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- Tu me gênes, répondit-il en désignant le rouet. J'ai besoin de place pour travailler.
- Ça te ferait mal de demander poliment ? »
Il posa sur elle un regard tellement agacé qu'elle se demanda s'il n'était pas plus énervé qu'elle. « Je suis en train de t'aider.
- Et je t'ai payé pour cet honneur, répliqua-t-elle en montrant le collier. Je pense qu'un peu de courtoisie ne serait pas de trop. »
Il s'apprêta à répondre puis hésita. Il plissa le front. « Tu veux que je te rende le pendentif et que je te laisse à ton sort ?
- Bien sûr que non ! Mais tu ne m'as toujours pas dit comment tu comptais t'y prendre pour me sauver. »
Il eut un soupir un peu théâtral. « Comme tu veux. Après tout, pourquoi être accommodant quand on peut être pénible ? »
Il s'avança vers elle d'un pas décidé; on l'aurait dit prêt à la caramboler comme une charrette qui se trouvait sur son chemin.
Serilda serra les dents et se campa solidement sur ses jambes.
Elle ne bougea pas.
Il ne s'arrêta pas.
Il la heurta, son menton cognant durement contre le front de la jeune fille, sa poitrine la repoussant si violemment qu'elle trébucha et tomba sur la paille avec un « ouf ! » de surprise.
« Aïe! » glapit-elle en réprimant son envie de se frotter le fessier, là où la paille n'avait qu'à peine amorti sa chute. « Non, mais ça ne va pas ? » Elle lui jeta un regard noir, à la fois furieuse et déconcertée. S'il croyait pouvoir l'intimider...!
Mais l'expression du garçon l'arrêta dans sa tirade avant même qu'elle ait le temps de s'y lancer.
Il la regardait, mais pas de la même façon qu'il l'avait examinée plus tôt : bouche bée, il affichait une incrédulité non dissimulée, tandis qu'il frottait distraitement son épaule là où elle avait heurté le mur quand la collision l'avait lui aussi projeté en arrière
« Alors ? cria la jeune fille en se relevant et en ôtant la paille accrochée à sa jupe. Pourquoi as-tu fait ça ? »
Et, les mains sur les hanches, elle attendit la réponse.
Au bout d'un moment, il se rapprocha d'elle, mais de manière plus hésitante. Il n'avait pas l'air aussi déçu qu'il aurait du l'être, mais plutôt... curieux. Il avait une façon de la regarder qui éteignit la colère de Serilda; elle était tentée de se reculer pour s'éloigner de lui, mais l'espace réduit du cachot le lui interdisait.
En outre, si elle n'avait pas bougé la première fois, elle n'allait certainement pas bouger cette fois-ci; elle resta donc là où elle était et leva le menton avec la ténacité qu'elle avait acquise tout au long de sa vie.
Elle n'entendit aucune excuse.
Mais, quand il ne fut plus qu'à un pas d'elle, l'adolescent leva les mains entre eux. Elle les regarda: pâles et pleins de cals, ses doigts tremblaient.
Serilda suivit des yeux leur mouvement à mesure qu'ils s'approchaient de ses épaules, peu à peu, hésitants.
«vQue fais-tu ? »
Pour toute réponse, il posa les doigts sur ses biceps. Le contact fut tout d'abord incroyablement délicat, puis il laissa ses mains peser sur les bras de la jeune fille et presser doucement les manches de fine mousseline de sa robe. Il n'y avait aucune menace dans ce toucher, mais une émotion qui ressemblait à la peur fit grimper en flèche le pouls de Serilda.
Non, ce n'était pas de la peur.
C'était de la tension.
Le garçon souffla brusquement et attira l'attention de la jeune fille vers son visage.
Oh, dieux malfaisants, le regard qu'il lui adressait ! Personne ne l'avait jamais regardée ainsi. Elle ignorait comment réagir.
Quelle intensité ! Quelle chaleur suffocante I Quelle sidération sans mélange !
Il allait l'embrasser.
Mais...
Mais pourquoi?
