KYRA [Fantastique / SF]

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louji

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Re: KYRA [Fantastique / SF]

Message par louji »

C'es la bagar ça fait kaboum


Chapitre 17
Sang et métal


_ _ _ _ _



Kassandra



Kassandra avait eu des nouvelles de Jay, mais aucune de Freyja. Ce silence commençait à lui peser. La Corneille était-elle trop occupée pour lui répondre ? Ou estimait-elle que les suggestions de Kass étaient indignes d’intérêt ? Connaissant Freyja, Kass n’aurait pas été étonnée.
Frustrée de rester collée à son téléphone, Kassandra se leva. Appuyée contre le lampadaire tout proche, Ichika l’interrogea en silence.
— On va marcher ? J’en peux plus d’attendre.
Sa copine hocha la tête, accepta la main que Kass lui tendait. Elles firent le tour du pâté de maisons, observèrent deux pies se battre pour un morceau de métal dans la cour arrière d’un immeuble, saluèrent deux fillettes qui leur adressaient des signes de la main à travers le grillage de leur jardin, évitèrent de justesse une grand-mère qui tractait un caddie quasiment aussi gros qu’elle. Kassandra lui proposa son aide, mais l’inconnue marmonna dans sa barbe en secouant la tête avant de poursuivre sa route.
— Je pense que je vais vieillir comme ça, songea Ichika avec un demi-sourire.
— Tant qu’on vieillit ensemble, répliqua doucement Kass en l’entraînant en direction inverse.
Après avoir remonté l’allée d’un pas tranquille, elles débouchèrent sur un parking où Ichika lui indiqua reconnaître les véhicules des Représentants. Elles ne tardèrent pas à s’en éloigner, guère inspirées par la vision des voitures ensommeillées.
Elles venaient de laisser le parking derrière elles quand le portable de Kass vibra. Elle arrêta Ichika pour le tirer de sa poche, en parcourut l’écran à toute vitesse. Soulagement immédiat. Freyja venait de lui répondre ; quelques mots pour les inciter à poursuivre leurs recherches sur cette demeure dans les Alpes.
Après avoir prévenu Ichika, elles reprirent leur route. La poitrine de Kass était plus légère.

