quoi faire, Elliot observe les maisons de l’autre côté de la rue. Des dizaines de familles y vivent paisiblement. Comme il le faisait autrefois. À partir de quand a-t-il basculé du mauvais côté ?
– Je ne peux rien dire, monsieur. Parce que je ne sais pas ce qu’ils faisaient à ce moment-là. J’étais chez moi.
Son professeur hoche lentement la tête. Un soupçon de soulagement s’empare de l’adolescent : Mr Dalton serait-il satisfait de ses réponses ?
– Quelqu’un peut-il confirmer ta présence chez toi du 20 au 21 juin ?
– Euh… mes parents. Mais ils sont au boulot, faudra repasser plus tard.
Elliot lance une courte prière pour que son père ou sa mère ne soient pas passés dans sa chambre alors qu’il était absent. Mais il ne pense pas que ce soit le cas, ses parents l’auraient déjà interrogé autrement.
– Je repasserai, alors, confirme son professeur avant de lui adresser un sourire grimaçant. Merci pour tes réponses, Elliot.
– C’est normal, bredouille-t-il d’un ton étranglé. À bientôt, Mr Dalton.
– Passe de bonnes vacances.
Alors même qu’il s’est éloigné et que la porte s’est fermée derrière lui, Elliot sent encore le regard insistant de son professeur. Il a le front et la nuque en sueur. Les mains qui tremblent.
Ils savent. Mr Dalton, le père de Zach, la police, le directeur… Quelqu’un sait. Combien de temps avant qu’ils n’obtiennent les preuves incriminantes ? Combien de temps avant que la vérité éclate, que les connaissances d’Elliot apprennent qu’il a été complice d’une tentative de meurtre ?
Sans pouvoir se retenir plus longtemps, l’adolescent fond en larmes.
C’est tout ce que tu mérites, d’être découvert, souffle méchamment une voix dans son esprit.
Prostré sur le parquet du hall d’entrée, Elliot se tient la tête. Puis il ferme les yeux.
Oui, c’est tout ce qu’il mérite.




89
Oliver



Perdu dans ses pensées moroses, Oliver ne fait pas attention à la personne qui arrive face à lui. Les deux hommes se bousculent en se tapant l’épaule puis reculent de quelques pas.
– P-Pardon, bredouille aussitôt l’ingénieur.
– Pas de problèmes, je ne regardais pas devant moi non plus, avoue son interlocuteur d’un air embarrassé.
Lorsque l’homme prend enfin la peine de regarder Oliver, il tressaille puis ouvre la bouche de surprise. Perplexe, l’ingénieur lui adresse un rictus gêné.
– Vous… commence l’inconnu en clignant précipitamment des yeux. Excusez-moi, c’est juste que l’un de mes élèves vous ressemble terriblement.
– L’un de vos élèves… souffle Oliver, étonné, avant de réaliser : Oh ! Vous êtes l’un des profs de Zach ?
– Oui, son professeur d’histoire. Mais…
– Je m’appelle Oliver Dent, se présente celui-ci en lui tendant la main. Vous devez être Mr Dalton, Zach m’a parlé de vous.
– Il va finir par me faire rougir, soupire le professeur avant de jeter à Oliver un regard sérieux. Alors, je suppose que vous êtes le père biologique de Zach.
– C’est exact. Je passais le voir, vous voulez m’accompagner ?
– Oui, avec plaisir. (Les deux hommes se mettent en marche, direction la chambre 402.) Pour être honnête, je cherchais à joindre Mr Grace. Comme je suis un peu tête en l’air, j’ai oublié de lui demander son numéro.
– Oh, si ce n’est que ça… Tenez le voilà.
Oliver tend l’écran de son smartphone au professeur, qui grimace.
– Est-ce que vous pourrez me l’écrire sur un bout de papier, une fois dans la chambre ? J’ai laissé mon portable chez moi. Je ne suis pas très… accro.
– Mieux vaut ça que le contraire, sourit Oliver avant de consulter sa montre. Normalement, Mr Grace devrait arriver d’ici quinze-vingt minutes. Vous pourrez le voir à ce moment-là.
– Je venais pour ça, avoue le professeur avec un petit rire. Je sais qu’il passe tous les soirs à l’hôpital, alors j’espérais le retrouver.
Oliver hoche la tête, pensif. Comme Mark Grace, il aimerait passer tous les jours voir son fils. Mais la distance entre l’hôpital et Denver ainsi que ses horaires de travail le restreignent.
Son seul réconfort est de savoir Mr Grace près de Zach le soir.

Les deux hommes s’installent tranquillement dans la chambre d’hôpital. Comme toujours, les machines ronronnent doucement, envoyant de l’air dans les poumons de Zach, de l’eau dans son corps et des nutriments dans ses veines.
Oliver, fidèle à sa petite habitude, s’approche du lit et saisit gentiment la main pâle et inerte de son fils.
– Bonsoir, Zach, c’est Oliver. Ma journée a été plutôt intense, mais j’ai pu me libérer assez tôt pour passer te voir.
L’homme marque une pause en sentant les larmes lui monter aux yeux. Contrairement à Mark Grace, qui laisse peu paraître son chagrin, Oliver a du mal à masquer son émotivité.
– Il… il faut que je te dise quelque chose, Zachary. Tu dois t’en rappeler, mais Sharon et moi devions nous marier en août. C’était un événement d’autant plus important que tu venais d’entrer dans ma vie. Néanmoins, avec ce qui s’est passé…
Oliver jette un regard embarrassé au professeur, qui s’est assis sur une chaise à l’écart. Même si Mr Dalton entend tout des paroles d’Oliver, il fait mine de lui laisser de l’intimité.
– Nous avons décidé d’annuler le mariage.
Oliver, qui n’a pas prononcé ces mots à voix haute depuis plusieurs jours, grimace. L’événement devait avoir lieu dans un mois, quelques années après ses fiançailles avec Sharon. Celle-ci a été la première à souffler l’idée. Peut-être moins chamboulée que son fiancé, mais tout aussi touchée, la femme n’avait plus le goût à ce mariage.
Et ça tombait bien pour Oliver, car lui non plus.

Quinze minutes après leur arrivée, la porte s’ouvre. Mark Grace jette un regard étonné aux deux hommes puis souffle en fermant derrière lui :
– Bonsoir, Mr Dent. Bonsoir, Mr Dalton.
– Bonsoir, répondent en chœur ces derniers d’un ton grave.
Oliver, assis près du lit, observe du coin de l’œil Mark s’installer sur la dernière chaise disponible. Il semble déjà avoir maigri, en l’espace de deux semaines et demie. Pris quelques années, aussi. L’ingénieur se demande s’il est aussi marqué physiquement.
– J’ai interrogé le jeune Elliot, déclare soudain Mr Dalton en se redressant sur sa chaise. Il y a deux jours.
– Alors ? s’enquiert aussitôt Mark Grace avec un vif intérêt, les épaules tendues.
– Il semblait nerveux, mais aussi sincèrement stupéfait par ce qui est arrivé à Zach, comme si… il n’en revenait pas. (Mr Dalton se gratte derrière l’oreille, pensif.) Je suis plutôt mitigé le concernant. On dirait qu’il sait des choses et, qu’en même temps, il n’arrive pas à y croire, comme s’il était simple spectateur des événements.
– Vous lui avez demandé, pour Nick et Anthony ?
– Bien sûr. Il affirme ne pas les avoir vus, la nuit du 20 au 21 juin. De plus, ses parents devraient pouvoir confirmer sa présence chez lui ce fameux soir.
– Bon sang, jure Mark entre ses dents, des veines saillant sur ses tempes.
– Nous devrions quand même le surveiller, ajoute le professeur d’histoire d’une voix lasse. Il était très nerveux. C’est un garçon assez émotif et il semblait vraiment prêt à craquer, comme si… comme s’il avait des choses à cacher et qu’il crevait d’envie de les libérer.
Oliver a les mains moites. D’après la discussion entre les deux hommes, ils auraient une piste concernant les agresseurs de Zach. Impatient d’en savoir plus, l’ingénieur se penche en avant.
– Pourriez-vous m’en dire plus, sur cet Elliot ? C’est un camarade de classe de Zach ?
– C’est exact, répond Mr Dalton en se tournant vers lui, grave. Elliot a témoigné, il y a quelques semaines, avec des amis de Zachary et Mr Grace, sur le harcèlement que vit votre fils au lycée. Elliot a été l’un de ses harceleurs. (Une bouffée violente de colère s’empare d’Oliver, qui se force à déglutir.) Néanmoins, il nous a surtout renseignés sur l’identité de deux garçons qui s’en prennent souvent à Zachary : Anthony Greenlight et Nick Johnson. Ces deux-là sont de potentiels suspects à nos yeux.
– Je vois, souffle l’ingénieur d’une voix étranglée par l’émotion.
– Ces deux petites enflures ont déjà sévèrement blessé Zach, précise Mark d’un ton rauque. Si ça ne tenait qu’à moi, je serais déjà allé les voir pour leur demander des comptes.
– Mais on ne peut rien faire sans preuves, comprend Oliver d’un air fataliste.
– C’est pour cela qu’on compte sur Elliot, leur ami, explique Mr Dalton avec un rictus agacé. Je l’ai senti sous pression, quand je suis allé le voir. J’espère que ma visite va le faire cogiter. Et qu’il s’ouvrira à nous si jamais il est au courant de certaines choses.
– Espérons, marmonne Oliver en joignant les mains pour les éviter de trembler.
Il se sent à la fois soulagé et terriblement en colère. Ils ont des noms, une piste. Et pourtant… Zach l’a prévenu assez rapidement du harcèlement dont il était victime au lycée. Néanmoins, comme ils venaient juste de faire connaissance, il avait mis ce point noir de côté, préférant s’intéresser aux passions et craintes de l’adolescent. À présent, il s’en veut terriblement. Si Mr Dalton et Mark Grace ont raison, si Nick et Anthony sont bel et bien responsables du coma de Zach…
Oliver jure tout bas en pressant son poing contre son front. Si seulement il s’était plus inquiété de son fils. S’il avait prêté attention à ses problèmes… Peut-être aurait-il pu éviter un tel accident.
Peut-être aurait-il pu le sauver à temps.

