Galaxie Khalbellem

Chapitre 1 La vie parisienne assourdissante et impersonnelle attirait pourtant la foule. De même que son brouillard, engendré par la pollution et qui donnait parfois, l’impression d’étouffer. Mais elle adorait sa ville. Celle où elle naquit, vingt-sept ans auparavant. Ses parents l'avaient baptisée Cassiopée. Ils avaient entendu ce prénom, dans une vieille série américaine des années quatre-vingt. Elle aimait à penser qu’ils l’avaient choisi, parce qu’ils étaient fascinés par les étoiles. Ce qui était beaucoup plus romantique, et tout à fait leur opposé. En 2010, lorsqu’elle vit le jour, ils étaient encore insouciants, ce qui ne perdura pas. On pouvait croire que cette jeune femme aux yeux verts, avec sa longue chevelure fauve, ne passait pas inaperçue. C’était un tort, car elle avait le don d'être invisible. Que ce soit pour ses parents, ou pour l’immense population parisienne. En ce qui concernait cette dernière, c’était par choix et non pas par lâcheté. Elle ne manquait pas de courage, mais son sens commun l’incitait à éviter tout incident. Elle devait se montrer prudente, la recrudescence de la criminalité lui apprenait quotidiennement, à se méfier de tous. Surtout après la première agression, dont elle fut victime, quatre ans plus tôt, en rentrant du travail. Les trois individus la laissèrent pour morte, sur le trottoir, après l’avoir battue et dépouillée de son sac à main. L’âme charitable, qui prévint les secours, lui sauva la vie. Le jour de sa sortie de l’hôpital, après plusieurs semaines de soins, elle jura de ne plus jamais se retrouver dans une telle position. Elle suivit des cours de défense, qui, elle le savait, ne l’aideraient pas beaucoup contre plusieurs agresseurs. Toutefois, ils lui permettraient de ne plus se sentir faible et impuissante. Les années qui suivirent, elle subit deux nouvelles agressions, mais cette fois-ci, les criminels abandonnèrent rapidement leur tentative de vol. Ils aimaient les proies faciles, mais Cassiopée n’entrait plus dans cette catégorie. Elle aspergea leur visage, de son parfum préféré. Ils récoltèrent des yeux irrités ainsi qu’une odeur qu’ils n’oublieraient pas. Elle s’en tira avec quelques bleus et contusions. Désormais, elle se sentait forte, ce qui lui donnait du courage. Elle ne côtoyait que peu de personnes et n’était inscrite sur aucun réseau social, ce qui était à la mode depuis une vingtaine d'années. Cela ne la gênait pas, sa propre compagnie la satisfaisait et elle ne s'ennuyait jamais. Son métier de libraire dans une petite boutique, non loin de la place du Tertre, n'avait rien de glamour. Elle adorait ce quartier, même s'il avait beaucoup changé ces temps derniers. On y trouvait que peu d'artistes. Ces derniers ne gagnaient pas suffisamment leur vie, pour vivre de leurs créations artistiques. La clientèle étant peu nombreuse, elle ne voyait quasiment personne ; elle en profitait pour lire tout ce qui lui tombait sous la main. En 2037, les collectionneurs représentaient la majorité des acheteurs, ce qui signifiait peu d’allées et venues, dans le magasin. Durant la dernière décennie apparut une recrudescence de plateformes de vente en ligne. Il était plus avantageux de se procurer des livres numériques. Beaucoup de librairies déposèrent leur bilan, dû à une grosse perte de rentabilité. Sa famille lui répétait constamment qu’elle n'avait aucun avenir dans cette branche. Cassiopée se disputa une fois de plus avec elle. Lors de sa dernière visite, cinq ans auparavant, elle ferma définitivement la porte sur ses parents, qui, on pouvait bien le dire, n'en avaient jamais été. Ils passaient le plus clair de leur temps à voyager, ou à parader dans des dîners mondains. Quant à Cassiopée, depuis toute petite, ils la confiaient au bon vouloir d'une nourrice, qu’ils prenaient soin de remplacer régulièrement, pour qu’elle ne s’y attache pas. Pourquoi ? Elle n'en avait aucune idée, puisqu’ils ne lui portaient que peu d’intérêt. Un précepteur, passionné de lecture, se chargea de son éducation, dès ses six ans. Il resta à ses côtés pendant quatre années. Puis, ce fut de nouveau, les enseignants qui se succédèrent les uns aux autres. À l’âge de quinze ans, elle décida de prendre sa vie en main, autant que faire ce pouvait à ce jeune