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En mars 1921, la mutinerie des marins de Cronstadt dénonçant avec l'énergie du désespoir la dictature du Parti et la confiscation des libertés par une caste bureaucratique privilégiée se solda par 2 000 condamnations à mort et 6 500 condamnations à des peines de prison ou de camp de travail. Quant à la famine de l'hiver 1891 qui, largement provoquée par la désorganisation de la production et l'incurie du pouvoir, fit près de 5 millions de victimes, elle ne devait susciter de la part de Lénine qu'indifférence. Mais n'avait-il pas, trente ans plus tôt, cyniquement déclaré : << En détruisant l'économie paysanne attardée, la famine nous rapproche objectivement de notre but final, le socialisme, étape immédiatement postérieure au capitalisme. La famine détruit la foi non seulement dans le tsar, mais même en Dieu. >>
Afficher en entierDans les mois suivants, << la terreur rouge >> gagna en ampleur et au bilan déjà catastrophique de la Première Guerre mondiale, de la guerre civile, de la famine et des épidémies de typhus et de choléra, s'ajoutèrent les déportations et les condamnations à mort des << ennemis du peuple >> : membres des anciennes élites accusés de faire le jeu des armées blanches, paysans << riches >> et << moyens >> s'opposant aux réquisitions forcées, Cosaques attachés à la propriété privée de leurs terres, prêtres et paroissiens refusant la confiscation des biens de leurs églises, parents de déserteurs exécutés à titre d'exemple... Au total, des dizaines de milliers de victimes furent sacrifiées sur l'autel de la révolution triomphante et du communisme à bâtir ; mais à aucun moment, Lénine n'exprima de doute ni sur la légitimité de son action ni sur son coût humain et moral. En 1920, le leader bolchevik pouvait ainsi énoncer devant une assemblée de jeunes communistes qu' << est moral ce qui contribue à la destruction de l'ancienne société des explorateurs et au rassemblement de tous les travailleurs autour du prolétariat en train de créer la société communiste >>. Et par la suite, c'est au nom d'une conception toujours plus abstraite et désincarnée du prolétariat, que des catégories, de plus en plus modestes de la population, allaient être décimées.
Afficher en entierLa terreur érigée en arme de gouvernement
Dès 1905, soit deux ans à peine après la naissance du Parti bolchevik, Lénine envisageait déjà le recours à la violence de masse comme un outil de pouvoir, mais c'est en janvier 1918, une fois la police politique rétablie et le premier camp de travail forcé installé dans l'ancien monastère des îles Solovki, qu'il en fit un outil d'ingénierie sociale, écrivant qu' [ il faut ] << débarrasser la terre russe de tous les insectes nuisibles, des puces (les filous), des punaises (les riches), et ainsi de suite. Ici, on mettra en prison une dizaine de riches, une douzaine de filous, une demi-douzaine d'ouvriers qui tirent au flanc (à la manière de voyous, comme le font de nombreux typographes à Petrograd, surtout dans les imprimeries des partis). Là, on les enverra nettoyer les latrines. Ailleurs, on les munira, au sortir du cachot, d'une carte jaune afin que le peuple entier puisse surveiller ces gens malfaisants jusqu'à ce qu'ils soient corrigés. Ou encore on fusillera sur place un individu sur dix coupables de parasitisme. >>
Afficher en entierLe prix du succès : une dictature en germe ?
Dès le 27 octobre, la liberté de presse fut suspendue, la censure, rétablie, le monopole de l'information, transféré au pouvoir et quelques semaines plus tard, début décembre, Lénine se prononça pour la mise en place d'une police secrète, la Tchéka. A cette date, Lénine escomptait, peut-être, que ces dispositions, imposées par les circonstances, resteraient << extraordinaires >> ; mais rien n'est moins sûr : dès janvier 1918, la dissolution de l'Assemblée constituante et la renonciation au pluripartisme témoignaient déjà d'une évolution vers la dictature du Parti bolchevik, devenu Parti communiste en mars 1918.
Afficher en entierMinutieusement préparé par le Comité révolutionnaire militaire, bras armé du Parti, et face à un peuple harassé par la poursuite de la guerre, déçu par l'inaction du gouvernement provisoire sur la question agraire et de plus en plus sensible à la propagande bolchevique, le coup de force d'Octobre (1917) [ qui fit environ 200 morts en quatre jours à Petrograd ], se révéla finalement plus facile qu'escompté. Cependant, encore limité à la capitale, son succès ne garantissait pas l'installation ferme du nouveau pouvoir et cela d'autant moins que des résistances, d'ordre politique comme national, commençaient à menacer l'unité du territoire. Dans ce contexte d'urgence, Lénine n'hésita pas : la dictature était désormais à l'ordre du jour.
