Vous utilisez un bloqueur de publicité

Cher Lecteur,

Nous avons détecté que vous utilisez un bloqueur de publicités (AdBlock) pendant votre navigation sur notre site. Bien que nous comprenions les raisons qui peuvent vous pousser à utiliser ces outils, nous tenons à préciser que notre plateforme se finance principalement grâce à des publicités.

Ces publicités, soigneusement sélectionnées, sont principalement axées sur la littérature et l'art. Elles ne sont pas intrusives et peuvent même vous offrir des opportunités intéressantes dans ces domaines. En bloquant ces publicités, vous limitez nos ressources et risquez de manquer des offres pertinentes.

Afin de pouvoir continuer à naviguer et profiter de nos contenus, nous vous demandons de bien vouloir désactiver votre bloqueur de publicités pour notre site. Cela nous permettra de continuer à vous fournir un contenu de qualité et vous de rester connecté aux dernières nouvelles et tendances de la littérature et de l'art.

Pour continuer à accéder à notre contenu, veuillez désactiver votre bloqueur de publicités et cliquer sur le bouton ci-dessous pour recharger la page.

Recharger la page

Nous vous remercions pour votre compréhension et votre soutien.

Cordialement,

L'équipe BookNode

P.S : Si vous souhaitez profiter d'une navigation sans publicité, nous vous proposons notre option Premium. Avec cette offre, vous pourrez parcourir notre contenu de manière illimitée, sans aucune publicité. Pour découvrir plus sur notre offre Premium et prendre un abonnement, cliquez ici.

Livres
714 551
Membres
1 012 801

Nouveau ? Inscrivez-vous, c'est gratuit !


Inscription classique

En cliquant sur "Je m'inscris"
j'accepte les CGU de booknode

Ajouter un extrait


Liste des extraits

** Extrait offert par Lucy Gordon **

1.

« Je suis idiot de partir ! Je devrais rester et me battre pour elle. »

Depuis l’annonce des fiançailles son frère Primo, la veille au soir, Luke Cayman n’avait cessé de se répéter qu’il pouvait changer le destin.

Sans y croire, apparemment, car si les mots martelaient encore son crâne, il achevait pour l’heure de boucler ses valises.

Un moment après, il sautait dans sa voiture de sport et quittait Naples comme s’il avait eu le diable à ses trousses.

Sur l’autoroute, il se calma un peu, et réussit à respecter les limitations de vitesse sur les trois cents kilomètres qui le séparaient de Rome. Là, il se rendit directement dans un hôtel cinq étoiles où il avait ses habitudes, dans Parioli, le quartier le plus chic de la ville, puis il s’offrit un excellent repas arrosé d’un bon vin.

Mais le doute ne l’avait pas quitté. « J’aurais dû rester à Naples… »

Le visage d’Olympia s’imposa à son esprit, un visage illuminé par le regard tendrement amoureux qu’elle portait sur Primo, son fiancé. A quoi bon rêver : Luke n’avait jamais eu aucune chance avec elle.

Il envisageait de se coucher tôt quand Bernardo, le propriétaire de l’hôtel, qu’il connaissait bien, vint s’asseoir à sa table.

— Vous auriez dû me prévenir de votre arrivée !

— Je me suis décidé sur un coup de tête, expliqua Luke avec une jovialité forcée. Je me retrouve propriétaire d’un immeuble à Rome que je n’ai jamais vu, et il faut que je me rende compte par moi-même de son état.

— Un immeuble ? Je vous croyais dans l’industrie ?

— C’est exact, mais un client en faillite m’a donné ce bien en guise de paiement.

— Où se trouve le bâtiment ?

— Dans le Trastevere.

Bernardo haussa les sourcils : le Trastevere était l’un des quartiers les plus pittoresques de Rome, mais aussi l’un des plus populaires.

— Je crains que l’immeuble ne soit très délabré, poursuivit Luke, je vais le remettre en état, puis je le vendrai.