Elle se remplit de plomb une centaine de mètres plus loin. Ichika lui avait tiré le poignet pour la forcer à se cacher dans une rue perpendiculaire. Les yeux écarquillés de sa copine trahissaient un effroi que Kassandra avait eu le temps de saisir à son tour.
Freyja et un homme. Frey, figée, blême, la mâchoire crispée. L’homme la dominant de sa taille et de son pistolet enfoncé entre ses côtes. Tous les deux immobiles sur la route, à quelques centaines de mètres de l’immeuble du Conseil.
— Qui c’est ? s’enquit Ichika à voix basse.
— Je ne sais pas. Je le reconnais pas.
— Merde. Qu’est-ce que Frey attend ? Elle peut détruire l’arme avec ses capacités, non ?
— Si, j’imagine…
Elle-même à moitié accroupie derrière le muret, Ichika ne quittait plus la Corneille des yeux. Sa main glissa spontanément à son poignet droit, poussa l’aiguille de céramique hors de son encoche. Kassandra lui serra l’épaule avant qu’elle ait pu aller plus loin.
Chica, on ne sait pas ce qui se passe avec cet homme.
— Freyja est menacée. C’est tout ce que je vois.
Elles étaient trop loin pour entendre les échanges entre la Corneille et son adversaire. La posture de l’un comme de l’autre ainsi que l’ombre qui couvrait leurs visages étaient pourtant sans équivoque. La poitrine de Kassandra pesait toujours aussi lourd. Ichika lui jeta un œil, se pencha vers elle. Ses traits durcis firent pousser des ronces autour de la balle de plomb qui lui servait de cœur.
— Kass, si je dois y aller. Ne me suis pas.
— N’y va pas. On ne sait pas si…
— Kassi, je ne peux pas laisser Frey seule si elle est en danger.
— S’il te plaît.
La cassure dans la voix de Kass ébrécha le masque de pierre de sa copine. Elle lui serra les mains, se déplaça sur ses appuis pour lui embrasser le front.
— Tu as fait déjà tant pour Nour. C’est à mon tour, Kass.
— Laisse-moi t’aider. Je peux faire diversion, prévenir les Corbeaux, n’importe quoi !
— Je ne veux pas que tu te mettes en danger. Et sans capacité offensive…
— Et toi, tu as le droit de te mettre en danger ? l’interrompit sa copine d’un ton inhabituellement cassant.
— J’ai appris à le faire. Pas toi, mi cariña.
Kassandra ne lui rendit qu’un regard béant de peur, un rictus pincé par cette douloureuse vérité. Ichika lui pressa les doigts comme pour se donner courage. Puis elle contourna le muret.
Même si Kass ne comptait pas intervenir dans l’affrontement, elle se pencha à l’angle de la rue. Les genoux baissés, Ichika contournait le duo figé de l’autre côté de la route. Bien que Freyja soit en bonne position pour l’apercevoir, elle ne laissa rien paraître. Kassandra la remercia en silence pour son masque impassible tandis qu’Ichika avalait mètre après mètre.
Elle avait remonté sa manche au préalable. Les ronces se resserrèrent autour du cœur de Kass quand elle s’entailla le bras dans un mouvement aussi précis qu’assuré. Par habitude, elle sonda les environs, remercia le néant et toutes les divinités qu’il n’y ait personne à proximité. Les témoins Sapiens étaient toujours une épine dans le pied. Au mieux, on les retrouvait dans la journée pour les faire passer sous les mains des manipulateurs de la mémoire. Au pire, ils vendaient leurs témoignages à des journaux à sensation.
Le sang d’Ichika durcit contre son avant-bras, adopta la forme d’une tige acérée. Consciente du bruit de ses pas sur la route déserte, elle ralentit la cadence et appuya sur ses pointes de chaussures. Les mâchoires de Kassandra ne tardèrent pas à devenir douloureuses à force de serrer les dents. Ichika approchait de plus en plus, toujours invisible à l’ennemi. Trois mètres, deux mètres, un…
Kass se rappela la nature du pouvoir de Bruno Girandeau quand le masque de Freyja se fissura. Un éclair de compréhension glacée venait de traverser son regard. Les épines des ronces lui perçant le cœur, Kassandra se leva, prête à crier, mais Thomas Lenoir s’était déjà tourné.
Le canon de son arme en plein sur le front d’Ichika.