Afficher en entierLes Bolcheviks n'ont tenu qu'une place mineure dans la Révolution de 1905 qui les a surpris et déroutés par la place que les masses ouvrières y ont spontanément tenue. Pourtant, de cette révolution avortée, Lénine va tirer parti en retenant en particulier l'idée mobilisatrice de << Soviet >>, qu'il récupère pour son propre compte. Et dès avril 1917, le Soviet de Petrograd venant de se reconstituer, Lénine en appelle à son tour << au pouvoir des Soviets >> mais à des Soviets bolchevisés, qu'il s'agira, par une intense propagande, de gagner à sa cause. Le leader bolchevik renoue avec ce même pragmatisme dans les circonstances quelque peu rocambolesques qui le ramènent en Russie, dans un wagon allemand doté du statut d'exterritorialité. Pour Lénine, peu importe que son image puisse être écornée et que d'aucuns puissent l'accuser d'intelligence avec l'ennemi. A ses yeux, se jouent l'avenir et la crédibilité de la révolution et ils sont à ce prix.
Afficher en entierLa construction d'un parti tout entier dévoué à sa cause
Grâce à quantité d'affaires financières troubles, d'attaques de transporteurs de fonds (dans lesquelles s'illustre le jeune Staline) mais aussi d'alliances de circonstance, de jeux de rapprochement ou bien au contraire d'intimidation de ses contradicteurs potentiels, Lénine parviendra entre 1903 et 1917 à construire le Parti bolchevik. Dès 1903, la naissance du Parti s'accomplit sous le signe de la manœuvre ; par la suite, durant la Première Guerre mondiale, alors que nombre de bolcheviks renâclent devant ses prises de position défaitistes tant parce qu'elles les dérangent dans leur haine du militarisme allemand que parce qu'elles conduisent à l'arrestation de militants restés en Russie, c'est par des mises en cause voire des exclusions que Lénine, encore en Suisse à cette date, balaiera les objections.
S'il est pétri d'idéologie, l'homme sait aussi se montrer pragmatique pour arriver à ses fins : en mai 1917, l'autocratie s'est effondrée, un tout nouveau et fragile gouvernement provisoire a vu le jour et Lénine, tout juste rentré en Russie, vient de proclamer ses Thèses d'avril. Il décide alors de faire alliance avec Trotski, certes menchevik, mais auréolé de son expérience concrète de la Révolution de 1905 et du rôle qu'il y a joué à la tête du premier Soviet de l'histoire.
Afficher en entierUN HOMME D'ACTION DETERMINE, METHODIQUE ET PRAGMATIQUE
Dans l'esprit de Lénine, le parti revêtait une double fonction : il était destiné à devenir l'instrument de la conquête mais dans le sillage des idées de Tkatchev, il devait aussi servir à l'exercice du pouvoir une fois la révolution accomplie. D'où la nécessité cruciale de se doter d'une structure docile et fiable.
Afficher en entierSa vie durant, Lénine resta un intellectuel soucieux d'affiner sa pensée et de la développer. Il ne cessa de lire et de relire Marx, Engels, Hegel et, de manière plus surprenante, les philosophes grecs. Il ne cessa pas non plus d'écrire : en pleine guerre, en 1916, il publie L'Impérialisme stade suprême du capitalisme, qui comptera parmi ses textes les plus importants ; d'autres textes théoriques suivront comme L'Etat et la révolution achevé en août 1917. Mais en parallèle, au début des années 1900, c'est à la structuration du parti qu'il consacre la plus grande partie de son énergie.
Afficher en entierSon apport majeur : le Parti, fer de lance de la révolution à accomplir
Tout en se voulant optimiste quant à l'avenir d'une révolution prolétarienne dans l'empire des tsars, Lénine fut très tôt conscient que la classe ouvrière russe, peu nombreuse et faiblement organisée, était totalement dépourvue de toute conscience politique et que son potentiel révolutionnaire restait faible voire inexistant puisque << livrée à ses seules forces, la classe ouvrière ne peut arriver qu'à la conscience syndicale. >> En conséquence, la conquête du pouvoir devra se faire non par la classe ouvrière mais en son nom et à sa place, par une minorité de révolutionnaires professionnels regroupés dans un Parti discipliné et centralisé, << Unis dans la volonté >>. Seul détenteur d'une conscience de classe, le Parti pourra se penser comme l'avant-garde de cette classe ouvrière et se substituer à elle. Ce schéma défini, il s'agissait dès lors de travailler à l'organisation du Parti et de guetter l'étincelle favorable au déclenchement de la révolution.
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