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Lorsque quelqu’un mourait, tout le monde couvrait d’éloges le défunt, n’avait pour lui que cordiales platitudes, compliments et superlatifs.
Afficher en entierLe pompier s’éclaircit la gorge. « Comme vous le savez, plusieurs explosions se sont produites dans le puits principal, à environ six cents mètres de profondeur. On pense que huit mineurs sont restés bloqués derrière un incendie dans cette section. On a un peu progressé, mais il va sans dire que le feu s’est propagé. » Un murmure parcourut la foule, interrompant le discours du pompier un instant. Il leva la main pour réclamer le silence et reprit la parole d’un ton solennel. « L’air qui circule au fond du puits contient du monoxyde de carbone en quantité dangereuse. » Il s’humecta les lèvres et avala sa salive. « On estime peu probable que quelqu’un ait pu survivre dans de telles conditions. » Le mégaphone émit un long son aigu. Mary plaqua ses mains sur ses oreilles.
Afficher en entierPlusieurs membres de la fanfare de la mine qui venaient d’arriver commencèrent à jouer, les mélodies funèbres ne faisant qu’ajouter au désespoir et à la tristesse. Mary s’éloigna dans un coin tranquille pour attendre les nouvelles. Elle n’était pas convaincue que prier servirait à quelque chose. Tout d’abord parce que, s’il y avait eu un Dieu, il n’y aurait jamais eu d’explosion. Cependant, ça ne pouvait pas faire de mal. Elle joignit les mains et ferma les yeux en récitant une prière silencieuse pour que son mari remonte indemne, faisant en échange toutes sortes de promesses qu’elle ne tiendrait jamais. Elle essaya de ne pas penser à Thomas piégé là en dessous dans les entrailles de la terre, dans un endroit sûrement aussi terrifiant et inhospitalier que l’enfer.
Afficher en entierUn petit attroupement s’était formé à l’entrée de la mine. Des hommes, la tête baissée, attendaient en silence sous la pluie. Le ciel se teinta d’une nuance abricot tandis que l’aube se levait à l’horizon, le seul bruit perceptible étant celui de la cage qui remontait lentement sa cargaison macabre. Au moment où deux corps furent extraits de leur tombeau, la foule retint son souffle. Mary voulut se précipiter, mais elle sentit une main la retenir.
Afficher en entierAprès avoir enfilé ce qui lui tomba sous la main, Mary rédigea un mot en vitesse à l’intention de Ruth. La jeune fille qui travaillait chez elle depuis un an était tout à fait capable de servir le petit déjeuner aux clients. Ce fut du moins ce qu’elle se dit, n’ayant pas le temps de penser à la quantité de tasses que Ruth faisait tomber ou au nombre de fois où elle laissait brûler le bacon sous le gril. Une patronne moins conciliante l’aurait renvoyée depuis belle lurette, seulement Ruth était la seule à gagner de l’argent dans sa famille, laquelle se composait d’un père veuf asthmatique et de son jeune frère qui ne pouvait marcher qu’appareillé d’attelles. Mary n’avait jamais eu le cœur d’en rajouter à leurs difficultés.
Afficher en entierLa sonnerie insistante du téléphone en bas dans l’entrée l’arracha à un sommeil sans rêves. Groggy et désorientée, elle jeta un regard du côté du lit où dormait Thomas mais ne vit qu’un espace vide. Elle passa sa main sur le drap froid, signe qu’il n’avait pas dormi là, et à mesure qu’elle reprenait quelque peu ses esprits, elle se rappela qu’il travaillait en équipe de nuit. Elle vit que les chiffres sur le réveil indiquaient 3 h 37. Une boule d’angoisse lui noua l’estomac ; personne n’appelait à une heure pareille pour bavarder… Elle s’extirpa du lit et se précipita dans l’escalier, sans se soucier de réveiller les clients. Le souffle court, elle décrocha le lourd combiné noir. « Allô, ici Mary Roberts…
Afficher en entierElle décida de rentrer par la route panoramique. Une marche vivifiante sur le front de mer lui donnerait des couleurs, et respirer l’air marin l’aiderait à avoir les idées plus claires. Elle se rendit compte qu’elle ne marchait pas vraiment ; elle flottait, ou peut-être glissait, si bien qu’elle arriva tout étourdie et essoufflée. Elle se remémora ce qu’avait dit le médecin. « Mrs Roberts, je suis heureux de vous confirmer que vous êtes bel et bien enceinte. » Après trois années de tourments, de faux espoirs et de déconvenues écrasantes, ils allaient enfin former une famille. Il lui tardait de l’annoncer à Thomas.
Afficher en entierDans la salle d’attente bondée, la chaleur était étouffante. La femme assise sur sa gauche tenait un bébé endormi qui, à l’odeur, avait dû souiller ses couches. L’homme sur sa droite éternua bruyamment dans son mouchoir avant d’être pris d’une violente quinte de toux. Mary se retourna et parcourut un magazine qui avait été beaucoup feuilleté. L’heure de son rendez-vous était passée de quinze minutes, et elle s’était déjà rongé deux ongles. Finalement, la secrétaire passa la tête dans la salle. « Mary Roberts ? Le médecin est prêt à vous recevoir. »
Afficher en entierPeu après l’heure du déjeuner, le train entra en gare dans un crissement de freins si strident que Mary se boucha les oreilles. Thomas jeta son sac de marin sur son épaule. Il avait beau détester les au revoir tout autant qu’elle, il s’efforçait toujours de garder un air enjoué. Il la serra de toutes ses forces dans ses bras et posa son menton sur son épaule. « Mary, je suis certain que ce seront de bonnes nouvelles chez le médecin. Je croiserai les doigts pour toi. » Il se redressa et effleura ses lèvres d’un baiser. « Et je te donne ma parole que je démissionnerai dès que le petit sera là. »
Afficher en entierDepuis trois ans, depuis leur nuit de noces officielle, ils avaient essayé de faire un bébé. Mary n’avait pas prévu que ce serait aussi compliqué et, à trente et un ans, elle avait fortement conscience que le temps passait. Elle était née pour être mère, elle le savait, l’avait toujours su, aussi ne comprenait-elle pas pourquoi Dieu la punissait de cette manière. Chaque mois, dès que la sensation de crampes revenait lui tirailler le ventre, son optimisme diminuait encore un peu, ne faisant que redoubler son désir d’avoir un bébé. Il lui tardait d’être réveillée à 4 heures du matin par les cris d’un enfant, se réjouirait d’avoir un seau rempli de couches en éponge qui empestaient dans un coin de la cuisine. Elle avait envie de regarder son bébé dans les yeux et d’y voir l’avenir. Mais surtout, elle voulait voir Thomas le bercer dans ses grands bras – un garçon ou une fille, ça n’avait pas d’importance – et l’entendre être appelé « papa ».
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