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Ecosse, 1235
Marianne était au purgatoire.
Du moins en avait-elle l'impression tandis qu'elle contemplait le paysage trempé depuis une croisée arrondie de la forteresse de son frère.
Naturellement, il pleuvait de nouveau, la forte averse cachant tel un voile les sommets escarpés qui entouraient Beauxville. Elle transformait la cour intérieure en un immonde mélange de boue et de flaques et mouillait les échafaudages dressés autour des murailles à moitié érigées du château.
Il avait plu chaque jour depuis qu'elle était arrivée dans ce pays sauvage, aux confins du monde civilisé.
Si elle était en Normandie, en cet instant, le soleil brillerait et les feuilles des arbres seraient d'un vert vif. Elle s'abriterait du soleil à l'ombre de leurs branches, chuchotant avec un groupe de jouvencelles de son âge, s'efforçant de réprimer son rire tandis que les laboureurs passeraient le long des murs du couvent pour rentrer chez eux après une journée de travail aux champs. Les jeunes gens chanteraient leurs chansons grivoises, sachant très bien que derrière les murs blancs des jeunes filles les écoutaient. Les nonnes courraient de tous côtés, pépiant comme une troupe d'oiseaux effrayés, réprimandant les pensionnaires dont elles avaient la charge et essayant de les faire rentrer.
Si elle avait été en Normandie, elle aurait eu chaud. Ici, même vêtue d'une chemise de toile, d'une cotte de drap indigo et d'un bliaut rouge clair gansé d'or, avec un châle de laine vert vif drapé sur ses épaules, elle avait froid.
Si elle était en Normandie, elle se sentirait bien et heureuse, pas solitaire, transie et complètement, absolument, misérable.
Elle aurait dû poser plus de questions à son frère quand il était arrivé au couvent pour lui annoncer qu'il la ramenait dans son fief. De fait, elle avait été trop contente sur le moment d'être libérée des contraintes de l'établissement religieux, trop fière du noble seigneur qui venait la chercher et trop impressionnée par sa prestance et sa carrure pour l'interroger. Même la Révérende Mère avait paru intimidée par Nicholas, alors que Marianne avait cru jusque-là que le pape lui-même ne pourrait l'intimider.
Mais si la Mère supérieure avait su que Nicholas allait l'amener ici, dans ce fatras de maçonnerie inachevée, où elle vivrait parmi des sauvages aux cheveux longs et aux jambes nues, elle aurait sûrement déclaré que l'Ecosse était le dernier endroit sur terre convenant à une jeune fille normande éduquée et de noble naissance. Elle aurait suggéré à Nicholas d'autoriser Marianne à rester dans le couvent qui avait été son foyer durant les douze dernières années, jusqu'à ce qu'on puisse lui trouver un époux convenable.
La porte de sa chambre s'ouvrit brusquement.
Surprise, elle se détourna de la fenêtre pour voir son frère, récemment nommé seigneur de Beauxville, entrer dans la pièce. Comme toujours, Nicholas était simplement vêtu de drap noir sans une broderie à ses poignets ou à son col. Son seul ornement était la boucle en bronze de son baudrier. Ses bottes élimées étaient crottées de boue, ses cheveux humides, et son expression taciturne n'indiquait pas pourquoi il avait décidé de venir la trouver ici, où il s'aventurait rarement.
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