Oliver ne sait pas combien de temps s’est écoulé lorsque Mr Dalton s’excuse puis les laisse seuls. En relevant la tête, l’esprit rendu confus par les interrogations, l’ingénieur manque lâcher un rire nerveux. Le voilà en compagnie du deuxième père de Zach.
– Ça vous arrive ?
– De quoi ?
– De vous sentir impuissant. D’être persuadé que vous auriez pu le sauver si vous aviez agi à temps. De vous sentir responsable de son accident.
– Tous les jours. À chaque instant, répond sincèrement Mark Grace avec un sourire dépité.
Oliver, la gorge nouée par la frustration, par la peur et le chagrin, dévisage l’homme. Comment fait-il, malgré la situation, pour garder cet aspect fier ? Oliver décèle sans mal la douleur de Mark. Malgré tout, le professeur de droit conserve son regard déterminé, son air confiant.
– C-Comment faites-vous ? Pour rester aussi calme ? Pour ne vous arracher les cheveux ?
– C’est peut-être parce que je l’ai déjà vécu, souffle Mark d’un air lointain.
Lorsqu’il comprend les propos de l’homme, Oliver s’empourpre sous le coup de la honte.
Évidemment ! se maudit-il mentalement en détournant les yeux. Pourquoi n’y a-t-il pas pensé avant ? Ce n’est malheureusement pas la première fois que Mark Grace doit encaisser ce genre de nouvelle.
– Même après cinq ans, il y des matins où je me réveille avec les larmes aux yeux, continue le professeur de droit d’un ton distant. Je me sens oppressé, désespéré. Je me répète sans cesse : « Mark, Mark ! elles seraient en vie si tu les avais accompagnées. Elles seraient en vie si tu les avais retenues. » Et toute la journée « si, si, si… ».
Avec une grimace dépitée, Mark se tourne vers Oliver.
– Mr Dent, j’aimerais vous dire qu’on cesse d’avoir des remords. Mais c’est faux. Ils vous accompagnent jusqu’au bout, même quand vous avez oublié ce que ça faisait d’aimer vos proches. Parce que le manque et le vide qu’ils ont laissé derrière eux ne disparaissent pas.
Une boule de douleur au fond de l’estomac, Oliver soutient le regard de l’homme sans savoir quoi dire. Se rendant compte du malaise qu’il provoque chez son interlocuteur, Mark s’éclaircit la gorge.
– Je suis en train de revivre exactement la même chose avec Zach : « Et si je l’avais empêché d’aller à cette fête ? Et si je m’étais chargé de régler son problème de harcèlement plus tôt ? Et si je lui avais dit combien je tenais à lui avant qu’il ne tombe dans le coma ? »
D’un geste des mains, Mark mime un mouvement de répétition.
– Encore et encore. Encore et encore. Quand je me réveille, quand je mange, quand je conduis, quand je me couche…
– C’est insupportable, grogne Oliver en serrant fort les paupières pour refouler les larmes de souffrance qui lui piquent les yeux.
– Et, pourtant, il faut aller au-delà. Car la vie continue.
Peinant à croire ce qu’il vient d’entendre, l’ingénieur jette un regard atterré à Mark Grace.
– Je sais, c’est dur à entendre. Croyez-moi, c’est la leçon la plus brutale et la plus sincère que j’ai tirée de la mort de ma famille. Si vous ne suivez pas le rythme, vous serez bouffé par la vie.
Avec une grimace de douleur, Mark se lève et se dirige vers Zach. Il pose la main sur celle de l’adolescent.
– C’était lui, mon rythme. Après leur mort, c’était laisser tomber et les rejoindre. Ou accepter de souffrir, s’accrocher à l’un des wagons de la vie, et s’en sortir. Il n’y a pas d’entre-deux. (Mark Grace plante ses iris sombres dans ceux d’Oliver, qui se tend.) Croyez-moi, j’ai cherché. J’ai essayé de faire leur deuil en mettant ma vie en pause, le temps d’aller mieux. Mais j’ai vite compris que je ne faisais que mourir à petit feu. Alors…
Mark mime un pistolet avec deux doigts et les pose sur sa tempe.
– J’avais deux choix : mettre fin à cette torture que je m’infligeais, ou plonger dans la souffrance et essayer de me reconstruire.
Avec lassitude, Mark laisse retomber son bras. Le cœur serré par ce que vient de lui avouer l’homme, Oliver ne sait plus quoi dire. Le professeur de droit ne mâche pas ses mots. Mais il est honnête. Il lui donne une voie à suivre pour surmonter tout ça. Un manuel de survie face au coma.

– Retenez simplement que vous n’êtes pas seul, conclut Mark Grace avec un petit sourire d’encouragement à l’adresse de son interlocuteur.
Les traits crispés par la vague d’émotions qui monte lui, Oliver hoche la tête.
– Merci, Mr Grace.
– Ne me remerciez pas. Remerciez Zach.
Surpris, l’ingénieur lui jette un regard inquisiteur. Mark esquisse un demi-sourire.
– C’est Zach qui m’a appris ces leçons. C’est lui qui m’a maintenu en vie, qui m’a reconstruit. C’est ce merdeux que personne n’aimait qui m’a poussé dans mes retranchements et m’a obligé à aller de l’avant. Je lui dis souvent et, même s’il n’y croit pas, sans lui, je me serais tiré la balle. J’aurais abandonné le train.
– Zach est votre ticket de passage, ajoute Oliver dans la continuité.
Riant doucement, Mark approuve d’un hochement de tête.
– J’aime ce mioche à crever, lâche-t-il soudain d’une voix nerveuse. Je crois que, d’une certaine façon, j’ai transféré sur lui une partie de l’amour que j’avais pour mes filles. Parce que c’est le peu de famille qu’il me reste. Parce qu’au-delà de ses actes, je sais qui il est vraiment. Et je ne veux pas perdre une personne aussi précieuse.
– Je-Je sais, bredouille Oliver en retenant en vain ses larmes.
Il pince les lèvres et essuie avec colère les gouttes qui s’accumulent sur ses joues.
– Pleurez ! s’exclame soudain Mark en se tournant vers lui. Ne vous retenez pas. Zach et moi avons cet horrible défaut de tout garder pour nous, d’enfermer à double-tour notre douleur et nos émotions. (Avec un geste saccadé, l’homme désigne Zachary et les machines qui le maintiennent en vie.) Et regardez où ça nous a menés. Alors, je vous en prie, Oliver, laissez-vous aller. Vous n’êtes pas comme moi, ni comme Zach. Nous nous sommes empoisonnés à force de tout garder.
Les épaules secouées de sanglots incontrôlables, Oliver se penche en avant et prend sa tête entre ses bras. Il a honte. Horriblement honte de se laisser ainsi aller devant Mark Grace.
– Ne soyez pas gêné, murmure l’homme en venant poser une main sur son épaule. Je suis tombé si bas, Mr Dent, que j’ai déjà pensé à m’ôter la vie.
En percevant de discrets reniflements, Oliver redresse le cou. Et ne peut s’empêcher de sourire nerveusement face aux yeux rouges de son interlocuteur.
– Alors il n’y a rien de honteux à pleurer. (Avec un soupir, Mark baisse le menton, laissant glisser ses larmes sur ses joues fatiguées.) Au contraire, ça prouve que vous êtes assez fort pour accepter votre douleur.
Bouffi de reconnaissance envers l’homme, Oliver hoche la tête, pince les lèvres, rit avec embarras puis se lève. Et, avant que Mark ne puisse se dérober, il le serre dans ses bras. Ce dernier se fige, pris de court, puis soupire. Finalement, il tapote le dos de l’ingénieur.
– Je suis vraiment content que Zach ait fait votre connaissance.
– Et moi, je vous suis éternellement redevable pour ce que vous avez accompli pour lui. Pour le travail d’éducation, de patience et d’amour que vous lui avez consacré. C’est vous qui avez modelé le jeune homme qu’il est devenu.
Mark Grace ne répond rien. Néanmoins, après quelques secondes, il presse légèrement Oliver contre lui. Ce dernier se demande si quelqu’un a déjà serré Mark dans ses bras. Si quelqu’un lui a déjà témoigné le respect, la reconnaissance et l’affection qu’il mérite.
Avec un sourire pâle, Oliver tourne la tête vers son fils.
Il a la réponse sous les yeux.