— Pourquoi ne pas le vendre directement tel qu’il est, plutôt que de vous ennuyer avec des travaux ?

Luke eut un sourire amusé :

— Parce que je suis persécuté par une certaine signora Pepino, une avocate qui habite l’immeuble, et qui me bombarde de lettres menaçantes, si je ne me soumets pas à ses diktats.

— Vous comptez vous laisser faire ? s’étonna Bernardo.

— Non, raison pour laquelle je ne l’ai pas prévenue de ma venue. Je veux voir l’immeuble et me faire mon opinion avant d’entamer les discussions avec elle.

— Sage démarche. Eh bien, je vous souhaite une bonne soirée, signor Cayman. Il fait très doux ce soir… A votre place, j’irais faire un tour en ville avant de me coucher.

Mais Luke n’était pas d’humeur à sortir ni à se divertir du spectacle des noctambules dans les rues de Rome. Il monta dans sa chambre et regarda s’il avait des messages sur son téléphone portable. Sa mère, Hope Rinucci, avait bien évidemment appelé, demandant qu’il la rappelle. Ce qu’il fit aussitôt.

— Bonsoir, mamma, oui, je suis bien arrivé, et tout va bien.

— As-tu rencontré la signora Pepino ?

— Pas encore ! Laisse-moi arriver ! J’ai commencé par dîner et je compte me coucher tôt pour prendre des forces avant de l’affronter demain. Il va m’en falloir, du courage, ajouta-t-il en plaisantant, je meurs de peur !

— Ne me dis pas qu’une femme t’effraie ! s’exclama Hope, indignée.

— Si ! Rien que d’imaginer cette harpie, j’en tremble.

— Cesse de dire des bêtises !

Luke se mit à rire, puis, retrouvant son sérieux, il demanda :

— Et toi ? Pas trop fatiguée pas les festivités du mariage de Justin ?

— Je n’ai pas le temps de me poser la question : il faut déjà songer aux fiançailles de Primo et Olympia, et après, il y aura le mariage.

— Décidément, tu ne laisseras jamais passer une occasion de donner une fête, soupira Luke avec tendresse. Mais si la mère d’Olympia exigeait que sa fille se marie en Angleterre ?

— Il ne manquerait plus que ça ! rétorqua aussitôt Hope, catégorique. D’ailleurs, je l’ai eue hier soir au téléphone, et elle est d’accord pour que le mariage ait lieu à Naples, et la réception à la villa, comme d’habitude.

— En voilà encore une qui n’a pas su te résister, la taquina Luke.

Hope prit un ton offensé.

— Je ne vois pas ce que tu veux dire. En tout cas, amuse-toi bien à Rome, mon fils, règle vite les problèmes avec cette signora Pepino, et sors. Vois du monde. Il est temps que tu rencontres la femme de ta vie. C’est ton tour, maintenant.

Le rêve de Hope était de voir tous ses garçons mariés et il lui restait encore quatre célibataires. Luke eut un petit rire de tendresse.

— Et si j’étais de la graine de vieux garçon ?

A l’autre bout du fil, sa mère s’étrangla.

— Un beau jeune homme comme toi ? Cela m’étonnerait !

— Un jeune homme ? Comme tu y vas ! J’ai déjà trente-huit ans.

— Pour moi, tu seras toujours jeune, et je te préviens, ton mariage est le prochain sur ma liste. Alors dépêche-toi de trouver ma nouvelle belle-fille. Si tu prenais le temps de sortir, de t’amuser un peu, aussi, au lieu de ne penser qu’à tes affaires !

Hope Rinucci trouvait à tous ses fils un charme fou, de sorte que, pour elle, aucune femme ne pouvait leur résister. C’était peut-être vrai pour les jumeaux — les plus jeunes de sa « tribu » —, mais Luke, son fils adoptif, anglais d’origine, savait que le charme n’était pas son principal atout. Physiquement d’abord, car s’il était très grand et d’une carrure impressionnante, il avait un visage sévère et il souriait rarement. Depuis l’enfance, on lui reprochait son trop grand sérieux, et c’était rarement vers lui que les jeunes filles de son âge se tournaient, quelles que soient par ailleurs ses qualités.

