Extraits

Bryn s’arrêta un instant sur le trottoir et leva les yeux sur le frontispice en marbre de la plus prestigieuse galerie d’art de Londres. Le nom Archangel brillait en lettres d’or au-dessus des immenses portes vitrées de l’entrée, qui s’ouvrirent sur son passage.

Elle s’obligea à marcher d’un pas décidé, la tête haute. Elle avait conscience de pénétrer dans le camp ennemi, car les D’Angelo étaient responsables de l’emprisonnement de son père, cinq ans plus tôt. Plus particulièrement Gabriel D’Angelo, qui lui avait aussi brisé le cœur…

Il ne fallait surtout pas penser à cela en ce moment. Au cours des deux années écoulées, depuis la fin de ses études, elle avait frappé en vain aux portes de toutes les galeries d’art. Il n’en restait qu’une, Archangel, son seul et unique espoir de faire reconnaître son travail.

Parmi les anciens étudiants de son entourage, beaucoup avaient cédé aux pressions familiales ou économiques pour se lancer dans la publicité ou l’enseignement, abandonnant ainsi leurs rêves d’embrasser une carrière artistique. Mais pas Bryn. Non, elle s’accrochait obstinément à son ambition de peintre. Un jour, sa mère serait fière d’elle. Sa réussite effacerait la honte du lourd passé familial.

Finalement, elle avait dû s’avouer vaincue, non en tirant un trait sur la peinture, mais en se résignant à s’inscrire au Concours des Jeunes Talents organisé par Archangel.

— Mademoiselle Jaunes ?

Elle se tourna vers l’une des deux réceptionnistes assises derrière l’élégant comptoir de marbre rose et ivoire, assorti aux colonnes qui soutenaient la voûte du hall majestueux. Des objets d’art et des bijoux somptueux étaient exposés dans des vitrines.

Lors de sa dernière visite, Bryn avait aperçu des trésors d’une valeur inestimable dans les six salons qui se succédaient en enfilade au rez-de-chaussée de l’immeuble, à côté de la salle des ventes.

Elle se redressa, déterminée à ne pas se laisser intimider, ou du moins à ne pas le montrer.

— Oui, c’est moi.

— Linda, répondit l’élégante hôtesse aux cheveux platine.

Quand elle s’approcha sur ses talons de neuf centimètres qui résonnaient sur les dalles, Bryn regretta de ne pas s’être habillée avec plus de soin. Son pantalon noir et son chemisier à fleurs lui semblèrent tout à coup trop banals et décontractés pour son deuxième rendez-vous avec Eric Sanders, l’expert artistique de la maison.

— J’ai rendez-vous avec M. Sanders, dit-elle doucement.

Linda hocha la tête.

— Si vous voulez bien me suivre jusqu’à l’ascenseur… Je vais vous conduire au bureau de M. D’Angelo.

Aussitôt, Bryn se raidit avec l’impression d’avoir des semelles de plomb sous ses chaussures.

— Je dois voir M. Sanders.

— C’est M. D’Angelo qui mène les entretiens, ce matin.

— M. D’Angelo ? articula Bryn, la bouche sèche.

— L’un des trois frères propriétaires de la galerie.

Bryn était parfaitement au courant. Mais lequel des trois frères allait la recevoir ? Le froid et méprisant Michael ? Raphael, l’arrogant play-boy ? Ou le cruel Gabriel qui avait piétiné son cœur naïf et vulnérable ?

A vrai dire, peu importait. Ils étaient tous les trois aussi hautains et impitoyables. Jamais elle ne se serait adressée à Archangel Gallery si elle n’avait été à la fois désespérée et déterminée à faire partie des six nouveaux talents qui seraient exposés le mois prochain.

Chez les D’Angelo, on taquinait beaucoup la mère qui avait osé donner à ses fils, pour s’accorder avec leur nom de famille, les prénoms des trois archanges, Michael, Raphael et Gabriel. Les frères avaient naturellement eu leur part de moqueries à l’école et en pension. Maintenant qu’ils avaient la trentaine, ils en avaient tiré le meilleur parti pour fonder l’une des plus prestigieuses galeries d’art au monde. Archangel Gallery était implantée à Londres, New York et Paris.

Leur grand-père, Carlo D’Angelo, avait réussi à emporter sa fortune avec lui lorsqu’il avait fui l’Italie pour émigrer et s’établir en Angleterre, soixante-dix ans plus tôt. Il avait épousé une Anglaise qui lui avait donné un fils, Giorgio, le père de Michael, Raphael et Gabriel.

En homme d’affaires avisé, Giorgio avait su faire fructifier la richesse paternelle en fondant à Londres une salle des ventes avec un espace d’exposition. Maintenant à la retraite, il vivait depuis dix ans en Floride avec sa femme Ellen. Ses fils, qui avaient pris la relève et ouvert deux établissements supplémentaires à New York et Paris, étaient multimillionnaires.