Dernière modification par louji le mer. 18 nov., 2020 2:20 pm, modifié 2 fois.
15Lina15

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Re: The Debt [Young Adult]

Message par 15Lina15 »

Salut !
Encore deux chapitres pleins d’émotions et la fin est vraiment bien écrite, c’est très beau !
J’arrive pas à croire qu’on soit (déjà) à la fin. Enfin, ça va passer vite. En tout cas, j’ai hâte de lire la suite et de voir comment tu vas clôturer cette histoire si atypique ;)
À bientôt ! :D
louji

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Re: The Debt [Young Adult]

Message par louji »

15Lina15 a écrit :Salut !
Encore deux chapitres pleins d’émotions et la fin est vraiment bien écrite, c’est très beau !
J’arrive pas à croire qu’on soit (déjà) à la fin. Enfin, ça va passer vite. En tout cas, j’ai hâte de lire la suite et de voir comment tu vas clôturer cette histoire si atypique ;)
À bientôt ! :D
Salut ! ^^
Oh, merci, je suis contente qu'ils te plaisent :D
Eh oui, ça fait déjà 3 ans tout de même... :roll: Et la fin-fin approche à grands pas, j'ai aussi hâte d'avoir ton avis ;)
Encore merci pour ta fidélité et des retours ! ^-^
A bientôt
15Lina15

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Re: The Debt [Young Adult]

Message par 15Lina15 »

louji a écrit :
Salut ! ^^
Oh, merci, je suis contente qu'ils te plaisent :D
Eh oui, ça fait déjà 3 ans tout de même... :roll: Et la fin-fin approche à grands pas, j'ai aussi hâte d'avoir ton avis ;)
Encore merci pour ta fidélité et des retours ! ^-^
A bientôt
Oui je me doute que tu n’a pas commencé hier, déjà que je te suis depuis longtemps :lol: c’est clair que ça fait du bien de pouvoir tourner la page !
louji

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Re: The Debt [Young Adult]

Message par louji »

Bonjour ! ^^
Voilà deux nouveaux chapitres, on approche à grands pas de la fin :D




90
Nick



Les dents serrées de nervosité, Nick tourne en rond dans sa chambre minuscule de Lake Town. Ses grands frères n’ont pas encore quitté l’appartement, alors il doit se résoudre à dormir dans cette pièce exiguë et mal éclairée. Contrairement à un certain nombre de ses camarades, ses parents ne sont pas riches. Si l’adolescent peut suivre les cours du lycée privé de Lake Town, c’est uniquement grâce à une bourse d’études accordée pour son cursus sportif.
Et voilà qu’il vient peut-être de tout foutre en l’air.

Alors que Nick observe l’écran de son portable, hésitant, son mur tremble sous l’assaut de plusieurs puissants coups de poing.
– T’arrêtes de tourner en rond, la girouette ? gronde Flynn, l’aîné de la fratrie.
– Ouais, ça va ! grogne Nick en retour, les nerfs en pelote.
Il se jette sur son lit, râle de la chaleur moite qui a envahi sa chambre en ce 15 juillet et décide finalement de s’agenouiller par terre. La lumière de son téléphone lui brûle les yeux, dans l’obscurité de la pièce. Il a fermé les volets pour éviter au soleil de taper contre sa fenêtre.
Appelle-le, lui susurre une voix à l’oreille. Mieux vaut qu’il sache.
Avec un juron, Nick sélectionne l’un de ses contacts puis enclenche l’appel.
– Ouais allô ? lâche Anthony d’une voix pâteuse, ensommeillée, au bout de six sonneries.
– Vieux, faut qu’on parle, c’est urgent.
– Je t’écoute, marmonne son ami avant d’étouffer un bâillement.
– Pas au téléphone, murmure Nick d’un air crispé. Faut que je te voie en face-à-face.
Anthony lâche un grognement irrité avant de répondre :
– Nick, t’as vu la chaleur qui fait ? Hors de question que je sorte de chez moi.
– C’est urgent, insiste l’adolescent d’une voix rauque.
– Et cette chaleur est écrasante.
– Tu fais chier ! s’exclame soudain Nick en se levant brutalement. Je te rappelle dans cinq minutes.
Dans un geste rageur, Nick raccroche sans attendre la réponse de son interlocuteur. Avec des mouvements brusques, il récupère une casquette, ses clefs puis va enfiler une paire de baskets.

Une fois arrivé en bas de son immeuble, Nick va s’installer sur l’un des rares bancs épargnés par le soleil. Même assis à l’ombre, l’adolescent se met vite à ruisseler de sueur.
– C’est bon, tu es prêt à tout me raconter, petite chérie ? le raille Anthony dès que Nick le rappelle.
L’adolescent se force à ne pas immédiatement le couvrir d’insultes. Le sujet est trop délicat pour ça.
– Pourquoi tu pouvais pas me parler directement ? marmonne Anthony d’un ton presque accusateur.
– Parce que je voulais être sûr que personne entende notre conversation. Mais, c’est bon, je suis descendu en bas de chez moi.
– C’est si craignos que ça ? comprend Anthony avec un soupir.
– Ouais. Écoute, Elliot m’a appelé hier.
– Qu’est-ce qu’il voulait, cet imbécile ? maugrée aussitôt son interlocuteur d’une voix agacée.
D’un geste de la main, Nick s’essuie le front. Il est déjà en nage.
– Mr Dalton, le prof d’histoire, est passé le voir. Il lui a demandé si Elliot nous avait vus la nuit du 20 au 21 juin. (Anthony jure tout bas.) Elliot n’a rien dit, je te rassure, mais il pense que Mr Dalton a compris qu’il était au courant de quelque chose.
– Quel abruti, siffle Anthony d’un air mauvais.
– Je sais, approuve Nick d’un ton las. Mais bon, au moins, il a pas craqué. Pour l’instant, ni la police, ni les profs, n’ont de preuves. Tant que Elliot reste serein, tout va bien se passer.
– Et tu crois qu’il va rester serein ? Il a déjà craqué une fois.
– Oui et on lui a offert une seconde chance pour qu’il puisse se racheter. (Nick se penche en avant sur le banc et ajoute rapidement : ) Écoute, Anthony, actuellement, Elliot est dingue de nous. Tu le connais, il a besoin d’être entouré, de se sentir accepté. Et on lui a servi sur un plateau tout ça. C’est impossible qu’il nous trahisse à nouveau.
Moyennement convaincu, Anthony ne répond rien. D’un ton qui se veut persuasif, Nick ajoute :
– Eh, mec, regarde : Elliot m’a appelé hier pour tout me raconter. Tu crois qu’il l’aurait fait s’il voulait pas rester pote avec nous ? Il nous fait confiance, il nous soutient. Il a besoin de nous, alors il peut pas nous abandonner.
Anthony lâche un rire jaune.
– Ouais, il peut pas nous abandonner, car il est dans la même merde que nous. Cet imbécile est complice d’une tentative de meurtre. Tu m’étonnes qu’il ferme sa gueule.
La gorge serrée, Nick ne répond rien.
– T’as perdu ta langue ?
– Nan. C’est juste que… j’ai peur que la police ou les profs cuisinent Elliot. J’espère qu’il tiendra.
– Il a intérêt, grogne méchamment Anthony. Ce petit con… Si jamais il parle, je m’occuperai de lui.
– Dis pas n’importe quoi, râle Nick en roulant des yeux. Faut lui faire confiance. Et espérer que la police ne trouve rien.
– Ils ont rien trouvé, pour l’instant, le rassure Anthony d’une voix plus posée.
Pour l’instant, insiste Nick d’un ton moins assuré. Mec, t’as conscience des problèmes qu’on va avoir si jamais ils nous chop…
– Nick, le coupe brutalement son ami, tu t’inquiètes pour rien. Ils n’ont aucune preuve.
– Ils doivent se douter de quelque chose, affirme l’adolescent en serrant les dents. Tout le monde au lycée savait qu’on emmerdait Zach.
– Ça suffit pas pour inculper quelqu’un.
– Je sais bien. Mais… écoute, désolé, Anthony, je sais que je m’inquiète beaucoup. Mais cette chaleur, cette attente… J’angoisse.
– Pas de problèmes, ment Anthony d’un ton égal.
Nick esquisse un sourire dépité. Il ne compte pas sur son ami pour lui remonter le moral ou le soutenir. Leur amitié est assez… paradoxale.
– Nick, reprend soudain Anthony d’une voix insistante, l’important, c’est ce qu’on a fait. C’est sûr que ça aurait été mieux si ce connard y était resté, mais… au moins, il est dans le coma. Il nous fera plus chier à la rentrée. On aura plus à supporter sa gueule de demeuré.
– Je sais, souffle Nick d’une petite voix.
Quelques secondes de silence passent entre les deux adolescents. Après avoir soupiré, Nick change son téléphone d’oreille puis déclare :
– Bon, aller, vieux, je te laisse. Tu pars en Australie avec tes parents, c’est ça ?
– Ouais, on prend l’avion demain soir.
– Super, profite bien.
– Toi aussi. Bonnes vacances.
Nick raccroche avec un rictus grimaçant. Comme si ses parents avaient les moyens de les emmener autre part que dans le camping miteux d’une ville alentour.
La seule chose qui attend Nick, c’est l’angoisse et l’incertitude d’un été suffoquant.




