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Commentaires de livres faits par ikare

Extraits de livres par ikare

Commentaires de livres appréciés par ikare

Extraits de livres appréciés par ikare

date : 29-05-2018
À bord du PrinzWaldemar se trouvait donc le jeune August Engelhardt de Nuremberg, barbu, végétarien, nudiste. Quelque temps plus tôt, il avait publié en Allemagne un livre au titre grandiloquent, Un avenir sans souci, et il se rendait à présent en Nouvelle-Poméranie afin d’acheter une terre où planter des cocotiers, en quelle quantité, à quel endroit, il ne le savait pas encore. Il deviendrait planteur, mais pas par désir de profit, il croyait profondément pouvoir, par la vertu de sa grande idée, changer définitivement ce monde qui lui apparaissait hostile, stupide et cruel.
Après avoir déclaré, au terme d’un processus d’élimination, que tous les produits alimentaires étaient impurs, Engelhardt était tombé par hasard sur le fruit du cocotier. Il n’y avait nulle autre possibilité : Cocos nucifera était, ainsi qu’Engelhardt l’avait établi par-devers lui, le couronnement légendaire de la création, elle était le fruit de l’arbre cos- mique Yggdrasil. Elle poussait au sommet du palmier, tournée vers le soleil et le Dieu de lumière ; elle nous offrait de l’eau, du lait, du beurre de coco et une chair nourris- sante; elle était la seule de la nature à apporter à l’homme du sélénium ; ses fibres étaient utilisées pour faire des nattes, des toits et des cordes, son tronc servait à construire des meubles et des maisons entières ; avec son noyau, on produisait de l’huile pour chasser l’obscurité et oindre la peau ; sa coque elle-même, une fois évidée, fournissait un parfait récipient, dont on pouvait tirer des coupes, des cuillères, des cruches et même des boutons; enfin la combustion de cette coque vide, non contente de surpasser celle du bois de chauffage traditionnel, était un excellent moyen d’éloigner les moustiques et les mouches, en bref, la noix de coco était parfaite. En se nourrissant d’elle à l’exclusion de tout autre aliment, on deviendrait l’égal des dieux, on deviendrait immortel. Le vœu le plus cher d’August Engelhardt, sa vocation était de créer une colonie de cocovores, il se voyait tout à la fois en prophète et en missionnaire. Voilà pourquoi il partait pour les mers du Sud, qui avaient déjà attiré une infinité de rêveurs en leur faisant miroiter le paradis.
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date : 29-05-2018
Mais à présent qu’il voyageait sous leurs battements d’ailes, Engelhardt ne les regardait plus, il n’avait d’yeux que pour les gros planteurs qui – couvant de longue date une syphilis au stade tertiaire non traitée – retournaient dans leurs plantations et, las, s’étaient assoupis à la lecture des articles arides du Tropenpflanzer ou du Deutsche Kolo- nialzeitung, et rêvaient en claquant les lèvres de négresses marron foncé aux seins nus.
Le terme « planteur » n’était pas approprié, il supposait de la dignité, un commerce expert avec la nature et les nobles prodiges de la croissance, non, il fallait plutôt parler d’administrateur, car c’était exactement ce qu’ils étaient, des administrateurs du progrès, ces philistins avec leurs mous- taches taillées à la mode berlinoise ou munichoise d’il y a trois ans, sous des nez aux ailes couperosées qui tremblaient violemment à chaque expiration, et, en dessous, leurs lèvres palpitantes, bouffies, auxquelles pendaient des bulles de salive comme s’il ne manquait à ces dernières que de pouvoir se libérer de leur adhérence labiale pour s’envoler dans les airs, telles les bulles de savon en suspension soufflées par un enfant.
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date : 26-10-2015
Personne ne sait à combien s'élève ta fortune.

Tes plantations et tes comptoirs se disseminent des Samoa aux Nouvelles Hébrides, et au-delà de l'équateur. Tes bateaux recrutent des indigènes de Santa Cruz aux îles Banks, et même les cannibales de Malaïta.

Tous les planteurs, les négociants qui s'etiolent sous le soleil, jalousent ta fortune et ton insolente réussite. Les indigènes ont un nom pour toi. Le Fils du Soleil.

Et tu as failli te faire tuer... pour 1200 Livres.
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date : 07-05-2015
Septimus: When we have found all the mysteries and lost all the meaning, we will be all alone, on an empty shore.

Thomasina: Then we will dance. Is this a waltz?

(traduction perso)

Septimus : Quand nous aurons découvert tous les mystères et perdu tout le sens, on se retrouvera tous seuls, sur un rivage désert.

Thomasina : Et alors on dansera. Est-ce une valse, qu'on entend ?
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date : 07-05-2015
Comparing what we're looking for misses the point. It's wanting to know that makes us matter. Otherwise we're going out the way we came in. That's why you can't believe in the afterlife, Valentine. Believe in the after, by all means, but not the life. Believe in God, the soul, the spirit, the infinite, believe in angels if you like, but not in the great celestial get-together for an exchange of views. If the answers are in the back of the book I can wait, but what a drag. Better to struggle on knowing that failure is final.

(Traduction perso)

Comparer ce que nous recherchons, c'est ne pas comprendre. C'est de vouloir savoir qui fait qu'on a de l'importance. Sinon, on va ressortir de la même façon qu'on est entré. C'est pour ça que tu ne peux pas croire en la vie après la mort, Valentin. Crois en l'après, je t'en prie, mais pas en la vie. Crois en Dieu, en l'âme, l'esprit, l'infini, crois aux anges si tu veux, mais pas à la grande sauterie céleste où on échange nos points de vue. Si les réponses sont au fond d'un livre, je peux attendre, mais quel boulet. C'est préférable de continuer à lutter en sachant que l'échec est définitif.
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date : 07-05-2015
The universe is deterministic all right, just like Newton said, I mean it's trying to be, but the only thing going wrong is people fancying people who aren't supposed to be in that part of the plan.