âge. Elle insista auprès de ses parents pour étudier la littérature et les langues. À sa grande surprise, ils acceptèrent, mais le lui reprochèrent plus tard. Pour eux, cette voie n'était d'aucune utilité. Ses chers géniteurs imaginaient l’union de leur progéniture, avec le fils de leurs riches amis. Cassiopée se demandait parfois, à quelle époque ils vivaient, les mariages de convenance étaient révolus depuis longtemps. Toutefois, elle ne gaspillait plus son énergie à s'inquiéter, ou même à penser à eux. Comme à son habitude, elle était plongée dans un roman, lorsque la sonnette du magasin retentit. Ce qui la fit sursauter et perdre sa page. Elle émit aussi un cri suivi d’une insulte, en heurtant son genou sur le comptoir de vente. La douleur lancinante, l’empêcha de remarquer la personne qui venait d'entrer. – Êtes-vous blessée, mademoiselle, demanda l’étranger en anglais. Cassiopée resta un instant sans voix, le souffle coupé par l’apparence de l’homme qui se présentait devant elle. – Euh… Non, tout va bien, merci. Parlez-vous français ? – Oui, excusez-moi, je parle votre langue, répondit-il, dans la langue de Molière. – Je vous en prie, il n’y a aucun souci. Je suis désolée pour mon langage inapproprié, vous m'avez surprise. En quoi puis-je vous être utile ? s’enquit Cassiopée. L'homme lui offrit un large sourire. – Un ami m'a conseillé votre librairie. Je suis à la recherche d'une collection qui s'intitule « La découverte de l'univers », de Scott Stapleton. Je pars pour un très long voyage et j'aimerais les emporter avec moi. – Vous avez de la chance, car nous possédons les dix volumes. Je les ai tous lus, ils sont fascinants, mais très onéreux. – Le prix n'a aucune importance, assura le jeune homme. – Dans ce cas, si vous voulez bien patienter quelques instants. Nous les conservons dans la réserve, à l'abri de la lumière. L’étranger acquiesça en souriant. Incroyable ! Ma patronne allait être étonnée par une telle vente. Ces romans coûtent une fortune, pensa Cassiopée. Les hommes jeunes franchissaient rarement la porte de sa librairie. En général, les collectionneurs dépassaient tous la quarantaine et essayaient toujours de marchander le prix des ouvrages. Ce client avait une trentaine d'années. Ses cheveux mi- longs étaient d'un blond polaire presque blanc, et ses yeux, d'un bleu qui vous hypnotisait. Sa taille se situait bien au-delà des normes françaises. Cassiopée inspira profondément, afin de reprendre ses esprits. Les tomes se composaient de gros pavés, de plus de six-cents pages, leur reliure en cuir ajoutait au poids déjà conséquent. Elle se pressa de retourner dans la boutique avec les premiers romans. – Voici les cinq premiers. Je vous apporte immédiatement les autres. – Merci, mademoiselle. Ils sont vraiment magnifiques. – Oui, en effet. J’arrive tout de suite. Elle se hâta de récupérer le reste des livres et revint rapidement au comptoir. Le client qui admirait la collection, ne fut pas perturbé par l'annonce du prix. Il régla par carte bancaire et la remercia vivement de son aide. Pendant qu’elle emballait avec application et précaution les livres, elle lui confia être heureuse que ces superbes ouvrages soient désormais, entre les mains d'un connaisseur. Il la salua poliment et quitta la librairie, avec son précieux colis, le sourire aux lèvres. Après son départ, Cassiopée découvrit sur le comptoir une carte de visite. Pourquoi l'avait-il laissé là ? se demanda-t-elle. Elle était curieuse de savoir, qui possédait les moyens de s'offrir, une telle collection. En filigrane argenté, on pouvait lire : TRANSTAR COMD Lherann Kaldabarann Tel : 0610838588 Son nom ne lui apprenait rien sur ses origines, ainsi que celui de son entreprise qui n’apportait pas de renseignements supplémentaires. Lherann Kaldabarann restait un mystère. Elle reprit donc son occupation favorite. La poursuite de sa lecture l'emporta sur une autre planète, dans une aventure épique, aux multiples rebondissements. Elle s'évada vers de nouveaux horizons, durant tout l'après-midi. La sonnerie du téléphone la sortit de son livre. Sans doute sa patronne qui désirait un compte-rendu de ses ventes. Cette dernière ne se déplaçait plus, depuis plusieurs mois. À son avis, faire acte de présence dans sa boutique était inutile.