Vous utilisez un bloqueur de publicité

Cher Lecteur,

Nous avons détecté que vous utilisez un bloqueur de publicités (AdBlock) pendant votre navigation sur notre site. Bien que nous comprenions les raisons qui peuvent vous pousser à utiliser ces outils, nous tenons à préciser que notre plateforme se finance principalement grâce à des publicités.

Ces publicités, soigneusement sélectionnées, sont principalement axées sur la littérature et l'art. Elles ne sont pas intrusives et peuvent même vous offrir des opportunités intéressantes dans ces domaines. En bloquant ces publicités, vous limitez nos ressources et risquez de manquer des offres pertinentes.

Afin de pouvoir continuer à naviguer et profiter de nos contenus, nous vous demandons de bien vouloir désactiver votre bloqueur de publicités pour notre site. Cela nous permettra de continuer à vous fournir un contenu de qualité et vous de rester connecté aux dernières nouvelles et tendances de la littérature et de l'art.

Pour continuer à accéder à notre contenu, veuillez désactiver votre bloqueur de publicités et cliquer sur le bouton ci-dessous pour recharger la page.

Recharger la page

Nous vous remercions pour votre compréhension et votre soutien.

Cordialement,

L'équipe BookNode

P.S : Si vous souhaitez profiter d'une navigation sans publicité, nous vous proposons notre option Premium. Avec cette offre, vous pourrez parcourir notre contenu de manière illimitée, sans aucune publicité. Pour découvrir plus sur notre offre Premium et prendre un abonnement, cliquez ici.

Livres
714 649
Membres
1 013 251

Nouveau ? Inscrivez-vous, c'est gratuit !


Inscription classique

En cliquant sur "Je m'inscris"
j'accepte les CGU de booknode

Ajouter un extrait


Liste des extraits

Extrait ajouté par Kodai 2015-06-08T17:18:11+02:00

Titre du chapitre

Y’a jamais de grandes personnes dans des histoires comme la nôtre

— Va me chercher tes parents ou les responsables de cette farce ! Qu’on en finisse. Ils veulent de l’argent ? Je leur donnerai toutes les roupies qu’ils réclament, plus qu’ils n’en gagneront jamais dans toute leur lamentable vie. Mais après, il leur faudra courir vite. Je leur ferai payer tout ce qu’ils m’auront fait subir. Ils finiront en prison et vous avec !

— Non », répète-t-il d’un ton ferme.

Ils ne bougent pas. Ils ne sourient pas. Ils la dévisagent avec une gravité amusée, presque indulgente. Elle y détecte la même expression qu’elle affiche lorsque l’un de ses enfants, comme elle les appelle, se livre à un acte de cruauté gratuite envers un camarade. Elle hurle si fort, la bouche si grande ouverte, que son dentier en tressaute.

« Quoi, non ?

— Amma, y’a jamais de grandes personnes dans des histoires comme la nôtre. Parce qu’on peut jamais compter sur elles. Elles trouvent toujours une bonne raison pour ne pas faire ce qu’elles ont promis, reprend l’adolescent d’une voix lente, comme s’il voulait que les mots s’impriment en elle. Par contre, la magouille, ça les connait. Chez moi, on se tuerait pour une roupie. J’ai fabriqué une petite alarme électrique pour l’armoire où je range mes trésors. Mon père et mon frère se lèvent la nuit pour me voler l’argent que je gagne à servir le thé dans la rue.

— Mani a raison. Vous plaignez pas, Amma. Nos parents ou d’autres vous aurait déjà battue, peut-être torturée juste pour votre argent et leur plaisir. Et après, sûrement ils vous auraient tuée et fichue toute morte dans la mer, là où on jette les petites filles que personne veut. Vous êtes bien placée pour savoir que nous, les enfants, ici on vaut rien. Si on comptait pour quelque chose, on serait les premiers à le savoir, non ? Moi, je m’appelle Leena et j’ai onze ans. »

Monique Duchemin examine ce corps trop grand pour son âge, impression renforcée par la finesse de la silhouette où l’on devine déjà la femme. Elle déteste autant qu’elle envie cette fraîcheur de la jeunesse qui lui évoque crûment l’effondrement de la sienne. Les mains de la fillette sont barbouillées de couleur. Jaune, rose, bleu, blanc. Elle en remarque les traces sur son churidar délavé.