Certes, les quelques semaines où il avait partagé son appartement avec Olympia l’avaient un peu changé. Son caractère s’était adouci, il s’était surpris à rire souvent, à prendre la vie plus légèrement… mais il avait dû aussi se faire violence pour se comporter en gentleman, sachant qu’Olympia était amoureuse de son frère Primo. Difficile de résister au charme et à l’entrain de la belle Anglaise. Il avait bien failli y succomber.

L’annonce officielle des fiançailles avait mis un terme, chez lui, à cet entre-deux sentimental et la rage épistolaire de la signora Pepino lui avait donné une bonne excuse pour quitter Naples précipitamment.

Sans répondre à sa mère sur le chapitre du mariage, il orienta la conversation sur des sujets plus anodins et ne tarda pas à raccrocher, après avoir promis de rappeler le lendemain.

Il avait envisagé de se coucher tôt, cependant il ne tenait pas en place : quelque chose le tourmentait, sans qu’il sache exactement quoi. Comme toujours quand il était tracassé, il chercha refuge dans le travail, et sortit le dossier concernant l’immeuble du Trastevere.

Residenza Gallini, tel était le nom du bâtiment qui s’élevait sur six étages, autour d’une vaste cour carrée. Outre les plans, le dossier contenait la correspondance échangée avec la signora Minerva Pepino, une femme dont l’agressivité ne lui semblait pas, pour le moment, justifiée.

Elle avait ouvert les hostilités par une lettre lui demandant quand il comptait venir à Rome afin d’entreprendre les travaux indispensables pour assurer aux occupants de l’immeuble — ses clients — des conditions de vie décentes.

Luke avait répondu qu’il viendrait dès que son agenda le lui permettrait, suggérant à mots couverts qu’elle dramatisait sans doute un peu l’état de la résidence.

Cette lettre lui avait valu par retour de courrier une réponse virulente, accompagnée d’une liste impressionnante de travaux urgents, assortie de devis dont les montants cumulés aboutissaient à une somme ahurissante.

Luke avait manqué de s’étrangler mais, sans se démonter, avait réécrit, disant encore qu’il viendrait se rendre compte par lui-même de la situation, quand il le pourrait. Mais l’avocate avait continué à le submerger de lettres, polies, certes, mais de plus en plus comminatoires, de sorte qu’il semblait maintenant préférable de l’affronter vite avant que les choses ne s’enveniment davantage. Il imaginait bien quel genre de femme elle était : de ces célibataires de cinquante ans, laides, autoritaires et revêches, qui entendaient mener tout le monde à la baguette, faute d’avoir pu dépenser leur énergie dans une vie familiale épanouie. Luke comptait bien lui donner du fil à retordre.

Il referma le dossier et, brusquement, sans raison, sa chambre lui parut trop feutrée, oppressante par son luxe même… Il fallait qu’il sorte.

Il tira de son portefeuille une liasse de billets qu’il mit dans sa poche, rangea le portefeuille dans le coffre-fort de la chambre, puis sortit.

La nuit était douce, et il marcha un moment avant de héler un taxi qui le conduisit le long de la via del Corso, dont les cafés étaient encore très animés. Puis la voiture franchit le Tibre au pont Garibaldi.

— Laissez-moi ici, lança Luke à l’adresse du chauffeur.

Il se trouvait à présent dans le quartier du Trastevere, l’un des plus vieux quartiers de Rome, et certainement le plus pittoresque. L’un des plus animés la nuit, aussi : toutes les ruelles étaient illuminées, les clients joyeux et bruyants se pressaient aux terrasses des cafés et des trattorias, et, çà et là, des chanteurs de rues égrenaient leurs éternelles ritournelles sentimentales pour le plus grand bonheur des touristes.

