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Sous le choc, j’ai laissé tomber la bouteille – laquelle, par chance, a roulé sur le trottoir sans se casser. Je me suis précipitée pour la rattraper, mais une main m’a devancée.

Une grande main virile – je mentirais en disant que je n’ai pas frissonné à son contact. Ça m’a chatouillée un peu de la même façon que la crème du docteur Fibs – celle qui permet de modifier ses empreintes digitales. Mais en beaucoup mieux…

Je me suis relevée, et le garçon m’a tendu la bouteille.

— Salut, a-t-il lancé.

Il avait une main enfoncée dans la poche de son jean trop large, qui découvrait à moitié ses hanches, et ses

Nike d’un blanc éblouissant disparaissaient presque dessous.

— Tu viens souvent ici ?

Je n’ai pas pu m’empêcher de sourire.

— Tu sais, a-t-il repris, t’es pas obligée de répondre. Je connais toutes les poubelles de cette ville, et, même si celle-ci est très jolie, elle n’est pas digne d’une fille comme toi. (J’ai ouvert la bouche pour protester, mais il a continué :) Celles de la rue d’à côté sont bien plus chics.

Contente de pouvoir mettre à profit les cours de M. Solomon, j’ai observé attentivement mon interlocuteur. Il mesurait environ un mètre quatre-vingts, avait des cheveux bruns ondulés et des yeux qui n’avaient rien à envier à ceux de mon professeur d’opérations secrètes.

Mais, ce qui était le plus craquant chez lui, c’était sa façon de sourire. Tous les traits de son visage s’éclairaient à ce moment-là. N’importe quelle fille aurait fondu à ma place.

Mais bon, je n’étais peut-être déjà plus très objective…

— Elle doit être vraiment spéciale,cette bouteille, a-t-il fait remarquer.

Qu’est-ce que je devais avoir l’air tarte ! Complètement décontenancée par son charme, j’ai sorti le premier truc qui me traversait l’esprit… en oubliant la couverture préparée avec mes amies.

— C’est pour mon chat !

Il a haussé un sourcil. J’ai cru qu’il allait sortir son téléphone pour me signaler au premier hôpital psychiatrique du coin.

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Le lendemain matin a été une torture. Et ce n’est pas un mot que j’utilise à la légère, vu la profession de mes parents. Ceci dit, je devrais peut-être l’éviter et reformuler ma phrase : notre premier jour de classe a été particulièrement difficile.

On ne s’était pas couchées tôt, loin de là… Quand Liz nous a réveillées à 7 heures, deux possibilités s’offraient à nous. Soit se pomponner pendant une heure et se passer de petit déjeuner. Soit enfiler en vitesse nos uniformes pour avoir le temps de prendre un repas digne de ce nom avant le cours du professeur Smith, à 8 h 05.

D’habitude, dans ce genre de cas, l’appel des bagels et des gaufres l’emportait. Mais ça, c’était avant J.-S. (avant Joe Solomon). Aujourd’hui, la plupart des filles qui écoutaient le professeur Smith parler de l’agitation sociale dans les pays baltes avaient les yeux rehaussés d’un trait d’eye-liner, la bouche brillante de gloss… et l’estomac vide. À un moment, j’ai jeté un œil à ma montre, et je me suis rendu compte que 11 705 secondes me séparaient du déjeuner…

Après, on a eu culture générale et bienséance avec Mme Dabney. Malheureusement, cette fois, elle ne nous a pas proposé de thé. Puis l’heure de notre troisième cours a sonné.

Comme il y a plus rassasiant que le gloss à la cerise, j’ai fouillé désespérément dans mon sac à la recherche d’un bonbon à la menthe. J’en ai trouvé un… un peu douteux. Au moins, en cas de crise d’hypoglycémie, j’aurais une haleine fraîche lorsqu’on essaierait de me réanimer.

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— Mission accomplie, ai-je murmuré en la saisissant.

Puis j’ai pivoté sur mes talons. Il était temps de regagner mon univers. Celui où j’étais invisible, mais pas inconnue.

C’est là que je l’ai vu. Un garçon, de l’autre côté de la rue, me regardait fixement.

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Quinze minutes plus tard, je me suis retrouvée enfermée dans une pièce plus petite. Même si j'étais toujours bandée et ligotée, j'ai remercié intérieurement mon ange gardien qu'on n'ait pas trop serré mes liens.

On m'avait laissée avec M. Mosckowitz.