(Traduction personnelle)

L'univers est bien déterministe, exactement comme Newton l'a dit, je veux dire il essaie de l'être, mais la seule chose qui va mal ce sont les gens qui désirent des gens qui ne sont pas censés être dans cette partie du plan.
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date : 07-05-2015
It's the best possible time to be alive, when almost everything you thought you knew is wrong.

(Traduction perso)

C'est le meilleur moment possible pour être vivant, quand presque tout ce que tu croyais savoir est faux.
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date : 07-05-2015
He says his aim is poetry. One does not aim at poetry with pistols. At poets, perhaps.

(traduction perso)

Il dit que son objectif est la poésie. On ne vise pas la poésie avec un pistolet. On vise les poètes, peut-être.
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Yukiko se roula en boule de l’autre côté. Ses vêtements humides collaient à sa peau comme un givre matinal. Elle dégagea les cheveux humides de ses yeux, résignée à affronter son triste sort. Maintenant qu’elle ne bougeait plus, le froid était encore plus vif et bientôt les frissons devinrent si forts qu’elle dut s’allonger, le dos contre la pierre. Tous ses muscles étaient crispés et douloureux. Le sol de la grotte était jonché de brindilles et de feuilles sèches, mais ses mains tremblaient tant qu’elle n’aurait même pas pu allumer un feu si elle avait eu un silex à sa disposition.
L’arashitora regarda la tempête pendant près d’une heure. Sans bouger, sans ciller. Parfois, il jetait un regard à Yukiko, misérablement ratatinée sur elle-même, et qui tremblait sans pouvoir se contrôler. Puis ses ailes frémissaient, il faisait grincer ses serres contre la pierre et reprenait sa contemplation des nuages. Yukiko ferma les yeux et serra les dents pour les empêcher de claquer.
Finalement, la bête poussa un gros soupir qui souleva les feuilles mortes dans la grotte. Yukiko le vit soulever une de ses ailes sans un mot. Il l’invitait à se rapprocher. Elle cligna des yeux, et les plongea longuement dans ce regard insondable. Puis elle rampa sur le sol de pierre et se blottit contre la bête, enveloppée par la chaleur intense qui émanait de son corps. Il replia son aile sur elle comme une chaude couverture en plumes qui sentait les éclairs et le sang. Elle entendait les battements de son cœur sous quelques centimètres de fourrure veloutée et pâle.
— Merci, Buruu.
— SILENCE, ENFANT-SINGE. RÊVE.
Enfin le sommeil vint, plus profond et total que jamais. Elle resta immobile, un léger sourire aux lèvres, et rêva de sa petite vallée de bambous chauffée par le soleil d’été.
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(Buruu & Yukiko)

