Futur à l'abri, Tome 2

« Si le Premier le veut, et à la demande de la famille, l’Unique peut vivre avec ses parents jusqu’à son dix-septième anniversaire. Mais l’Unique devra être tenu à la disposition du Premier dès la première heure de ses dix-sept ans. Aucune dérogation n’est possible. Investis de l’autorité du Premier, les Gardiens ont tout pouvoir pour s’assurer de la pleine et entière coopération de l’Unique, de sa famille et du personnel de l’abri. »

Le regard fixé sur le plafond qu’elle discerne à peine à la lueur d’une veilleuse, Gil ressasse cette sentence. Le 8 juillet 117, ce jour redouté par son ami Unique, qu’elle attend avec autant d’impatience que de crainte, arrive. Demain, Kris aura dix-sept ans.

Il soupire à côté d’elle et s’approprie la couette, un tissu gris de laine fatiguée qui a connu des jours meilleurs. Effilochée de son côté, elle ne couvre que la moitié de son corps. Mais aujourd’hui, Gil laisse Kris gagner cette bataille, il mérite de se reposer avant que tout ne change pour lui. À la recherche d’un peu de chaleur, elle se love contre le jeune homme et lui caresse ses bouclettes brunes. Le sommeil assagit celui qu’elle aime et lui fait perdre cette inquiétude permanente qui marque son front de deux rides transversales. Surtout, ses beaux yeux bruns et tristes sont fermés même s’ils s’agitent sous ses paupières. Il rêve… ou il cauchemarde en cette avant-dernière nuit incertaine. Elle aimerait pouvoir le rassurer, au moins lui révéler que sa vie ne s’arrêtera pas. Mais elle ne le peut pas. La promesse faite à Vieux Kris tient toujours. Lorsqu’elle a rencontré le Gardien qu’il deviendra, et qu’elle a accepté de convaincre ses amis de rentrer contre sa parole de ne rien révéler, elle ne s’attendait pas à ce que garder ce secret soit si difficile. Elle a réussi à s’y tenir, bien peu aidée par les idées stupides de Kris et l’inconscience des Dax. Elle n’a rien lâché quand les jumeaux ont pensé avoir trouvé une solution pour pirater leurs implants et que Kris a voulu tenter une nouvelle évasion. Elle n’a pas flanché quand, cet hiver, Kris a commencé à sangloter la nuit. À chaque fois, elle l’a soutenu, pour lui éviter de se perdre malgré l’appréhension qui grandissait.

Kris pousse un gémissement et déplie brusquement sa main sur la sienne. Sa peau est blafarde par rapport à celle dorée de Gil, à cause des journées qu’il passe enfermées dans les vapeurs de la laverie du bloc VI tandis qu’elle travaille à l’extérieur, dans les serres.

Mon beau brun ténébreux…