Personne n'avait jamais envie de l'embrasser. À une occasion pour être, il y avait longtemps, avec Thomas Lindbeck, mais... ça n'avait pas duré et ça s'était fini en catastrophe.
Elle portait malheur, elle était bizarre, elle était maudite.
Et... et puis elle n'avait aucune envie de l'embrasser. Elle ne le connaissait pas, et surtout elle ne l'aimait pas du tout.
Elle ne savait même pas comment il s'appelait.
Alors pourquoi venait-elle de se passer la langue sur les lèvres?
Ce petit mouvement attira l'attention du garçon vers sa bouche, et tout à coup son expression disparut. Il ôta vivement les mains des bras de Serilda et recula le plus possible en évitant de heurter le mur.
« Pardon », fit-il d'une voix plus rauque qu'auparavant.
Serilda ne se souvenait pas de quoi il devait s'excuser.
Il mit les mains derrière son dos comme s'il craignait que, laissées à elles-mêmes, elles ne tentent d'agripper à nouveau Serilda.
« Ça va, dit-elle dans un souffle.
- Tu es vraiment vivante, fit-il comme s'il exposait un fait auquel il n'était pas sûr de croire.
- Euh... oui, répondit-elle. Je pensais que c'était bien établi, étant donné que le roi des Aulnes compte me tuer à l'aube, tout ça.
- Non. Si. Enfin, je le savais, bien sûr; c'est juste que...»
Il passa les paumes sur sa chemise comme pour s'assurer de sa propre tangibilité, puis il secoua vigoureusement la tête. « J'imagine que je n'avais pas pris en compte tout ce qui en découle. Il y a longtemps que je n'ai pas croisé de vrai mortel, et je ne me rendais pas compte que tu serais si... si... »
Elle attendit la suite, incapable de deviner quel mot il cherchait.
Finalement, il choisit : « Chaude. »
Elle haussa les sourcils alors que ses joues devenaient brûlantes; elle s'efforça de ne pas y penser. « Il y a combien de temps que tu ne croises que des fantômes ? »
Un rictus lui tordit les lèvres. « Je ne sais pas exactement; quelques centaines d'années, sans doute. »
Afficher en entier« Qu'est-ce que tu fais à ce pauvre rouet ? »
Serilda poussa un cri et tomba de son tabouret. Elle atterrit avec un grognement de surprise et heurta brutalement le mur d'une épaule; puis elle leva les yeux en écartant des mèches de cheveux tombées sur son visage et collées sur sa joue mouillée.
Quelqu'un était assis au sommet du tas de paille, les jambes croisées, et la regardait avec une légère curiosité.
Un homme.
Ou... un adolescent; un adolescent de l'âge de Serilda, à première vue, avec des cheveux cuivrés complètement emmêlés qui lui tombaient sur les épaules, et un visage couvert de taches de rousseur et de crasse. Il portait une chemise en lin unie, un peu démodée avec ses larges manches, qu'il avait laissée flottante sur son pantalon vert émeraude. Pas de chaussures, pas de tunique, pas de manteau, pas de chapeau; on aurait pu le croire prêt à se coucher n'était l'expression parfaitement éveillée qu'il affichait.
Derrière lui, la porte était toujours fermée.
« Co-comment êtes-vous entré ? » demanda la jeune fille en se redressant tant bien que mal.
Le garçon pencha la tête de côté et répondit comme si c'était la chose la plus naturelle du monde : « Par magie. »
Afficher en entierClignant des yeux, elle regarda le cheval arrêté à quelques pas de là où elle était tombée. C'était un cheval de guerre noir, les muscles ondulant sous la peau, les naseaux soufflant de grands nuages de vapeur.
Son cavalier éclairé par la lune, beau et terrifiant à la fois, avait la peau argentée, les yeux couleur d'une mince couche de glace sur un lac profond et de longs cheveux noirs qui lui tombaient sur les épaules. Il portait une exquise armure de cuir avec deux minces ceintures au niveau des hanches garnies d'un jeu de poignards et d'un cor incurvé. Un carquois rempli de flèches pointait derrière son épaule. Avec l'assurance d'un roi, il ne doutait pas de dominer la bête qu'il montait ou d'inspirer le respect à ceux qui croisaient son chemin.