Ah ! C’est elle qui dessinait le kolam.

Les bribes d’un poème de Prévert griffent sa mémoire : "et sur le tableau noir du malheur, il dessine le visage du bonheur avec des craies de toutes les couleurs."

Un rire sardonique la secoue. Sans se concerter, les enfants défilent devant elle, l’un derrière l’autre, les filles en premier. Cela lui rappelle la cérémonie ridicule du matin. Il y a de cela une éternité, lui semble-t-il. Leena, Muthalagi, Nilâ, Murga, Anarsalam, Praveena, Sendil, Mani. Son regard glisse sur eux, souverain.

Afficher en entier
Extrait ajouté par Kodai 2015-06-08T17:08:46+02:00

Des mouches de chaleur dansent devant ses yeux. Ils dorment en chien de fusil, encastrés les uns dans les autres sur des nattes. Jambes entrouvertes, bras jetés au-dessus de la tête ou mains sagement posées sur le sexe. Parfois leur corps est parcouru de tressaillements désordonnés. Elle se demande à quoi ils peuvent bien rêver et même s’ils rêvent encore à quelque chose tant tous ces millions de vies qui naissent et s’éteignent dans la promiscuité leur dénient une quelconque importance. Ils dorment tous sauf Mani, Leena et peut-être Murga, le genre d’adulte en herbe à ne dormir que d’un oeil. Elle se rappelle sans savoir trop pourquoi, avoir recopié il y a longtemps, façon Ben, sur un tableau noir une citation de Romain Rolland. S'il est un lieu de la terre où aient place tous les rêves des vivants, depuis les premiers jours où l'homme commença les songes de l'existence - c'est l'Inde. Elle se voit encore y ajouter quelques années plus tard cette réflexion qu’elle avait lue ou entendue. L’Inde ? On y reste un mois, on écrit un bouquin. Un an, on n’écrit plus que quelques articles. Au-delà, on n’écrit plus rien. Elle y avait ajouté : on s’y noie.

"On ne traverse pas ce foutu pays, il vous traverse et dès qu’on quitte ce gigantesque chaos qui fermente dans ses veines, il redevient un mirage. Ce doit être cela, le mal de l’Inde pour les Blancs, pense-t-elle. Au début, je n’y ai pas prêté attention, absorbée que j’étais par l’invisibilité de ce formidable organisme qui semble posséder une vie propre, sans autre règle que celle, précisément, de ne pas en avoir. Je ne sais pas si j’aurais pu changer le cours des choses. La vie ici semble ne tenir à rien, ni au hasard ni à la fatalité. Le bien et le mal s’entremêlent si intimement que quoique l’on fasse on en éprouve peut-être quelque fierté ou regret, mais finalement jamais de culpabilité. J’en devins amorale avec une aisance désarmante. Passés les premières épouvantes visuelles et olfactives à t’en donner le tournis, on s’habitue relativement vite, ce fut mon cas, à la pouillerie du sous-continent indien et à la dévastation orgiaque de sa chair qui s’affiche à pleines rues dans les corps des miséreux. Les moignons, les sourires édentés, les mouches qui grêlent la peau, les yeux rougis d’alcool, la supplique inscrite au creux de la main tendue, la mort patiente qui attend… D’abord, ça te fout la honte dans le rouge. Ça te chavire la conscience. Je me souviens, ça me donnait envie d’hurler. Petit à petit, ça s’installe doucement dans ta rétine, ça te surprend de moins en moins, ça ne t’émeut plus du tout. Et pourquoi puisque l’Inde elle-même n’est pas compatissante avec les siens ? Jamais. Au début, je me souviens aussi, j’étais drôlement fière d’extirper mes enfants parrainés de cette mouise qui leur collait au karma comme une malédiction. Ils flanquaient de sacrées cornes à ce mantra de traîne-misère. Les premiers mômes, c’est Murugan qui les a trouvés. Qu’est-ce qu’il était beau ! Et malin. Je lui faisais confiance. Comme à la plupart des gens qu’il me présenta. J’avais tort. A cette époque, il existait en Inde autant de choses illégales qu’aujourd’hui, mais on n’y prêtait pas la même attention. Il suffisait d’arroser les véreux à tous les étages pour jouir d’une paix coolement marchandée jusqu’au prochain racket. Murugan était l’un des leurs. Il disait aux parents qu’il emmenait leurs enfants pour les éduquer auprès d’une Blanche et il demandait en général au père qui ne savait pas lire de signer des documents à l’entête de Children from nowhere, ou encore d’apposer l’empreinte de son pouce. Gamins abandonnés, parents décédés. Le tour était joué. Pour une famille trop collante, il avait la formule prête : ne reviens pas, parce que cela perturbe les enfants. Je n’y ai vu que du feu. Je me consacrais au parrainage. Absolument génial ce système de "tonton d’Amérique" qui permet de subvenir aux besoins basiques d’un enfant du bout du monde pour à peine le prix de deux paquets de lessive ! Les subventions, les parrainages et les dons affluaient de partout. Les roupies se multipliaient, les extorsions aussi. Pas de pots-de-vin, pas de papiers, pas de gamins."