91
Sofia



Les muscles du cou raides, Sofia s’efforce de se détendre, volant à la main. C’est elle qui conduit pour se rendre chez les Greenlight. Sur le siège passager, Mark se frotte nerveusement les mains. Il a dû perdre dix kilos en l’espace de deux mois. Et prendre dix ans.
Sofia et Philip l’invitent régulièrement à la maison, pour lui rappeler qu’il n’est pas seul, pour éviter qu’il se morfonde dans son foyer vide, par deux fois brisé.
– Nous sommes bientôt arrivés, déclare l’urgentiste en jetant un coup d’œil au rétroviseur intérieur, où elle aperçoit les visages tendus de Mr Dalton et d’Oliver Dent.
Les deux hommes, avec Mark, se sont renseignés tout l’été sur trois camarades de Zach qu’ils soupçonnent d’être impliqués dans l’agression. Parmi eux, Sofia connaît bien Anthony.
Une flèche brûlante de colère lui perce la poitrine lorsqu’elle se remémore le sourire poli qu’a affiché l’adolescent la première fois qu’elle l’a rencontré. Les magnifiques bouquets de fleurs qu’il a amenés lorsque Lily Rose l’invitait à la maison. Ses traits d’humour et son charme indéniable qui ont ravi sa fille et lui ont volé son cœur. Un cœur qu’il a brisé sans hésiter en lâchant Lily Rose du jour au lendemain et en se montrant agressif à son encontre.
Il est plus que temps qu’Anthony Greenlight reconnaisse ses torts.

Les Greenlight vivent dans une jolie villa en périphérie de Daree. Après avoir garé le 4x4 sur le trottoir opposé, les quatre adultes traversent la route puis vont sonner. Un imposant portail d’un rouge sombre leur barre l’entrée. Heureusement pour eux, le soleil est caché derrière une mer de nuages, leur épargnant d’attendre sous ses rayons torrides.
– Oui ? finit par grésiller une voix masculine depuis le petit interphone fixé à côté du portail.
– Bonjour, se présente aussitôt Sofia d’un ton qui se veut détendu, je m’appelle Sofia Daniels. Je suis la mère de Lily Rose, l’ex-petite-amie de votre fils.
– Oh oui, je me souviens de vous ! s’exclame Mr Greenlight avant de s’enquérir poliment : Vous êtes venue pour parler de votre fille ? J’ai entendu dire que sa séparation avec Anthony s’était mal passée… Je suis navré de la nonchalance de mon fils.
– Non, non, répond aussitôt Sofia avec précipitation. C’est… de l’histoire ancienne. Lily Rose est, heureusement, passée à autre chose. Je suis venue pour savoir si je pouvais rencontrer votre fils. Je suis accompagnée.
– Oh ? Euh, eh bien… C’est à quel sujet ?
– Vous avez dû voir la nouvelle dans le journal, mais le fils de mon voisin a été agressé pendant une fête que Lily Rose a organisée.
– Oh, oui, soupire l’homme d’une voix amère. J’en ai entendu parler. La police a interrogé Anthony à ce propos, car… il faisait partie des harceleurs de ce pauvre garçon.
Derrière Sofia, Mark lâche un grognement étouffé. L’homme doit bouillir intérieurement. Et devoir faire face aux parents de l’un des ados qui a ruiné la vie de son enfant ne va pas être une partie de plaisir.
– Vous voulez poser des questions à Anthony sur cette agression, c’est ça ? comprend Mr Greenlight d’un air fatigué avant d’ajouter : Très bien, entrez.
Le portail émet un discret grincement avant de s’ouvrir en coulissant le long du mur. À pas lents, les quatre adultes s’avancent dans la cour pavée. La villa n’est pas immense, mais très bien entretenue, avec une architecture à influence hispanique.
Avant qu’ils n’atteignent le perron, la porte d’entrée aux montants ouvragés s’ouvre grand sur un homme en t-shirt et short blancs. Sofia lui retrouve la même tignasse de cheveux châtains que son fils. En reconnaissant Mark derrière elle, Mr Greenlight écarquille ses yeux bleus.
– Mr Grace ?
– Mr Greenlight, le salue Mark d’un ton mesuré, l’air distant.
– Je… Je vous présente mes condoléances pour Zachary.
– Il n’est pas mort ! intervient brusquement Oliver Dent dans un élan de colère.
Perplexe, Mr Greenlight lui jette un regard désabusé puis grimace.
– Excusez-moi, ce n’est pas ce que je voulais dire… Mais son coma ne doit pas être facile à vivre non plus.
– En effet, confirme Mark en s’avançant pour lui serrer la main. Il s’agit d’Oliver Dent, le père biologique de Zach.
– Enchanté, lance le père d’Anthony en tendant la main à Oliver après avoir serré celle de Mark.
Une fois les présentations terminées, Mr Greenlight les invite à entrer puis à s’installer dans un salon protégé par une véranda. Dans un silence gêné, les quatre adultes s’assoient sur le mobilier de bon-goût et patientent. Leur hôte est allé chercher des rafraîchissements et son fils.

Trois minutes plus tard, Anthony déboule des escaliers, l’air contrarié. Il a les cheveux en bataille, comme s’il venait de se réveiller d’une longue sieste.
– Anthony, tu veux bien t’installer dans le salon ? lui lance son père depuis la cuisine, où il remplit six verres de limonade fraîche.
Le visage fermé, les mâchoires serrées, l’adolescent ne répond rien et se laisse nonchalamment choir sur le siège le plus éloigné des quatre adultes. Les mains crispées sur ses cuisses, Sofia le dévisage. Il a le teint halé par le soleil et l’air reposé. Son mois de vacance en Australie a dû aider. C’est pour cela qu’ils n’ont pas pu l’interroger avant : la famille Greenlight a quitté le continent pendant le milieu d’été et ne sont de retour que depuis quelques jours.
D’un coup d’œil par-dessus son épaule, Sofia observe les réactions de ses compagnons. Oliver Dent semble bouillir de l’intérieur, Mr Dalton analyse calmement l’environnement et Mark toise Anthony d’un air morose.
– Et voilà les limonades, annonce Mr Greenlight en débouchant de la cuisine avec un plateau. Au fait, vous excuserez ma femme, elle est en sortie shopping avec des amies.
– Aucun souci, le rassure Mark avec un sourire poli. Nous souhaitons simplement nous entretenir avec votre fils.
– J’ai rien à vous dire, lâche aussitôt celui-ci d’un ton mordant.
Son père lui jette un regard de mise en garde en servant les verres un à un. Visiblement irrité, Anthony détourne les yeux puis croise les bras.
– Tu dois être au courant de ce qui est arrivé à Zach, lâche Mark sans préambule.
– Évidemment. Tout le monde est au courant.
– Tu étais à la fête de Lily Rose ? intervient Sofia, adoptant la même stratégie directe que son ami.
– Vous devriez savoir que je n’étais pas convié, réplique l’adolescent avec un sourire aigri.
– Oui, mais ma fille m’a dit que Nick et toi aviez tenté de rentrer. Est-ce que vous y êtes parvenus ?
– Non, on s’est fait rembarrer. Ça aussi, vous devez le savoir.
Agacée, Sofia avale rapidement quelques gorgées de limonade. Le liquide frais et citronné lui fait du bien. Elle connaît le garçon ; elle sait combien il est fourbe et manipulateur. S’ils veulent apprendre quelque chose de la bouche d’Anthony, il va falloir se montrer subtil et malin.