Il était dangereux.
Il était sublime.
Il n'était pas seul. Plus d'une vingtaine de chevaux l'accompagnaient, tous noirs comme le charbon hormis leur crinière et leur queue blanches comme la foudre, et tous portaient un cavalier, homme ou femme, jeune ou vieux, certains vêtus de robes élégantes, d'autres de haillons.
Il y avait parmi eux des spectres; Serilda les reconnaissait au flou de leur silhouette sur le fond du ciel nocturne.
D'autres étaient des obscurs, trahis par leur beauté surnaturelle, démons immortels qui s'étaient échappés depuis longtemps de Verloren et n'obéissaient plus à leur maître d'alors, le dieu dela mort.
Et tous la regardaient, y compris les chiens. Ils avaient cessé d'avancer sur l'ordre du chef et allaient et venaient, l'air affamé, à l'arrière de la chasse, attendant un commandement.
Serilda leva de nouveau les yeux vers le veneur. Elle savait qui il était mais n'osait pas prononcer mentalement son nom de crainte d'avoir raison.
Il regardait en elle, à travers elle, avec la même expression qu'on affiche devant un corniaud mangé de puces qui vient de voler le repas qu'on s'est préparé. « Quelle direction ont-elles prise? »
Un frisson glacé parcourut Serilda. Cette voix ! Sereine.
Tranchante. S'il lui avait récité un poème au lieu de lui poser une simple question, la jeune fille serait déjà ensorcelée.
Instinctivement, elle réussit à se débarrasser du charme que sa présence avait jeté et à se rappeler les filles de la mousse cachées à quelques pas de là sous la porte de la cave et son père qu'elle espérait toujours endormi dans la maison.
Elle était seule, prisonnière de l'attention de cet être plus démon qu'homme.
Hésitante, elle reposa la pelle et demanda: « Quelle direction a pris qui, monseigneur? »
Car c'était sûrement un noble de la hiérarchie inconnue des obscurs.
Un roi, lui souffla son esprit, qu'elle fit taire aussitôt. C'était absolument inconcevable.
Il plissa ses yeux pâles. La question demeura un long moment en suspens dans l'air glacé alors que les tremblements gagnaient tout le corps de la jeune fille. Elle était toujours en chemise de nuit sous son manteau, et ses orteils perdaient rapidement leur sensibilite.
Le roi des Aulnes - non, elle l'appellerait le chasseur. Le chasseur ne répondit pas, à sa grande déception; car, s'il avait précisé « les filles de la mousse », elle aurait pu lui renvoyer une question : pourquoi chassait il les peuples de la forêt ? Que leur voulait-il ?
Ce n'étaient pas des bêtes qu'on peut tuer, décapiter et dépecer pour en orner la grand-salle d'un château.
En tout cas, elle espérait de tout son cœur que telles n'étaient pas ses intentions. Son estomac se révulsait à cette idée.
Mais le chasseur ne dit rien et soutint son regard tandis que son destrier gardait une immobilité absolue, anormale.
Incapable de supporter le silence trop longtemps, surtout entourée de fantômes et de spectres, Serilda laissa échapper une exclamation de surprise. « Oh, pardonnez-moi ! Je vous barre le passage ? Je vous en prie... » Elle s'écarta avec une révérence et fit signe à la troupe de continuer sa route. « Ne faites pas attention à moi; j'allais effectuer ma moisson de minuit, mais je vais attendre que vous soyez passés. »
Le chasseur ne bougea pas. Certains des autres chevaux qui avaient formé un demi-cercle autour d'eux frappèrent la neige des sabots en reniflant impatiemment.
Après un long silence, le chasseur dit : « Vous ne comptez pas vous joindre à nous ? »
Serilda avala sa salive. Elle ignorait s'il s'agissait d'une invitation ou d'une menace, mais la perspective de se joindre à cette troupe d'épouvante, de l'accompagner à la chasse, emplissait sa poitrine d'une terreur sourde.