Ichika



Le néant sous ses yeux. Un tunnel d’obscurité, de poudre et de mort. Thomas Lenoir - Bruno Girandeau - appuya sur la détente. Ichika leva le bras, prête à lui trancher la main de sa lame de sang. Ni l’un ni l’autre n’atteignirent leur cible. Frey venait de donner un coup de poing dans le coude de l’homme. Il dévia. Juste assez pour détourner le coup de feu au-dessus de l’épaule d’Ichika.
Les jeunes femmes agirent de concert. Ichika acheva la course de sa lame, entailla l’épaule de Bruno Girandeau. Derrière, Freyja lui planta son poignard dans le dos. Essaya, du moins. Après avoir écarquillé les yeux de surprise, elle bondit en arrière pour se mettre en sûreté.
— Gilet pare-balles, informa-t-elle Ichika d’une voix rêche.
Bruno Girandeau ne leur accorda pas de deuxième chance. Il força Ichika à se déporter en tirant de nouveau dans sa direction. Menaça de faire pareil avec Freyja, qui se jeta derrière un bac de fleurs. Aucun coup de feu ne détonna, cette fois.
Le temps qu’Ichika signale à Frey qu’elle pouvait quitter sa cachette, l’homme s’était éloigné en sens inverse, en direction du parking. Ichika bondit sans vérifier que Freyja la suivait. Kass se trouvait juste là, sur le chemin de Zakka…
La vision d’Ichika s’était brouillée d’angoisse quand elle se jeta dans la ruelle où elle avait laissé sa petite-amie. Recroquevillée contre le mur, plus pâle qu’elle ne l’avait jamais vue, Kass respirait par à-coups. Ichika se jeta vers elle, lui empoigna les mains en prenant soin de diluer son sang pour ne pas la blesser.
— Ça va ?
— Oui. (Kass cligna furieusement des yeux en examinant la silhouette de sa copine.) Et toi ? Il a pointé son arme sur…
— Frey m’a sauvée.
Le choc l’ayant vidée de ses couleurs et de ses pensées rationnelles, Kassandra se contenta de la dévisager en ahanant. Freyja ne tarda pas à les rejoindre, considéra Kass avec gravité avant de se détourner. Il y avait comme de la culpabilité dans son regard.
— On doit y aller, Ichika. Faut qu’on le rattrape.
— Oui.
— Non, s’étrangla Kassandra en agrippant les bras de sa petite-amie.
Elle considéra le sang qui venait de tacher ses doigts, trembla de plus belle. Le ventre noué, Ichika extirpa ses mains de celles de sa copine. Il y avait un temps pour la discussion, pour la projection, pour la stratégie.
Et il y avait le temps pour l’offensive, pour l’action. Et l’opportunité que Freyja venait de leur offrir ne pouvait pas être manquée.
— Reste ici, l’implora Ichika d’une voix tordue, douloureusement tordue. Je te retrouve dès que possible, Kassi.
Sans lui laisser le temps de lui promettre - ou de réfuter - Ichika s’élança avec Freyja en direction du parking.