Elle soupire. Mani, Leena et Murga lèvent la tête, attentifs au moindre de ses changements. Mais elle se contente de les dévisager.

"A part leur bout de trottoir, que connaissent-ils de l’Inde ? Ont-ils conscience que leur Incredible India te bouffe comme un cancer à la sournoise ? Faire de l’humanitaire ne rapporte pas grand-chose, sinon une satisfaction égoïste qui malheureusement ne dure que le temps des illusions. Impossible de suivre l’inflation galopante des dessous-de-table. Je ne savais jamais ce que demain me réservait. Il suffisait qu’un flic, qu’un fonctionnaire, que n’importe qui avec ses petites et grandes entrées ici ou là vienne exiger son pesant de roupies pour que tout s’arrête. Arroser, arroser encore et encore. Je ne pouvais pas suivre. Mais je ne voulais pas renoncer. Parrainer plusieurs fois le même gosse a été une idée de Murugan. Une entourloupe soft mais vouée à l’échec à court terme. Impossible à gérer un tel fichier !"

« Vous connaissez le patron du restaurant Satya ? dit-elle sans s’adresser en particulier à l’un des enfants. Elle désire juste arrimer sa mémoire à quelque chose de perceptible. Des mots, sa voix ou la leur.

— John l’américain ? »

Son regard part à la dérive, se brouille d’images, s’absente. Leur réponse est sans importance. Elle se souvient. John l’américain. Un géant roux à la peau d’un blanc ivoirin, un colosse aux apparences trompeuses. Une obésité sans mollesse. Une forteresse de chair qu’il s’était peaufiné peut-être par désespoir - l’idée la séduisait, le cynisme l’horrifiait encore - une mélancolie minutieusement escamotée dans son ossature sculptée de ses multiples excès. Un type incroyablement cultivé. Gros buveur, gros mangeur, gros baiseur, bref doté d’un appétit furieux en qui il voyait la proclamation gustative de l’anarchisme rigolard dont il se réclamait. C’était vers lui qu’elle avait été cherchée une solution. Par instinct. Non seulement, il avait la réputation d’aimer les très jeunes garçons, ce qui évacuait entre eux toute possibilité des ambigüités de la séduction, mais aussi celle de posséder une habileté machiavélique à retourner les situations les plus foireuses en sa faveur. Il l’avait écouté sans l’interrompre, lui avait servi un whisky et tendu un joint.

« Fume, ça te détendra. Et pour l’amour du ciel, arrête de chialer, ça ne t’avance à rien et ça me fout les nerfs. Je ne supporte pas les gens qui pleurnichent. Mais bon Dieu, Monique, qu’est-ce que t’imaginais ? Que l’on allait te faire un triomphe pour faire la tournée des Grands Ducs avec tes bidons de lait ?

— Rien. Tout, avait-elle reniflé. Autre chose en tout cas que cette putain d’extorsion incessante.