Luke pénétra dans le premier bar venu, commanda un verre de vin local, et se trouva aussitôt plongé dans cette atmosphère de convivialité si typique de Rome. Il quitta ses compagnons de bar un peu plus tard, pour en retrouver d’autres dans le bar suivant, de sorte qu’une heure après et quelques bars plus loin, il commençait à voir la vie en rose.

Il n’était pas ivre, mais pas tout à fait sobre non plus, et il décida de faire quelques pas. La lune teintait le ciel de sa blancheur irréelle. Le jeune homme promena son regard autour de lui, et s’aperçut qu’il ne savait absolument pas où il était.

— Tu cherches quelque chose ?

Il se retourna pour découvrir, assis à la terrasse d’un bar, un jeune garçon, à peine sorti de l’adolescence. Quand il sourit, il découvrit des dents d’une blancheur immaculée.

— Ciao ! dit-il, en levant son verre d’une main mal assurée.

— Ciao ! répéta Luke en allant s’asseoir à sa table. Je crois que je me suis perdu.

— Tu n’es pas d’ici ?

— Non.

Un serveur passait. Luke le héla et, l’instant d’après, il apportait deux verres propres et une bouteille de vin.

— Tu verras, les gens sont gentils, à Rome, déclara le jeune garçon d’une voix un peu pâteuse.

Comprenant qu’il avait déjà trop bu, Luke fut pris de remords.

— Je n’aurais pas dû commander du vin, dit-il. On dirait que tu en as eu assez pour la soirée.

— Quand le vin est bon, on n’en boit jamais trop, rétorqua le gamin en remplissant les deux verres.

Puis il demanda :

— Comment tu t’appelles ?

— Luke.

Il fronça les sourcils.

— Luke ? Lucio, tu veux dire. Moi, c’est Charlie.

Ce fut au tour de Luke de froncer les sourcils.

— Tu veux dire Carlo ? Charlie, ce n’est pas un prénom italien.

— Non, c’est le diminutif de Charlemagne, annonça fièrement le gamin qui prit le ton de la confidence pour ajouter : Je ne le dis pas à tout le monde, seulement à mes amis.

— Merci de me compter parmi eux, déclara Luke, amusé. Et maintenant explique-moi pourquoi on t’a donné le nom de l’empereur Charlemagne.

— Parce que c’est mon ancêtre.

— Mais il vivait il y a douze cents ans. Comment peux-tu en être sûr ?

— Ma mère me l’a dit, et quand mamma dit quelque chose…

— C’est comme la mienne, admit Luke avec un sourire de connivence.

Sur quoi, ils trinquèrent, et Charlie vida son verre d’un trait avant de le remplir de nouveau.

— Je bois pour oublier, expliqua-t-il joyeusement.

— Oublier quoi ?

— Oh… tout, rien… ça n’a pas d’importance. Et toi, pourquoi tu bois ?

— Pour me donner du courage. Il faut que j’affronte une ogresse, et j’ai peur qu’elle me dévore.

— Ne t’inquiète pas, avec les femmes il suffit de parler fort et de montrer ses muscles. Ça les intimide.

L’avis valait ce qu’il valait. Luke préféra ne pas contrarier son jeune compagnon, et bientôt, tous deux passaient au bar suivant.

Puis il y en eut un autre, et un autre et un autre encore, et Luke sentit qu’il avait largement dépassé ses limites.

Il envisageait de rentrer à son hôtel, quand un hurlement retentit dans une ruelle toute proche. Puis on entendit les pleurs affolés d’un enfant et les cris aigus d’un animal. L’instant d’après, un groupe de quatre voyous surgissait de l’ombre au galop. Le meneur tenait dans ses mains un chiot qui se débattait pour lui échapper, et derrière eux courait un enfant en pleurs, qui devait avoir dix ans, et qui cherchait à récupérer le petit chien que les voyous maintenaient hors de sa portée en se moquant de lui et lui lançant des insultes.

— Bastardi ! s’écria Charlie.

— C’est le mot, marmonna Luke, et avec un bel ensemble, ils s’avancèrent pour barrer la route aux voyous.