Ichika eut l’impression d’être transportée la veille, lors de sa session de running avec Freyja. Mais il n’y avait pas de fleuve, pas de chants d’oiseaux dans les arbres, pas d’inconnus matinaux sur leur route. Rien que du béton et du gravier, les battements de son cœur, un océan de voitures.
Bruno Girandeau s’était réfugié dans le parking. Frey avait entraîné Ichika jusqu’au véhicule des Jindal en premier réflexe. Pour n’y trouver que leurs anciennes traces de pas, le fantôme d’une discussion où elle aurait pu mettre fin à sa fuite avant même qu’elle débute.
Après avoir poussé un juron, Frey vira vers Ichika.
— On se sépare pour le chercher ? Ou tu crains d’être seule ?
— J’en sais rien, répondit Ichika avec franchise.
— Si tu as besoin d’aide ou que tu l’as trouvé, appelle-moi. (Freyja tendit le bras pour lui serrer brièvement le poignet.) N’hésite surtout pas, Ichika.
Après avoir hoché la tête, Ichika partit en sens inverse. Elle retourna vers l’entrée du parking, observa nerveusement les environs. Même si Bruno Girandeau ne disposait pas de capacité offensive, son pouvoir de détection lui accordait un avantage conséquent.
Alors qu’elle remontait à pas lent les rangées de voiture dans l’espoir de l’apercevoir, Ichika serra les dents. Elle avait manqué perdre la vie quelques minutes plus tôt. Pour une erreur aussi stupide qu’avoir oublié quel genre de Mutabilis était Girandeau.
Frustrée à l’idée de passer des heures à chercher un homme qui pouvait les sentir venir, Ichika accéléra la cadence. Le parking n’était pas immense. Et il n’y avait qu’une issue - à moins que l’homme tente d’escalader le mur d’enceinte. En croisant son périmètre avec celui de Freyja, l’une d’elle finirait pas tomber sur lui. Il ne pouvait en être autrement.
Dix minutes plus tard, les jeunes femmes se retrouvèrent près du véhicule des Jindal. Frey avait l’air sur le point d’exploser. La colère et leurs recherches frénétiques avaient teinté ses joues de rouge.
— Je comprends pas, gronda-t-elle en shootant dans des graviers. Il a pas pu nous échapper. On l’a vu rentrer dans le parking.
Perplexe, Ichika sonda les alentours. Ces quelques dernières minutes, des badauds étaient venus récupérer leur voiture. À chaque reprise, quitte à essuyer des regards méfiants, les jeunes femmes avaient inspecté les conducteurs et leurs mouvements une fois garés ou sortis du parking. Aucun d’entre eux n’avait semblé lié à leur fuyard.
— On refait un tour ? proposa Ichika d’une voix égale. On peut inspecter l’intérieur des voitures, cette fois.
— Mais il est venu avec les Jindal et leur voiture est vide. Et comment il aurait pu rentrer dans une autre voiture, de toute façon ? s’agaça Freyja en faisant un cercle autour de quelques mètres de large.
— Il a peut-être trouvé une voiture ouverte. Quelqu’un qui aurait oublié de fermer.
Freyja soupira en s’arrêtant. Après avoir observé les graviers pendant quelques secondes, elle bascula le nez vers Ichika. L’air résigné ne lui allait pas très bien.
— On a rien d’autre à faire, de toute manière, grinça la jeune femme en faisant tournoyer sa lame entre ses doigts. Alors allons-y. Je commence par la rangée du fond.
— Je fais le début.
Ichika gardait une main plaquée sur son avant-bras. Elle avait solidifié le sang par-dessus la plaie pour éviter l’hémorragie, mais elle ne voulait pas attirer l’attention si un passant l’observait de trop près.
Rendue hagarde par la perte de sang et l’appréhension, Ichika s’efforçait de passer outre sa vision trouble et les sueurs froides. Elle vérifia méthodiquement l’habitacle de chaque voiture à l’entrée du parking. Chercha Freyja du regard par-dessus les toits luisants pour détendre sa nuque engourdie.
Elle remonta encore une rangée de véhicules sans rien trouver de nouveau. À une vingtaine de mètres, Frey attaquait une autre partie. Ichika l’imita, soupira en constant un nouvel intérieur vide.
La douleur pulsant de plus en plus fort dans son bras, Ichika contourna la voiture, se pencha à l’intérieur.
Détonation.
Un brusque sursaut tira Ichika en arrière. Le souffle coupé, elle se retourna, chercha sa coéquipière du regard. Freyja surgit d’entre deux voitures en courant à moitié accroupie. Ichika se baissa à son tour, expira un souffle tremblant.
Elle avait vu Freyja se tenir l’épaule. Avant d’avoir pu tiré au clair ce qui s’était passé, quelqu’un dérapa dans les graviers. Coup de feu. Même le silencieux dont l’arme semblait pourvue ne pouvait pas masquer ce bruit caractéristique.
Malgré les cavalcades de son cœur, Ichika inspira entre ses dents, forma de nouveau sa lame de sang et quitta son abri.