Elle s'efforça de ne pas bégayer. « Je ne vous servirais à rien, monseigneur. Je n'ai jamais appris à chasser et je tiens à peine en selle. Mieux vaut que vous poursuiviez votre chemin et me laissiez à mon labeur. »
Le chasseur inclina la tête, et Serilda perçut une tonalité nouvelle dans son expression glacée, comme de la curiosité.
Afficher en entierDans l'art ancestral de la narration, les ténèbres sont nécessaires pour apprécier la lumière.
Afficher en entierInventer des histoires, c'est un peu comme filer de la paille et en faire de l'or ; comme créer un trésor scintillant à partir de rien.
Afficher en entier- Tu sais, tous ces garçons qui prétendument ne s'intéressent pas à toi parce qu'ils pensent que tu vas leur porter malheur ? Eh bien... c'est peut-être vrai, mais... il ne doit pas y avoir que ça.
- Je ne comprends pas.
Il leva la main pour effleurer la joue de Serilda avant de repousser tendrement une mèche de cheveux derrière son oreille.
Elle crut qu'elle allait fondre sur place.
- Je viens à peine de te connaître, je sais, dit-il d'une voix qu'il s'efforçait d'empêcher de trembler, mais je peux déjà t'annoncer que tu vaux toute la malchance du monde.
Afficher en entier- Une épreuve ? répéta-t-elle dans un souffle. Quel genre d'épreuve ?
- Rien dont vous ne soyez parfaitement capable. Du moins, si vous ne m'avez pas menti.
L'estomac de Serilda se noua.
- Et, si vous m'avez menti, poursuivit-il en se penchant vers elle, vous m'avez aussi empêché d'attraper ma proie, ce qui est un outrage que j'estime impardonnable. Si tel est le cas, c'est votre tête qui trouvera une place sur ce mur. Manfred (il se tourna vers le cocher), avait-elle des proches ?
- Un père, je suppose, répondit l'intéressé.
- Parfait. Je prendrai aussi sa tête. J'aime la symétrie.
Afficher en entierLes paillettes d’or de ses yeux scintillèrent à la lumière de la chandelle, et, quand il reprit la parole, ce fut d’une voix si basse que Serilda, assise à côté de lui, eut du mal à l’entendre. « C’est… c’est très nouveau pour moi. » Elle eut envie de répondre que c’était très nouveau pour elle aussi, mais elle ne savait pas exactement de quoi il parlait. Elle savait en revanche qu’elle ne voulait pas que cela s’arrête.Elle rassembla son courage pour le lui dire quand la chandelle se mit à crachoter. Tous deux la regardèrent en formant le vœu fervent qu’elle ne s’éteigne pas, que la nuit ne soit pas déjà achevée. Mais la flamme instable flottait au-dessus du dernier petit bout de mèche, toute proche de se noyer dans la cire noire. Elle tremblota de nouveau, et ils entendirent des bruits de pas. Une clé dans la serrure. « Serilda. » Elle se tourna vers Gild qui la regardait, les yeux ronds, et elle hocha la tête. « Je suis satisfaite. Vas-y. » Un infime instant, il eut l’air de ne pas comprendre de quoi elle parlait ; puis son expression s’éclaircit. « Pas moi, fit-il dans un souffle.
— Quoi ?
— Je t’en prie, pardonne-moi. »
Il se pencha et pressa ses lèvres sur celles de Serilda.
Afficher en entierElle aurait sans doute dû commencer par la vérité. Elle oubliait parfois que le mensonge a de courtes jambes et qu'il ne peut pas mener loin ; en outre, il est en général plus facile de s'y retrouver avec la vérité.
Afficher en entier- Mm, fit Serilda, pensive. Je crois que je comprends mieux, dit-elle d'une voix lente. Tes blagues, tes... farces. Tu manies le rire comme une arme, une protection contre ton épouvantable situation. Je crois que tu essaies de créer de la légèreté là où il n'y a que ténèbres.
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