Extraits

- On peut approcher ? demande Liz de loin.

Raahosh lui fait signe d'avancer et l'un des jeunes traîne le travois d'Har-loh. Mon frère me jette un regard noir.

- Tu es un idiot. Tu as failli te faire écraser !

Il est furieux contre moi. Comme je le serais si Har-loh avait fait quelque chose d'aussi stupide... S'il réagit ainsi, c'est parce qu'il fait partie de ma famille et qu'il veut que je sois en sécurité. Curieusement, cela me touche et je le prends dans mes bras.

Au début, il reste raide , puis finit par m'enlacer à son tour.

- Merci, lui dis-je.

- Tu es mon frère, répond-il d'une voix grave. Je t'aiderai toujours.

- Oh, mon Dieu, s'exclame Liz. Vous pourriez vous roulez une pelle ? Juste pour moi ? Se serait si sexy.

Ça va faire beaucoup de choses à encaisser pour toi. Promets-moi simplement que tu garderas l’esprit ouvert. Que tu n’attaqueras personne. — Je ne les attaquerai pas s’ils t’aident. Elle hausse un sourcil. — Tu avais l’air prêt à bondir sur Raahosh, tout à l’heure. Raahosh. Celui qui ressemble à mon père. À ce rappel, je me tais. J’ai un frère. — Je ne savais pas quoi penser, admets-je. — Ça faisait beaucoup, dit-elle doucement, et tapote les couvertures pour me signifier de m’asseoir à côté d’elle. J’obtempère avec joie et elle se cale dans mes bras.

Je m’étire dans les couvertures, habitée par une impression de bien-être… fébrile à l’idée de ce que l’avenir me réserve. Parce que si le futur, c’est lui et moi ? Juste nous contre le monde entier ? Je… suis partante. Totalement partante.

Cet enfoiré m’oblige à dormir ligotée toute la nuit, et il n’a même pas la décence d’allumer un feu. À mon réveil, j’ai des fourmis dans les mains et les orteils, et j’ai si froid que je claque des dents. Mon khui aide mon corps à m’adapter, mais les humaines ont encore du mal à supporter le climat de Not-Hoth, et là, je donnerais tout pour une couverture ou un bol de chocolat chaud.

Tout est à l’aune des sa-khuis, pas des humains. J’ai une taille normale pour une fille, mais les habitants de cette planète mesurent plus de deux mètres en moyenne. La neige est profonde, les grottes énormes. Bref, tout me paraît surdimensionné. J’ai l’impression d’être Boucle d’Or chez les trois ours, sauf que je ne suis jamais à mon aise : tout est toujours trop grand.

Liz vient se poster entre nous, radieuse, semblant à mille lieues de soupçonner l’agressivité régnant dans la salle.

— Ce n’est pas le moment, Leezh, gronde Vektal.

— Si, au contraire, rétorque-t-elle d’un air intrépide.

Elle enroule son bras dans le mien et sourit au chef.

— J’ai fait du ragoût et ce pauvre Rukh n’a rien mangé de la journée tellement il était inquiet pour sa compagne. Et puis, il a hâte de passer du temps avec son frère, ajoute-t-elle en me tapotant le coude.

— Leezh…, avertit Vektal.

— Oh, allez. De toute façon, vous n’étiez pas en train de parler, si ? Et il n’ira nulle part sans Harlow. Laisse-moi nourrir cet homme !

Les narines de Vektal se dilatent.

Leezh n’est pas aveugle à la tension qui bouillonne dans la grotte. Pourquoi feint-elle le contraire ? Vektal a l’air furieux et je tremble de rage à l’idée qu’il me sépare de ma compagne.

Elle est à moi. J’enlèverai la guérisseuse et je l’emmènerai dans notre caverne près de l’océan s’il le faut, mais Har-loh m’appartient.

— Et puis, ajoute Leezh, Georgie pleure de nouveau à cause de son ouvrage.

L’expression de l’homme passe d’une colère froide à de l’inquiétude. Il se frotte le front, puis s’en va sans un regard pour nous.

— Et voilà, murmure Leezh. Problème réglé.

— Rien n’a été résolu, lui rétorqué-je.

— Tu te fous de moi ? Si ça devait tourner à un concours de bites, tu ne serais pas le vainqueur. J’admire ta ténacité, mais c’est le chef et ses paroles sont des ordres. Maintenant, viens. Je vais vraiment te nourrir.

J’ai envie de lui répondre que je n’ai pas faim, que je veux retourner auprès de ma compagne. Mais quand nous émergeons de l’antre de Vektal, je constate que le rideau de la guérisseuse est toujours tiré. À cette vue, toutes mes forces me quittent. Mes jambes flageolent et je titube. Depuis combien de temps n’ai-je pas dormi ? Mangé ? Je ne m’en souviens pas.

Elle me guide en direction d’une autre grotte à l’écart. Au centre de la caverne, j’aperçois la compagne du chef qui s’essuie les yeux. Vektal la tient contre lui et caresse ses cheveux, et elle se blottit contre lui. Il a l’air fatigué, inquiet et confus vis-à-vis du comportement de sa femme.

— Les hor-mon, murmure Leezh en me serrant le bras. Georgie en est saturée. Pauvre Vektal. Elle le rend fou depuis des semaines, maintenant. Raison de plus pour te sortir de là. Je ne voulais pas que l’un de vous deux dise quelque chose qu’il regretterait par la suite, quand toute cette histoire de bébé sera passée. Tu peux rester chez nous ce soir si la guérisseuse en a pour plus longtemps que prévu. J’ai aménagé un lit de plus avec des fourrures de rechange.

— J’attendrai Har-loh, réponds-je en redressant mon corps fourbu.

— Ce que tu peux faire tout en mangeant et en saluant ton frère.

J’hésite. Mon besoin d’être avec ma compagne le dispute à mon épuisement.

— C’est ce que je pensais, dit Leezh en tapotant mon bras. Tu es énervé contre moi, mais je ne fais que mon boulot de belle-sœur. Maintenant, viens. J’ai fait du ragoût ; Raahosh et toi pouvez vous asseoir près du feu pour vous foudroyer stoïquement du regard.

Je ricane. Raahosh avait raison. La langue de sa femme est assez acérée pour écorcher une bête à piquant. Elle m’entraîne dans sa grotte. L’odeur de la nourriture embaume l’air. Elle me rappelle l’un des plats d’Har-loh.

— Que tu le veuilles ou non, poursuit Leezh, tu as besoin d’une famille. Raahosh et moi sommes là pour toi.