Freyja



Ichika avait eu un bon flair. Bruno Girandeau s’était engouffré dans une voiture qu’on avait oubliée de verrouiller. Frey n’avait pas eu le temps de reculer quand la portière s’était brusquement ouverte. Poussée vers l’arrière, la jeune femme n’avait pu que regarder le canon de l’arme à feu cracher la mort dans sa direction.
Au cours de la formation des Corbeaux, on apprenait aux jeunes recrues à réagir lors de diverses situations menant à des blessures, des paralysies ou des entraves physiques passagères. Frey s’en était toujours sortie avec d’excellents résultats, félicitée pour son sang-froid et l’ingénuité de ses réactions.
En réponse à la douleur brûlante qui lui transperça l’épaule, Freyja eut un gargouillis, un élan de pure panique et fut tentée d’effacer des années de formation d’une pensée barbouillée par la certitude de mourir.
Frey. FREY. DÉGAGE DE LÀ.
Après s’être accroupie pour éviter une nouvelle balle, elle se jeta sur le côté. Temporairement à l’abri derrière les carrosseries des voitures, Freyja se pressa l’épaule pour limiter l’hémorragie et ces insupportables vagues de souffrance qui la paralysaient des doigts jusqu’aux trapèzes.
Le souffle crispé, elle poursuivit sa route, s’obligea à ne pas crier quand une munition érafla le pare-choc du véhicule derrière lequel elle s’était cachée. Même si l’arme de Girandeau était munie d’un silencieux, l’écho résonnait entre les murs du parking. Ichika ne tarderait donc pas à venir en renfort.
Des pas de course dans les graviers. Frey poussa sur ses talons pour quitter son abri. Ahana jusqu’à la prochaine voiture, où une silhouette se dressa face à elle. Ichika s’arrêta à temps, écarquilla les yeux en apercevant le sang qui dégoulinait entre les doigts de Freyja. Elle se retint visiblement de pousser un juron, s’accroupit à côté de son amie.
Comme elle tendait les doigts vers l’épaule de Frey, celle-ci lui asséna une petite tape inoffensive.
— T’inquiète, je m’en occuperai quand on aura neutralisé Girandeau.
— Laisse-moi faire, insista Ichika en pressant son avant-bras contre l’épaule de sa coéquipière.
Comme Ichika avait déjà commencé à agir, Freyja obtempéra. Elle observa avec fascination le sang d’Ichika se mêler au sien puis durcir progressivement pour former une plaque cramoisie qui emprisonnait l’hémorragie.
— Dès que je ne te toucherai plus, mon sang va redevenir liquide et libérer le flux, expliqua Ichika en répétant l’opération à l’arrière de l’épaule. Mais si tu es capable d’encaisser la douleur, je peux enfoncer le tissu de ton sweat dans la plaie pour que ça limite la perte de sang quand je vais relâcher mes pouvoirs.
— Vas-y, siffla Frey en serrant les poings sur le bas de son vêtement. Mais fais vite, Girandeau va pas attendre longtemps.
— Je l’ai blessé en venant jusqu’à toi, l’informa Ichika d’une voix égale. Ça va le ralentir un peu.
Ichika enfonça fermement un bout de tissu dans la plaie à l’arrière de l’épaule de Frey. La jeune femme couina malgré sa préparation mentale. Les traits crispés, Ichika bascula de nouveau devant, où elle échangea un regard avec Freyja avant d’agir.
— C’est bon, grinça Frey alors que tout son corps hurlait l’inverse.
Le doigt d’Ichika plongea dans la blessure béante, y logea un morceau de sweat pour coaguler le sang dès qu’elle relâcherait son emprise. Des larmes de douleur brûlèrent les yeux de Frey, qui se plia en deux pour contenir la déferlante de feu dans son bras droit.
— On y va, cracha-t-elle en se pressant les paupières pour y chasser les restes salins.
Ichika retira son bras, récupéra son sang contre sa propre peau pour y forger sa lame habituelle. Elle aida Freyja à se redresser et se plaça devant elle.
— Pas la peine de me protéger, grommela Frey d’une voix rauque en la suivant dans l’allée du parking.
Bien qu’elle jeta un œil pensif dans sa direction, Ichika ne prit pas la peine de répondre. Elle trottina en direction de plusieurs traces de sang sur les graviers, inspecta les alentours.
— Je l’ai laissé ici, expliqua la jeune femme en grattant le sol de la pointe de sa chaussure.
— Il est pas loin, alors.
Elles se guidèrent grâce aux indices sanguinolents que l’homme avait abandonnés derrière lui. Un bout de canon pointa dans leur direction alors qu’elles approchaient du fond du parking. Elles s’écartèrent aussitôt de la trajectoire pour se réfugier chacune devant une voiture.
— On contourne chacune de notre côté pour le coincer ? suggéra Freyja en articulant exagérément pour compenser le faible son de sa voix.
Ichika hocha la tête, partit de son côté. Frey prit une grande inspiration, serra les dents en se redressant. Chaque mouvement accentuait les langues de feu qui coulaient de son épaule vers le reste de son corps.
Sous ses Doc Martens, les graviers crissaient horriblement. Freyja finit par se faire une raison, décida d’accélérer un bon coup. Elle prit soin de baisser la tête et de brandir son bras valide devant elle en débarquant au niveau de Girandeau.
Comme il avait prévu qu’elles arriveraient en tenaille, il n’était pas tourné vers elle quand Frey contourna le véhicule. L’arrivée de Freyja ne tarda pas à lui imposer une rotation. La jeune femme esquiva sur le côté dans la crainte qu’il tire, mais l’homme ne lui prêtait pas réellement attention.
Son buste était orienté de l’autre côté. Frey poussa sur ses muscles épuisés pour bondir vers lui, repousser cette maudite arme à feu. Le pistolet se révéla être complètement hors de sa portée quand Girandeau le braqua sur une Ichika déstabilisée. La balle fusa sans que Frey ou Ichika aient pu réagir.
Contrairement au tir destiné à Freyja une poignée de minutes auparavant, Girandeau s’était préparé. Avait visé juste, précis. La munition se logea en plein dans la poitrine d’Ichika.