— JE NE TE DOIS RIEN, ENFANT-SINGE. RETOURNE À TA CROÛTE.
— Croûte ?
— FOURMILIÈRE. NID DE BOIS ET DE PIERRE QUI CRACHE DU POISON DANS MON CIEL.
— Nous les appelons « villes ».
— CROÛTES. CHANCRES SUR LA TERRE. VOUS ÊTES INFECTÉS.
— Si tu me laisses seule ici, je vais mourir.
— PAS MON PROBLÈME. DETTE ACQUITTÉE. DES MILLIONS COMME TOI. UN DE MOINS, PEU IMPORTE. BON DÉBUT.
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— Je suis désolée.
Yukiko déversa sa pensée dans l’esprit de la bête pour la consoler, la réconforter. L’arashitora recula à son contact, avec un hurlement de fureur psychique qui manqua de faire perdre connaissance à la jeune fille. Il se jeta contre la cage de nouveau, s’attaquant vainement au fer avec ses serres et son bec, exprimant sa rage devant la violation qu’il avait subie aux mains de ces misérables.
— TUER TOI.
— Je n’ai pas voulu ça. Si je pouvais, je le déferais.
— LIBÈRE-MOI.
— Je ne peux pas.
— REGARDE CE QU’ILS M’ONT FAIT.
— Je suis vraiment désolée.
— SPOLIATEURS. USURPATEURS. REGARDE LA COULEUR DE MON CIEL. LES CICATRICES SUR LE VERT EN BAS. PARASITES, VOUS TOUS.
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— Arashitora ! Arashitora !
Suivi par le son strident d’une sirène.
Yukiko ouvrit les yeux, clignant des paupières dans la nuit. Elle vit le timonier à tribord qui montrait quelque chose du doigt en s’époumonant. Le navigateur actionnait la manivelle d’une sirène du poste de pilotage. Le son aigre perçait le vacarme. Yukiko regarda dans la direction que montrait le timonier, mais elle ne vit rien qu’un vaste espace noir au-delà des lampes de l’Enfant. Un éclair illumina les nuages d’un violent éclat pareil à une fusée de magnésium, brillant soleil soudain levé pour repousser la couverture nocturne.
Alors elle le vit. Juste un instant, dans la rémanence verte laissée sur les pupilles après avoir regardé une lumière trop vive. Une impression d’immenses ailes blanches, des plumes longues comme son bras, larges comme sa cuisse. Des rayures noires, une musculature ondulant sous la peau, une tête mince et fière, un bec acéré comme une lame de rasoir. Des yeux de nuit, noirs, sans fond.
— Par le souffle d’Izanagi, murmura-t-elle en sondant l’obscurité. Il est là.
Encore un éclair, illuminant la créature pour ses yeux émerveillés.
L’impossible.
L’impensable.
Un tigre de tonnerre. Vivant.
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— Que Kitsune aille se faire foutre, cracha hargneusement le donneur. Tous des tricheurs.
Akihito soupira.
Masaru écarquilla les yeux et se leva en titubant. Il renversa la table. Les cartes et les pièces s’envolèrent. Il avait la peau gris pâle des fumeurs de lotus, mais son corps était mince et dur, tout en muscles toniques répartis sur une ossature anguleuse. Il referma le poing sur le nunchaku en bois poli à sa ceinture. Il posa son regard rougi sur l’individu.
— Du Ryu tout craché, grogna-t-il. Pourquoi vous criez toujours comme des rats de cadavre dès que vous commencez à perdre ?
— Sales renards…
— Tu as coupé le paquet, bordel. Encore une insulte envers le clan kitsune et je fais la même chose à ma face.
Le donneur eut l’air surpris.
— Enfin, ta face, je veux dire.
Masaru cligna des yeux et oscilla légèrement sur ses jambes.
— Tu tiens à peine debout, vieillard, se moqua le voyou en jetant un coup d’œil au nunchaku. Tu te crois vraiment capable d’utiliser ça ?
Masaru réfléchit un instant, le regard perdu dans les méandres de saleté du plafond.
— Bien vu, admit-il, avant de faire connaître son poing au nez du yakuza.
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Sur la voie pavée se pressait une foule de gens qui évoluaient au milieu d’un brouhaha de voix, ponctué du grondement des rickshaws à moteur qui se frayaient parfois un chemin au milieu de la marée de chair suante et de soie colorée. Un troupeau volubile de marchands neo-chōnin accompagnés de leurs gardes du corps silencieux et sévères entretenait une discussion animée non loin de là avec un vendeur de bric-à-brac, à propos du prix des scories de fer. Des mains gantées tâtaient des registres et des bourses remplies de pièces. Des hommes de la haute-ville se risquant à la surface de la basse-ville. Tout le monde dans le groupe portait un appareil respiratoire couvrant tout le visage pour se protéger de l’éclat brûlant du soleil et des gaz d’échappement flottant dans le ciel de la ville comme un linceul. Les masques étaient en cuivre poli et en caoutchouc strié, avec des tuyaux filtrants entortillés. Les verres ronds protégeant leurs yeux étaient couverts d’une fine couche de suie et de cendre de lotus. Comme Yukiko, le gros de la foule qui se pressait dans ces rues se contentait de mouchoirs attachés sur le bas du visage, de lunettes bricolées avec du cuir de rat et des verres polarisés, ou parfois d’une ombrelle en papier de riz coloré.
Yukiko entendit un bruit de verre brisé suivi de jurons tonitruants. Un homme jaillit de l’ouverture du bar sous une pluie d’éclisses, manquant de la renverser. Il atterrit tête la première dans la poussière et une mare de sang commença à se former sous lui, tandis que ses doigts cassés se crispaient convulsivement. La foule ne lui prêta aucune attention. Les passants l’évitaient sans un regard. La grappe de marchands neo-chōnin l’enjamba en poursuivant son chemin vers ce qu’elle jugeait plus important que cet homme.
— Oh non, pas ça, soupira-t-elle en entrant.
La puanteur mêlant lotus, sueur et saké rouge la fit grimacer. Elle baissa ses lunettes et son mouchoir autour de son cou et scruta la salle sombre. Elle repéra la silhouette d’un géant : Akihito, luisant de sueur. Il tenait fermement deux yakuzas sous les bras. D’un coup de tête, il écrasa le nez d’un troisième truand contre sa joue. Masaru était maintenu par un gros chauve au nez ensanglanté, tandis qu’un homme à la face de rat le cognait frénétiquement dans le ventre, au son aigrelet d’une flûte shakuhachi. Les cheveux poivre et sel de Masaru s’étaient échappés de son chignon et lui couvraient le visage comme des tentacules noirs, mouillés de sang. Elle le vit tourner la tête pour enfoncer ses dents dans l’avant-bras de son assaillant.
Le chauve hurla, lâcha prise, et Masaru donna un coup de pied dans l’entrejambe de l’homme à la face de rat, qui émit un glapissement aigu et tomba à genoux. Masaru décocha un crochet à la mâchoire du chauve, ce qui l’envoya s’écraser à reculons sur le bar, dans un tas de verre de mer cassé. Il était en train de soulever une table pour assommer le rat lorsque la voix claire de Yukiko s’éleva au-dessus du chaos.
— Il n’est pas un peu tôt pour ça, père ?
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Alors que la matraque de fer fendait l’air en direction de sa tête, Yukiko regretta de ne pas avoir écouté son père.
Elle roula sur le côté au moment où son abri volait en éclats tandis que des pétales d’azalée retombaient sur les épaules de l’oni comme des flocons odorants. Le démon se pencha au-dessus d’elle, haut de plus de trois mètres, la menaçant de ses défenses renforcées de métal et de ses longs ongles fendus. Il dégageait une puanteur de sépulture ouverte, avait les cheveux en feu, une peau lisse d’une teinte bleu foncé, et les yeux comme des bougies funèbres qui éclairaient la forêt d’une lueur blafarde. La matraque entre ses mains faisait deux fois la taille de Yukiko. Il suffisait qu’un coup l’atteigne et jamais plus elle ne reverrait le samouraï aux yeux bleu-vert.
Ah, c’est malin, se sermonna-t-elle. Penser aux garçons à un moment pareil !
Un rugissement chargé de postillons lui heurta la poitrine, chassant une volée de moineaux des ruines du temple derrière elle. Un éclair lécha les nuages, illuminant rapidement la scène d’une lumière blanche et brillante : l’immensité de la forêt sauvage, la jeune fille de seize ans acculée et le démon infernal prêt à lui écraser le crâne.
Yukiko se mit à courir.
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L’enfer aussi est un pays
Le garçon ne pouvait s’empêcher de fixer cette phrase. Elle était gravée dans la pierre à hauteur de ses yeux, précédant un nombre effroyable de bâtons : 121 au total, le garçon les avait comptés plusieurs fois. La lanterne posée sur les genoux, le menton enfoui dans le col de son pull, il regardait les muscles tremblants les mots écrits par un autre, au fond de ce trou, des mois, des années auparavant. L’enfer aussi est un pays.
Soudain, la trappe s’ouvrit et la tête d’un garde apparut :
« Remets la lanterne dans le seau », lui lança-t-il.
Le garçon baissa les yeux un moment. La flamme de la bougie vacillait sur les petites parois en verre de la lanterne, et sa lumière vitale se balançait contre les murs. Le garçon eut un soupir, regarda une dernière fois l’inscription sur la pierre, puis déposa la lanterne dans le seau. Le garde tira sur la corde et remonta le seau, puis il referma la trappe et ce fut le noir.
Cinq jours de lumière, vingt jours de noir, tel était le règlement. Au-delà de trente jours, certains devenaient aveugles.
Le garçon laissa sa tête basculer contre le mur. Sous son crâne rasé, la pierre était froide. Il en avait pris pour un mois, un mois pour une simple erreur de timing, ou de jugement. Il y était presque cette fois-ci, un peu plus et c’était la liberté.
Le garçon se gratta le crâne longuement, puis il toussa et reposa sa tête sur la pierre. Les poux, le froid, et le noir pour un mois. Comment en était-il arrivé là ? À quel moment avait-il fait le mauvais choix, pris le mauvais chemin, parlé aux mauvaises personnes ? Tout s’était enchaîné tellement vite. Et tout avait paru tellement long. Bientôt cinq mois, cinq mois comme des années. Presque cinq mois depuis qu’il avait sauté de cette roulotte, cette nuit-là, qu’il avait pour la première fois vu les murs du fort, la porte en fer de Solémine.
Il s’en souviendrait toute sa vie.