- Je m'en veux tellement, si vous saviez, ai-je dit.

- Cammie, je crois qu'on est censés ne pas parler.

- Oh oui, c'est vrai. Pardon.

J'ai gardé le silence pendant environ... douze secondes.

- C'est juste que, si j'avais su que c'était un examen, je n'aurais jamais utilisé un coup interdit. Je le jure!

- Oh.

M. Mosckowitz s'est tu pendant un bon moment avant de demander, comme je m'y attendais:

- Interdit? C'est-à-dire?

- Ne vous inquiétez pas. Je suis sûre que vous n'avez rien. À moins que... Vous n'avez pas la tête qui tourne? Ni des points lumineux devant les yeux?

- Oh, mon Dieu...

On peut lire en Harvey Mosckowitz comme dans un livre ouvert. Un comble pour une sommité du langage codé, quand même, non?

- Restez calme, ai-je repris en prenant l'air de quelqu'un qui cède à la panique. Ça ne devient dangereux que si des tâches rouges apparaissent en bas de votre dos. Vous n'en avez pas, hein?

D'après ce que j'entendais, M. Mosckowitz décrivait des cercles comme un chien qui tente d'attraper sa queue.

- Je n'arrive pas à... Oh, j'ai la tête qui tourne de plus en plus.

Pas étonnant, à force de faire la toupie!

Il m'a arraché le bandeau des yeux.

- Si vous pouviez jeter un œil...

Je n'aurais jamais cru l'avoir aussi facilement. Et ç'aurait été encore plus facile si j'avais osé utiliser certaines prises. Mais bon, j'aime bien M. Mosckowitz, et je n'avais pas la permission du Département de la Défense. Ceci dit, il a aussitôt accepté sa défaite.

- Oh, ces filles! Elles me feront toutes tourner en bourrique! s'est-il lamenté quand je l'ai attaché à la chaise.

- Restez tranquille. Quelqu'un viendra bientôt vous chercher.

- Heu... Cammie? a-t-il demandé en me voyant me diriger vers la porte. Je n'ai pas été si mauvais, quand même?

- Vous avez été formidable.

Ch. 27; P. 239-241

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- Attachez-la sur la chaise, a ordonné M. Solomon.

Est-ce que je devais essayer de riposter maintenant, ou attendre un meilleur moment? Je me suis finalement risquée à lancer un coup de pied, qui a atteint quelqu'un.

- Mademoiselle Morgan, savez-vous qui vous venez de frapper? a demandé M. Solomon. Votre mère!

- Oh, je suis vraiment désolée, maman, ai-je crié en me retournant, comme si je pouvais la voir derrière mon bandeau.

- Bien joué, ma chérie!

Ch. 27; P. 238

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" Si quelqu'un vous impressionne, un conseil : fouillez dans ses ordures ! Cette personne perdra tout prestige à vos yeux. Et puis, M. Solomon avait raison : le contenu d'un sac-poubelle est capable de vous donner bien des réponses aux questions que vous vous posez."

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On a le droit de se rendre au sous-sol quand on veut pour se documenter sur n'importe quoi. Même sur quelque chose qui n'a pas de rapport avec nos devoirs. Et il n'est écrit nulle part que prendre les garçons comme sujet d'étude est interdit.

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_ Ooooh, mesdemoiselles, je suis ravie de vous donner ces cours, vous savez ! s'est-elle exclamée.

Puis elle s'est crue obligée de nous montrer la pédale de frein en expliquant : << Ça permet d'arrêter la voiture.>> Puis la pédale accélérateur : << C'est pour accélérer.>>

Le pire, dans tout ça, c'est que Liz prenait des notes ! Difficile de croire que cette fille a une mémoire d'éléphant ! Encore moins qu'elle fait partie de Mensa - l'association pour surdoués - depuis ses huit ans. Et voilà qu'elle s'appliquait à dessiner un schéma de la colonne de direction, maintenant !

_ N'oublie pas d'écrire que le volant est rond, lui ai-je glissé.

Ce qu'elle s'est empressée de faire avant de réaliser que je plaisantais...

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<<Oups !>> avait-elle laissé échapper en mettant sa main devant sa bouche. Alors qu'elle peut jurer en quatorze langues, Liz ne sait dire que ça quand elle provoque une catastrophe.

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Une bonne espionne doit bien préparer sa couverture avant d'aller en territoire inconnu.

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