Depuis 1999, l’Union européenne affirme son ambition de réaliser son système de navigation par satellites, concurrent du GPS américain : le GNSS Galileo.
En décembre 2005, le cosmodrome de Baïkonour, au Kazakhstan, subit une attaque terroriste au moment où la fusée Soyouz doit emporter un satellite-test. Quelle était la cible des assaillants ? La base spatiale russe ou le projet européen ?
Une journaliste roumaine, Magda Anghel mène l'enquête, à ses risques et périls. Aidée par un ingénieur français et de deux photographes belges, elle découvre que le projet européen suscite des rivalités stratégiques et des convoitises économiques.
L'enquête se prolonge dans un second tome : "GNSS Galileo - Maintien à poste"
Le sigle désigne des systèmes de navigation par satellites ayant une couverture mondiale, tels que le GPS américain, le Glonass russe, ainsi que les futurs Galileo européen et Beidou chinois.
Galileo : nom attribué au système européen de navigation par satellite, en hommage à Galilée, astronome italien du XVIIe siècle
Dérive d’orbite : dégradation lente des paramètres caractérisant la trajectoire orbitale d’un satellite
1.
Dimanche 24 octobre 1999 – 03h03
Karup, Danemark
Lotissement résidentiel de la base militaire
L’azur s’ouvre sur l’infini. Altitude : six mille pieds. Mach 2. Droit sur la cible. Objectif tactique confirmé : un pont. La vallée encaissée serpente entre des cimes qui accrochent les nuages. Je pousse le manche. Le nez de l’avion à réaction perce l’épaisse couche nuageuse. Brouillard épais. La blancheur opaque m’aveugle. Je me fie aux instruments pour naviguer et viser. Je ne distingue pas la cible, mais le viseur électronique l’a accrochée.
L’homme se réveilla, hanté par son cauchemar. Comme toujours, il se voyait survoler les nuages. Avec un troublant réalisme, l’inconscient reproduisait ses sensations et ses gestes de pilote. Il se tourna sur le dos et fixa le plafond blanc de la chambre, pour se calmer. Il n’y vit que l’épais brouillard de son cauchemar.
La brume s’infiltre dans le cockpit. Le givre recouvre les instruments. La visière du casque prend l’aspect du verre dépoli. Ma vue se brouille. Je retire le casque. Je perçois des voix aiguës, des clameurs d’enfants, des rires. Des gazouillis d’anges. J’hésite. Mes sens me trompent. Je dois exécuter l’ordre. Je n’ai pas perdu les réflexes acquis pendant mes années d’entraînement. Ma main enserre la commande. J’enclenche la procédure de tir. Mon pouce droit relève le clapet de sécurité.
Les nerfs à fleur de peau, l’homme frémit en sentant une main lui toucher le bras. En ronchonnant d’une voix ensommeillée, Anna se retourna et lui présenta son dos. Il s’accouda pour admirer la courbe de l’épaule qui avait échappé au drap. La jeune femme était belle. Ses longs cheveux blonds empruntaient à la lune ses reflets cuivrés. Il fut tenté de caresser sa peau nue, avant de suspendre ce geste sensuel sans aucun sens. Elle n’était qu’une prostituée avec qui il couchait à l’occasion.
Il fréquentait d’autres femmes pour oublier la sienne. Trop fier, trop mâle, pour admettre que son épouse lui manquait, depuis qu’elle était partie. Il s’interdisait même de prononcer son prénom. Il chassait les souvenirs, dès qu’ils surgissaient. Il reniait les moments heureux de leur vie conjugale, leur passion commune pour l’aviation, puis pour leur fils. De vaines mesures de rétorsion pour la punir, elle et qui n’affectaient que lui.
Il l’avait perdue, après son retour d’Italie. Il était devenu ombrageux et distant. Elle se plaignait qu’il avait changé, qu’elle ne le reconnaissait plus. Il avait des sautes d’humeur aussi inattendues qu’injustifiées, alors qu’auparavant, sa sérénité et son sang-froid la rassuraient. Il s’était replié sur lui-même, alors qu’elle s’efforçait d’entretenir les liens avec les parents et les amis. Eux aussi s’étaient inquiétés de ses changements. Ces hypocrites avaient toujours pris son parti, à elle.
Il s’était mis à boire, pour oublier. L’alcool n’avait rien arrangé.
Il repoussa les réminiscences. D’autres montèrent à l’assaut.
En avril 1999, le Danemark s’était joint à la coalition Allied Force menée par l’OTAN pour contraindre le dirigeant serbe Milosevic de retirer ses troupes armées du Kosovo. La communauté internationale s’inquiétait des graves incidents qui se multipliaient entre Serbes et Albanais. Des atrocités entre voisins auguraient une guerre civile. À l’époque, les médias titraient sur « une guerre juste ».
