Invisible

Je lui adresse un coup d'œil soupçonneux.

- Vous travaillez pour qui ?

Il éclate de rire.

- Ah, ah ! Si tu voyais ta tête ! Il me tapote la main : pas pour le gouvernement, en tout cas, tu devrais l'avoir compris.

Je me penche au-dessus de la rambarde.

- J'ignore ce qui se passe, dis-je en fermant les yeux. Je sais seulement que j'ai un gros, gros problème. Et je ne sais pas vers qui me tourner.

Il opine.

- Je peux t'aider.

J'emplis d'air mes poumons, et expire d'un seul coup.

- J'ai des nanites dans le sang.

Il ne dit rien.

- Vous avez entendu ?

- Oui.

- Alors quoi, vous ne me croyez pas ?

- Continue.

Le front plissé, il fixe l'horizon.

- J'étais avec un ami. Il y avait ce fourgon qu'on était censé braquer. Ça ne s'est pas passé comme prévu. Mais on a récupéré une éprouvette.

- Une éprouvette ?

- Oui. Et mon copain l'a ouverte.

Il se pince la lèvre inférieure.

- Ces nanites. Comment sais-tu qu'ils sont en toi ?

Je lui explique : Allan, le microscope… Etonnamment, ce que je lui raconte ne semble pas le surprendre outre mesure.

- Je vois.

Je poursuis mon histoire. L'épisode de Junior avec l'androne. Les déformations de son corps. Allan. Le code trouvé sur les nanites. Le décryptage des données. Ma virée solitaire dans les terres arides du virtuel. Angel. Le Père Miguel. Mon cauchemar et mon réveil.

Verlaine reste muet. Il réfléchit. Son imperméable émet une faible vibration. C'est un modèle thermo-régulé, qu'il s'adapte à la température extérieure. Le soleil arrive au zénith. Il doit faire dans les 40° C.

- Te dis-tu parfois que le monde dans lequel tu vis n'est pas juste ?

Je hausse les épaules.

- Ça doit m'arriver une centaine de fois par jour.

- Bon signe, renifle-t-il. Ça prouve au moins que tu es vivant. Pas comme l'immense majorité de tes concitoyens.

Il fait une pause.

- J'imagine que tu es déjà entendu parler du Front Nouveau de Libération ?

Je hoche la tête. Depuis une dizaine d'années, le FNL fait partie de ces groupements terroristes qui défraient la chronique. Certains posent des bombes. D'autres coulent des pétroliers. Le FNL, lui, pirate des systèmes informatiques.

- J'en fais partie, dit Verlaine. Je travaille pour la cause. Notre credo : le chaos. Nous voulons désorganiser le système. Nous voulons provoquer le réveil des masses. Montrer aux gens à quel point ils sont dépendants des technologies.

- Vaste programme…