Extraits

Elle est un bon remède pour mon âme noire.

Les portes s’ouvrent et Ana entre dans la cabine. Elle me regarde. L’espace d’un instant son masque tombe. Je le vois sur son beau visage. Elle souffre comme moi.

Non, Ana, ne pars pas…

- Adieu, Christian.

- Adieu, Ana.

Les portes se referment. Je me laisse glisser au sol et enfouis ma tête dans mes mains. L’abîme est vertigineux, terrible. Il me happe tout entier.

Qu’est-ce que tu as fait, Grey !

Quand je rouvre les yeux, j’esquisse un pâle sourire à la vue des tableaux de l’entrée. Toutes des madones. L’idéalisation de la mère ! Soit elles contemplent leurs enfants avec amour, soit elles me lancent un regard hostile.

Elles ont raison de me fixer comme ça. Ana est partie. Vraiment partie. Ana, la meilleure chose qui me soit arrivée dans la vie. Elle avait promis de ne jamais me quitter. Je ferme les yeux pour ne plus voir ces regards figés, pleins d’apitoiement. Je m’appuie contre le mur, renverse la tête en arrière. Elle avait dit ça dans son sommeil. Et comme un idiot je l’ai crue. J’ai toujours su au fond de moi que nous n’étions pas faits l’un pour l’autre. C’est donc un juste retour à la normale.

Alors pourquoi te sens-tu aussi mal ? Pourquoi est-ce si douloureux ?

Quand l’ascenseur sonne, annonçant l’arrivée de la cabine, mon cœur cesse de battre. Elle est revenue ! Je reste paralysé, plein d’espoir, attendant que les portes s’ouvrent. Mais c’est Taylor qui apparaît. Il s’arrête un instant en me voyant.

Combien de temps suis-je resté assis ici ?

- Mlle Steele est chez elle, monsieur Grey, m’annonce-t-il avec flegme, comme s’il avait l’habitude de me trouver ainsi, par terre, prostré.

- Comment va-t-elle ?

Je tâche de prendre un ton détaché.

- Secouée, monsieur, répond-il, impavide.

Je hoche la tête et lui fais signe qu’il peut disposer.

Par la baie vitrée, je contemple la surface sombre du détroit. Pourquoi me suis-je porté volontaire pour aller chercher Mia? Je pourrais être avec Ana, l'aider à emballer ses affaires, puis manger une pizza avec Kate, Elliot et elle -comme le font les gens ordinaires.

Pour l'amour du ciel, Grey. Je ne me reconnais plus.

Pourquoi ne m'avez-vous pas dit qu'il y avait du danger avec les hommes? Pourquoi ne m'avez-vous pas avertie?

Les dames savent contre quoi se défendre parce qu'elles lisent des romans qui leur parlent du danger qu'il y a avec les hommes...

Elliot éclate de rire.

-Ben dis donc, t'es vraiment coincé, fils de pute.

Il rabat sa casquette des Sounders sur son nez et se blottit dans son siège pour piquer un somme. J'augmente le volume de la musique . Essaie de dormir maintenant, Lelliot!

Je l'avoue, je suis jaloux de mon frère: de ses conquêtes féminines, de son aptitude à s'endormir n'importe où... et du fait qu'il ne soit pas le fils d'une pute.

Tout en me rasant, j'observe le connard aux yeux gris qui se reflète dans le miroir.

« Quand elle sourit, son visage s’eclaire comme un matin d’aurore en été. Elle devient belle à en couper le souffle. »

Un nom me revient à l’esprit : Stephen Morton – le mari numéro trois de Carla. Anastasia, alors

adolescente, a refusé de vivre avec eux pour retourner chez son précédent beau-père, Raymond Steele.

La première enquête de Welch avait été superficielle, ce Morton n’avait alors qu’importance

limitée dans la vie de Miss Steele. Depuis, je lui ai demandé d’approfondir. Si Stephen Morton n’a

jamais été inculpé, il y a eu des bruits de violence domestique – d’après les voisins, une maltraitance

envers sa femme, sous forme plus verbale que physique. Mais si cet homme rabaissait son épouse, il

agissait probablement de même envers sa petite belle-fille, à cet âge critique où la personnalité de

l’adulte se construit encore.

Peut-être Anastasia en garde-t-elle des cicatrices morales… La plupart du temps, elle les dissimule

parfaitement. Et puis, elle a eu Ray sur lequel s’appuyer, un homme solide et fiable. Quant à Carla, il

ne lui a fallu que six mois pour avoir le bon sens d’abandonner son connard de mari numéro trois

- C'est ma faute si tu ne ris pas plus souvent.

- Je ne suis pas très rieuse.

- Ah, mais quand vous riez, mademoiselle Steel, on croirait entendre la musique des sphères.

- Comme c'est poétique, monsieur Grey, plaisante-t-elle.

Je souris.

- J'ai l'impression que ça t'as crevée, de te faire baiser à fond.

- Alors là, ça n'était pas poétique du tout!

" Aujourd'hui elle est heureuse.

J'aime quand maman est heureuse.

J'aime quand elle me sourit.

Elle est si jolie quand elle sourit."