– Et, une fois que Nick et toi êtes repartis, reprend posément Mark en se laissant aller dans son fauteuil, qu’avez-vous fait ?
– Vous êtes la police, ou quoi ? le raille Anthony d’un ton provoquant.
Un éclat de colère froide traverse les yeux de Mark, qui se tend légèrement.
– Non, mais c’est mon fils qui est actuellement dans le coma.
Un silence glacé s’abat sur eux. Embarrassé, Mr Greenlight jette un regard sévère à son fils.
– Anthony, réponds à leurs questions, s’il te plaît.
– Je disais… reprend Mark en s’efforçant de maîtriser le tremblement nerveux de sa voix. Qu’avez-vous fait, Nick et toi, après avoir été refoulés de la soirée ?
– On a traîné, marmonne l’adolescent en observant son jardin par les baies vitrées. Rien de plus. Au bout d’un moment, comme on avait rien à faire, on est rentrés chez nous.
– Il y a des gens qui vous ont aperçus, entre le moment où vous êtes partis de chez Lily Rose et celui où vous avez regagné vos maisons ?
– J’en sais rien, grogne Anthony en roulant des yeux. Il faisait nuit, j’ai pas fait gaffe à qui nous voyait.
L’air pensif, Mark se tait. Profitant du silence qui s’est installé, Mr Dalton intervient :
– Anthony, j’ai rendu visite à Elliot, il y a un mois et demi. Il m’a dit qu’il n’était au courant de rien, qu’il ne vous avait pas vus, Nick et toi, lors de cette fameuse nuit…
– Eh bien, il dit la vérité, maugréé Anthony d’un air las.
– Néanmoins, ajoute Mr Dalton en se penchant en avant, il semblait nerveux. Très nerveux.
– Il est toujours nerveux. Ce qui est arrivé à Zach a dû le chambouler.
– C’est vrai, acquiesce le professeur d’histoire d’une voix lente. Malgré tout, Anthony, je crois qu’Elliot nous a mentis.
Un murmure parcoure le groupe. Mr Dalton adopte une stratégie osée. En laissant sous-entendre que des soupçons pèsent sur Elliot, peut-être Anthony se décidera-t-il à avouer quelque chose.
– Ça fait plus de vingt ans que j’enseigne, ajoute le professeur d’un ton assuré. Je sais reconnaître les menteurs des personnes honnêtes. Et Elliot est un menteur.
– J’y peux rien, moi, râle Anthony en roulant des yeux. J’ai rien à voir avec lui.
– Vous avez pourtant harcelé Zach ensemble, susurre Mark en le dévisageant avec animosité.
Pendant quelques instants, Sofia craint qu’il se laisse aller à la colère. Néanmoins, son ami soupire, ferme les yeux et s’efforce au calme.
– Et Elliot nous a dénoncés auprès du directeur, réplique avec agacement l’adolescent. C’est plus notre pote.
Apercevant une faille dans laquelle s’engouffrer, Sofia lâche soudain :
– Et si Elliot voulait se racheter ? Et s’il savait quelque chose, mais nous le cachait pour vous protéger ? Pour essayer de se racheter à vos yeux ?
Un rire amer s’étrangle dans la gorge de l’ado puis s’en échappe.
– On se parle plus. Si ce gars sait quelque chose, j’ai aucune idée de ce que c’est.
Sofia plisse les yeux, se mordille la lèvre. Anthony est nonchalant depuis le début. Orgueilleux et hautain. Il ne laisse rien paraître si ce n’est une irritation et une provocation toutes adolescentes.

– Tu es au courant que tu es le suspect principal, à l’heure actuelle ? lâche Mark au bout de quelques secondes de silence.
Une ombre traverse les yeux de l’adolescent, qui plisse les lèvres d’un air maussade.
– Je sais.
– Et tu es pour moi le parfait coupable, ajoute Mark d’un ton rauque.
Avant que l’adolescent ne s’indigne, il ajoute d’une voix forte et puissante :
– Tu harcèles Zach depuis son entrée en seconde, tu l’as tabassé à plusieurs reprises cette année et tu crèves de jalousie envers lui depuis ta séparation avec Lily Rose.
Le rouge monte brusquement aux joues d’Anthony, qui bafouille de colère :
– V-Vous… Vous ne savez rien. Vous vous trompez.
– Vraiment ? grince Mark d’un air menaçant.
L’adolescent déglutit péniblement et jette un regard à son père, qui fronce les sourcils. Mr Greenlight ne semble pas enclin à aider son fils. Pas cette fois. Pas alors qu’il a peut-être dépassé les bornes.
– Nous n’avons aucune preuve, pour l’instant, c’est vrai, reconnaît Mark avec un soupir. Néanmoins, Anthony, je ne compte pas laisser les personnes qui ont fait ça à Zach impunies.
Les traits tirés et les dents serrées, l’ado ne répond rien.
– Trois coups de couteau… assenés dans un acte de rage, de pure folie. Si l’agresseur de Zach avait voulu le tuer, il aurait pris une arme à feu ou lui aurait tranché la gorge. S’il voulait le dépouiller, il aurait fait ses poches. Mais rien de tout ça n’est arrivé. (D’un regard lourd, Mark dévisage Anthony, semble fouiller son âme empoisonnée, teste ses limites.) L’agresseur de mon fils voulait simplement le faire souffrir.
Perturbé par la présence imposante de Mark, Anthony baisse les yeux en grognant. Il a les bras croisés autour de la poitrine, le pied qui tape irrégulièrement le sol.
– Vous avez d’autres questions ? s’enquiert Mr Greenlight, qui a perçu le malaise de son fils. Si non…
– Nous allons partir, le rassure Mark avec un sourire gelé.
Sofia n’ose pas rétorquer. Mr Dalton acquiesce puis jette un coup d’œil à Oliver Dent, qui semble offusqué de la rapidité de leur échange. L’ingénieur, constatant qu’il est le seul dans cet état, se reprend puis accepte la fin de la discussion.
– Merci pour la limonade, lance Mr Dalton d’un ton sincère en levant légèrement le verre.
– Avec plaisir, souffle Mr Greenlight avant de les raccompagner vers le hall d’entrée. Si jamais vous avez besoin de nouveaux renseignements…
– Nous vous contacterons, complète Sofia avec assurance. Merci d’avoir accepté de nous laisser voir Anthony.
– C’est normal. J’ai été atterré d’apprendre ce qu’il faisait vivre à Zachary. (L’homme grimace en jetant un coup d’œil à Mark.) Même si je reste persuadé que mon enfant n’est pas un meurtrier.
– Bien sûr, murmure Sofia, plus pour le rassurer que par réelle conviction. Nous vous tenons informé de l’évolution de la situation.
– Oui, merci. (L’homme leur serre tour à tour la main tandis qu’ils franchissent la porte.) À bientôt, Madame, Messieurs.
Les quatre adultes ne se retournent pas tandis qu’ils sortent de l’enceinte de la villa. Une fois le portail refermé derrière eux, Sofia échange un long regard avec Mark.
– Il n’est pas réglo, marmonne-t-elle en croisant les bras.
– Évidemment qu’il est pas réglo ! s’agace Oliver en jetant les bras au ciel. Ce gamin est un taré ! Même s’il n’est pas impliqué dans l’agression de Zach, il reste l’un de ses harceleurs.
Mark, qui est resté silencieux jusqu’ici, finit par claquer la langue.
– Anthony sait que nous le soupçonnons. Et il sait que nous sommes prêts à tout pour découvrir la vérité. (L’air pensif, il lève les yeux jusqu’à la villa.) Nous avons créé une brèche dans sa confiance absolue. Ne reste plus qu’à espérer qu’elle s’ouvre suffisamment pour qu’il craque.


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15Lina15

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Re: The Debt [Young Adult]

Message par 15Lina15 »

Salut !

J'ai bien aimé et c'était certainement nécessaire de voir l'environnement de Nick et Anthony. D'autant, que j'avais du mal à voir la différence entre eux et surtout je savais pas du tout qui était Nick. Cela en a révélé beaucoup sur leur relation.
La visite chez les Greenlight est assez étonnante et effectivement la méthode Mark peut être payante ! ;)
J'attends la suite avec impatience et surtout le réveil de Zach !! :D
louji

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Re: The Debt [Young Adult]

Message par louji »

15Lina15 a écrit :Salut !

