A ces moments partagés qui m'ont permis de me relever.
J'ai l'impression que mon cœur va cesser de battre, que mon crâne va exploser. J'ai presque envie de mourir, ce soir. J'ai presque envie d'en finir. Je suis tellement perdue, je me sens tellement lâche. L'univers m'entoure et m'oppresse. Aucune larme : manque de force, manque de légitimité.
Il est parti. C'est drôle : cela faisait des années que je pensais le détester, des années que je menais une lutte vaine et incompréhensible contre sa personne. Et pourtant j'ai si mal, à présent.
Je me redresse lentement et me dirige d'un pas chancelant vers un vieux banc rouillé, installé non loin. Le visage légèrement levé vers le ciel, je me permets, le temps d'une infime éternité, d'observer les étoiles.
Comme d'habitude je ne pense à rien, je ne suis sûre de rien : le chaos règne dans mon cerveau depuis trop longtemps, à présent. Trop longtemps que je suis en colère contre tout et contre tout le monde, que cette rage absurde entoure mon être.
Je me sens seule au monde. Seule en mon âme.
Un mouvement sur ma droite efface cette dernière conviction. Le pseudo solipsisme dont j'ai fait preuve ce soir ne m'a pas permis d'aviser le jeune homme pourtant assis près de moi. Son ensemble de jogging noir, capuche placée sur la tête, lui confère une mine sombre et difficile à discerner malgré la lumière émise par un réverbère non loin. Il ne fait pas attention à moi : écouteurs dans les oreilles, il lit dans cette semi-obscurité. Je ne peux m'empêcher de remarquer qu'il doit s'écorcher les yeux à chaque mot ; il semble toutefois persister.
Une vague de malaise entoure soudainement mon être et je m'empresse d'effacer d'un coup de manche les traces de sueur présentes sur mon front et mes joues. Je repousse les longs cheveux bruns qui m'entravent la vue depuis le début de ma course effrénée afin de pouvoir lire le titre du roman que l'inconnu tient entre ses mains. L'Etranger de Camus. Je ne l'ai jamais lu.
La tête légèrement penchée pour analyser la couverture du bouquin, je ne me rend compte que trop tard que le garçon s'est mis à m'observer. Je sursaute, prise au dépourvue, et ma réaction semble l'amuser. Il enlève sa capuche, dévoile des cheveux épais, bruns et bouclés, un visage que je devine bien dessiné malgré la nuit qui nous entoure. Je ne sais pas quoi dire, je le vois sourire. J'oublie quelques instants pourquoi je suis ici, perdue dans un parc de la capitale.
Lui non plus ne parle pas. Il se contente de se lever, puis me tend son livre. Devant mon incompréhension palpable, il rit légèrement puis le pose à mes côtés avant de murmurer :
- Je crois que t'en as plus besoin que moi...
Puis il s'en va.