Extraits

"Tout le monde adorait Mrs Kannon à l'hôtel. Elle était adorée à l'école. A l'hôpital. On aurait même pu l'adorer lorsqu'elle marchait dans la rue. Partout. Mae n'aurait été qu'à moitié surprise si le personnel s'était inopinément mis à lui chanter une chanson et à lui offrir des fleurs. Elle aussi adorait Mrs Kannon, mais celle-ci lui faisait ressentir sa propre indignité d'une manière exactement inverse à ce que faisait sa mère : elle recevait un peu de chaleur de cette lumière dorée qui se déversait autour de Mrs Kannon, un reflet rougeoyant. Une éclaboussure. Elle supposait que c'était toujours mieux que d'être assise dans l'ombre de sa mère, quelle qu'en soit la fraîcheur, sous la chaleur matinale."

"- Heureux de vous avoir rencontrée, docteur Rogers, dis-je, me sentant le devoir de dire quelque chose, au moment de me lever pour la suivre.

De même que je me sens obligé de dire merci pour le café de Radhika quand elle ne le fait pas elle-même. C'est comme une maladie, une sorte de syndrome de la Tourette à l'envers. Je ne peux pas m'empêcher d'être poli."

"Le sourire d'une personne sérieuse a quelque chose d'incroyable, comme lorsque le visage d'un bébé s'illumine instantanément ; c'est extraordinaire parce que inattendu. Apercevant mon reflet dans ma cuiller, sens dessus dessous et comiquement distordu, je m'étonne d'avoir l'air si aimable en répondant à son sourire. Je me demande si, lorsque je sors avec elle, c'est ce moi-là que les gens voient. Moi à travers ses yeux."

"L'entendre prononcer mon nom me donne de l'espoir. J'aime quand elle le fait. C'est à cause de son accent hindi. Je me mets à espérer qu'elle soit soit en train de flirter avec moi, aussi inintéressant que je puisse paraître. Peut-être aime-t-elle les défis, les cas difficiles, les handicapés sociaux. Jakie ne dit pas autre chose : certaines personnes ont besoin d'une cause."

"Assis dans ce cinéma, je dois ressembler à tous les autres hommes qui assistent à la séance, et qui se demandent s'ils doivent prendre la main de la fille qui les accompagne. Mais je ne crois pas que je toucherai jamais un autre être humain. En tout cas je ne crois pas que je toucherai à nouveau une femme, à moins qu'elle soit une patiente, une machine sous mes doigts, qui aurait besoin d'être réparée. Et même dans ce cas, je porterais des gants."

"Nous serions médecins ou, si nous échouions, pharmaciens, ou alors, si nous échouions là encore, secrétaires médicaux. Non que l'éventualité de l'échec ait jamais été discutée. Cela aurait été comme discuter de la possibilité de nous marier à un homosexuel, une hindoue ou une prostituée : l'échec était une chose à laquelle les familles convenables ne croyaient pas."

"Quand il faisait trop chaud pour dormir à l'intérieur, nous allions nous coucher sur le toit et observions les étoiles. Nous les reliions entre elles et encerclions la lune entre nos doigts. Assis ici, au moins je sais que nous regardons le même spectacle lumineux dans le ciel ouvert du grand écran. Cela me fait du bien de savoir que nous avons les mêmes étoiles dans les yeux."

"Vachard resta alors seul avec sa plus jeune sœur mais bientôt celle-ci partit elle aussi pour les montagnes. J'appris plus tard qu'elles avaient toutes deux connu des déboires comme cela arrivait parfois aux jeunes filles sans protection, en ville, dans les villages, dans les montagnes : cent coups de fouet administrés aux victimes de viol, pour cause d'adultère."

"Certes, il lui aurait plu de s'asseoir sur les genoux d'Abbu, mais seulement s'il le lui avait demandé, et celui-ci ne s'en rendit jamais compte. Elle n'était pas douce et transparente comme Lana, elle avait un côté dur et indéchiffrable, c'est pourquoi Abbu n'eut jamais l'idée de l'inviter à grimper en se tapotant les genoux. Et si jamais il l'avait fait, elle aurait de toute façon été tellement surprise qu'elle aurait probablement secoué la tête avant de s'enfuir, comme les gens qui ne savent pas recevoir un compliment et croient toujours qu'on se moque d'eux."