Jayden



La conscience de Jayden clignotait. Lumière, teintée de cris et de poils hérissés. Obscurité, songes poisseux et terrifiants. Dans cet entre-deux, la lumière grise qui coulait de la fenêtre, jetait son flot opaque sur le corps inanimé d’une fillette.
Inaya, murmurait la conscience de Jay quand elle s’élevait dans la lumière.
Nour, se désolait-elle dans l’obscurité.

Quand l’entre-deux de gris fut suffisamment stable, Jay s’obligea à passer outre le choc physique et psychologique. Son bras était si engourdi qu’il s’effondra dessus en voulant se redresser. Nour ne l’avait pas raté.
Mais au moins l’avait-elle épargné. Jayden avait étudié en long et en large les rapports de ses massacres. En contact direct ou à distance, ses nuages électriques tuaient en quelques secondes. Si Jayden était encore capable de respirer malgré le poids qui écrasait son corps au sol, c’était bien parce que l’enfant-assassin en avait décidé ainsi.
Avec un grognement, il tenta une nouvelle fois de se relever. Le bras qui avait reçu la décharge pendait contre son flanc, palpitant comme si des milliers d’abeilles s’y étaient réfugiées. Tout le reste de son être tressautait, agité par une espèce de hoquet géant. Mais jamais un hoquet ne lui avait fait si mal. Ou plongé dans un état de confusion pareil, où la nausée côtoyait les vertiges.
Sa main valide accrochée aux barreaux de la balustrade, Jay rampa à moitié en direction d’Inaya. Enfonça les doigts dans la peau tendre de son cou. Expulsa un soupir fébrile quand les échos si précieux de son cœur balbutièrent contre sa pulpe.
Et, quand ses oreilles cessèrent d’être des caveaux de grésillement, les cris le frappèrent. Enfoncèrent des épines dans son cœur, des coups de pied dans ses tripes.
Nour - Kyra - avait envahi le Conseil. Et sa mission sanglante avait déjà débuté.