— Ma puce, j’ai l’avantage ou l’inconvénient, cela dépend du point de vue de chacun, de vivre dans ce pays depuis plus longtemps que toi. Tu y es arrivée avec les illusions béates de ta jeunesse. Moi, avec la guerre du Vietnam aux trousses et un négoce, peu reluisant je te l’accorde, mais ô combien lucratif, celui de la drogue, le même que j’avais à San Francisco, les flics au cul en plus. Comme toi mais pour des raisons très pragmatiques, j’ai fait le Hippie trail jusqu’à Goa. Terminus entre enfer et paradis. Quel trip nudiste ! Rends-toi compte : même moi qui suis un esprit jouisseur, putain, tous ces culs à l’air, tous ces testicules mous, tous ces seins pointés au zénith, toutes ces mamelles en oreilles d’épagneul, ces fesses rebondies ou déprimées, en train de rôtir, de bummer - mendier dans mon vocabulaire - ou de s’enfiler sur la plage, ça finissait par me faire débander. Je ne me voyais pas finir en vétéran déjanté du trimard. J’ai cherché un lieu plus cosy. Pondichéry. Mais comme toi, j’étais persuadé que l’Inde nous offrait l’occasion d’effacer toutes les ardoises de nos conneries, qu’elle incarnait l’Éden de tous nos fantasmes judéo-chrétiens. On s’est fait baiser par Jésus, Krishna, Ravi Sankar, Krishnamurti et tous les Gandhi, l’original et ses photocopies et la Rolls Phantom psychédélique de John Lennon. Ajoute à cela qu’après l’assassinat de Sharon Tate, il est devenu difficile de croire aux petits oiseaux, aux fleurs et aux love-in.

— Quel rapport entre tes choix et le mien ?

— J’y viens. Pas plus que San Francisco, Amsterdam ou Katmandou, l’Inde est un paradis. Dieu et Diable y sont potes et trempent dans les mêmes eaux troubles. Le bien, le mal, je ne t’apprends rien, c’est la même foutaise éternelle. L’un n’existe pas sans l’autre. Ici plus qu’ailleurs, si tu veux parvenir à ton but, sauver quelques mômes de leur dépotoir, tu dois composer avec les deux. L’idée est que si tu es bonne comme la romaine et que tu courtises l’altruisme, il vaut mieux l’oublier tout de suite. Alors un conseil, Monique : si tu veux prospérer dans ce pays, tu n’as pas d’autre choix que d’accepter de te plonger dans son chaos.

— Ça signifie ?

— Renverse la vapeur de telle sorte que ceux qui te contrôlent aujourd’hui, dépendent de toi demain. Une créance ouverte sur leur intimité. Celle dont ils subissent, le rouge au front, les turpitudes, mais pour laquelle ils sont tous prêts à se damner.

— Mais de quoi me parles-tu, John ?

— Du foutre, Monique, du foutre. Ne me regarde pas avec cet air d’ahurie. Oui, je sais. Tu as la réputation, la rumeur chez les expatriés est une pathologie endémique, de lutiner les anges plutôt que les hommes, bref d’avoir une sexualité monacale. Ne rougis pas. Il est de notoriété quasi publique que tu es rabougrie comme une figue. Mais bon, tu as investi ta jouissance physique dans le sauvetage du monde, le bien des autres, l’humanitaire. Et sans doute entendre le mot foutre te fait blêmir les ovaires. Je t’explique, ma puce. Là, où l’homme va, le foutre va. Là où le foutre se déplace, l’homme se déplace. Exactement comme les orties. C’est une mauvaise herbe qui lui est indispensable. Il te suffit pour agrandir cette vision de songer au blé. Lui c’est un aristocrate. Pour qu’il croisse et se multiplie, il faut le bichonner artificiellement. L’ortie, elle, elle pousse partout sans, avec ou malgré l’homme, et là où il dépose ses armes. Car l’ortie aime le fer et là où il y a eu des invasions, au nom de je viens vous libérer ou vous convertir à mon Dieu, là où il y a un sabre, un fusil, un tank enterrés, il y a des orties et du foutre. »

Elle pouffe de rire. Son corps tressaute. Elle ne sent que ses poignets, la morsure des cordes et l’urine qui coule en petits jets entre ses cuisses, dégouline le long de ses jambes légèrement fléchies, et forme des petites flaques autour de ses pieds.

....

Afficher en entier

Nouveau ? Inscrivez-vous, c'est gratuit !


Inscription classique

En cliquant sur "Je m'inscris"
j'accepte les CGU de booknode