Extraits

— T’inquiète pour la groac’h, Félix est un véritable détecteur à immortels, expliqua Morgan sans s’appesantir sur les détails.

Finn n’était pas un imbécile et plissa les yeux.

— Je le redis, mais il est bizarre, ton chat.

Le chat en question coupa son mulot en deux dans un craquement mouillé et poussa la moitié de la bestiole en direction du loup. Pour la plus grande horreur du druide, le mini lycan attrapa l’offrande par la queue et renversa la tête en arrière pour la mettre dans sa bouche.

Le nez froncé de dégoût, Morgan dévisagea Finn mâcher tranquillement son bout de rongeur comme si tout était normal.

— Et c’est le chat qui est bizarre… railla-t-il.

Une voiture klaxonna non loin ; la silhouette noire de Félix apparut presque aussitôt au sommet d’un rocher. Trempés, les deux hommes ne se firent pas prier, même si Morgan sentit une fois de plus la circonspection de l’amarok.

Ouais, Félix était un chat bizarre, mais c’était un chat pratique.

Bien des cultures avaient leur propre Groac’h, leur Vieille, l’incarnation de l’ancienne sage et bienveillante, mauvaise et terrible. La groac’h était tout ceci. La plus puissante des fées, l’immortelle la plus redoutable et la plus redoutée de Bretagne, aux côtés de l’ankou.

Et la plus difficile à cerner, de loin.

Le passeur était simple : il prévenait les vivants que leur heure approchait avant d’accueillir en amis les trépassés. Ou d’embrasser les druides qui allaient mourir et ce, sans aucune foutue raison.

— L’ankou.

Le silence de son chat lui apprit qu’il avait très légèrement oublié de le prévenir. Félix était toujours là pour lui, en échange du gîte, du couvert et des gratouilles et lui, il avait oublié de le prévenir qu’il avait vu le passeur. Morgan se sentit tellement minable sur le coup !

— Qu’est-ce qu’il te voulait ? demanda Félix, plus sèchement.

— M’embrasser.

Félix eut alors une réaction tout à fait humaine : sa mâchoire se décrocha et il le fixa, les yeux écarquillés.

— Alors ?

Il émit un son de gorge surpris et rattrapa Félix par réflexe lorsque ce dernier sauta dans ses bras.

— Alors c’est tout droit, lui indiqua le félin d’un geste de la tête.

Morgan ne bougea pas, les yeux fixés sur l’emmerdeur poilu.

— Tu te fous de ma gueule.

— C’est mouillé par terre. Tu portes bien ton GPS, je te sers de GPS, donc tu me portes.

— C’est une très vilaine figure de rhétorique, là…

— Non, Louis. Je sais qu’on dit qu’à cause de la loi des paradoxes, c’est justement en se débattant contre son collet qu’on finit bel et bien par s’étrangler, mais je ne resterai pas là les bras croisés à attendre que mon ami et sa meute se fassent buter par on ne sait quoi !

— Et Merlin, elle peut crever ? s’enquit Louis en arquant un sourcil ironique. Morgan referma la bouche dans un bruit sec, agacé.

— Elle m’a exilé quatre putains d’années chez les english. J’ai dû vivre dans du caillou.

Le bon côté des choses, c’était que désormais, le druide comprenait pourquoi la nouvelle Viviane avait tenu à s’occuper de son cas personnellement.

Les arbres n’oubliaient jamais rien. À l’instar du carbone qu’ils piégeaient dans leurs feuilles, ils capturaient les images du Vivant dans leurs fibres et leur sève et les engrangeaient pour qui savait les étudier.

- Bon courage, souffla Félix, narquois.

Le chat – ce traître – bâilla avant de lui tourner le dos pour se lover sur l’autre flanc. Morgan lui souhaita d’être malade, puis il sourit à son chauffeur.

Morgan n’avait pas besoin de comprendre le langage corporel des canidés pour suivre le fil de ses pensées et leva les mains en signe de non-agression.

— Je ne regarderai pas plus maintenant que les deux autres fois où tu m’as demandé de me retourner. J’ai aucune raison de vouloir te reluquer.

Assez étrangement, la louve eut l’air blessée par ses paroles – faudrait savoir à la fin ! – et le bouscula en le dépassant. La différence de force aidant, Morgan faillit finir le nez dans le mur et se rattrapa de justesse.