J'ai bien aimé et c'était certainement nécessaire de voir l'environnement de Nick et Anthony. D'autant, que j'avais du mal à voir la différence entre eux et surtout je savais pas du tout qui était Nick. Cela en a révélé beaucoup sur leur relation.
La visite chez les Greenlight est assez étonnante et effectivement la méthode Mark peut être payante ! ;)
J'attends la suite avec impatience et surtout le réveil de Zach !! :D
Bonsoir !

Oui, fallait quand même jeter un coup d’œil du côté des antagonistes ;) Je suis contente que ça ait fonctionné, car c'était pas évident de se mettre dans leur tête ! ^^
Ouep... à voir si ça va fonctionner ;)
Tu m'étonnes :lol:

Merci beaucoup pour ton retour et à bientôt ;)
louji

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Re: The Debt [Young Adult]

Message par louji »

Bouh, la fin arrive à grands pas, plus que 3 chapitres et l'épilogue après les 2 chapitres suivants :) (Dans un mois, c'est terminé ! :geek: ) J'espère que vous aurez pris autant plaisir que moi à suivre Zach et les autres tout au long des mois et des mots ^^


92
Jessica



Avec un soupir, Jess laisse tomber son sac de cours au pied du lit puis s’assied lourdement sur une chaise en plastique. Elle connaît la pièce par cœur, à présent. Les taches sur le sol et le plafond, les photos qui ont été accrochées aux murs pour rendre la chambre moins vide, la disposition des machines, la couleur des draps…
Avec des gestes peu assurés, Jessica ramasse son sac et en sort un dessin enroulé à l’aide d’un élastique. C’est un paysage des sommets des Rocheuses, gratté au fusain. L’adolescente sait que Zach adore lorsqu’elle dessine avec ces crayons. À l’aide de deux punaises, elle le fixe au mur, à côté d’une dizaine d’autres esquisses. Elle a eu le temps d’en faire, des dessins, en l’espace de deux mois et demi. Certains représentent des paysages, d’autres leur groupe d’amis et, seulement un ou deux, les montrent, elle et lui, tendrement enlacés.

– C’était la rentrée, aujourd’hui, lâche Jessica une fois qu’elle a accroché son esquisse. Rien d’incroyable à signaler. Ah si ! on a un nouveau, Aran. Il vient du Maine. (Avec un sourire narquois, Jess lève les yeux vers les fenêtres pour observer les bâtiments voisins.) Je crois que Lily Rose a complètement craqué sur lui. Quant à Dante… ça va. Je crois. Il est toujours en couple avec Theo. Tu vas lui manquer en cours, comme vous étiez souvent ensemble.
La jeune fille cale ses pieds contre les montants du lit en lissant les plis de son t-shirt.
– Et tu me manques. Mais tu le sais déjà. Je te le dis à chaque fois. Tout le monde doit te le dire, hein ? Tu en as marre, qu’on te dise que tu nous manques ? Est-ce que tu nous entends ? Les médecins nous disent de te parler, mais je trouve ça débile. Tu imagines si tu n’es pas vraiment là, si tu nous entends pas ? S’il y a quelqu’un, là-haut, il doit bien rigoler à me regarder parler toute seule.
À moitié dépitée, elle se tait puis retire ses pieds pour se pencher vers son ami.
– J’aimerais avoir une discussion avec toi, Zach. Pas faire un monologue. J’aimerais que tu me serres dans tes bras, pas que je sois obligée de caler ta main dans la mienne. J’aimerais que tu me rendes mes baisers, que je n’aie plus à embrasser tes lèvres froides.
Morose, Jess baisse les yeux, le cœur lourd.
– On dirait que je t’en veux. Oui, je t’en veux un peu. De me laisser seule alors que ça commençait à devenir intéressant entre nous. De disparaître alors que je tombais amoureuse de toi. C’est trop tard, maintenant. Ouais, trop tard. Je t’aime et t’es pas là.
Avec un rire étranglé par les larmes qui ont grimpé jusqu’à ses yeux, lui broyant la gorge au passage, Jessica sort un mouchoir de son sac. Des traces noires de maquillage apparaissent sur le papier blanc.
– C’est tellement dur, comme situation. Ce coma. Car tu nous as donné l’espoir qu’on te reverrait. Si tu étais mort… ça aurait été bien plus dur à encaisser. Mais on aurait pu faire notre deuil, laisser le temps nous guérir, penser à tourner la page, partir sur de nouvelles bases… Mais ça ? Tu es ici sans être là, Zach. On sait, qu’à chaque instant, tu peux te réveiller. Tu es en vie, on a encore la chance de pouvoir profiter de ta présence. Et pourtant… on est cantonnés à te regarder dormir, à te pleurer, à te toucher sans être étreint en retour.
De nouveau victime d’une vague de larmes, l’adolescent se laisse sangloter sur la chaise. Elle préfère ne pas lutter contre les montées de tristesse. Elle les laisse l’envahir, l’étouffer, la vider. Même si elle en ressort épuisée, elle a toujours le cœur plus léger.
– Je ne sais pas ce que tu ferais à ma place. Tu ferais comme moi : tu persisterais ? En sachant que ça ne fait que te détruire à petit feu ? Ou tu passerais à autre chose ? Tu irais à la rencontre de nouvelles personnes, pour combler ce vide en toi ? Tu te donnerais la chance de découvrir de nouvelles perspectives, de t’offrir des opportunités ?
Secouant légèrement la tête, Jessica pince les lèvres en observant le garçon qu’elle aime.
– Je ne veux pas prétendre connaître intimement ton cœur – nous n’avons pas eu le temps pour ça – mais je crois que tu aurais fait comme moi, comme nous. Tu aurais persisté. Oui, idiot obstiné comme tu es, tu aurais sûrement fait ça. Sans sourire, en pleurant à l’intérieur, comme tu sais si bien faire.
Abattue par les semaines d’attente et d’espoir qui se sont écoulées, Jessica relâche un long soupir qui lui bloquait le souffle et se penche. Elle tend le bras, frôle les longs doigts fins de Zach, retrace le réseau de ses veines saillantes, remonte son bras puis caresse sa mâchoire. Finalement, avec un demi-sourire, elle glisse une boucle de cheveux noirs derrière son oreille, s’attendant presque à le voir frissonner.
– Heureusement que Mark s’occupe de toi, murmure Jessica en observant le visage de son ami. Tu aurais une sacrée dégaine, autrement.
Le père adoptif de Zach, qui passe tous les soirs s’il le peut, prend soin de couper les cheveux de son fils et de raser sa barbe juvénile. Et, sur les conseils du corps médical, il fait régulièrement bouger les membres de l’adolescent pour limiter l’atrophie des muscles. Ça l’aidera beaucoup lorsqu’il se réveillera.
S’il se réveille.
Jessica s’en veut d’avoir des pensées noires, de penser qu’il ne reviendra pas. Pourtant, comment pourrait-elle faire autrement ? Le mois de septembre vient de débuter, l’été s’est écoulé et Zachary ne s’est pas réveillé. Voilà une constatation simple et percutante.

– Ce serait peut-être plus facile si on savait qui t’a fait ça, murmure l’adolescente après une minute de silence. On serait… soulagés. J’ai hâte de voir les enfoirés qui t’ont agressé en prison.
Avec un grognement, Jessica croise ses jambes et les bras sur sa poitrine.
– On pense que c’est Anthony. Vu qu’ils étaient plusieurs, peut-être Nick aussi. Mais on a rien pour les accuser, aucun témoignage, et ces enfoirés sont protégés par le manque de preuves. (Machinalement, Jess enroule une mèche de cheveux rouges autour de son doigt taché d’encre.) Il y a bien Elliot, qui a l’air de savoir des choses. Mais qui ne dit rien. C’est insupportable de les croiser au lycée. Tout le monde a été atterré d’apprendre que tu avais reçu trois coups de couteau ; même les personnes qui te regardaient de travers à cause de ce que tu as fait. Mais ces salauds nous dévisagent avec condescendance dans les couloirs, comme s’ils nous prenaient en pitié après ce qui t’est arrivé. Qu’ils aillent crever !
Les joues rendues chaudes par la colère, Jess s’en veut aussitôt de s’être laissé emporter. Mais elle ne peut pas contenir toute la hargne et l’injustice qui brûlent dans ses entrailles depuis des semaines. Ils n’avaient pas le droit de faire subir ça à Zach. Pas alors que tout s’arrangeait dans sa vie, qu’il avait approfondi sa relation avec Mark, découvert sa famille paternelle, développé une amitié avec Dante. Pas alors que Jess et lui avaient commencé à sortir ensemble.
– Je suis dégoûtée, marmonne Jessica d’une voix tremblante. Dégoûtée de ce qu’ils t’ont fait. Si je pouvais… je sais que je devrais pas dire ça, mais j’adorerais les faire souffrir, à mon tour. Comme ils nous font souffrir, Lily Rose, Dante, Mark, ton père, ta tante et moi.
Dépassée par la vague d’émotions noires qui monte dans sa poitrine, Jessica attrape les doigts de Zach et les presse contre sa joue. Sa peau est froide, ses tendons saillants. Elle adore ses mains, grandes et fines comme celles d’un pianiste. Elle serait capable de les serrer entre les siennes pendant toute une journée. Comme elle pourrait observer pendant des heures son visage, ses pommettes marquées qui creusent ses joues, ses lèvres fines qui sourient timidement, ses yeux pâles qui réfléchissent sans arrêt.
– Zach, reviens, gémit-elle en pleurant dans la paume douce de l’adolescent. Je t’en supplie. J’ai besoin de toi. Me laisse pas toute seule. Reviens, Zach.
Mais il ne revient pas.




