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D’aussi loin qu’elle s’en souvienne, elle avait vécu seule, fille unique d’un couple d’ophtalmologistes très occupés, isolée dans sa chambre, les rideaux fermés pour se cacher, se faire oublier et ne surtout pas déranger. La pénombre
était son univers familier, une enveloppe qui la tenait à l’écart de la vie et de ses secrets. Quand elle avait rencontré Arnaud et qu’elle en était aussitôt tombée amoureuse, une fenêtre s’était ouverte et à la mort accidentelle de ses parents, elle s’était mariée avec lui pour ne pas sombrer.
Afficher en entierJamais il ne l'avait frappée. Les mots lui tenaient lieu de gifles aussi violentes.
Et avec lui, tout se jouait sur des détails.
Ce jour-là, c'était à cause de la robe de Garance. Trop courte. Et puis ce maquillage, ces boucles d'oreilles, ce bracelet... À qui voulait-elle plaire avec tout ça ?
— À toi, répondit-elle sincère et désarmée.
Il lève les yeux au ciel.
Elle avait consacré ses dernières soirées à imaginer puis à confectionner cette tenue pour s'occuper. Arnaud était toute la semaine en déplacement et ne l'appelait que rarement.
La machine sur laquelle Garance avait cousu sa robe était un cadeau d'Arnaud censé la consoler lorsqu'il avait dû prendre un studio à cent cinquante kilomètres de la maison pour accéder à un poste de directeur commercial.
Seule le soir, dans son salon, les mains parallèles de Garance épousent le mouvement courbe des tissus qui passent sous l'aiguille. À l’aise dans son corps, elle aime la fluidité des étoffes et en joue pour créer des vêtements à la fois sobres et distingués.
Elle veut être impeccable pour ses patients et coudre la sort de sa routine.
Dans son cabinet, elle parle peu, pose les rituelles questions de sa voix grave avec une espèce d’indifférence séduisante, remet une ordonnance contre un chèque.
Une vie bien réglée dans laquelle elle s’est endormie
Afficher en entierLa Clio noire serpente et épouse le flanc de la montagne. En lacets, la route plonge vers la vallée aveuglée de pluie et de larmes mêlées. La voiture ralentit, s'arrête sur le bas côté. Le moteur est soudain coupé.
Une seule issue, partir au volant de sa voiture pour respirer, reprendre ses esprits et tenter de comprendre.
La pluie ne cesse pas. Elle augmente même, ses larmes aussi.
Elle l’avait aimé follement, sans doute.
C’était comme ça, on se mariait et puis après ?
Son écharpe tachée de mascara et son maquillage évaporé, sa robe reste inchangée. Toute de laine et de fins boutons. Elle a ôté ses bijoux, abandonnés dans la boîte à gants.
Arnaud n'a pas remarqué son absence. Il a les yeux fixés sur son portable pendant qu'un commentateur sportif hurle sur son grand écran.
De retour, elle se poste devant lui, attrape la télécommande et coupe le son.
Furieux, il se redresse et glisse rapidement son téléphone dans sa poche.
— On peut revenir sur ce qui s'est passé tout à l'heure ? demande Garance d'une voix plus grave qu'à l'ordinaire.
— Je ne vois pas de quoi tu parles. Laisse-moi me vider la tête.
— Cette fois tu es allé trop loin. Je suis à bout. Tu dois arrêter de me traiter comme tu le fais. C'est insupportable !
Avec Arnaud, Garance avait toujours pris sur elle pour ne pas le mettre en colère. Elle craignait ses réactions et préférait se taire plutôt que de lui adresser le moindre reproche.
Pourtant, cette fois, une limite avait été franchie et, face à l'indifférence d'Arnaud qui avait déjà remonté le son, elle tint bon et, dans un état second, débrancha la prise.
Il se lève, la main en l'air, les lèvres à vif.
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