Extraits

— Je m’appelle Jared, dit le guerrier. Je suis le second du seigneur-maréchal.

— Merrick. Le jeune homme estima plus sage de ne pas donner son nom de famille. Il n’était pas d’humeur à répondre au flot de questions qui auraient inévitablement suivi.

— Merrick ? répéta Jared. C’est amusant. Le seigneur-maréchal avait une chèvre baptisée Merrick. On a été obligés de la tuer pour avoir de quoi manger pendant la traversée des montagnes de Kriega. Ça lui a fichu un coup.

Une chèvre ?

Une putain de chèvre ?

— Si elle avait l’intention de se tuer, je ne pense pas qu’elle ferait ça à l’épée. Ce n’est pas très facile de se décapiter tout seul avec une lame de plus d’un mètre. Remarque, je parle sans savoir : je n’ai jamais essayé.

— Avez-vous l’habitude de parler à la place des femmes qui vous entourent, Merrick ? (Le jeune homme ne sut quoi répondre.) Si tel est le cas, je peux vous assurer que vous n’aurez nul besoin de parler à ma place.

— Je n’oserais jamais…

— Non, s’il vous plaît. N’osez jamais.

En temps normal, Merrick aurait répliqué : Va te faire foutre ! Ton opinion, tu peux te la tailler en pointe et te la carrer dans ton cul de petite sainte !

Mais il garda cette réplique pour lui. Pas par respect envers la jeune femme. Pas parce qu’elle l’expédierait à l’autre bout de la ville d’un grand coup de pied aux fesses s’il osait lui parler ainsi.

Il est facile de se transformer en athlète quand on est poursuivi par une bête sauvage.

Il devait croire qu’elle l’était. Et si elle était morte, il se jura que d’autres la suivraient dans la tombe.

La liste serait longue.

C’est maintenant ou jamais.

Les événements des dernières semaines défilèrent dans la tête du jeune homme comme un torrent furieux. Des pages de grimoires battirent comme des ailes d’hirondelles. Des mots tracés à l’encre coulèrent le long de mille parchemins. Le jeune homme fut confronté à des paroles entendues, à des images vues, à des théories à peine comprises. Des éclairs successifs déchirèrent les brumes de sa mémoire et il ne resta bientôt plus qu’un mot unique dans sa tête.

— Avaggdu ! hurla-t-il.

Le pont du Sauveur enjambait la Storvoie entre Havrefer et la vieille ville. Il avait été baptisé en hommage au vénéré Arlor, cet ancien héros élevé au rang de divinité par les masses ignorantes.

Quand on se tenait au milieu du pont et qu’on regardait vers le nord, le fleuve semblait se faufiler comme un serpent entre les champs et les bois. Il apportait en ville toutes sortes d’offrandes des terres en amont : les immondices des États libres, les corps boursouflés d’une nation condamnée.

Il apportait également la proie de Forêt.

- Je n'ai rien à lui prouver ! l'interrompit Merrick.

- Nous avons tous quelque chose à prouver, chaque jour de notre vie, dit Kaira. Le plus dur, c'est de choisir envers qui ou quoi nous devons le faire.

"Nobul s'en doutait depuis le début. En règle générale, les plus grandes gueules ont les plus petites couilles."