93
Anthony



Les yeux dans le vague, Anthony tire sur sa cigarette. Lui qui s’était promis de ne pas toucher à la nicotine ou à la drogue à cause de ses effets ravageurs sur le physique et le mental. Lui qui préférait se priver pour réaliser son rêve.
À quoi bon devenir acteur si je suis défiguré ? songe-t-il avec un sourire tordu.
Ils les voient chaque jour dans le miroir. Ses cicatrices. Que cet enfoiré de Zachary Gibson lui a fait dans un élan de colère. Son nez légèrement tordu par la fracture. Les cicatrices blanches sur ses mâchoires. Personne n’aimerait autant Brad Pitt ou Scarlett Johansson s’ils étaient couturés de cicatrices.
Il a commencé à fumer pendant l’été, après avoir fréquenté une fumeuse en Australie. Une jolie fille avec qui il a fait plus que discuter, d’ailleurs.
Une image furtive de Lily Rose, ses yeux verts et ses mèches blondes, lui traverse l’esprit.
Tremblant de rage, il tire une nouvelle bouffée de nicotine.
Menteuse, menteuse, menteuse. Tu l’as préféré, lui, à moi. Moi qui ai tout, lui qui n’est rien.
Une autre inspiration.
Tu m’as trahi. Je t’aimais et tu m’as trahi.

Lorsqu’il se rend compte que sa cigarette est terminée, il la jette rageusement par terre et l’écrase de sa semelle. Frissonnant dans l’air frais d’octobre, il resserre sa veste en cuir autour de lui et jette un coup d’œil par-dessus son épaule. Nick discute à quelques mètres avec des gars de son équipe de foot.
– Anthony ?
La voix le fait sursauter. Se retournant brusquement, Anthony jette un regard mauvais à son interlocuteur. L’air hagard et blanc comme un linge, Elliot lui fait face.
– Qu’est-ce que tu veux ? gronde Anthony en sortant son paquet de cigarettes.
– Je… il faut que je te parle.
– Vas-y je t’écoute, marmonne-t-il en guise de réponse tout en allumant une nouvelle cigarette à l’aide de son briquet acheté en Australie quelques semaines plus tôt.
Manifestement mal à l’aise, Elliot cherche ses mots, hésite, se tord les mains. Les nerfs à vif, Anthony lui adresse un regard meurtrier. Il n’a pas de temps à perdre avec ce crétin.
– Alors ?
– Anthony…
Elliot jette un coup d’œil par-dessus son épaule. Perplexe, Anthony cherche du regard ce que son camarade observe, mais ne décèle rien de particulier dans la foule de lycéens qui partent chercher leur voiture ou un arrêt de bus.
– Je… je dois t’avouer un truc.
Une boule nerveuse vient se loger dans le ventre d’Anthony, entre l’estomac et ses tripes. Qui l’empêche de respirer correctement et lui donne envie de gigoter, de cogner.
– J’ai… parlé à des gens.
Muet, sentant une amère et noire colère grimper vers sa poitrine, Anthony dévisage ouvertement Elliot, qui se détourne en plissant la bouche.
– Il fallait que je te mette au courant.
– Au courant que tu as parlé avec des gens. Ça m’avance bien, ça, dis donc, raille l’adolescent d’une voix condescendante.
– À propos de Zach, décide d’ajouter Elliot dans un souffle étouffé.
Si Anthony n’avait pas été penché vers lui dans une position de menace, il ne l’aurait pas entendu.
Lentement, avec le plus grand calme malgré son rythme cardiaque qui croît brutalement, il retire la cigarette de ses lèvres et descend du muret sur lequel il s’est installé quelques minutes plus tôt. Avec nonchalance, il laisse tomber son mégot aux pieds de son camarade puis chasse une poussière imaginaire de sa manche. Les épaules d’Elliot se crispent à son contact.
– Et avec qui as-tu discuté de ça ?
La voix en apparence calme d’Anthony cache une nervosité et une colère qu’il s’efforce tant bien que mal de maîtriser. Il ne faudrait quand même pas qu’il lui casse la figure au milieu de tout ce beau monde.
– Euh… avec… Mr Dalton. (Anthony hausse un sourcil de surprise. Que vient faire son ancien professeur d’histoire dans l’affaire ?) Et avec le père de Zach, Mr Grace.
Un lourd silence les recouvre d’un voile glacé. Les exclamations, les rires, les cris des lycéens alentours atteignent tout juste Anthony, qui a les yeux rivés sur son camarade. Sur sa silhouette menue, ses bras maigres, son coup mince, son regard fuyant, sa mâchoire tremblante…
Elliot a à peine le temps de lever le menton lorsque Anthony se jette sur lui. Plus rien n’existe. Ni les cris, ni les couleurs. Le monde est en nuances de gris, les sons sont étouffés. Même les poings d’Anthony contre le visage d’Elliot ne font pas de bruit.
Est-ce cette rage aveugle, cette soif de sang, cette colère irraisonnée, que Zach a ressenti lorsqu’il l’a passé à tabac, des mois plus tôt ? Est-ce pour cette malsaine satisfaction de supériorité et de pouvoir que Zachary l’a agressé et défiguré ?
Il n’a plus que de l’adrénaline dans le sang, des démons dans la tête et l’amertume dans le cœur. Ses mains tremblent, mais pas d’anxiété. Il sourit, mais pas de joie.
Anthony est en colère. Et très seul.

– Espèce de malade ! gronde une voix en agrippant fermement l’épaule d’Anthony.
Comme dans un rêve où les couleurs seraient ternies, les sons fatigués et les sensations diffuses, Anthony se sent basculer en arrière. Ses fesses cognent le sol, ses coudes râclent l’asphalte, sa tête rebondit sur le goudron. L’adolescent prête à peine attention à la douleur qui se met à pulser sous son crâne.
Deux silhouettes se dressent au-dessus de lui. Deux hommes mûrs dont les visages sont tirés.
– Bon sang, il faut appeler Mme Meyer… souffle le premier, plus petit et plus âgé.
– Mme Meyer ?
– L’infirmière. Pour le jeune Elliot. Il est méconnaissable… pauvre garçon.
Confus, Anthony observe la foule qui s’est rassemblée autour de lui, formant un cercle de curieux. L’adolescent les trouve aussitôt répugnants. Qu’ont-ils tous à le dévisager ainsi ? Pourquoi ne se mêlent-ils pas de leurs affaires ?
Des mois plus tôt, tu adorais avoir leur attention, lui souffle une voix d’un air narquois.
Anthony la fait taire puis se redresse. Il reconnaît les deux hommes, maintenant qu’il a l’esprit plus clair. Mr Dalton, son ancien professeur d’histoire. L’adolescent serre les poings en observant le deuxième. Mark Grace. Le « père » de Zach.

Avec une assurance délibérément nonchalante, Anthony se met debout puis toise froidement les deux hommes.
– Eh ! lâche-t-il dans un aboiement brusque.
Les yeux perçants de Mark Grace se posent sur lui. Anthony réprime un frisson. S’ils étaient seuls, Dieu seul sait ce que l’homme lui ferait subir.
– Vous voulez quoi ? embraye l’adolescent d’un ton mordant.
– T’emmener voir la police, répond calmement Mr Dalton, un bras passé dans le dos d’Elliot pour le soutenir tandis qu’il crachote de la salive ensanglantée sur le sol.
– Et pour quel motif ? susurre Anthony en retroussant la lèvre supérieure, prêt à en découdre avec le premier volontaire venu.
– Pour tentative de meurtre et harcèlement physique et moral, ajoute Mark Grace d’une voix grave, rauque.
Un fourmillement chatouille les lèvres d’Anthony, qui se retient de pouffer. Le salaud, le salaud, le salaud… Ses doigts tremblent, son rythme cardiaque accélère. Il faut qu’il fasse sortir sa rage, qu’il exprime sa haine, qu’il joue son rôle. Qu’il fasse péter les câbles, pour retenir l’attention et le souffle de l’audience.
Anthony est un acteur, il le sait. Un comédien né, une bête du spectacle et un esprit de la scène.