Il avait alors trente ans. Pilote de chasse dans l’armée royale, il n’avait pas d’opinion à ce sujet. Il exécutait les ordres. Son escadrille avait été envoyée près de Naples, sur un aérodrome militaire qui servait de base, pour bombarder la Serbie. Il avait accompli beaucoup de missions avec succès, jusqu’au 1er mai, date de sa dernière mission qui avait été un tragique échec.
Mon index presse la commande de tir. Des lasers jaillissent du fuselage. Les missiles suivent les traits de lumière. La cible explose dans un nuage de gaz incandescent. La masse cotonneuse s’embrase. Les anges tombent, leurs ailes en feu. Les rires d’enfants ne sont plus que cris d’effroi.
Dans son lit, l’homme laissa échapper un gémissement. Il faisait ce rêve récurrent, affligé par les conséquences malheureuses de sa mission. Ce jour-là, trente-trois enfants étaient morts, brûlés vifs dans un bus scolaire qui roulait sur le pont. Les longues années d’entraînement comme pilote de chasse ne l’avaient pas préparé à ça. Ses victimes innocentes le devançaient en enfer, croyait-il. Et il n’avait pas expié sa faute.
•
Imprécision du guidage des missiles, avait conclu l’enquête. La panne technologique expliquait et excusait le dommage collatéral. Exonéré de sa responsabilité, il n’avait pas été sanctionné. Sa hiérarchie lui avait même remis une médaille pour son courage, avant de lui couper les ailes. Suite à l’avis réservé d’un psychologue sur sa capacité à dissocier son attention, on l’avait privé de vol. Il avait été promu commandant adjoint du centre d’instruction de la grande base militaire de Karup, dans le Jutland.
Sa femme avait refusé d’emménager si loin de Copenhague. Elle avait un caractère fort. C’était ce qui l’avait séduit chez elle. Ambitieuse, elle n’entendait pas renoncer à sa carrière dans la compagnie aérienne de fret dont elle était directrice commerciale. Il n’avait pas réussi à la convaincre.
Elle avait promis de venir le voir régulièrement. Dès la première visite, il avait vidé la moitié d’une bouteille de vodka. Ivre, il avait bombardé sa femme de critiques, lui reprochant de l’empêcher de voir grandir son fils. Par la suite, sa femme avait espacé ses venues et leur relation s’était étiolée. Un samedi de septembre, elle était passée pour célébrer les dix ans du gamin, avec lui. Mais il s’était fâché, parce qu’elle répétait qu’il devait se faire aider. Il l’avait giflée : un acte irréfléchi. Il avait rabroué le mioche qui chialait. Sa femme était aussitôt repartie avec l’enfant. Il s’était convaincu que la garce l’avait provoqué, qu’elle voulait un prétexte pour le larguer.
Peu après, elle avait demandé le divorce.
•
Honteux de la piètre opinion que son fils garderait de lui, l’homme tapa du poing sur le matelas. Il réveilla la pute, qui rouspéta. Il vociféra des vulgarités et lui ordonna de partir. Elle réclama son argent. Il l’attrapa par les cheveux pour la tirer hors du lit. Elle couina, apeurée. Il lui flanqua ses fringues dans les bras, cinq billets de cent et la poussa sur le trottoir. Elle piailla, nue et grelottante, dans l’aube glaciale. Il claqua la porte et tourna la clé. Elle s’époumona en obscénités qu’il ignora.
Il retourna dans la chambre et ouvrit l’armoire dans laquelle ses uniformes étaient soigneusement suspendus à des cintres. Sur l’étagère du haut, s’alignaient calots et casquettes à l’emblème de la Flyvevåbnet, l’armée de l’Air royale du Danemark. Il revêtit son plus bel uniforme. Sur la pointe des pieds, il attrapa une petite clé, accrochée à un clou, au fond du meuble. Ensuite, il posa un genou à terre pour ouvrir un tiroir bas, où se serraient des chaussettes. Il les écarta et saisit un coffret en métal laqué, caché au fond. Ses mains commençaient à trembler. Il se força à faire des gestes lents pour enfoncer la clé dans la serrure de la caissette. Il souleva le couvercle. Il y conservait un revolver d’ordonnance dans son étui en cuir et une boîte de munitions. Il logea une balle dans le barillet ; une seule suffirait.
Il s’assit à son bureau et regarda les photographies encadrées posées devant lui. Sur l’une d’elles, ses parents, en habits du dimanche, l’entouraient. C’était le jour du baptême. Sa mère tenait le nourrisson dans ses bras. Il aimait ses parents et écrivit quelques mots, à leur attention, sur une feuille qu’il glissa dans une enveloppe. Un autre cliché, un autre souvenir marquant : il posait en combinaison de vol, avec deux autres militaires, Christian et Ewald, qu’il croyait ses amis. Ils avaient été témoins à son mariage. Ewald était également le parrain de son fils. Un troisième cadre était retourné à l’envers : il avait adoré cette photographie prise par sa mère, lors du dernier Noël où ils étaient ensemble. Il tenait sa femme par la taille et portait leur fils sur ses épaules. Tous trois souriaient, heureux.