Quatre mois et dix-neuf jours plus tôt

Quand il avait ouvert les yeux, son premier réflexe avait été de monter ses mains à sa tête, mais il avait senti la corde serrée autour de ses poignets, dans son dos. Il avait tiré une fois sans grande conviction, puis la fatigue l’avait submergé.
Il était assis contre une paroi, sur un sol en bois, et il faisait noir. Le froid avait été sa première sensation, un froid humide, collé à ses vêtements, rendant ses pieds durs et presque insensibles. Douloureusement, il les avait levés l’un après l’autre, avait bougé ses orteils dans ses chaussures. Puis il avait encore tiré sur ses bras.
Il pouvait sentir la paralysie dans ses muscles, la raideur de ses épaules, le lancinement de son cou. Cela devait faire des heures qu’il était assis dans cette pièce sombre, les bras attachés ensemble dans le dos. Des heures dont il ne se souvenait plus. Tout était flou et vague.
Il n’y avait pas un bruit autour de lui, pas une seule lumière. Alors, lentement, il avait remonté le fil des évènements jusqu’à ses derniers souvenirs : la plage, avec Elliot et Mathias, la partie de foot près des falaises. Il avait dû se passer quelque chose, quelque chose entre ce moment-là et cette pièce sombre. En se concentrant davantage, le fil de la partie lui revenait : Mathias à garder son but, un espace de sable délimité par deux tas de pulls, juste devant une grande falaise. Elliot tentant de l’empêcher de marquer, puis la manière dont il avait tiré, de toutes ses forces, avant même qu’Elliot ait pu le bloquer. Le ballon avait volé, loin au-dessus des bras de Mathias, puis il avait disparu dans la falaise.
« C’est malin, lui avait dit Elliot. Va le chercher maintenant. »
Il se revoyait remonter la dune jusqu’au pied de la falaise, cherchant des yeux le ballon, sautant agilement entre les rochers, jusqu’à découvrir une cavité assez haute pour s’y faufiler. Il était entré dans cette grotte, avait clairement aperçu le blanc plastique du ballon de foot. Puis il s’était approché, et là, plus rien. Le trou noir.
La bobine était coupée entre la grotte et cette pièce sombre. Il avait beau recommencer depuis l’arrivée sur la plage, le film s’arrêtait toujours au même endroit.
Et maintenant il avait atrocement froid. Ne pas pouvoir utiliser ses bras pour se réchauffer n’arrangeait rien. Il allait tenter de manœuvrer ses doigts engourdis pour défaire la corde, quand un bruit le fit sursauter, juste derrière lui : une petite trappe coulissa et des yeux apparurent, dans un filet de lumière :
« Oh ? fit la voix d’un homme. C’est réveillé là-dedans ? »
Le garçon n’avait pas répondu tout de suite, d’abord, parce que son cœur battait trop vite, puis parce qu’il ne savait pas quoi répondre. Qui était cet homme, où était-il pour qu’il ne voie que ses yeux ? Après quelques secondes, il avait fini par parler, et sa voix lui avait paru faible et enrouée :
« Oui... Oui, je suis réveillé. »
La trappe s’était alors refermée violemment, dans un petit bruit sec. Il avait entendu la voix de l’homme reprendre : « Bon, cette fois on peut le descendre. Allez, viens. »
Le souffle coupé, le garçon avait tendu l’oreille, incapable du moindre mouvement. Le sol sous lui avait légèrement vacillé, puis des portières avaient claqué et il y avait eu des bruits de pas autour de lui, sur du gravier. Puis il avait entendu des voix sourdes, et le hennissement d’un cheval.
Où était-il ? Sans doute pas dans une pièce, comme il l’avait d’abord imaginé. S’il y avait un cheval, et des portières, ce ne pouvait être qu’une chose...
Une roulotte.
Soudain, une lumière pâle s’engouffra dans le petit espace où il était recroquevillé, et la silhouette d’un homme apparut. Le garçon l’observa, la bouche entrouverte et le souffle court.
La lune éclairait son uniforme bleu foncé, sa casquette. Il avait une moustache, une ceinture, et un bâton dans un étui. Il se tenait droit, une main sur la porte, et scrutait l’obscurité.
« Allez, lança-t-il, sors de là. »
Le garçon eut un regard autour de lui, comme pour vérifier qu’il ne parlait pas à quelqu’un d’autre. Il n’était pas sûr d’avoir assez de force pour mettre en marche ses muscles glacés.
« Oh ! reprit l’homme plus fort, en se penchant. Dépêche un peu, on a pas toute la nuit ! »
Le garçon réalisa qu’il avait raison : il faisait nuit. Quand il avait perdu le ballon dans les rochers, il n’était pas plus de 15 heures.
Le garçon sentait son cœur battre à tout rompre dans sa poitrine. Il pouvait clairement voir l’expression de l’homme, impatient. Alors il se redressa sur ses genoux et tenta d’avancer. Il entendit un grincement tandis que le sol de la roulotte vacillait. Il avança comme un automate vers la porte.
L’homme resta immobile à le regarder, sans même lui tendre la main. Quand le garçon fut au bord de la roulotte, il eut un geste énervé :
« Saute de là, dépêche-toi. »
En tentant de contenir ses tremblements, le garçon ramena ses jambes sous lui et les bascula en avant. Il faillit tomber en posant les pieds au sol, mais l’homme le rattrapa.
« Viens là » lui dit-il en le tirant vers lui.
Le garçon se retrouva à quelques centimètres de l’homme. Il put voir ses traits, crispés, la peau tirée par le froid, les yeux sombres. Sa moustache brune recouvrait en partie ses lèvres. Sa veste, boutonnée jusqu’au col, portait l’inscription « C.A » sur la poitrine.
« Tiens-le, que je procède à la fouille » lança-t-il à quelqu’un derrière lui.
