Il était une fois à Montréal, tome 1 : Notre union

Chapitre 1

L’enfance

— Allez, demande pardon au petit Jésus!

— Pourquoi, m’man?

— Parce que tu as été impossible toute la journée. Tu n’as pas voulu faire ton lit. Tu as levé le nez sur ton déjeuner. Je t’ai tiré l’oreille pour faire ta prière. Tu n’as pas été gentille et tu m’as fait de la peine. Demande pardon!

— Pardon à qui?

— À Jésus.

— Pourquoi? C’est à vous que j’ai fait de la peine.

— Dans ce temps-là, tu en fais aussi au petit Jésus.

Je m’agenouillai près de mon lit et dis:

— Je vous demande pardon, mon bon Jésus, de vous avoir offensé.

J’attendis un peu avant de demander à ma mère:

— Comment je vais savoir si Jésus m’a pardonné? Il ne m’a pas répondu.

— Moi, je te pardonne, alors Jésus aussi.

Des scènes de ce genre, il s’en déroulait continuellement chez nous, ma mère, Adéline, n’ayant qu’une chose en tête: la religion. Pour elle, tout passait par Jésus. Si on éprouvait une difficulté quelconque, il fallait mettre cela entre les mains de Jésus. Une journée bien commencée débutait par la messe à l’église paroissiale. On ne se mettait jamais à table sans remercier Dieu pour notre pain quotidien. Après le souper, on récitait le chapelet et il était impensable de se coucher sans lui avoir offert notre cœur et demandé pardon pour tous nos péchés du jour. Et des péchés, il s’en cachait dans à peu près tous les gestes accomplis, même dans nos pensées, et cela, du matin au soir et tout au long de notre vie.

N’était-ce pas déroger à la loi divine que de se permettre une gourmandise, de dire des gros mots, de perdre patience, d’envier les autres, de paresser au lit, de ne pas être gentil avec ses amis, de voler, de tricher, de se chamailler? Jésus savait tout et punissait les méchants.

J’entendais ce discours depuis ma naissance. J’étais pour ainsi dire née dans un bénitier, car selon ma mère, à part l’Église et les curés, rien sur cette terre n’était digne de mention. D’ailleurs, elle était convaincue que seuls les catholiques possédaient la «vérité vraie», car il en existait des fausses, celles des non-catholiques qui, bien entendu, étaient tous des menteurs de la pire espèce à qui Jésus ne saurait pardonner.

De ce point de vue, la vie se résume à peu de choses.

Premièrement: il y a le mal et le bien, le ciel et l’enfer. Le mal mène directement en enfer, et pour aller au ciel il faut faire le bien.

Deuxièmement: nous sommes tous des pécheurs et seul Dieu, par l’intermédiaire d’un prêtre, peut effacer les péchés.

Troisièmement: le bonheur n’existe pas sur terre. En conséquence, il faut vivre en fonction du ciel.

Quatrièmement: dès que quelque chose fait plaisir, le péché n’est pas loin. Conséquemment, on ne devrait jamais se faire plaisir, pour ne pas commettre de péchés, surtout des péchés mortels.

Voilà en quoi consistaient les préceptes appris durant mon enfance. Ils devinrent en quelque sorte le testament de ma mère.