Ceux-ci, en les voyant, marquèrent un temps d’hésitation juste assez long pour que Charlie bondisse sur celui qui tenait le chiot et le lui arrache. Luke, pendant ce temps, contenait les trois autres, et Charlie put ainsi remettre le pauvre animal terrifié à l’enfant qui disparut dans la nuit sans demander son reste.

Il s’ensuivit une bagarre de quatre contre deux, mais Luke était costaud, et Charlie, fou de rage, de sorte que l’issue demeurait incertaine quand une sirène retentit dans la nuit. Une fourgonnette de police surgit à l’entrée de la rue. En quelques instants, tous les belligérants étaient embarqués dans le véhicule, qui prenait la direction du commissariat.

*

* *

On frappa à la porte. Ce ne pouvait être que mamma Pepino : elle avait sa façon bien à elle de frapper, et Mina sourit en allant lui ouvrir.

— Je n’arrive pas trop tard ? demanda Netta.

— Pas du tout, non. Je viens tout juste de rentrer.

— Je t’ai fait un petit marché… Je sais que tu n’as pas le temps d’aller t’acheter à manger.

Il en était ainsi depuis des années. En fait depuis que, à l’âge de dix-huit ans, Mina avait épousé Giani, le fils de Netta. Et sa belle-mère, une femme au cœur d’or, avait commencé à lui faire ses courses lorsque Mina faisait ses études de droit, puis quand elle s’était installée comme avocate, de sorte que l’habitude perdurait encore bien que son cabinet juridique soit des plus prospères. Giani était mort quatre ans plus tôt, mais Mina n’avait jamais voulu déménager pour s’installer dans un appartement plus luxueux — en dépit de ses moyens financiers —, et ses liens avec Netta, qu’elle aimait comme une mère, ne s’étaient jamais relâchés.

— Tu trouveras du proscuitto, du parmesan, et tes pâtes préférées, annonça sa belle-mère, posant son sac à provisions sur la table de la cuisine.

— Merci, dit Mina avec un grand sourire. Asseyez-vous donc, que je vous serve à boire. Vous voulez du café ? Un whisky ?

— Whisky, déclara Netta, en posant précautionneusement son énorme postérieur sur une chaise.

— Moi, je prendrai du thé.

— Décidément, tu es née anglaise, et tu le resteras toujours ! Voilà quatorze ans que tu vis en Italie, et tu bois encore du thé !

Mina se mit à rire, puis servit sa belle-mère avant de vider le sac à provisions. Outre les achats annoncés, elle y trouva un petit bouquet de fleurs.

— Je pensais qu’elles te plairaient, dit Netta.

— Oh, je les adore, s’exclama Mina qui, dans un élan de tendresse, étreignit sa belle-mère. On va les mettre près de Giani.

Après avoir placé les fleurs dans un vase, elle les posa devant une photo de son mari, bien en évidence sur une étagère. Le cliché qui avait été pris une semaine avant sa mort montrait un homme jeune dont le visage rieur et sympathique était encadré de cheveux bouclés très noirs qui lui donnaient un charme désarmant.

A côté de la photo s’en trouvait une autre d’une toute jeune fille : Mina à dix-huit ans, avec ses traits fins encore empreints de la douceur de l’enfance, son regard confiant, plein d’espoir… C’était avant, quand elle ne connaissait pas encore le chagrin, le désespoir…

Aujourd’hui, son visage s’était épuré, il était devenu plus racé, plus sévère aussi, mais le sourire n’était jamais loin. Quant à ses cheveux blonds, très longs sur la photo, elle les portait maintenant aux épaules : c’était plus facile pour les entretenir et les coiffer.

— Tu te rappelles comme Giani aimait les fleurs ? demanda Netta. Il t’en offrait à la moindre occasion.

— C’est vrai. Je suis sûre que celles-ci lui plaisent beaucoup.

Toutes deux parlaient très naturellement du défunt au présent, comme s’il était toujours là.