Jayden s’appuya à la balustrade pour se relever. Les genoux vacillants, il enjamba Inaya puis tituba vers la porte du Conseil. Deux des quatre Corbeaux qui la gardaient encore quelques minutes plus tôt étaient prostrés. Jay ne prit pas la peine de vérifier leur pouls. Pas alors qu’il sentait pulser des vagues d’énergie antinomiques. Il épaula le mur, poussa la porte.
Une large table circulaire occupait la salle dont les baies vitrées offraient une vue sur le quartier de la Jonction. Sur le bois foncé et ciré reposaient des corps dont l’immobilité en disait bien assez. Au fond, Joseph Anderson faisait barrière de son corps entre Nweka Agou et les vagues mortelles de Nour.
Le jeune assassin avait grimpé sur la table. Sa silhouette enfantine surplombait des dizaines de corps animés et inanimés. Enragés et silencieux. Vifs et passifs. Certains Mutabilis aux capacités offensives avaient trouvé le courage de lancer un assaut.
Jay cligna des yeux confus alors que des Corbeaux désespérés tiraient en vain sur l’assassin. Son épiderme ne laissait rien passer de leurs projectiles, de leur effroi emmailloté de la rage aveugle d’abattre l’ennemi.
La seule personne qui avait la capacité de lui faire face se dressait de l’autre côté de la table. Rempart ultime entre des Mutabilis impuissants et une enfant inarrêtable, son propre grand-père.
Un grognement-geignement s’éleva du fond de sa gorge. Jayden se traîna dans la salle, trébucha sur le corps d’un troisième Corbeau anéanti. Il se rattrapa de justesse au dossier d’une chaise, observa pendant quelques secondes la femme aux yeux révulsés qui y était installée.
Puis Charles Ancesteel le remarqua. Leva la voix au milieu des détonations et des cris de terreur :
— Jayden ! Aide-moi !
Le jeune homme rencontra le regard de son grand-père, frémit de sa dureté. Au milieu du chaos, de la mort invisible, il conservait son flegme. Jay n’eut pas le temps d’être reconnaissant de sa maîtrise : Kyra bondissait dans sa direction.
Le corps de Jay réagit par pur réflexe. L’obligea à reculer alors que l’enfant tendait la main dans sa direction, un éclat aux milles brisures dans ces yeux si grands qui lui mangeaient le visage. Les doigts de l’assassin frôlèrent le visage de Jay, furent écartés de force par de nouvelles balles véloces.
La chute expulsa le souffle de Jay de ses poumons, envoya un arc de douleur dans le bras qui avait reçu la décharge. Alors qu’il se redressait en grognant, un poids lui tomba dessus. De nouveau projeté au sol, Jayden agrippa son assaillant. Comme le bras qu’il venait de saisir lui faisait l’effet d’une branche incassable, il se retint à temps de projeter ses illusions mentales.
Nour l’observait, le dévorait, le suppliait. De ses lèvres sourdes, de son regard aveugle, de son serment immuable. De toute sa détresse et toute sa supériorité.
— Nour, s’étrangla Jay en prenant conscience des Mutabilis qui se rapprochaient d’eux, avides d’arracher la vie à cette enfant qui pesait à peine sur son buste.
De près, entre deux sursauts d’adrénaline, il remarqua les traces d’un maquillage à la lisière de ses cheveux, de son cou. Comprit le subterfuge qui l’avait cachée aux yeux de tous depuis le début.
— Inaya ? chuchota Nour d’une voix pressante.
— Vivante.
La fillette hocha sèchement la tête, enroula les mains autour de la gorge de Jay. Il tressaillit, empoigna ses poignets par instinct. Elle s’inquiétait pour Inaya. Pour la jeune fille qui avait prétendu être sa sœur. Pour celle qui l’avait masquée aux sens des Mutabilis détecteurs, dotée de la capacité des Saad à masquer les pouvoirs en contact épidermique.
— Nour, souffla Jayden d’une voix rendue cassée par la pression qui augmentait sur sa trachée, Nour on peut toujours…
— Lâche-le ! tonna une voix cassante à quelques mètres.
Jay tourna la tête de concert avec son assaillant. Charles avait contourné la table et se dressait de toute sa noblesse malgré sa jambe tordue. Son magnétisme titillait les nerfs de Jay. Des stylos, agrafes et autres broutilles métalliques venaient percuter son costume trois pièces.