L’adolescent sursaute lorsqu’une grosse paluche s’abat sur son épaule. Nick. Il a l’air abattu. Sa bouche est amèrement plissée, ses yeux sont comme vidés. Presque tristement, il serre le bras de son ami puis s’avance vers les deux adultes.
– Je vous accompagne.
– Nick, souffle Mr Dalton sans surprise. Tu veux bien attendre ici avec Anthony et Mr Grace, le temps que j’emmène Elliot à l’infirmerie ?
– Bien sûr, allez-y.
Stupéfait, trop hagard pour réagir, Anthony dévisage le joueur de football pendant que le professeur aide Elliot à se relever et l’amène vers le lycée. Mr Grace les observe en silence à quelques mètres. Son manteau ample ne suffit pas à cacher la tension de son corps.
– Vous avez essayé de tuer mon fils, déclare-t-il soudain d’un ton lourd, blessé.
Anthony ne prend même pas la peine de le regarder. Ses pensées sont tournées vers Lily Rose, qui lui a menti, vers Elliot, qui l’a trahi, vers Nick, qui vient de l’abandonner.
Tous des enfoirés.

– Saloperie de merde, siffle-t-il d’un ton venimeux en repoussant brusquement la main de Nick sur son épaule.
Un éclat de douleur traverse le regard de son ami, qui garde pourtant la même attitude déconfite. Comme Anthony essaie de le frapper au visage, Nick le maîtrise sans mal – il est plus grand, plus lourd, plus fort.
– Ça devait arriver, chuchote alors Nick en se penchant vers lui. Elliot était en train d’imploser. Il pouvait pas garder tout ça pour lui.
– Petit con de merde !
– Anthony, on lui en a trop demandé.
– J’aurais dû le savoir ! Cette petite lopette inutile… on aurait dû le tuer, lui aussi !
Nick secoue la tête, les yeux brillants. Est-il en colère ? Se retient-il de pleurer ?
– Anthony, tu ne sais plus ce que tu dis. Je comprends ta fureur et ta rancœur. Je les ressens, moi aussi.
– Tu ressens rien du tout, sale con ! crache Anthony, le visage brûlant de colère. Si tu avais la moindre affection pour moi, tu me soutiendrais.
– Tu crois que je fais quoi, là ? explose Nick en levant grand les bras. Je vais me dénoncer, Anthony ! C’est moi qui ai gardé l’arme. Je l’ai conservée, alors qu’elle a failli tuer quelqu’un. Et tes empreintes sont dessus. Je vais t’accompagner dans cet enfer, parce que je suis autant responsable que toi et que je ne veux pas te laisser seul.
Haletants, tendus, les deux garçons se dévisagent en chiens de faïence. Lorsque Nick commence à avancer, Anthony bande les muscles. S’ils doivent en découdre… tant mieux.
Mais Nick le prend dans ses bras et le serre fort contre lui. Une vague d’indignation et de honte submerge Anthony, qui commence à se débattre.
Si seulement il était pas aussi grand !
Anthony se fige lorsqu’il entend les sanglots de son ami. Hébété, il laisse ses bras retomber et reste immobile quelques secondes. Il n’a jamais vu Nick pleurer.
– Je vais tout perdre, Anthony. Mon casier judiciaire va annuler ma bourse étudiante. Je vais devoir quitter le lycée, aller… en prison. Et lorsque j’en sortirai, je sais pas si le moindre lycée voudra de moi. Je sais pas si je pourrai aller à l’université. Ma famille est pauvre, Anthony, et mes deux frères aînés ont vidé les comptes parentaux.
Abasourdi par les propos de Nick, qui l’ancrent de plus en plus dans la réalité, Anthony ne dit rien. Il savait que son ami était boursier grâce à ses résultats sportifs. Mais il n’avait pas conscience de toutes les pertes qu’allait subir son camarade s’ils étaient attrapés.
– Nick, murmure Anthony d’une voix interloquée, je savais pas… Je…
Anthony ravale sa fierté en sentant les larmes de son ami dans son cou. Maladroitement, il lui rend son étreinte. Qui aurait cru que ce grand gognant aurait besoin d’un tel réconfort ?
– Je suis désolé, conclut Anthony d’une voix étranglée.

Mark Grace coupe court à leur étreinte.
– Tous les deux, vous devez me suivre.
Les adolescents se séparent brusquement. Nick a les yeux rouges et renifle. Anthony comprend mieux pourquoi il avait l’air abattu en l’abordant. Son ami a dû sentir les choses arriver, il a compris que c’était fichu, qu’ils étaient fichus. Que la justice venait réclamer son dû.
– J’ai appelé la police, reprend Mr Grace en les observant tour à tour. Je compte sur votre collaboration. Sur votre maturité.
Anthony ne bouge pas d’un poil, mais Nick hoche docilement la tête. Il a accepté son sort, son crime. Il lui en veut d’avoir intégré si rapidement leur destinée.
– Ils arrivent, déclare Mark Grace en se tournant de biais.
Le cœur au bord des lèvres, Anthony se braque tandis que trois policiers fendent la foule pour les rejoindre. Sans résister plus que nécessaire, Nick se laisse passer les menottes tandis que les gardiens de l’ordre leur récitent machinalement leurs droits. Mais lorsqu’arrive une femme à l’uniforme vers Anthony, il recule.
Une peur primaire s’empare de lui. Son instinct lui ordonne de fuir, son cœur de s’indigner et son cerveau d’anticiper.
– Les mains tendues devant vous, marmonne la policière en plissant les yeux.
Elle a perçu la nervosité d’Anthony. Anticipe sa réaction.
– Je… commence Anthony en sentant sa poitrine se contracter.
Une panique impossible à contrôler rampe sous sa peau. Tire ses muscles, bouche ses veines, bloque sa respiration. La vision brouillée par l’angoisse, Anthony se penche en avant. Vomit les deux repas qu’il a ingérés dans la journée et la peur qu’il ressent depuis des mois.
Lorsqu’il se redresse, il se sent vidé. La policière le dévisage sans rien dire, à la fois perplexe et compatissante.
Les lèvres closes, le regard perdu au loin, Anthony tend les mains.


Dernière modification par louji le ven. 22 nov., 2019 2:43 pm, modifié 1 fois.
15Lina15

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Re: The Debt [Young Adult]

Message par 15Lina15 »

Hey !
Ça va ? Plus que 1 mois :cry: ça va me manquer :lol:
Deux chapitres magnifiques et attendus ! Jessica puis Anthony. Tu tombes parfaitement sur les bons mots, c’est une représentation la plus exact possible de la psychologie de ces personnages ! Impressionnant :o !
Apporter les motivations de l’antagonisme au dernier moment en même temps que la résolution c’est juste parfait. J’ai senti comme un soulagement.

Je suis vraiment inquiète pour Zach, je n’ai aucune idée de comment tu vas conclure (50/50 réveil du coma ou pas) :o :D

J’ai vraiment adoré ce passage, vivement la suite ^^
À bientôt !
louji

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Re: The Debt [Young Adult]

Message par louji »

15Lina15 a écrit :Hey !
Ça va ? Plus que 1 mois :cry: ça va me manquer :lol:
Deux chapitres magnifiques et attendus ! Jessica puis Anthony. Tu tombes parfaitement sur les bons mots, c’est une représentation la plus exact possible de la psychologie de ces personnages ! Impressionnant :o !
Apporter les motivations de l’antagonisme au dernier moment en même temps que la résolution c’est juste parfait. J’ai senti comme un soulagement.

Je suis vraiment inquiète pour Zach, je n’ai aucune idée de comment tu vas conclure (50/50 réveil du coma ou pas) :o :D

J’ai vraiment adoré ce passage, vivement la suite ^^
À bientôt !
Hello !
Oui, plus qu'un mois... même pour moi ça fait bizarre :D Je suis à la fois impatiente, soulagée et je crains un peu ton ressenti, mais... voilà on y est puis la fin est écrite depuis des mois en réalité et j'en suis plutôt contente ^^
Yes, tellement contente qu'ils te plaisent, je misais pas mal sur ces deux chapitres (et sur les 2 prochains aussi :o ). Notamment, car, comme tu dis, ils mettent en scène des personnages qui sont assez flous sur leurs actes et pensées au long de l'histoire (même pour Jess). Puis rentrer dans leurs têtes était plus compliqué que pour la majorité des personnages... surtout quand je me suis habitué au PDV interne de Zach depuis le début x)
Ouais, j'avais peur que ça fasse un poil trop "facile" le chapitre d'Anthony à ce moment-là, mais, en fin de compte, ça va :)

Tu vas peut-être encore avoir des sueurs froides mais je dis rien :mrgreen:

Tchuss et un grand merci pour ton commentaire ;)
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