Il y eut des pas dans le gravier, et une personne s’approcha du garçon, posa deux mains froides sur ses poignets encordés.
« Pour ce que la fouille va servir, dit une voix d’homme derrière lui. Il vient d’France, il y connaît rien de toute façon.
— Ouais, enfin, on n’est jamais trop prudent. C’est pas parce qu’il vient de France qu’il a pas un plan derrière la tête. Ils ont tous plus au moins un grain, ici, de toute façon. »
Le garçon sentit alors des mains lui parcourir le corps. Il eut un frisson incontrôlé et l’homme derrière lui le serra un peu plus fort :
« Tu restes calme, compris ? » souffla-t-il à son oreille.
Le garçon se tint immobile, les muscles raidis. Les mains lui tâtèrent les jambes, l’entrejambe, puis remontèrent sous son pull. On lui baissa la tête pour fouiller dans ses cheveux.
« Ça devrait être bon, dit le premier homme. De toute façon ils verront ça mieux demain. »
Le deuxième homme le lâcha alors, et apparut à sa gauche. Le garçon put voir qu’il était habillé exactement de la même manière que l’autre. Les deux hommes lui prirent alors un bras chacun et ils se mirent en marche.
Le garçon n’avait plus aucune capacité à réfléchir. Il était littéralement frigorifié, et sa tête tournait au ralenti. Il regarda d’un air hagard autour de lui.
Ils avançaient tous les trois sur un chemin de forêt, au milieu d’une rangée d’arbres dépouillés et squelettiques, et une brume épaisse semblait s’élever de terre, recouvrant tout autour d’eux à plus de deux mètres. Plus loin, il ne semblait n’y avoir que des arbres, blancs dans la nuit profonde. Le ciel était dégagé, les étoiles brillantes, le vent froid. Il y avait dans l’air une odeur de bois brûlé.
Ils avancèrent dans le noir pendant cinq bonnes minutes, puis une lueur se distingua à travers les branches. Des torches étaient plantées au bord du chemin, et, en avançant, le garçon put apercevoir derrière elles un immense mur de pierres blanches qui semblait disparaître dans la nuit, et une porte, une porte grillagée en fer, haute de plusieurs mètres. Il eut soudain une révélation : on l’emmenait en prison.
Il eut un mouvement pour se défaire de l’emprise des gardes, mais les deux hommes le tenaient fermement. Ils le poussèrent près du mur contre lequel il se tint inerte, les membres paralysés, la tête bourdonnante. Un des deux hommes resta près de lui pendant que l’autre s’approchait de la porte. Il y avait une corde et une petite cloche à droite, sur laquelle l’homme tira deux coups secs.
Un instant passa dans l’immobilité. La respiration du garçon se mêlait à celle des deux hommes dans une buée fragile.
On entendit encore un bruit sourd, une trappe coulissa et le visage d’un homme, casquette sur la tête, apparut dans l’ouverture.
« Gardien Savoyard et Gardien Lamy du Centre d’Accueil. On vous amène un nouveau colon.
— Je peux voir vos insignes et l’avis de transfert s’il vous plaît ? » répondit l’homme derrière la porte.
Le Gardien Savoyard sortit ses papiers, attrapa l’insigne que lui tendait le deuxième homme et les présenta devant l’ouverture. On entendit le cliquetis de clefs et plusieurs bruits de cadenas, puis on tourna une poignée et la porte s’ouvrit. Elle semblait tellement haute et tellement lourde que le garçon crut un instant qu’elle allait leur tomber dessus.
« Allez-y » fit l’homme derrière la grille en leur ouvrant le passage.
Les deux gardes s’approchèrent du garçon et l’empoignèrent de nouveau par les deux bras, puis ils franchirent la porte de Solémine.
Ils entrèrent dans un couloir, éclairé par plusieurs torches. Deux portes fermées à gauche, trois à droite. À part le gardien à la grille, il semblait n’y avoir absolument personne, et le silence était lourd, l’air glacé et moite. Le garçon n’avait plus de contrôle sur rien, il se laissait pousser par les deux hommes sans oser même respirer.
Il fallut encore ouvrir quatre cadenas.
Puis ce fut la cour.
Le garçon dut avoir un bref instant de stupéfaction, car les gardes
le poussèrent un peu plus violemment pour qu’il avance.
Dans la nuit noire, le garçon put voir les gigantesques parois en pierre blanche, montant vers le ciel, et, à chaque étage, le chemin de ronde, courant le long du fort, égrainant sur sa route la lueur orangée de dizaines de torches. Il devait y avoir plus de mille fenêtres, se dit le garçon, mille fenêtres aux barreaux serrés, ouvertes sur le noir comme des mâchoires muselées. Il avança tant bien que mal au rythme des deux hommes, mais il ne pouvait quitter des yeux la silhouette du fort, l’encerclant entièrement, et au loin, surplombant ses quatre étages, le mirador dont la lumière dansait sur les murs blancs.
Ils dépassèrent des rangées de tables en bois, au milieu de la cour, recouvertes d’une fine couche de gel. Cette vision rappela le garçon à la réalité. C’était pourtant le mois de Juin... Du moins en France, puisqu’il semblait qu’il n’était plus en France. Il eut soudain la sensation vertigineuse d’être au-dessus d’un gouffre, de n’avoir, pour la première fois de sa vie, plus d’emprise ni sur son corps, ni sur son
esprit.
Deux grandes portes en bois étaient ouvertes au rez-de-chaussée
du fort. Il y entra avec ses deux gardiens. La nuit était officiellement commencée. Toutes les bougies étaient éteintes, le silence régnait, aucun bruit n’était toléré. Seule une lanterne posée sur un bureau projetait une faible lumière autour d’eux. Derrière le bureau, il y avait un homme, habillé du même costume bleu foncé, de la même casquette. Seule changeait l’inscription cousue sur sa veste : un « S » majuscule. Il avait une barbe brune, de larges épaules et le regard noir.