Ce bonheur s’était désagrégé et ne donnait plus de prises auxquelles s’agripper. L’officier rugit de désespoir. Du revers de main, il balaya les photos qui se fracassèrent contre le mur. Il colla le canon de l’arme à feu sur sa tempe et pressa la détente.
Ses victimes innocentes se languissaient de lui.
18 février 2004
Communication de la Commission européenne
« Conclusions.
Depuis la précédente communication sur l’état d’avancement du programme GALILEO, les progrès réalisés tant sur le plan du développement du système et de ses applications que sur celui de la coopération internationale sont considérables. Le programme se déroule comme prévu et sa dimension internationale s’affirme chaque jour davantage, notamment avec la prochaine conclusion d’un accord avec les États-Unis. Son développement constitue un élément clé de la stratégie de l’Union européenne pour l’Espace, telle qu’elle a été présentée par la Commission dans son Livre Blanc sur la politique spatiale européenne. [...] »
Communication de la Commission au Parlement Européen et au Conseil - État d’avancement du programme de recherche GALILEO au début de l’année 2004 - COM/2004/0112 final
2.
Vendredi 22 décembre 2006 – 17h17
Bruxelles, Belgique
Siège de l’Entreprise commune Galileo
C’était l’épilogue.
Après trente-quatre mois à bosser pour l’Entreprise commune Galileo, Alceste Lancier quittait cet emploi. Il avait vidé le placard. Il lui restait à déblayer le plateau de son bureau. En triant des feuillets empilés dans une bannette, l’ingénieur relut la conclusion d’une communication obsolète de la Commission européenne. Amusé, il supposait que les assertions optimistes avaient été dictées par Romain Locasse qui était, alors, le chargé de mission Galileo à la direction Énergie et Transports de la Commission européenne.
Si on lui avait demandé son avis, il aurait choisi l’adjectif « stationnaire » pour qualifier l’état d’avancement du programme. Encore récemment, Locasse lui reprochait son pessimisme. Alceste se flattait plutôt d’être lucide et circonspect. Avait-il tort ?
Avec le recul, rien ne s’était déroulé comme prévu !
Le GNSS Galileo ne serait jamais opérationnel en 2008, ni même en 2010, malgré les enjeux essentiels et les efforts d’innombrables personnes ingénieuses et motivées. Initialement, l’infrastructure européenne de géolocalisation par satellites devait être financée, construite et exploitée par un consortium d’entreprises. De toute évidence, l’implication précoce des industriels avait été une mauvaise idée. Les négociations avec le futur concessionnaire étaient dans l’impasse. D’après les rumeurs, il paraissait de plus en plus probable que le système satellitaire serait financé par des fonds publics européens et construit par l’Agence spatiale européenne.
« Si elle veut aller de l’avant, la Commission devra renoncer à des choix auxquels elle tient » pensait Alceste, en déchirant le texte périmé qu’il jeta dans la corbeille à papiers.
Son collègue Jorge Ribeira, avec lequel il avait sympathisé, vint lui dire au revoir. « Alors, tu t’en vas sans remords ? Tu nous laisses avec la moitié du boulot à finir ?
– Seulement la moitié ? Railla Alceste. Vous vous en sortirez très bien sans moi. Et je ne manquerai pas de travail, là-bas.
– On dit que les Chinois bossent comme des forçats.
– J’espère contribuer au rapprochement des GNSS. Ça me donne du courage !
– Certains ne te comprennent pas. Ils parlent de trahison.
– Qu’ils parlent, je m’en fous ! Cette offre d’emploi tombait au bon moment. J’avais envie de changer d’air. J’ai des mauvais souvenirs, ici. »
Il avait en tête la série d’événements qui, depuis deux ans, avaient dévié la trajectoire du GNSS Galileo et sensiblement impacté la sienne.
Commentaire de l'auteur, aussi objectif que possible. Mon ambition était d'écrire un récit sur le projet Galileo qui intéresserait les lecteurs avec deux intrigues fictives. Les premiers lecteurs apprécient l'originalité du sujet, l'articulation des intrigues et les personnages crédibles.
Résumé
Depuis 1999, l’Union européenne affirme son ambition de réaliser son système de navigation par satellites, concurrent du GPS américain : le GNSS Galileo.
En décembre 2005, le cosmodrome de Baïkonour, au Kazakhstan, subit une attaque terroriste au moment où la fusée Soyouz doit emporter un satellite-test. Quelle était la cible des assaillants ? La base spatiale russe ou le projet européen ?
Une journaliste roumaine, Magda Anghel mène l'enquête, à ses risques et périls. Aidée par un ingénieur français et de deux photographes belges, elle découvre que le projet européen suscite des rivalités stratégiques et des convoitises économiques.
L'enquête se prolonge dans un second tome : "GNSS Galileo - Maintien à poste"
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