— Lâche-le, éloigne-toi et nous pourrons discuter, Kyra, gronda Charles d’un ton rêche.
— Il ment, intervint Jayden d’une voix tout juste audible. Il va te tuer, Nour.
L’enfant ne répondit pas, força Jayden à se redresser en tirant sur sa gorge. À cette vision, le visage de Charles tourna à la tempête. Ses yeux bleus orageux foudroyaient aussi bien Kyra que son petit-fils. Il susurra d’ailleurs à son intention :
— Jayden, qu’est-ce que tu attends pour le mettre hors d’état de nuire ?
Nour quitta Charles des yeux pour retrouver ceux de Jayden. Kyra avait l’air de mener une guerre. En lui-même, avec Nour, avec l’UOM, Jayden, Amel et Zakka. Jay lui rendait sa bataille : l’assassin était là, à portée de ses mains capables de l’anéantir mentalement. Ils s’agrippaient mutuellement, les petites mains de Nour serrées autour de sa gorge, les doigts de Jay enroulés sur ses bras.
Aucun ne pouvait faire le dernier pas. Jayden était le seul Mutabilis de la pièce à pouvoir inverser la tendance. Quant à Kyra, il savait quelle était la prochaine étape avant d’atteindre son grand objectif final. La prochaine étape prenait la forme d’un battement effréné sous ses doigts. D’un souffle haché qui voulait protéger et non pas condamner.
— Nour, murmura Jay en lui souriant faiblement, échappe-toi. Fuis l’UOM et le Conseil.
La bataille faisait toujours rage chez l’ennemi et ces mots n’y ajoutèrent qu’un écran de confusion. La poigne de Nour s’affaiblit, mais Jayden la maintint de force contre son cou. S’il n’avait plus l’air en danger, plus rien n’empêcherait les Mutabilis de s’en prendre à elle.
— Jayden, écarte-toi de lui, le somma son grand-père avec hargne.
Une vague de magnétisme les bouscula. Jayden grimaça, son propre pouvoir hurlant de contrebalancer cette répulsion irritable. Nour ferma les yeux en grimaçant, même si aucune pièce de métal sur elle ne l’envoya rouler au loin.
Une flamme glacée se réveilla des cendres de son regard brun. Une main toujours sur la gorge de Jay, elle se leva et tendit l’autre bras en direction de Charles. Une décharge étrangla Jayden, percuta sa conscience pour l’empêcher d’envoyer une quelconque hallucination dans le cerveau de Kyra.
En même temps, de nouveaux nuages électrostatiques tournoyèrent en direction des Représentants et des Corbeaux encore debout. Sa vision brouillée, Jay crachota quelques paroles vaines. Il ne sentait plus le magnétisme de son grand-père. Est-ce que Charles avait…
Des tirs. Kyra gronda tout bas, se recroquevilla pour éviter les munitions qui pouvaient toujours le blesser au niveau des muqueuses. Sa trachée enfin libérée, Jayden se froissa les côtes à tousser violemment. Les détonations lui vrillaient le cerveau. S’il n’activait pas son magnétisme d’une seconde à l’autre, il finirait par être touché.
Même s’il savait parfaitement ce que ça signifiait pour Nour, Jayden se replia sur lui-même et repoussa tout autour de lui. Kyra hoqueta de surprise, garda le silence puis se mit à geindre de peur. Son électricité avait échappé à son contrôle. À moins d’aller au contact direct, il était temporairement impuissant.
L’opportunité que venait d’offrir Jayden n’échappa pas longtemps aux Mutabilis. Autour d’eux, les Corbeaux encore opérationnels s’agitèrent, dégainèrent leurs couteaux. Jayden se releva tandis qu’ils approchaient avec méfiance.
Une femme en tenue de combat le repoussa brusquement contre le mur, plongea sa lame en direction de l’assassin de l’UOM. Kyra croisa les bras devant sa tête en hurlant, asséna des coups de pied frénétiques à son assaillante.
La nausée grimpa la gorge de Jay, lui brûla la langue. Tout son corps l’élançait. Au nez de son impuissance, les coups répétés de la femme Corbeau finirent par porter leurs fruits : une estafilade cramoisie apparut sur les lèvres de Nour. Déstabilisée, l’enfant se figea, porta un regard terrifié vers son attaquante avant de basculer sur Jay. Puis la terreur vira à la renonciation.
Le prochain coup de couteau s’enfonça tendrement dans la jonction entre son cou et son épaule.
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