« Salut, Gio, lui lança l’un des gardes qui escortaient le garçon.
— Salut, Savoyard.
— Ça se passe bien ?
— Ouais, pas de problème.
Le garde, Gio, marqua un temps d’arrêt en regardant vers le gar-
çon :
— Un nouveau ?
— Oui, un du Centre.
Cette phrase semblait lourde de sens et Gio agrandit les yeux en
fixant le garçon.
— Hmm, je vois, dit-il en ouvrant un livre posé sur une pile de
documents. C’était un livre particulièrement épais, en cuir marron.
— Bon, on te le laisse, dit Savoyard en lâchant le bras du garçon.
— Ça marche. À plus, les gars. »
Savoyard et Lamy disparurent comme ils étaient apparus, dans
l’obscurité de la cour. Le garçon se retrouva seul face à l’homme aux épaules carrées, au nez proéminent. Il feuilletait avec empressement l’énorme livre, qui contenait déjà plus de mille feuillets remplis d’une écriture fine et serrée.
Le garçon n’osait pas faire un geste. Sans tourner la tête, il regarda l’entrée du fort. Il vit à sa droite une pièce sans porte, très sombre, et devant lui un long couloir, et ce qui lui sembla être des barreaux : des cellules, au moins trois, alignées de chaque côté derrière le bureau. Des cellules, pour quoi faire ? Qu’est-ce qu’il venait faire, lui, dans cet endroit ? Avait-il été arrêté, dans cet espace de mémoire volée qu’il ne parvenait pas à reconstituer ?
La voix de l’homme le tira de sa rêverie dans un sursaut :
« Bon alors, comment tu t’appelles ? demanda-t-il d’un ton sec, et d’une voix bourrue.
— Euh, Tom, Tom Nichols », répondit le garçon.
L’homme trempa sa plume dans un petit récipient rempli d’encre posé à côté de lui. Il l’égoutta au-dessus d’un chiffon puis se pencha sur le livre avec minutie.
« Tom Ni... quoi ?
— Nichols. N-i-c-h-o-l-s, épela Tom.
— Et Tom c’est T-o-m-e ?
— Non, T-o-m. »
Le garde tira la langue et s’appliqua à tracer le nom de Tom dans
la première colonne de son tableau.
« C’est de quelle nationalité ?
— Euh... Américaine. Mon père est d’origine américaine, mais on vit en France.
Tom eut une seconde d’absence. « Enfin, on vivait » se dit-il. Il eut un frisson et serra les dents.
Le garde fit une tâche d’encre en traçant le F de « Français » et il l’essuya en maugréant. « Saloperie de truc à la con », dit-il en passant la plume sur le chiffon.
Tom le regarda, abasourdi.
« Bon... reprit Gio après quelques instants, ton matricule... »
Il remonta son doigt vers le haut du tableau. « Tu es le... dou-
zième du mois... ça nous fait... »
Il leva les yeux au ciel un instant, trempa la plume dans l’encrier
puis griffonna sept chiffres dans la quatrième colonne :
« 143.06.12, puis il passa à la colonne suivante : entrée, première entrée. Cellule d’affectation : cellule 24. Parrain désigné... Oleg Bakthine. Relevé par, Aman Gio, garde de sa fonction, de... sa...
fonction... signature. »
Il signa dans la dernière colonne puis referma le livre d’un geste
brusque. Il se leva et s’approcha de Tom, puis il défit la corde qui lui enserrait les poignets. Enfin, il attrapa la lanterne et fit signe à Tom :
« Suis-moi. »
Le garçon eut une nouvelle seconde d’hésitation. Il observa le couloir sombre dans lequel l’homme s’avançait, son esprit travailla dans le vide quelques instants, puis il pressa le pas et rejoignit « Gio ».
Ils s’enfoncèrent dans le couloir, l’homme d’1 m 90 avec sa casquette, son bâton à la ceinture et sa lanterne, et le garçon de treize ans pâle comme un cadavre. La lumière de la bougie vacillait sur les murs et sur les barreaux.
Tom vit dans les cellules des silhouettes couchées à même le sol sous des couvertures grises. C’était des enfants, manifestement. Puis ils tournèrent à gauche, et cette fois ce fut une trentaine de ces cellules que Tom contempla, le sang glacé. Elles couraient le long du mur, les unes à côté des autres, serrées et fermées.
Tom avançait sans réfléchir quand le garde l’arrêta en l’attrapant par le bras. Tom eut un geste de recul, et quand le garde le lâcha enfin, il se frotta le poignet un long moment. Il n’avait pas pressenti ce geste, pas comme avec les deux gardes de la roulotte. Quelque chose en lui avait été bousculé par ce contact, ce premier contact forcé qui serait bientôt la marque quotidienne de sa nouvelle vie.
Gio posa la lanterne, sortit un trousseau de clefs de sa poche et le bruit ramena Tom à la réalité. Dans la cellule, un garçon était couché sur la gauche, tourné vers le mur. Tom ne savait pas qu’il allait partager cette cellule avec quelqu’un ; il ne savait d’ailleurs pas non plus avant d’arriver dans ce couloir qu’il allait passer la nuit dans une cellule. En fin de compte, il ne savait rien sur rien. Se retournant un instant vers le garde, il ouvrit la bouche pour parler, croisa le regard de l’homme, se tut et baissa les yeux.
Inconsciemment, comme s’il savait que s’il ne le faisait pas, on allait encore l’y pousser par la force, Tom entra dans la cellule, veillant à ne pas marcher sur la couverture qui recouvrait le garçon endormi. C’est qu’il y avait à peine la place entre ces murs pour se tenir à deux. Sur le côté droit, Tom vit un autre tapis.
Il eut l’esprit tout à coup vide entièrement. Ce qu’il faisait ici, ce qui allait se passer, cette nuit, cet endroit, le matin à venir, tout ça était tellement inconnu, improbable, impossible. Le néant.
