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De gros nuages se fendaient en bosses et protubérances. Les formes étaient courbes, galbées, bombées comme des jarres, suspendues comme des coraux, pleines de veinures secrètes, tout obéissait à des emblèmes féminins. Elle confirma à cet instant que le nom du ciel ne pouvait pas être masculin. Elle ne pouvait croire que les premiers aviateurs aient été des hommes. A le voir, le ciel était d'une féminité explosive, aux rondeurs corollaires. Cette demeure était faite comme un nid, un sein, prouvant que les premières civilisations des nuages avaient été matriarcales.
Afficher en entierVers minuit, Thérèse monta dans la chambre. Lorsque Lazare la rejoignit, la pièce était embuée, comme si on avait fait couler un bain. Il gratta une allumette et une fragile flamme dessina un cercle de lumière dans la pénombre. Il aperçut alors Thérèse nue, débordante de jeunesse, d'une beauté arrogante, couchée au milieu du lit. Il ne soupçonnait pas que la nudité d'une femme pouvait contenir tant de collines, tant de pics, tant de ravins et de failles. Elle semblait avoir cultivé cette virginité dans une obscurité tellurique, à l'ombre des regards, avec un effacement pudique, tel un faucon timide, et Lazare voulut croire qu'elle s'était réservée uniquement pour ses étreintes. Au contact de son corps, il remarqua qu'elle avait la peau aussi douce qu'un duvet de pêche, épongée pendant des heures à l'ambre de mélasse, parfumée d'une fragrance de miel.
Afficher en entierCe livre de Miguel Bonnefoy est envoûtant : il mêle avec bonheur l'histoire familiale de ces vignerons franc comtois chassés par le phylloxéra et exilés au Chili et la grande Histoire du Chili des années 1873 à 1973. Le style de l'auteur, lumineux, empreint de réalisme magique parfois, est tout à fait séduisant.
Afficher en entierMarcher dans la rue le soir était interdit, avoir les cheveux longs était un délit, lire de la poésie était suspect. Ils voulaient construire un moulin, alors ils interdisaient le vent.
Afficher en entierLe vieux Lonsonier avait prospéré dans sa vigne. Il ne se contenta plus de produire du vin, mais se mit à l’acheter à d’autres domaines du Valle Central, pour ensuite le distribuer dans les grands marchés urbains. Santiago comptait à cette époque huit cent mille habitants sur quatre-vingts kilomètres carrés. Profitant de l’expansion de la ville, Lonsonier installa son bureau dans l’avenue Vicuña Mackenna, artère la plus proche de la ligne de train. Ce chemin de fer, qui reliait la capitale aux villes du sud, comme Puente Alto et Rancagua, lui permit de recevoir rapidement les envois de barriques et les vins déjà mis en bouteille
Afficher en entierC’est ainsi qu’il débarqua au Chili, à Valparaíso, en pleine guerre du Pacifique, dans un pays qu’il ne savait pas placer sur une carte et dont il ignorait tout à fait la langue. À son arrivée, il rejoignit la longue queue qui s’étirait devant un entrepôt de pêche avant d’atteindre le poste de douane. Il s’aperçut que l’agent du service d’immigration posait systématiquement deux questions à chaque passager avant de tamponner leur fiche. Il en conclut que la première devait concerner sa provenance, et la deuxième, logiquement, sa destination. Quand vint son tour, l’agent lui demanda, sans lever ses yeux sur lui :
– Nombre ?
Ne comprenant rien à l’espagnol, mais convaincu d’avoir deviné la question, il répondit sans hésiter :
– Lons-le-Saunier.
Le visage de l’agent n’exprima rien. Avec un geste fatigué de la main, il nota lentement :
Lonsonier.
– Fecha de nacimiento ?
Il reprit :
– Californie.
L’agent haussa les épaules, écrivit une date et lui tendit sa fiche. À partir de cet instant, cet homme qui avait quitté les vignobles du Jura fut rebaptisé Lonsonier et naquit une seconde fois le 21 mai, jour de son arrivée au Chili.
Afficher en entierUn jour, un jeune voisin avec un accent germanique lui demanda de quelle région venait son nom. Ce garçon blond, au port élégant, était issu d’une immigration de colons allemands au Chili, vingt ans plus tôt, dont la famille s’était installée dans le Sud pour travailler les terres avares de l’Araucanie. Lazare rentra chez lui avec la question au bout des lèvres. Le soir même, son père, conscient que toute sa famille avait hérité son patronyme d’un malentendu à la douane, lui murmura à l’oreille :
– Quand tu iras en France, tu rencontreras ton oncle. Il te racontera tout.
– Il s’appelle comment ?
– Michel René.
– Il habite où ?
– Ici, dit-il en posant un doigt sur son cœur.
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