Extraits

Comme tous les jours, après s'être levé à 5 h 30, il alla à la rencontre des gens aux arrêts de bus, dans les cafés, les magasins... Il accosta les passants, les jeunes, les vieux, les Blancs, les Noirs, les Asiatiques, les Hispaniques... et leur parla d'espoir, de vie et d'amour. Puis il repartit en courant à une réunion politique, avant de retourner à son quartier général vers minuit afin d'aider les volontaires à coller les timbres et à cacheter des enveloppes. Rien ne l'arrêtait, pas même les nombreuses menaces de mort qu'il recevait. Il les lisait à haute voix et les affichait sur son réfrigérateur. "Quelle est la meilleure, à ton avis ?" demandait-il, ironique, à Anne, terrorisée, qui le priait de prévenir la police. "La police ? Mais elle serait bien trop contente d'être débarrassée d'un agitateur comme moi !"

"Au moins, ne monte plus sur ce podium, tu es trop exposé", le suppliait-elle avant ses discours. Mais Harvey n'écoutait personne et il intensifia le rythme de ses apparitions publiques.

Très jeune, Harvey avait déjà ses compositeurs préférés, Mahler, Strauss, Wagner et l'auteur de La Traviata, l'Italien Giuseppe Verdi. Mais celui qu'il aimait par-dessus tout, c'était Mozart, que Harvey admirait particulièrement pour son talent à faire chanter maîtres et domestiques ensemble, notamment dans Don Giovanni, son opéra favori.

Sitôt débarqué à New York, il s'empressa de chercher du travail. Après avoir envoyé quelques lettres de candidature, Harvey fut engagé comme professeur de mathématiques et d'histoire au lycée Hewlitt près de Woodmere. Il s'entendait bien avec ses élèves, et ses collègues appréciaient son caractère enjoué. Ce sportif aguerri proposa d'entraîner l'équipe de football américain de son établissement et cette idée le rendit encore plus populaire. Deux fois par semaine, les joueurs affrontaient des équipes adverses, souvent avec succès grâce à leur nouveau coach. Harvey s'était beaucoup entraîné à l'armée et il en avait conservé une détente souple, une faculté d'observation hors pair et un remarquable sens de la coordination.

Et Harvey s'embarqua à bord de l'USS Kitti-wake, le porte-avions de San Diego qui naviguait dans le Pacifique. Il gravait rapidement les échelons de l'armée et devint officier, accédant ainsi à un grade privilégié dans la hiérarchie militaire et aussi à une plus grande liberté de mouvements que ses camarades. Toutefois, il continuait de rester toujours aussi discret sur sa différence sexuelle, les purges anti-homos étant fréquentes dans l'armée. Ce que lui confirma un de ses compagnons gays lors d'un dîner arrosé dans un bar de la base militaire de San Diego :

- La marine, comme les autres corps militaires, révoque les homos, même sans preuve. Surtout, nous devons garder le silence sur notre vie privée, Harvey. Il paraît que bien des nôtres se sont suicidés après avoir été rejetés par l'armée comme des malpropres !

- De toute façon, je n'en peux plus, j'ai l'intention de partir : bientôt quatre ans que j'ingurgite leurs sermons débiles. J'ai la conviction qu'une existence meilleure m'attend dans la vie civile. Et puis tu sais, me cacher en permanence commence à me peser. Nous ne sommes pas des criminels !

Sans regrets, Harvey démissionna de l'armée en août 1955, persuadé qu'un autre destin l'attendait.

Les jours filèrent. Les deux amoureux étaient inséparables. Ils vivaient leur idylle au grand jour, marchant main dans la main dans la rue au risque de se faire arrêter ou insulter. Qu'importe, Harvey n'avait plus peur. Il ne voulait plus se cacher. Et pour prouver à son nouveau compagnon qu'il était fier de lui et de leur couple, il proposa à Scott de se rendre avec lui à la première marche de la fierté homosexuelle, la Gay Pride pour la reconnaissance des droits des homosexuels qui avait lieu le 29 juin suivant, un an jour pour jour après les émeutes de Stonewall. (1)

1. Du nom du bar le Stonewall Inn à New York, où des policiers avaient effectué une descente qui dégénéra en plusieurs jours d'échauffourées avec la communauté homosexuelle.

1977 : Harvey Milk est élu représentant du 5e district de San Francisco et devient le premier homme politique ouvertement homosexuel des Etats-Unis. Pendant ses onze mois de mandat, il s'engage en faveur des droits des homosexuels et s'oppose à la Proposition 6, projet de loi soumis à référendum qui aurait autorisé le licenciement des enseignants ouvertement homosexuels. Grâce à lui, cette loi n'est pas adoptée.

27 novembre 1978 : Assassinat d'Harvey Milk et du maire de San Francisco George Moscone. Le meurtrier, Dan White, n'écope que de sept ans de prison. Ce verdict déclenche de violentes émeutes.

22 mai 1930 : Naissance d'Harvey Bernard Milk à Woodmere (New York)

1972 : il déménage à San Francisco, comme beaucoup d'homosexuels à cette époque, et s'installe dans le quartier gay de Castro.

1973 et 1975 : il se présente à deux reprises aux élections du conseil municipal, en vain, et gagne le surnom de "maire de Castro Street", avec un large soutien de la communauté homosexuelle.

S'ensuivent des années de combat traversées par le spectre du sida, cette maladie qui touche en particulier les milieux homosexuels et fait revenir en force l'homophobie : l'Eglise parle d'un châtiment divin, l'extrême-droite affirme que ceux qui l'attrapent "le méritent" !

La situation évolue avec François Mitterrand en 1981. Il fait abroger les textes homophobes et voter une loi pour établir une stricte égalité quant à l'âge de la majorité sexuelle (fixée à quinze ans pour tous à partir de la loi de 1982). Puis le gouvernement socialiste met sur pied d'autres mesures : la circulaire Badinter contre les poursuites du parquet, la loi Quilliot qui supprime la mention "bons pères de famille" pour les locataires, etc. Surtout, le 17 mai 1990, le ministère de la Santé retire enfin l'homosexualité de la liste des maladies mentales de l'OMS.

Jusqu'en 1981, l'homosexualité reste sous surveillance, et des discriminations juridiques sont encore inscrites dans le droit français. Par exemple, l'âge de la majorité sexuelle est fixé à quinze ans pour les hétérosexuels mais à dix-huit ans pour les gays. Comme l'a connu Harvey Milk, différents contrôles de police, fichages et interdictions de lieux et de films renforcent l'intolérance.