Encore une fois, ce fut le bruit affreux des clefs, puis de la grille qui se referme en grinçant, qui le ramena en un tiers de seconde debout au centre de cette cellule de deux mètres carrés, dans ce fort, près d’une rangée d’arbres dépouillés et d’un chemin de terre plongé dans le brouillard. Il était en prison, c’était sa nouvelle réalité.
Le temps d’une respiration, le garde avait disparu dans le corridor, emportant avec lui la dernière source de lumière, abandonnant cet espace de trois murs au seul éclairage livide de la lune. En cette même fraction de seconde, le froid revint à Tom, et avec lui un sentiment gigantesque de désarroi. La solitude et l’incompréhension s’abattirent sur lui de tout leur poids et il eut l’impression d’être cloué au sol. Son corps fut ébranlé d’un grand frisson. Le garçon allongé face à lui eut un soupir, bougea légèrement puis remonta sur lui la couverture. Tom le regarda, le regarda longuement.
Comme chaque geste semblait absurde, Tom finit par s’asseoir sur le tapis, une sorte de petit matelas en paille tissé, dur et étroit. Il dégagea la couverture et la posa sur ses genoux. Elle était froide elle aussi.
Le garçon face à lui émettait un léger sifflement quand il respirait. Tom ne pouvait voir de lui que l’arrière de son crâne, rasé, aux che- veux clairs, et une épaule qui dépassait de sa couverture.
Il dut s’écouler un long quart d’heure avant que Tom ne décide de se coucher sur la paillasse. Il se mit sur le dos, s’emmitoufla dans la couverture et ne bougea plus. Un silence particulier habitait la cellule. Il semblait peser sur tous les bruits comme pour les étouffer. La fenêtre à barreaux donnait directement sur l’extérieur, mais elle était bouchée par un morceau de tissu accroché à des clous dans le mur par une simple cordelette. Le vent sifflait par intermittence dans le tissu, le soulevait sans pouvoir l’arracher, et les morceaux de cordes volaient dans l’air avant de se poser à nouveau.
Tom n’était pas sûr de lui, mais il lui semblait entendre la mer au loin, aller et venir sur des rochers. C’était peut-être un fort en plein milieu de la mer, peut-être une île, peut-être l’autre bout du monde.
Les respirations autour de lui s’élevaient presque à l’unisson. Parfois, quelqu’un brisait l’harmonie en toussant, en éternuant ou en gémissant. Son voisin, lui, sifflait toujours. Il entendait aussi d’autres bruits autour de lui, des présences cachées, des esprits dans les murs. C’était, mais il ne le savait pas encore, des grilles que l’on ferme, des pas au premier étage – ceux de la ronde d’une heure – des cliquetis de clefs, des pages tournées au bureau du Veilleur, des bris de bouteilles, quelques cris échappés de cauchemars voisins.
Et ce bruit régulier, s’évanouissant puis revenant sans cesse, ce bruit métallique comme de l’eau qui tombe sur un tuyau... Tom pouvait l’entendre se faire de plus en plus fort, bien que presque imperceptible. Ça approchait.
Il y avait des pas avec, des pas et le bruit de tissu que font les jambes d’un pantalon qui frottent entre elles. Sans même s’en rendre compte, Tom remonta la couverture jusqu’à son menton.
Le bruit avançait toujours, et peu à peu venait vers lui. C’était un claquement fort et monotone, clac-clac-clac-clac-clac, puis un temps d’arrêt, et de nouveau cinq chocs. Le bruit résonnait dans les couloirs avant d’être happé par le silence.
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Quelques temps après, tu as déposé un mince carnet fané sur la table de nuit. J'ai attendu que tu sois parti pour le feuilleter, toutes les pages étaient vierges. Tu avais laissé également un crayon à la mine bien taillée, dont je me suis donné des coups entre le pouce et l'index, à l'endroit où la peau est tendre. Ça m'a fait mal et j'ai recommencé.
J'ai essayé de tous les dessiner, maman, papa, Anna et Ben, pour me les rappeler. mais je n'ai jamais été très forte en dessin. Il n'en est ressorti que des visages informes, un enchevêtrement de lignes et d'ombres que j'ai raturé sauvagement.
Je suis passée alors à l'écrit. J'ai toujours été plus à l'aise avec les mots. Mes parents n'ont jamais compris comment je pouvais être aussi bonne en anglais et aussi nulle en maths ou en dessin, leurs points forts à tous les deux. Mais même les mots ne venaient pas facilement. Ils ne rimaient à rien. Si quelqu'un devait lire ces lignes un jour, il penserait que j'étais sous l'emprise d'une drogue quelconque en voyant ce fatras.
J'ai commencé une lettre, mais impossible d'aller plus loin que "Chère maman, cher papa". Trop de choses à dire. De toute façon, rien ne me garantissait que tu ne la lises pas.
Alors j'ai listé les seuls mots qui me venaient à l'esprit... "emprisonnée, confinée, détenue, retenue, incarcérée, enfermée, internée, réduite, enlevée, kidnappée, dérobée, obligée, bousculée, blessée, volée..."
J'en ai noirci des pages.
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Le vieux retourne la poche d'un coup sec : un trousseau de clefs, des pièces qui roulent au plancher, la carte sur laquelle Adamsberg a noté son nom.
— Tiens donc, t'as les flics au cul ?
— C'est pas un flic.
— C'est un flic, petit con, et pas des moindres. Le genre qu'a l'air de pas grand chose et qui t'empoigne en douceur en plein milieu de son rêve. Brouillon, nonchalant, et dangereux. Je n'aime pas le savoir dans les parages. Tu lui as parlé du sac ?
— Il est au courant de rien. Il patauge.
— Tu crois qu'il patauge, pauvre imbécile.
Le couteau revient, la lame pique.
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(Gratien à Grégoire)