— Comment va pappa ? interrogea Mina.

— Il se plaint de tout, comme toujours.

— Rien de nouveau, donc, déclara la jeune femme en riant. Et Charlie ?

A la mention de son plus jeune fils, Netta s’assombrit.

— Tu veux que je te dise ? Je n’arrive plus à rien, avec lui. Il se croit un homme, sort tous les soirs jusqu’à des heures impossibles, boit beaucoup trop, et Dieu sait ce qu’il fait avec les filles !

— Ça me semble normal pour un jeune homme de dix-huit ans, dit Mina avec indulgence.

— Je préférais quand il était amoureux de toi !

— Allons, mamma, il n’était pas amoureux : il a dix-huit ans, et j’en ai trente-deux ! Il a eu un petit coup de cœur, et j’ai fait en sorte que ça ne dure pas. Charlie est un enfant pour moi, et je suis la femme de son frère.

— Mais tu es veuve depuis bien trop longtemps ! s’exclama Netta avec une virulence soudaine. Il est grand temps que…

— Est-ce ma belle-mère qui parle ainsi ? demanda Mina, feignant de s’adresser à la cantonade.

— C’est une femme qui parle à une autre femme. Tu es veuve depuis quatre ans, et il est temps que tu songes à avoir de nouveau quelqu’un dans ta vie. Ce n’est pas bon pour toi de vivre seule, comme ça…

— Ce n’est pas tout à fait vrai, fit prudemment observer Mina. Vous le savez bien, vous qui habitez la même maison que moi.

— Bien sûr, j’en vois parfois monter un, mais je le vois aussi vite repartir. Ils ne restent jamais.

— C’est que je n’y tiens pas, déclara doucement Mina.

— Eh bien, tu as tort ! Mon Giani sera heureux le jour où tu penseras un peu à toi. Il te faut un homme. Dans ta vie et dans ton lit.

— Je suis très heureuse toute seule ! insista Mina, que le sujet de conversation gênait. Et puis même si je voulais un homme, je ne choisirais pas Charlie ! Je vous le répète, mamma, il est trop jeune pour moi.

— Je le sais, soupira la vieille dame, mais si tu pouvais seulement lui faire entendre raison ! Où est-il ce soir ? Que fait-il ? Je n’en sais rien, mais je suis sûre qu’il est en mauvaise compagnie.

— Allons ! Il est peut-être rentré, à l’heure qu’il est…

— Alors je vais voir tout de suite si tu dis vrai. Il devrait avoir honte de tourmenter ainsi sa mère !

— Je vous raccompagne, et je lui parlerai.

L’appartement de Mina était au troisième étage de la Residenza Gallini, et donnait sur la cour où un escalier de fer courait le long des façades, desservant les différents logements. D’autres membres de la famille Pepino habitaient également l’immeuble, et Netta, son mari et leur plus jeune fils occupaient un appartement donnant sur la rue, au quatrième étage.

Charlie n’était pas rentré.

— Il ne tardera pas, assura Mina, avant d’embrasser sa belle-mère puis de prendre congé.

De retour chez elle, une fatigue soudaine la saisit. Comme toujours, depuis la mort de son mari, le silence dans l’appartement lui semblait oppressant, et sa conversation avec Netta avait remué en elle des choses auxquelles elle préférait ne pas penser…

Sur l’étagère, Giani semblait la suivre des yeux : elle lui sourit, cherchant du réconfort dans la contemplation de son image, comme elle le faisait si souvent. Mais cette fois, il lui parut étranger, réellement absent. Alors, pour ne plus penser, elle s’en fut à sa table de travail pour avancer certains dossiers.

Ce fut un soulagement quand le téléphone sonna.

— Charlie ! Mamma se fait beaucoup de souci pour toi. Où es-tu ?… Où ?

Afficher en entier

Nouveau ? Inscrivez-vous, c'est gratuit !


Inscription classique

En cliquant sur "Je m'inscris"
j'accepte les CGU de booknode