Des gars comme nous, Grégoire, des bruns, avec des yeux marron et des sourcils marron, et des poils marron il y en a tant que tu veux sur la terre. T'as qu'à te baisser pour les ramasser. Et il en va comme de toutes les choses, la masse crée l'indifférence et la profusion génère l'ennui. Voilà les bruns déclassés, étiquetés comme qualité ordinaire, un peu comme les pommes de terre de Gauthier, si tu veux, en comparaison des dattes en barquettes. Tu me suis ? Si bien que pour faire comprendre que, sur cette terre, chaque brun aux yeux bruns - je ne parle pas des bruns aux yeux clairs, fais bien la différence -, que chaque brun aux yeux bruns a quelque chose de singulier, d'exceptionnel, de magistral, comme le blond-bleu, et bien il faut sacrément s'esquinter. Pareil pour les filles brunes, on est tous logés à la même enseigne, dans le tout-venant. Le vrac quoi. Le vrac de bruns. L'énorme sac mondial de vrac de bruns. le fourre-tout. A côté, les petites barquettes de blonds-bleus. Forcément que la barquette attire l'oeil, oublier jamais qu'un jour, un dégénéré a voulu promouvoir les barquettes à la tête du monde. Il faut lutter pour l'avènement du Vrac Universel. ce sera ça, l'humanité. Mais en attendant, depuis le cul-de-basse-fosse du gros sac de bruns - parce que quand t'as pas un rond, en plus, tu dégringoles dans le fin fond du vrac, note-le -, en attendant, nous, les bruns, plongés dans la mêlée haletante, faut crier pour qu'on voie notre étincelle, faut s'efforcer, faut ciseler les finesses de notre esprit comme des dentellières. Et ça, c'est un truc qu'on ne connaît pas dans les barquettes.
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date : 10-04-2014
Je crois qu'il faut lui faire encore crédit. Beaucoup de générosité l'anime. Je sens en lui de la virilité, de la force ; il est capable d'indignation. Il s'écoute un peu trop parler ; mais c'est aussi qu'il parle bien. Je me défie des sentiments qui trouvent leur expression trop vite. C'est un très bon élève, mais les sentiments neufs ne se coulent pas volontiers dans les formes apprises. Un peu d'invention le forcerait à bégayer. Il a trop lu déjà, trop retenu, et beaucoup plus appris par les livres que par la vie.
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date : 10-04-2014
"Boris, maman préfère que nous ne touchions pas à la lorgnette. Tu ne veux pas venir te promener ?
— Oui, je veux bien. Non, je ne veux pas.
Les deux phrases contradictoires étaient dites d'une seule haleine. Bronja ne retint que la seconde et reprit :
— Pourquoi ?
— Il fait trop chaud, il fait trop froid. (Il avait baissé la lorgnette.)
— Voyons. Boris, sois gentil. Tu sais que cela ferait plaisir à maman que nous sortions ensemble. Où as-tu mis ton chapeau ?
— Vibroskomenopatof. Blaf blaf.
— Qu'est-ce que ça veut dire ?
— Rien.
— Alors pourquoi le dis-tu ?
— Pour que tu ne comprennes pas.
— Si ça ne veut rien dire, ça m'est égal de ne pas comprendre.
— Mais si cela voulait dire quelque chose, tu ne comprendrais tout de même pas.
— Quand on parle, c'est pour se faire comprendre.
— veux-tu, nous allons jouer à faire des mots pour nous deux seulement les comprendre.
— Tâche d'abord de bien parler français.
— Ma maman, elle, parle le français, l'anglais, le romain, le russe, le turc, le polonais, l'italoscope, l'espagnol, le perruquoi et le xixitou.
Tout ceci dit très vite, dans une sorte de fureur lyrique.
Bronja se mit à rire.
— Boris, pourquoi est-ce que tu me racontes tout le temps des choses qui ne sont pas vraies ?
— Pourquoi est-ce que tu ne crois jamais ce que je te raconte ?
— Je crois ce que tu me dis, quand c'est vrai.
(...)
— Oui. Non ; écoute : on va prendre un bâton ; tu tiendras un bout et moi l'autre. Je vais fermer les yeux et je te promets de ne les rouvrir que quand nous serons arrivés là-bas.
Ils s'éloignèrent un peu ; et, tandis qu'ils descendaient les marches de la terrasse, j'entendis encore Boris :
— Oui, non, pas ce bout-là. Attends que je l'essuie.
— Pourquoi ?
— J'y ai touché.
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Un flic qui aurait dû être pute, un aveugle mauvais comme une teigne et caressant, un byzantiniste cercleur, une vieille tueuse. Une bonne récolte, au fond. Pas de quoi se plaindre. Elle aurait dû écrire tout ça. Ça serait plus marrant que d'écrire sur les pectorales de poissons.
— Oui mais quoi ? dit-elle tout haut en se levant d'un bloc. Ecrire quoi ? Pourquoi faire, écrire ?
Pour raconter de la vie, se répondit-elle.
Foutaises ! Au moins sur les pectorales, on a quelque chose à raconter que personne ne sait. Mais le reste ? Pourquoi faire, écrire ? Pour séduire ? C'est ça ? Pour séduire les inconnus, comme si les connus ne te suffisaient pas ? Pour t'imaginer rassembler la quintessence du monde en quelques pages ? Quelle quintessence à la fin ? Quelle émotion du monde ? Quoi dire ? Même l'histoire de la vieille musaraigne n'est pas intéressante à dire. Ecrire, c'est rater.
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